Master II Pratique de l'international:
Droit et Politiques de Développement
L'enjeu du développement durable dans le cadre
de l'Organisation Mondiale du Commerce
L'émergence d'un modèle de diplomatie
écologique et commerciale
Mémoire présenté par
Caleb MOISE
Directeur : Monsieur le Professeur Fereydoun-A.
KHAVAND
Juin 2010
2
REMERCIEMENTS
Mes remerciements s'adressent particulièrement
à Monsieur Khavand, non seulement pour avoir accepté de diriger
ce mémoire et me prodiguer ses précieux conseils mais aussi pour
avoir su me communiquer un très grand intérêt pour le
commerce international.
Je remercie par ailleurs l'ensemble des professeurs du
Master, notamment MM. Nohra et Benchenane qui m'ont partagé avec
beaucoup de passion leurs savoir-faire en méthodologie de la
recherche.
Annexes 96
3
SOMMAIRE
Introduction 4
Chapitre I : Approches conceptuelles et
théoriques du développement
durable et du commerce international 8
Section I : Le développement durable : un concept
composite et controversé 8
Section II : Les fondements théoriques du commerce
international 17
Section III : Les interactions problématiques entre
commerce international et
développement durable : les hypothèses 32
Chapitre II : Libéralisation et régulation
du commerce international et
gestion de l`enjeu du développement durable 47
Section I : Libéralisation et régulation du
commerce international 47
Section II : La gestion de l`enjeu du développement
durable du GATT à l`OMC 57
Section III : L`émergence d`une diplomatie
écologique et commerciale 71
Conclusion 83
4
INTRODUCTION
Je ne mangerai plus de cerises en hiver, tel est le
titre du dernier ouvrage d'Alain Juppé1, où celui-ci
semble vouloir attirer indirectement l'attention sur les enjeux
environnementaux du commerce international. Ce titre suggère en effet
qu'il serait plus judicieux de consommer des fruits et légumes de saison
et de proximité, que d`importer en tous temps et à grands frais
des produits venus de l`autre hémisphère. Ce titre reflète
par ailleurs les nombreuses contestations et manifestations populaires autour
des rencontres des négociations commerciales de l'Organisation mondiale
du commerce (OMC), mais aussi les débats théoriques sur des
supposés contradictions entre, d'un côté, le commerce
international fondé sur le principe du libre-échange et, de
l'autre, le développement durable qui suppose protection de
l'environnement et bien-être social.
Pourtant, on peut constater que, paradoxalement, si le
XXème a été celui de la libéralisation du commerce
et de sa réglementation à travers le GATT (General Agreement on
Tariffs and Trade) en 1947 puis de l'OMC en 1995, il est aussi celui qui a vu
un accroissement de l'intérêt et des préoccupations pour
l'environnement. Le développement simultané et
accéléré de la libéralisation du commerce
international2 et de l'intérêt pour la protection de
l'environnement peut notamment se remarquer
1 Juppé A (2009), Je ne mangerai plus de
cerises en hiver, Paris, Plon.
2 Les 60 dernières années ont
été marquées par une expansion sans
précédent du commerce international. Depuis 1950, le volume du
commerce mondial a été multiplié par 27. Un certain nombre
de facteurs sont à l'origine de cette expansion spectaculaire du
commerce mondial. Il faut citer en premier lieu les changements technologiques,
qui ont considérablement réduit le coût des transports et
des communications. Au cours de la deuxième moitié du
XXème siècle, l'introduction des moteurs à réaction
et de la conteneurisation ont entraîné une baisse notable du
coût des transports aérien et maritime, se traduisant par une
diversification des marchandises faisant l'objet d'échanges et une
augmentation du volume du commerce. Un deuxième facteur a
été l'ouverture des politiques commerciales et d'investissement.
Les pays ont ouvert leurs régimes commerciaux aux plans
unilatéral, bilatéral, régional et multilatéral.
Les mesures qui taxaient, restreignaient ou interdisaient les échanges
ont soit été éliminées, soit sensiblement
réduites.
5
par le fait que la question environnementale a progressivement
gagné l'attention des institutions internationales en charge du commerce
international, en particulier celle de l'OMC.
