2. Lacunes et inadéquation des
compétences
On ne peut pas dire que les travailleuses et travailleurs
d'aujourd'hui manquent de compétences, mais leurs compétences ne
sont pas toujours celles qui sont recherchées dans les nouveaux lieux de
travail. On reconnaît généralement que les qualifications
sont l'un des plus grands défis de l'Industrie 4.0. Les nouveaux besoins
en matière de compétences sont un défi pour les
travailleurs, mais ils ont aussi de fortes répercussions sur les
sociétés, surtout dans les pays développés
où les lacunes dans les compétences et l'inadéquation des
compétences causent déjà des problèmes très
présents dans le marché du travail (voir figure 5).
Pour compliquer davantage le problème, le
vieillissement de la main-d'oeuvre - un phénomène ressenti le
plus vivement au Japon, dans les pays européens, au Canada et en
Australie - a pour conséquence que, dans ces régions, les
stratégies en matière d'éducation et de formation
professionnelle doivent, pour donner de bons résultats, tenir compte des
forces et des faiblesses des travailleurs plus âgés. Le Japon voit
en effet ces technologies comme une solution partielle à la crise
démographique de son pays.
La géographie, les migrations et l'urbanisation doivent
également être prises en compte au moment de planifier la
stratégie qui permettra de rendre l'éducation et les formations
professionnelles accessibles à ceux qui en auront besoin. Dans le
contexte de l'accessibilité à l'éducation et aux
formations, les syndicats sont depuis longtemps les organisations les plus
efficaces en ce qui a trait à l'offre de formations professionnelles.
Sont-ils prêts à assumer ce rôle dans les domaines de
technologie de pointe? À titre d'exemple, les syndicats italiens ont
proposé de créer des centres de compétences ou des centres
d'excellence, qui faciliteraient l'acquisition et la transmission des
compétences, pas nécessairement à l'intérieur du
présent cadre universitaire.
Dans la plupart des économies
développées, le design industriel et la fabrication de produits
de grande qualité exigent beaucoup de travailleurs et
d'ingénieurs hautement qualifiés. Par ailleurs, il y a un besoin
permanent de services privés et personnels, tels que des services de
nettoyage, de buanderie, d'entretien, etc., qui demandent peu de
compétences. D'autre part, les compétences moyennes sont requises
dans une bien moindre mesure parce qu'une plus grande proportion des usines de
fabrication ayant besoin d'une main-d'oeuvre moyennement qualifiée ont
été relocalisées dans d'autres pays.
Figure 6. Comparaison entre
la répartition des compétences requises et celle des
compétences déjà acquises; marchés du travail
industriel dans les pays développés
Source : Hilpert, Y, (2017)
Dans les sociétés occidentales, la
répartition des qualifications acquises est très
différente de la répartition des compétences
nécessaires. Comme les systèmes d'éducation et les
programmes de formation en apprentissage sont établis depuis longtemps,
de vastes segments de la société possèdent au moins des
compétences moyennes, tandis qu'une proportion relativement petite de la
population est peu spécialisée. Bien que cela soit un bon signe
pour les systèmes d'éducation, cette constatation fait
également ressortir un problème d'offre et de demande.
La surproduction potentielle d'une main-d'oeuvre moyennement
qualifiée signifie qu'une grande proportion de ce groupe pourrait avoir
de la difficulté à dénicher un emploi correspondant
à ses qualifications. Ces personnes sont surqualifiées pour les
emplois exigeant moins de qualifications (moins bien
rémunérés, mais elles n'ont pas les qualifications
requises pour pallier la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée dans
les emplois exigeant les plus hauts niveaux de qualification. Alors que le
travail industriel et la conception intéressent moins les nouvelles
générations des sociétés occidentales, les lacunes
dans les compétences posent de plus en plus problème en ce qui
concerne les emplois hautement spécialisés.
