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Industrie 4.0, une revolution industrielle et sociale ?


par Vincent Kergueme
ESLI - Master 2 2020
  

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III. II. INDUSTRIE 4.0, UNE REVOLUTION SOCIALE ?

A. Ressources humaines en période de transformation industrielle

Les prévisions concernant les futures exigences en matière de compétences dans le secteur manufacturier varient beaucoup. Certains prévoient qu'elles vont augmenter et que les compétences en programmation et en technologie de l'information (TI) seront les plus recherchées. D'autres prédisent que les travailleuses et travailleurs occuperont surtout des postes de contrôle et que les qualifications exigées vont diminuer. Dans certaines industries, nous observons de plus en plus le regroupement de sous-segments de la production industrielle (ventes, conception, création, production et entretien) dans un « service intégral », dont le personnel est très qualifié et polyvalent.

Dans d'autres industries, nous assistons à une déqualification des travailleuses et travailleurs, à mesure que des robots exécutent de plus en plus de tâches à leur place, laissant les tâches subalternes, mais non répétitives (donc difficiles à automatiser) aux humains (figure 4). Les variations entre les prédictions sont dues à trois raisons principales. Premièrement, comme les exigences professionnelles varient grandement d'un secteur à l'autre, elles doivent être analysées séparément. Deuxièmement, les variations régionales ont une incidence importante sur les résultats de ces pronostics : les aptitudes exigées en Europe ne seront pas les mêmes qu'aux États Unis; les résultats de l'Asie orientale seront différents des résultats de l'Amérique du Sud, etc. Troisièmement, les exigences de qualification varient en fonction du degré de numérisation. L'emploi des technologies de pointe en fabrication entraîne pour les travailleuses et travailleurs des défis variés et de nouvelles exigences.

Figure 5. Estimation des ventes mondiales annuelles de robots industriels par secteur 2016-2018

Source : World Robotics 2019

1. Fabrication intelligente

La « fabrication intelligente » amène les travailleuses et travailleurs hautement qualifiés à un niveau tout à fait nouveau. Il va de soi que tous les travailleurs et travailleuses d'une usine intelligente doivent posséder des habiletés pratiques, des compétences techniques et des compétences en programmation. D'une manière générale, les qualifications requises dans une installation industrielle vont probablement devenir plus élevées. Le travail d'entretien, par ailleurs, bien qu'il exige des niveaux élevés de compétences, sera surtout externalisé ou gardé « captif » par les fabricants de machinerie qui passeront à un modèle de services d'entretien et de réparation après-vente plutôt que de se limiter à la vente d'équipement.

Cette tendance soulève d'ailleurs des questions importantes à propos, notamment du continuel échec des efforts déployés pour transférer les technologies au monde en développement. On peut dire quand même, tout bien considéré, que les pays ayant déjà en moyenne une main-d'oeuvre hautement qualifiée s'adapteront plus facilement à ces changements que les pays dont la main-d'oeuvre est surtout moyennement et peu qualifiée.

Toutefois, cela ne les protégera pas contre les rationalisations qui seront entreprises quand le secteur de la fabrication aura moins besoin du travail humain.

Ce sujet est analysé de façon plus controversée par Ben Shneiderman, professeur d'informatique à l'Université du Maryland, qui écrit que :

« Les robots et l'intelligence artificielle fournissent matière à des reportages captivants pour les journalistes, mais ils donnent une vision erronée des grands changements économiques. Les journalistes ont perdu leurs emplois à cause des changements survenus dans la publicité, les professeurs sont menacés par les cours en ligne ouverts à tous (CLOT), et les commis de magasin perdent leurs emplois au profit des vendeurs sur Internet. L'amélioration des interfaces d'utilisateurs, la livraison électronique (vidéos, musique, etc.) et l'autonomie accrue des clients ont pour résultat une diminution des besoins en main-d'oeuvre. Parallèlement, on bâtit de nouveaux sites Web, on gère des plans d'entreprise pour les réseaux sociaux, on crée de nouveaux produits, etc. L'amélioration des interfaces d'utilisateurs, de nouveaux services et des idées novatrices créera plus d'emplois. »

Une étude menée en 2016 par Wolter et des collaborateurs, pour le compte de l'Agence fédérale allemande pour l'emploi, prédit qu'à mesure qu'augmentera la demande envers les technologies numériques, il sera de plus en plus nécessaire d'investir dans l'éducation et les formations professionnelles. L'étude prédit la perte de 1 540 000 emplois et la création de 1 510 000 emplois d'ici 2025. Comme l'Allemagne a fait preuve par le passé d'une grande capacité d'adaptation, notamment à la suite de la fermeture des mines de charbon, on peut supposer que les quelque 30 000 travailleuses et travailleurs qui se retrouveront au chômage trouveront rapidement un autre emploi.

