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Industrie 4.0, une revolution industrielle et sociale ?


par Vincent Kergueme
ESLI - Master 2 2020
  

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II. INDUSTRIE 4.0, UNE REVOLUTION INDUSTRIELLE ?

A. Industrie 4.0

1. Définition

Les innovations technologiques transforment la fabrication industrielle depuis les années 1900. Et, bien que ce ne soit là rien de nouveau, un grand nombre de compagnies et de gouvernements discutent depuis quelques années de la numérisation, qui est en train de transformer le secteur manufacturier tel que nous le connaissons. Dernièrement, les expressions « Industrie 4.0 » et « quatrième révolution industrielle » sont utilisées pratiquement comme des synonymes. Elles ont été utilisées pour la première fois par la Deutsche Forschungszentrum für Künstliche Intelligenz (DFKI ou Centre allemand de recherche sur l'intelligence artificielle), mais il faut préciser que l'analyse du DFKI ne fait pas l'unanimité. Quoi qu'il en soit, ces expressions sont passées dans l'usage, même si leurs définitions sont demeurées assez vagues. Elles désignent tour à tour des compagnies qui utilisent Internet pour des solutions adaptées aux besoins de leurs clients; des fournisseurs de services indirects qui font appel à des travailleurs de plateforme, à des travailleurs participatifs ou à des travailleurs de l'« économie à la demande »; l'utilisation d'une vaste gamme de technologies allant de l'impression tridimensionnelle (fabrication par couches) à la robotique de pointe dans les usines de fabrication, en passant par les drones - et bien plus encore. De fait, en plus de la numérisation, des technologies de l'information et des communications, et de l'impression tridimensionnelle, la liste des nouvelles sciences et des innovations techniques ne cesse de s'allonger : photonique, biotechnologie, nanotechnologie, microtechnologie, matériaux de pointe, sans oublier les changements radicaux apportés aux technologies de l'énergie et de l'environnement - et bien d'autres encore. Toutes ces nouvelles technologies sont mises en service rapidement, et il est certain qu'elles auront un impact - possiblement un impact perturbateur - sur la fabrication industrielle traditionnelle.

L'expression « Industrie 4.0 » n'est peut-être pas idéale pour désigner les changements qui s'en viennent, mais comme sonusage est répandu, il serait trop difficile de la remplacer par unterme plus approprié. L'expression « Industrie4.0 » a été utilisée pour la première fois comme nom d'uneassociation de recherche entre le gouvernement allemand et unProjet stratégique portant sur la haute technologie, dirigée parle ministre allemand de la Recherche, mais elle a trouvé depuisd'autres utilisations dans le monde anglophone. En décembre2015, le Forum économique mondial s'est réuni à Davos pourdiscuter de ce dossier; la revue The Economist a publié un numérospécial sur l'Industrie 4.0; Eurofound, une agence de recherchede l'Union européenne, a produit plusieurs rapports consacrés àl'avenir du travail et portant sur certaines des conséquences del'Industrie 4.0 sur les travailleuses et travailleurs. Le résumé le plusconnu provient sans doute du Centre allemand de recherche surl'intelligence artificielle (figure 1).Il y a évidemment toujours une interaction entre les technologies, les intérêts commerciaux et les structures sociales. Toutefois, ilserait faux de croire que les technologies sont toujours, d'une façonunidirectionnelle, à l'origine d'un changement.

Au contraire, il fautexaminer l'ensemble du contexte. Dans quel environnement socialet économique les changements technologiques se produisent-ils? Quelles pressions risquent-ils d'exercer sur la société, l'économie ou l'environnement? Le développement durable va découler de l'application d'une pensée intégrative.

Figure 1. Les quatre révolutions industrielles

Source : Centre allemand de recherche sur l'intelligence artificielle

De nouvelles avancées en technologie ont déclenché des révolutions industrielles de diverses durées au cours des siècles, et chacune d'elles a provoqué d'importantes réactions chez les travailleurs et leurs porte-parole. Si les révolutions industrielles précédentes se sont soldées par la hausse des emplois, on peut s'attendre cette fois ci à un résultat différent. Les révolutions industrielles précédentes ont donné naissance à des théories économiques et politiques non conventionnelles (par exemple, le communisme) et à des structures sociales alternatives (par exemple, l'État providence).

Les conséquences de l'Industrie 4.0 et la transformation qu'elle opérera sur notre économie sont si variées que l'analyse de ses menaces, avantages et solutions potentiels doit être faite en accordant une place importante à la fabrication industrielle (et à sa chaîne de valeur).

Les changements survenus dans la production industrielle, les nouvelles technologies et leurs répercussions sur les travailleurs et le travail ne sont rien de nouveau.

L'invention du moteur à vapeur qui a donné le coup d'envoi à la fabrication industrielle dans la première révolution; les bandes transporteuses et les chaînes de montage, dans la seconde; l'utilisation d'ordinateurs et d'équipement électronique pour contrôler la production, dans la troisième, l'ont démontré à maintes reprises : les travailleurs doivent faire face aux conséquences des changements technologiques depuis des décennies et des siècles. Ce qui est différent avec la quatrième révolution industrielle, c'est la vitesse à laquelle ellepourrait exercer son potentiel d'impact considérable et durable sur l'économie, sur les disparités entre les pays en développement et les pays développés, sur la main-d'oeuvre, sur le prix des produits et sur nos sociétés. Quand le processus d'automatisation sera lui-même automatisé grâce à des technologies comme l'intelligence artificielle, l'accélération du changement qui en résultera sera différente de tout ce que l'on a connu.