Nous sommes donc face à un double constat : d'un
côté il y a les contestations visant le libre-échange et
l'OMC sous prétexte que la libéralisation du commerce
international va à l'encontre du principe de développement
durable et, d'un autre côté, il y a l'OMC (et avant elle le GATT)
qui entend intégrer dans ses principes l'idée de
préservation de l'environnement et de bien-être social. La
première question qui s`impose est la suivante : comment comprendre la
relation de simultanéité entre la montée des
préoccupations dans les discussions sur les changements climatiques et
l'expansion du commerce mondial ? Et dans quelle mesure ces
préoccupations sont-elles justifiées? Il s`agira de comprendre
ici les incidences réelles du commerce international sur
l`évolution de l`écosystème.
L`autre phénomène qui semble paradoxal et qui
suscite des interrogations est le fait qu`une organisation comme l`OMC
manifeste un intérêt croissant pour la problématique
environnementale. Si, en effet, le domaine de compétence de l`OMC est
censé se limiter à la règlementation de la
libération du commerce international, en quoi pourrait-elle être
concernée par les enjeux environnementaux? Est-ce vraiment paradoxal que
d`intégrer des considérations environnementales dans les
réglementations commerciales ? Faut-il donc considérer les
intérêts de l`OMC pour le champ environnemental comme une
intrusion illégitime, ou doit-on voir dans les questions
environnementales un réel défi pour l'OMC? Et pourquoi donc l`OMC
devrait-elle prendre en compte dans ses règles les questions touchant
à l`environnement ? Mieux encore, les considérations
environnementales émises par l`OMC sont-elles motivées par de
réelles préoccupations pour l'environnement ou simplement par
l'objectif de lutter contre les formes déguisées de
protectionnisme ("protectionnisme vert")?
De plus, admettre la possibilité que l`OMC puisse
légitimement intégrer des considérations environnementales
dans ses règles, c`est aussi supposer qu`il y a des interactions
nécessaires entre le commerce international et l`environnement.
D`où
6
surgissent les questions suivantes : Quels rapports peut-il
exister entre commerce international et environnement ? Comment les
problématiques du commerce international et de l'environnement
interagissent-elles ? Les relations entre le commerce international et
l'environnement sont-elles nécessairement et uniquement des relations
conflictuelles et antinomiques, ou peuvent-elles aussi se concevoir sous le
mode de la concordance et de la complémentarité ? Et si
complémentarité il y a, comment les mesures environnementales
peuvent-elles avoir des effets sur le commerce international?
Il convient par ailleurs de constater que les
considérations environnementales intégrées dans les
règles de l'OMC font l'objet d'un certain nombre de problèmes
dont les principaux résultent du « principe de la
non-discrimination »: Comment déterminer si des mesures
environnementales ou sanitaires liées au commerce sont compatibles avec
les règles de l'OMC? Quand un Etat considère qu`un produit
étranger ne respecte pas les normes environnementales, comment
déterminer que ce produit non similaire? mérite un traitement
moins favorable que celui accordé au produit national ou à un
autre produit étranger? En outre, quand un État prend une mesure
environnementale en fonction des enjeux nationaux, comment apprécier
l'intérêt commun dans une mesure environnementale? Comment
distinguer les mesures environnementales et les mesures de protectionnisme
déguisées?
D`autre part, les préoccupations écologiques des
pays riches ne vont-elles pas à l'encontre de l'élimination de la
pauvreté dans les pays en développement (PED)? Comment concilier
l`urgence de réduction de la pauvreté dans les PED avec les
mesures environnementales susceptibles d`affecter la production et les
échanges internationaux ? S`agissant des problèmes
écologiques internes dans les PED, sont-ils le résultat ou bien
la cause de la pauvreté? L'OMC devrait-elle exempter les PED des
certaines de ses règles pour favoriser leurs productions et leur
croissance? Ou doit-elle, au contraire, les contraindre à appliquer des
mesures plus strictes dans leurs modes de production pour éviter le
phénomène de « dumping environnemental » ? Enfin, dans
quelle mesure le fait que les PED ne disposent pas de règles
suffisamment contraignante et de moyens de contrôle adaptés
contribue à rendre l'OMC inefficace au regard des objectifs du
développement durable? Les États n'étant plus les seuls
à intervenir dans la dynamique du commerce
7
international, comment l'OMC peut-elle gérer
l'influence des entreprises multinationales et transnationales dans l'enjeu
environnemental? 3
Toutes ces questions nous amènent au constat d'un
réel problème dans les relations entre l'OMC et les exigences du
développement durable: les règles de l'OMC semblent inefficaces,
sinon incompatibles avec le principe de développement durable.