Admettons que ces deux prévisions - celle de Ben Shneiderman et celle de Wolter - contiennent toutes deux un peu de vérité, il est clair que : comme les profils et les exigences professionnelles des emplois perdus sont différents des profils et des exigences professionnelles des emplois créés, il faudra, pour répondre aux exigences de ces derniers, mettre en place de nouveaux programmes d'éducation et de formation professionnelle intensifs, ce qui ne s'improvise pas du jour au lendemain. Rien ne garantit non plus que tous les nouveaux emplois créés seront accessibles aux travailleuses et travailleurs d'aujourd'hui déplacés pour d'autres raisons - ils pourraient, par exemple, se trouver dans des régions complètement différentes.

La transition vers la fabrication intelligente produit toute une gamme d'effets sur la façon dont le travail peut être fait et sera fait à l'avenir, ainsi que sur son degré d'inclusion ou d'exclusion à l'égard de certains travailleurs. Le travail manuel est en baisse, tandis que le travail par ordinateur est à la hausse. Posséder des connaissances en informatique et être capable de comprendre et de travailler avec les langages de programmation les plus courants seront des compétences précieuses à l'avenir. Pour permettre l'acquisition de ces compétences, il faudra mettre en place des programmes d'éducation et de formation professionnelle, ainsi que fournir des possibilités de perfectionnement, lesquels ne seront pas accessibles à tous. De même que pour les langues parlées, la maîtrise des langages de programmation s'acquiert plus facilement à un jeune âge, ce qui veut dire que les générations de travailleurs plus âgés pourraient avoir de la difficulté à acquérir les qualifications nécessaires. Les travailleurs migrants dont la langue maternelle n'est pas l'anglais peuvent se retrouver en situation d'inégalité sur le plan de la formation (bien que des études montrent qu'ils ne sont pas aussi désavantagés qu'on pourrait le croire, en raison de la nature extrêmement logique des langages de programmation).

Les études et les formations exigent du temps et des efforts en dehors de l'horaire normal de travail. L'Union européenne estime qu'il nécessite en moyenne un minimum de 40 heures par année dans certains métiers, alors que la moyenne d'aujourd'hui se situe autour de 9 heures par année. Les travailleurs qui ont de jeunes enfants, et surtout les femmes, auront donc plus de difficulté à concilier leurs obligations de travail avec leurs obligations familiales. Les travailleuses et travailleurs ayant une incapacité, plus particulièrement les personnes ayant une incapacité mentale, avaient jusqu'ici leur place dans les usines de fabrication, où elles exécutaient les tâches plus simples - mais étant donné la complexité croissante des tâches et la nécessité de posséder des compétences en informatique et en programmation, ces emplois sont eux aussi en train de devenir plus fermés.

Le travailleur du nouveau savoir, que certains appellent « innovateur col bleu » et d'autres, « travailleur de l'innovation », a étudié pendant des années et est à tout le moins capable de comprendre les principaux langages de programmation, à défaut de les maîtriser parfaitement. Or, pour arriver à un tel niveau de main-d'oeuvre, il faut offrir des programmes d'éducation et de formation professionnelle avancés aux travailleuses et travailleurs.

Cela doit être fait d'une façon qui respecte les choix des travailleurs, d'une façon inclusive et sans aggraver les inégalités sociales déjà à l'oeuvre.

Contrairement à la fabrication intelligente, les industries qui utilisent des systèmes d'aide ont besoin de compétences très différentes. Les programmes informatiques facilitent l'assemblage des produits en donnant à chaque travailleuse et travailleur des instructions relativement claires sur les tâches à accomplir. Dans ce scénario, le profil d'un travailleur est donc très différent du travailleur du savoir. Les compétences manuelles sont plus importantes dans ce cas-ci, et les compétences en programmation sont inutiles pour ce travail. Dans les économies émergentes où la main-d'oeuvre est moyennement qualifiée, cette transformation pourrait s'avérer une opportunité intéressante et exercer un attrait sur les compagnies parce que cette main-d'oeuvre moyennement qualifiée est déjà présente et que leur embauche pourrait stimuler leur économie nationale.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand