La responsabilité environnementale en droit congolais face aux nouveaux risques: cas de l'exploitation du pétrolepar Fabien MUHAMED ABDOUL Université libre du pays des grands lacs ULPGL - Licencié En Droit Privé et Judiciaire 2020 |
CHAPITRE II : LES MECANISMES DE MISE EN OEUVRE DE LA RESPONSABILITE ENVIRONNEMENTALE EN DROIT CONGOLAISLa responsabilité environnementale étant analysée dans le cadre de son fondement, il s'avère important de réfléchir sur les mécanismes de sa mise en mouvement en vue d'une éventuelle réparation des dommages causés à l'environnement. Pour ce faire, ce chapitre va consister d'un coté à analyser les mécanismes de mise en oeuvre de la responsabilité environnementale entre autre les mécanismes judiciaires et ceux extra-judiciaires de réparation. Section 1 : Les mécanismes judiciaires de mise en oeuvre de la responsabilité environnementale.Sous cette section, pour ce qui est des mécanismes judiciaires, notre attention sera focalisée sur l'action en justice en matière environnementale (paragraphe 1) ainsi que les modes de preuve en matière de responsabilité environnementale (paragraphe 2). Paragraphe I : Action en justice en matière environnementaleVINCENT CUCHE considère l'action en justice comme étant le pouvoir de mettre en mouvement la juridiction afin d'obtenir le respect ou la restauration du droit, autrement dit, le pouvoir légal permettant aux agents publics et aux particuliers de s'adresser à la justice pour obtenir le respect de la loi.107(*) Les conditions d'exercice En droit congolais processuel, pour exercer une action en justice il faut exciper d'un droit, avoir un intérêt, avoir une qualité et avoir une capacité. En d'autres termes clairs, il faut remplir 4 conditions : posséder un droit, justifier un intérêt, avoir la qualité et être capable d'ester en justice.108(*) Dans le cadre de notre réflexion, l'attention sera plus focalisée sur la qualité et l'intérêt à agir en matière environnementale. Car, la qualité et intérêt à agir en matière environnementale échappent aux théories classiques de droit civil et appellent ainsi le législateur congolais à adapter son arsenal juridique pour permettre aux victimes des exploitations pétrolières de bien porter leur demande en réparation devant les cours et tribunaux congolais en toute sécurité juridique. a. L'intérêt d'agir en justice en cas de dommages environnementaux L'intérêt environnemental s'entend ici au sens de ce qui participe à la protection de l'environnement, qui lui est bénéfique. Partant, l'intérêt à agir pour la protection de l'environnement correspond aux actions intentées à cet effet.109(*). En matière environnementale, cet intérêt est d'abord individuel.110(*) Les dommages environnementaux sont constitutifs d'un préjudice particulier en raison des transmissions intergénérationnelles. Il convient de comprendre par-là que, selon le droit français l'intérêt environnemental est un intérêt à long terme qui induit la responsabilité intergénérationnelle de l'être humain, et non « simplement » un intérêt à court terme, voire ponctuel. Cette dimension s'ajoute aux facteurs et éléments qui légitiment toute l'attention à accorder tant à cet intérêt, qu'au patrimoine qui doit être préservé en vertu de celui-ci. Si le raisonnement du droit des biens est suivi ici, par exemple quant à l'importance accordée au droit de propriété, il ne fait aucun doute que chacun a intérêt, à titre individuel, à la sauvegarde de son patrimoine, et plus encore quand celui-ci lui est vital. Il est donc tout aussi censé de qualifier l'intérêt à agir d'individuel et de tirer les conséquences procédurales de ladite qualification.111(*) Il découle de ce qui précède, que l'action en droit environnemental peut être fondée sur un intérêt individuel ou personnel direct comme le veut le droit congolais de procédure civile, étant donnéque pour agir en justice en droit congolais, il faut avoir été directement et personnellement lésé dans ses intérêts propres112(*). En matière environnementale, l'intérêt peut être collectif. L'intérêt à agir pour la protection de l'environnement s'avère en réalité pluriel, étant donné ses différentes dimensions, et indépendamment des variations terminologiques retrouvées, la doctrine, pour peu que les signifiés se rejoignent113(*) L'intérêt à agir est plus complexe et justifie l'intervention d'autres personnes autres que la victime directe. Cela peut se remarquer en droit constitutionnel Costaricain, à ce sujet Edgar Fernandez note la décision No 1700 de 1993 de la Cour Constitutionnel du Costa Rica qui justifie cet intérêt par le fait que, la protection de l'environnement constitue un intérêt de toutes les personnes ou même de la collectivité nationale. Malgré l'inexistence d'un préjudice direct et clair pour le demandeur (........), tous les habitants subissent un préjudice dans la même proportion que s'il s'agissait d'un dommage direct114(*). Ainsi, les associations peuvent fonder leur intérêt à agir en justice sur base de cette logique. Somme