Jusqu'à présent, les entreprises et les gouvernements ont dirigé les discussions en adoptant une approche centrée sur l'économie et les technologies et en faisant abstraction des impacts sociaux ou en ne leur accordant que très peu d'importance. Les gouvernements, surtout en Europe, investissent dans des recherches et des projets pilotes dans le but de mettre au point des processus de production à l'aide des technologies de l'Industrie 4.0 (en subventionnant efficacement les entreprises privées).

Cependant, l'analyse des répercussions sur la société - portant à la fois sur les menaces et les possibilités - de l'avenir du travail, des changements dans le marché du travail, ainsi que des tensions potentielles sur les systèmes d'aide sociale et sur les disparités économiques actuelles, semble être reportée ou négligée complètement dans les discussions. Au lieu de simplement attendre que les impacts sociaux se manifestent, nous devrions nous employer à les orienter. Si nous souhaitons éviter les pièges des précédentes itérations de changements capitalistes, nous devons insister pour que les technologies soient centrées sur l'humain, c'est à dire que toute nouvelle technologie mise en service accorde une place centrale aux humains en tant qu'opérateurs et décideurs actifs, qui seront plus que des opérateurs de machines et des chargeurs de matériaux. Les impacts sociaux peuvent et doivent être pris en compte dans tout nouveau système.

Certains emplois seront transformés, d'autres disparaîtront, d'autres encore seront créés. Les compagnies qui ne s'adapteront pas seront obligées de fermer leurs portes ou de fusionner avec d'autres. De nouvelles compagnies verront le jour.

Certains gouvernements joueront un rôle, d'autres, non. Quant aux gouvernements qui interviennent déjà, ils se sont jusqu'ici contentés de subventionner la recherche et le développement, l'éducation et les formations professionnelles, sans exiger de garanties d'emplois en retour.

· Nous avons besoin d'une meilleure interaction et de meilleurs partenariats entre la recherche, l'éducation et l'industrie, et nous devons renforcer le lien entre les compétences fondées sur l'expérience et la recherche.

· Nous devons combler les lacunes dans les organismes de financement public - pour développer et restructurer de grandes compagnies matures, qui, à leur tour, font affaire avec une foule de fournisseurs de petite et de moyenne taille.

Bien que toutes ces choses soient constamment à l'oeuvre dans notre économie mondiale, les changements induits par l'Industrie 4.0 se produiront beaucoup plus rapidement que tout ce que nous avons vu jusqu'ici.

Bien sûr, les gouvernements ne doivent pas limiter leur rôle à subventionner et à encourager la transformation numérique. Au contraire, dans ce domaine d'évolution rapide, ils doivent créer et appliquer des lois, des normes et des politiques publiques, dans l'intérêt du public.

Le processus de numérisation « concentre le pouvoir et la richesse dans des plateformes de marché numérique, privant ainsi toutes les autres compagnies de la chaîne de valeur de la capacité d'investir, d'innover et d'offrir de bons salaires et de bonnes conditions de travail. Il s'attaque aux fondements de la relation d'emploi permanent et à temps plein reposant sur des conventions collectives, parce que toutes les fonctions de cette relation (dont le contrôle des tâches) peuvent être effectuées individuellement, automatiquement et à distance (et), par conséquent, les travailleurs étant placés dans une concurrence internationale des prix, le travail précaire assorti de conditions personnalisées connaît un essor fulgurant (pigistes, pseudo travail indépendant, travailleurs participatifs, travailleurs de plateformes ou travailleurs à la demande). Le processus de numérisation ouvre des possibilités sans précédent au contrôle asymétrique, vertical et horizontal des travailleurs, tout en permettant entre eux la coopération symétrique, horizontale, multilatérale et démocratique.

Le graphique suivant (en forme de sourire) illustre à quel point la fabrication a été sous-représentée, comparativement aux autres étapes de la chaîne de valeur. C'est le résultat de politiques publiques et privées plutôt qu'une loi de la nature et, par conséquent, cette situation pourrait en principe être changée.

Figure 2. Courbe générique « en forme de sourire » dans une chaîne de valeur

Source : adapté à partir du Smiling Curve.svg, Rico Shen, Wikimedia Commons

Les prédictions portant sur l'Industrie 4.0 et ses conséquences potentielles sur les marchés du travail semblent très polarisées. Les optimistes s'attendent à une augmentation du nombre d'emplois très bien rémunérés, tandis que les pessimistes prédisent des pertes d'emplois de l'ordre de 35 à 40 %. Même en prévoyant une marge d'erreur entre la théorie et la (future) réalité, il est étonnant de constater que les prédictions faites au sujet d'une transformation industrielle qui est déjà en train de se produire autour de nous semblent aussi peu fiables qu'une boule de cristal.

Les conséquences générales de l'Industrie 4.0 sont, à certains égards, prévisibles, mais il en va autrement des chiffres, dans ce scénario : la performance de l'économie dans son ensemble, les dépenses gouvernementales en matière de recherche et développement, de qualifications et d'éducation entrent toutes en jeu dans ces prédictions.

Divers secteurs industriels seront touchés très différemment par l'Industrie 4.0 et l'automatisation potentielle. La complexité des produits, les prix et les qualifications actuelles de la main-d'oeuvre de l'industrie sont des indicateurs qui peuvent nous aider à prédire les conséquences pour la main-d'oeuvre et influencer la façon dont nous imaginons le travail dans un avenir plus ou moins rapproché. L'objectif du présent document est de faire la lumière sur les différents résultats de l'Industrie 4.0 afin de nous préparer en vue des futures tendances qui se

Source : Deborah Greenfield, directrice générale adjointe, Politiques, Organisation internationale du Travail, 26 octobre 2017, Genève

Tableau 1. Incidence des technologies sur les emplois : diverses estimations

manifesteront dans les industries et les secteurs importants.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore