2. Dimension et indicateurs de
durabilité/soutenabilité (sustanability)
Le développement durable est la traduction de
l`expression anglaise "sustainable development". L'adjectif "sustainable" est
aussi traduit par soutenable, acceptable, raisonné pour prendre en
compte non seulement l'inscription dans le temps mais aussi la dimension
éthique de cette notion. En ce sens, l`adjectif durable/soutenable
associé au développement insiste à la fois sur la
dimension du long terme dans la planification du développement et aussi
sur le respect simultané que l`on doit accorder à
l'efficacité économique, l'équité sociale et la
préservation de l'environnement. Mais pour comprendre le débat
sur la notion de durabilité, il faut se référer au fait
que, du point de vue de l`histoire de la pensée économique, la
nature peut être vue de deux manières : il existe d'une part un
« capital naturel », non-renouvelable à l'échelle
humaine (comme la terre ou la biodiversité), et d'autre part des
ressources renouvelables (comme le bois, l'eau)6. De cette
double vision de la nature découleront les deux principales conceptions
de la durabilité.
Il y a d`un côté la position des
économistes systémiques7 selon laquelle le "capital
naturel" n'est pas substituable. Plutôt que de se concentrer sur l'aspect
purement économique des choses, les économistes
systémiques souhaitent avoir une vision globale qui comprend la
totalité des éléments du système
étudié, ainsi que leurs interactions et leurs
interdépendances. Selon cette approche, « la sphère des
activités économiques est incluse dans la sphère des
activités humaines, elle-même incluse dans la biosphère
»8. Afin d'insister sur les contraintes de la biosphère,
les tenants de cette approche préfèrent utiliser une traduction
littérale de sustainable development qui est « développement
soutenable ».
Il y a par ailleurs la position des économistes
néoclassiques9 qui suppose le caractère substituable
total du capital naturel en capital artificiel : si l'utilisation de
6 Par analogie avec l'économie, on peut donc
voir la nature comme un capital et un ensemble de revenus : lorsque les revenus
sont épuisés (dépassement de la biocapacité), c'est
le capital qui est amputé.
7 On peut citer Rosnay (de) J. (1975), Le
Macroscope : vers une vision globale; Schumacher E.F. (1977), A Guide
for the Perplexed ; ou encore Georgescu-Roegen N. (1971), The Entropy
law and the Economic Process.
8 Marechal J.P (1996), « L'écologie de
marché, un mythe dangereux », Le Monde diplomatique
n°511.
9 On peut citer notamment Solow R.M., «On the
intergenerational allocation of natural resources», Scandinavian
Journal of Economics, 1986; et Hartwick J.M., «Intergenerational
equity and the investing rents from exhaustible resources», The
American Economic Review, 1977.
10 Voir, par exemple, Jacquet P., Mignot G. &
Loup J. (1981), Les pays les plus pauvres: Quelle coopération pour
quel développement ?, Paris, Economica.
11
ressources non-renouvelables conduit à la
création d'un capital artificiel transmissible de
générations en générations, elle peut être
considérée comme légitime. Cette approche du
développement durable est aussi de type technico-économiste :
à chaque problème environnemental correspondrait une solution
technique, solution disponible uniquement dans un monde économiquement
prospère. Dans cette approche, aussi le pilier économique occupe
une place centrale et reste prépondérant, à tel point que
le développement durable est parfois rebaptisé « croissance
durable ». En ce sens, un sentier de croissance ou de développement
est durable si la consommation et l`utilité sont
non-décroissantes au cours du temps. Ainsi, pour ces économistes,
on peut parler de durabilité forte pour un sentier sur lequel le stock
de capital naturel est non-décroissant au cours du temps. Et la
durabilité faible s`appliquerait à un sentier sur lequel le stock
de capital total (capital naturel + capital manufacturé + capital humain
+ capital social) est non-décroissant au cours du temps.
Pour ce qui concerne les indicateurs de la durabilité
du développement, si le produit intérieur brut (PIB) est
très utilisé pour mesurer la croissance économique sur le
long terme, certains auteurs10 critiquent cet usage en raison du
fait que le PIB ne prend pas en compte la variation du stock de ressources
naturelles qui est un effet de long terme. En effet, le PIB considère
comme une production courante la valeur des ressources naturelles mises sur le
marché et n`intègre pas les atteintes à l`environnement
parce qu`aucun agent n`en supporte les coûts (les externalités
négatives). Par ailleurs, le calcul du PIB ne permet pas de comprendre
sa répartition et les différences de niveau de vie. En tant
qu`une moyenne globale de l`ensemble des revenus par habitant, le PIB est peut
aussi masquer des évolutions dans la répartition des revenus :
son augmentation peut ainsi aller de pair avec une amplification des
disparités des niveaux de vie, ce qui peut générer des
coûts sociaux et fragiliser la cohésion sociale. En sus de la
distribution des revenus, le PIB ne tient pas compte des
inégalités dans l`accès aux services publics, à
l`éducation, à la culture, à la santé, qui peuvent
entraver l`obtention d`une croissance forte et régulière sur le
long terme. Enfin, une autre insuffisance du PIB pour refléter la
durabilité du développement se trouve dans le fait qu`il ne
mesure pas la qualité de la vie et ne saurait prétendre à
l`évaluation du bien être. Il ne tient pas compte des
12
activités non rémunérées, des
engagements associatifs ou des loisirs. C`est en raison de toutes ces
insuffisances du PIB que des économistes ont été
amenés à construire des indicateurs agrégés qui
permettent de mieux rendre compte de l'efficacité d'une politique de
développement durable.
C`est ainsi que Nicholas Stern11 parle du «
PIB vert » ou de capital naturel pour donner une valeur monétaire
à la qualité environnementale ou pour exprimer le coût du
changement climatique. Le PIB vert désigne la correction du PIB en
fonction des coûts environnementaux, permettant ainsi de mesurer les
effets de la croissance sur l`environnement12. On parle par ailleurs
d'index de durabilité environnementale (environmental sustainability
index, ESI), de tonnes de CO2 émises (bilan carbone personnel pour
les particuliers) et notamment d'empreinte écologique. L`empreinte
écologique mesure les surfaces biologiquement productives de terre et
d'eau nécessaires pour produire les ressources qu'un individu, une
population ou une activité consomme et pour absorber les déchets
générés, compte tenu des technologies et de la gestion des
ressources en vigueur. Cette « surface » métaphorique est
virtuelle, mais elle traduit une réalité très
concrète. Plus on s`éloigne de l`idéal de
soutenabilité et de durabilité du développement, plus son
empreinte sera profonde et moins réversible sur la planète.
L'empreinte écologique s'efforce ainsi de répondre à une
question scientifique précise, et non à tous les aspects de la
durabilité, ni à toutes les préoccupations
environnementales. Enfin, sur le plan social, on parle d'indice de
développement humain qui mesure à la fois la richesse, le taux
d'alphabétisation et la santé d'une population ; on utilise aussi
le coefficient de Gini qui mesure la répartition des richesses ou les
disparités des niveaux de vie ; on peut surtout noter l`indicateur de
progrès véritable (IPV) qui est un indicateur alternatif au
produit intérieur brut (PIB) ou à l'indice de
développement humain (IDH) pour mesurer l'évolution du
bien-être réel d'un pays. Alors que le PIB ne mesure que
l'activité économique monétaire, l'IPV ajoute au PIB la
valeur estimée des activités économiques non
monétaires et en retranche la valeur estimée des richesses
naturelles.13
11 Nicholas Stern est surtout connu pour le
Rapport Stern sur l'économie du changement climatique
publié le 30 octobre 2006.
12 La Commission Stiglitz s'est
également penchée sur le problème des effets de la mesure
du produit intérieur brut sur l'environnement.
13 On peut aussi se référer aux 11
indicateurs du développement durable selon l'Insee dans l'Annexe II. Il
y a par ailleurs le Global Reporting Initiative qui comporte 79
indicateurs sur les mesures
13
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