L'enlisement actuel de l'OMC avec les négociations de Doha - où
la problématique du développement durable occupe une place
centrale - montrent justement le risque que constitue l`enjeu du
développement durable pour l`efficacité et la
crédibilité de l'OMC. Se pose donc ainsi la question de la
pertinence des règles de l`OMC dans le cadre des négociations
climatiques : L`OMC dispose t-elle des moyens nécessaires pour lever le
défi de la promotion simultanée du libre-échange et du
développement durable?
3 Les firmes transnationales (FTN) influencent de plus en plus
les échanges et ce, au travers notamment de la division internationale
du processus productif (DIPP) et du commerce intra-firme. D'ailleurs, leur
poids devient tel que les États, voyant leur autonomie s'effriter, se
sentent de plus en plus impuissants face à elles.
8
CHAPITRE I : APPROCHES CONCEPTUELLES ET
THEORIQUES DU DEVELOPPEMENT DURABLE ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
Section I : Le développement durable : un
concept composite et controversé
1. Définition, enjeux et généalogie du
concept de développement durable
Le concept de développement durable apparaît
officiellement pour la première fois dans le Rapport Brundtland qui le
définit comme « un développement qui permet la satisfaction
des besoins présents sans compromettre la capacité des
générations futures à satisfaire les leurs
»4. On peut tout d`abord noter que la notion de besoin occupe
une place centrale dans cette définition du développement
durable. Le terme besoin, tel qu`utilisé ici, réfère
à la situation des plus démunis, mais ne se limite pas aux
besoins physiques et matériels. Certes il s`agit avant tout du
bien-être matériel de l`individu engendré par les
activités économiques, mais il est aussi question de la
santé, de l`éducation, de la culture et de la préservation
de l`environnement5. Le développement durable serait ainsi le
processus qui exigerait l`amélioration globale
4 Gro Harlem Brundtland a été
présidente de la Commission mondiale sur l'environnement et le
développement, mandatée par l'Assemblée
générale des Nations Unies, en 1983. Son rapport, "Our Common
Future" (Notre avenir à tous) publié en 1987 est l'un des
documents fondateurs du développement durable.
5 Notons que le concept de développement
durable apparaît dans un contexte de critique de la croissance, de
surconsommation des ressources naturelles, de montée des
préoccupations environnementales et de risques technologiques et
sanitaires (d'où le « principe de précaution »). Pour
un historique complet du concept de développement durable, voir l'Annexe
I « Généalogie du concept de développement durable
».
9
du bien-être des humains, en conciliant à la fois
les aspects économiques, sociaux et écologiques.
Par ailleurs le concept de développement durable tel
que défini ici suppose la limitation des techniques permettant de
répondre aux besoins et, de ce fait, repose sur deux principes
complémentaires: le principe de la solidarité
intragénérationnelle (dans l'espace), c'est-à-dire la
nécessité de maintenir un objectif de croissance de
manière à permettre à chaque être humain d'avoir le
même droit aux ressources de la Terre ; et le principe de la
solidarité intergénérationnelle (dans le temps),
c'est-à-dire la nécessité de préserver les
ressources pour les générations futures. Le concept de
développement durable est donc aussi fondé sur le principe de
responsabilité et d`équité sociale, car il se veut un mode
de développement qui tient compte à court, moyen et long terme,
et ce, au niveau mondial, des impacts des activités économiques
sur l'environnement, les conditions sociales et l'éthique.
Les enjeux du concept de développement durable
consistent donc non seulement dans la solidarité
intergénérationnelle mais aussi et surtout dans la survie de
toute la planète. Et au-delà de la durabilité
écologique du type et du rythme de développement actuellement en
vigueur dans les pays avancés, se pose également le
problème de l`équilibre social et géopolitique qui
pourrait favoriser une coopération harmonieuse entre les peuples.
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