Pour tenter de remédier à cette situation, les
compagnies et les gouvernements de l'Union européenne ont entrepris une
planification stratégique des compétences et pris des mesures
pour rendre les emplois industriels plus attrayants, notamment en distribuant
des bourses d'études en sciences, en technologies, en génie et en
mathématiques (disciplines STGM) et en annonçant des offres
d'emploi garanti aux diplômés des programmes de formation en
apprentissage. (Un aspect négatif de cette stratégie est que
certains pourraient faire valoir qu'en général les compagnies ne
font pas leur part et qu'elles se fient plutôt au secteur public pour
subventionner leurs besoins en matière d'éducation et de
formations professionnelles.)
Il est évident que diverses initiatives
d'élaboration de politiques sont nettement axées sur les
technologies, spécialement les politiques en matière
d'éducation, mais le jour viendra où le travail humain sera moins
recherché, et il faudra alors mettre l'accent sur l'invention de
nouvelles solutions aux problèmes sociaux. Les sciences sociales et les
arts libéraux, qui ont leur place en tant qu'innovateurs sociaux,
devraient attirer autant d'attention politique et d'investissements que les
disciplines STGM.
Cette démonstration met en évidence plusieurs
problèmes. L'inadéquation des compétences ne signifie pas
seulement qu'une certaine proportion de travailleuses et travailleurs seront
obligés d'occuper des emplois qui ne correspondent pas à leurs
qualifications respectives et pour lesquels ils sont surqualifiés et
sous-payés. Cela veut dire aussi qu'une grande proportion des ressources
humaines actuelles risquent de demeurer sans emploi, malgré des niveaux
de qualification plutôt élevés. Quelle est la pertinence de
ces constatations dans le contexte de l'Industrie 4.0?
Les compétences et les qualifications présentes
dans la société, ainsi que les problèmes actuels dans le
marché du travail, tels que les pénuries de main-d'oeuvre
qualifiée et l'inadéquation des compétences, qui sont
d'importants indicateurs, donnent une idée de l'incidence qu'aura
l'Industrie 4.0 sur la société. La demande en main-d'oeuvre peu
qualifiée continuera probablement de stagner dans les pays
développés : l'exploitation d'usines de fabrication demandant peu
de compétences coûte moins cher dans les pays en
développement, et, d'ailleurs, un grand nombre d'entre elles ont
déjà été délocalisées vers ces pays.
En revanche, les emplois manufacturiers qui exigent des compétences
moyennes ont tendance à être des emplois numériques, et ils
sont donc plus à risque d'être touchés par la
réduction et la rationalisation des effectifs.
Les services qui ont besoin d'une main-d'oeuvre moyennement
qualifiée (conception Web, calculs, etc.) peuvent facilement être
externalisés et fournis, pour une fraction du prix, à partir de
n'importe quelle région de la planète par le biais de diverses
plateformes. Ils auront donc pour effet de diminuer, dans ce secteur, les
possibilités d'emploi local dans le monde développé. On
peut donc s'attendre à une réduction de la part occupée
par les emplois pour main-d'oeuvre moyennement qualifiée, alors que les
travailleuses et travailleurs capables d'occuper ces postes représentent
une grande proportion de la population active. Une partie de la fabrication
faite par des travailleuses et travailleurs hautement qualifiés pourra
à l'avenir être effectuée dans des usines de fabrication
intelligente, ce qui entraînera des réductions d'effectifs; une
deuxième partie pourra être améliorée par des
systèmes d'aide et une troisième partie pourrait au contraire
créer des emplois. Les travailleuses et travailleurs moyennement
qualifiés déjà sur le marché de l'emploi auront
accès à ces postes dans la mesure où des programmes
d'enseignement et de formation professionnelle seront créés et
offerts.
Même les travailleuses et travailleurs hautement
qualifiés tels que les techniciens et les ingénieurs se trouvent
devant une situation où leur instruction et leurs compétences
risquent de devenir obsolètes et de ne plus être
recherchées par les employeurs, si elles ne sont pas continuellement
mises à jour.
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