B. L'industrie du futur et ses
conséquences sur le monde du travail
Que signifie l'industrie du futur pour l'homme au travail ?
On voit dès aujourd'hui se dessiner les tendances
suivantes. Premièrement, l'organisation du travail est de plus en plus
flexible dans le temps et dans l'espace. Deuxièmement, les
opérations tendent à s'affranchir des hiérarchies et du
centralisme. Troisièmement, les processus gagnent en transparence.
Quatrièmement, de plus en plus de tâches routinières sont
numérisées et automatisées.
La question au coeur de toutes les préoccupations est
la suivante : la progression du numérique va-t-elle condamner au
chômage les personnes travaillant dans les entreprises de production ? Il
semble difficile d'apporter une réponse définitive à cette
question, tant les analyses demeurent incertaines.
1. Conséquences à
l'échelle macroéconomique pour l'emploi
La disparition des emplois ?
Alors que les révolutions technologiques successives se
sont accompagnées jusqu'à présent du développement
de l'emploi suite à des redistributions (le « déversement
sectoriel » d'Alfred Sauvy), la diffusion du numérique - et demain
de l'intelligence artificielle - dans les sites de production fait craindre une
diminution globale du besoin en travail humain. De nombreuses études,
parfois contradictoires, certaines très alarmistes, d'autres plus
rassurantes, font état du remplacement du travail humain par des robots
ou d'autres formes d'automatisation des tâches.
Par ailleurs, l'épuisement des ressources naturelles et
les enjeux climatiques, amènent à repenser le modèle de
croissance qui doit évoluer vers une plus grande sobriété.
Une priorité environnementale qui pourrait peser sur l'activité
économique tandis que la productivité, avec la
numérisation de l'industrie, continuera à progresser. Les effets
conjugués de ces deux phénomènes pourraient réduire
les marges de redistribution, comme jamais ce ne fut le cas
antérieurement.
« Le remplacement de l'homme par la machine est peu
à peu devenu une réalité ». C'est ce qu'affirme le
cabinet Roland Berger Strategy Consultants dans un rapport de 2014
intitulé Les classes moyennes face à la transformation
digitale. Dans ce rapport, le cabinet affirme que 42 % des métiers
seront automatisables d'ici à 20 ans. Et ce ne seront pas uniquement des
métiers manuels. D'ici à 2025, 3 millions d'emplois risqueraient
d'être détruits en France par la digitalisation de
l'économie. Cette étude suivait celle, très
commentée, de deux chercheurs de l'université d'Oxford, Frey et
Osborne, affirmant que 47 % des emplois aux États- Unis
présentent un fort risque d'automatisation d'ici 10 à 20 ans.
La méthode pour parvenir à ces estimations - et
donc la signification même de ces chiffres - sont très
controversées. Vu d'Allemagne, ce scénario semble d'autant moins
réaliste que les systèmes de production et les profils de
qualification y sont différents de ceux des États-Unis. En outre,
les conséquences de l'industrie 4.0 sur l'emploi pourraient être
moins drastiques en Allemagne que dans d'autres pays, ne serait-ce que du fait
de l'évolution démographique et du risque de manque de
main-d'oeuvre qualifiée.
Un tel scénario catastrophe est également
contesté en France : le Conseil d'orientation pour l'emploi (COE), une
instance d'expertise rattachée aux services du Premier ministre, indique
que ce sont « seulement » moins de 10 % des emplois en France qui
sont en danger à cause de l'automatisation. Il préfère
souligner l'impact positif, sans pouvoir le chiffrer, que la
numérisation de l'économie peut avoir sur les créations
d'emplois. « Parmi les 149 nouveaux métiers apparus depuis 2010,
105 appartiennent au domaine du numérique », soulignent les auteurs
du document.
En réalité, personne n'est vraiment capable de
prédire, au niveau macro-économique, par quels nouveaux emplois
les emplois perdus seront compensés. Mais selon Louis Gallois, il
importe que les futurs emplois créés soient, dans des proportions
aussi fortes que possible, des emplois exposés à la concurrence
mondiale, car ces types d'emploi sont mieux rémunérés et
ont un effet d'entraînement plus important sur le reste de
l'économie. Par nature, tous les territoires sont en compétition
entre eux pour attirer et fixer les emplois « nomades ». Ce qui
nécessite une réflexion poussée sur les conditions
d'attractivité territoriale de ces emplois, qui reposeront sur la
qualité des infrastructures matérielles et immatérielles,
concentrées dans des pôles interconnectés ou « hubs
».
La polarisation des emplois ?
Parmi les conséquences de la numérisation de
l'économie, on évoque également depuis plusieurs
années la « polarisation » de l'emploi. Cette thèse
renvoie à l'idée que la part des métiers les plus
qualifiés augmente, de même que la part des métiers les
moins qualifiés, alors que la part des emplois intermédiaires
diminue. On parle alors de courbe en U ou smiling curve. Cette tendance semble
surtout vérifiée aux États-Unis. En France, on observe
effectivement une élévation de la part des plus qualifiés,
mais la part des moins qualifiés ne croît qu'en raison de la
récente explosion des emplois de services à la personne : si l'on
fait abstraction de ce phénomène, les emplois sont
détruits d'autant plus vite qu'ils sont moins qualifiés,
notamment dans l'industrie. L'avenir de ces évolutions reste incertain :
d'aucuns pensent que les tâches routinières vont connaître
une disparition accélérée qui touchera l'ensemble des
qualifications, qu'elles soient faibles ou élevées, et l'ensemble
des secteurs (industrie et services). Quoi qu'il en soit, à l'heure
actuelle, en France, on observe que le chômage de masse touche
prioritairement les moins qualifiés, comme l'indique le graphique
7ci-après, ce qui justifie d'inciter les jeunes à acquérir
un niveau élevé de qualification.
La tendance qui se dessine est donc celle d'un
nécessaire monté en compétences du travail humain, qui
devra aller de pair avec une réforme profonde des systèmes
éducatifs et de la formation tout au long de la vie professionnelle,
afin d'assurer aux travailleurs le niveau requis par des emplois de plus en
plus exigeants, et d'accompagner les reconversions issues de la redistribution
des activités.
Figure 7. Le chômage
de masse concerne en France les travailleurs peu qualifiés
Source : Marché du travail : la grande fracture,
Institut Montaigne
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