toute, l'intérêt à agir en matière environnementale a un caractère hybride. Il conviendrait de retenir que l'intérêt à agir devrait être considéré tantôt comme individuel, tantôt comme collectif, tantôt comme universel. Il peut être individuel, lorsqu'il est démontré que l'intérêt en cause porte atteinte à une personne déterminée, dans sa personne ou dans ses biens, lésant ses droits patrimoniaux ou extrapatrimoniaux. Il peut être collectif, lorsqu'il est démontré que l'intérêt en cause porte atteinte à un ensemble de personnes déterminées (ou déterminables). Ici, le collectif s'apparente à la collectivité telle qu'entendue classiquement dans la notion de préjudice collectif ou d'intérêt collectif, et peut être une source de confusion. Il peut être universel, lorsqu'il est démontré que l'intérêt en cause porte atteinte à l'humanité tout entière, ou à certains de ses représentants.115(*) Le droit congolais de procédure doit s'inspirer de ces théories pour faciliter l'accès en justice aux victimes pour réparation. En effet, l'intérêt en matière environnemental n'est pas seulement personnel, il peut être aussi collectif et futur. De ce fait, le droit processuel congolais nécessitant un intérêt personnel né et actuel n'est pas adapté au régime juridique des actions en matière de l'environnement. Il y a lieu ici de s'inspirer de la législation Française pour considérer le caractère collectif et futur de l'intérêt en matière environnementale. b. La qualité d'agir L'article 46 de la loi de 2011 sur les principes fondamentaux relatifs à la protection de l'environnement ouvre le droit à toute personne d'agir en justice par une action individuelle ou par une action collective. Il s'agit d'un devoir de toute personne de défendre l'environnement. Cet article ouvre une possibilité des actions collectives en matière environnementale comme mécanisme de mise en mouvement de la responsabilité environnementale, donnant la qualité à certains groupes de personnes d'agir en justice pour le dommage causé à l'environnement. Cependant le droit congolais des hydrocarbures reste non explicite quant à cela, ce qui va nous conduire dans l'analyse d'autres cadres juridiques. 1. L'action individuelle en droit environnemental Par une action individuelle, tel que prévu par le droit congolais, toute personne qui subit un dommage environnemental a la qualité de demander la réparation devant les tribunaux. En effet, tout homme a le devoir solennel de protéger et d'améliorer l'environnement pout les générations présentes et futures. Ce devoir de protection fixe toute action légalement reconnue aux citoyens pour la défense de leur droit privé et collectif. Défendre l'environnement par toutes voies de droit en action individuelle ou collective. L'action en justice n'est qu'une voie pour faire valoir le droit/devoir à l'environnement.116(*) Désormais en présence d'un dommage environnemental, la victime sera capable d'opposer l'auteur du dommage son droit à un environnement sain.117(*) De ce qui précède, la victime directe d'un dommage environnemental dû aux activités extractives du pétrole, peut mettre en mouvement la responsabilité environnementale de l'exploitant sur base d'une action judiciaire individuelle, car il a un droit personnel à un environnement de qualité. Ce droit subjectif lui, confère un intérêt personnel à agir en justice118(*). 2. Les actions collectives en droit de l'environnement - Les associations ayant qualité d'agir En principe pour être réparables, les dommages doivent avoir un caractère personnel, ce qui signifie l'atteinte doit avoir directement ou indirectement des conséquences pour l'être humain. De prime abord, on pourrait alors penser que les atteintes environnementales sans répercussions sur les personnes ne sont pas réparables dans la mesure où une telle action ne pourrait être exercée à défaut de victime (demandeur), mais il n'en est pas ainsi, d'abord parce que certaines atteintes au milieu naturel sont réparables sur le fondement de la théorie du préjudice écologique pur sans avoir à prouver matériellement les conséquences immédiates sur les hommes. Ensuite, parce que tout bien ou toute chose qui existe dans la nature est par nature un bien collectif de sorte que son altération a des répercussions sur la communauté humaine. D'où, le préjudice collectif est lui-même admis en justice au travers les groupes de défense d'intérêts collectifs ou des associations de défense de la nature119(*). Selon M. Prieur, il semble pouvoir s'analyser comme une expression ou une résultante « de la carence des pouvoirs publics et du parquet », faisant de celle-ci une « impérieuse nécessité de donner aux associations de véritables moyens d'y suppléer ». Dans ces conditions, les victimes d'une atteinte à l'environnement peuvent se regrouper pour une action collective efficace, en créant des associations ayant spécifiquement pour objet social de défendre les intérêts de ses membres. Les associations agréées de protection de l'environnement peuvent ainsi agir en justice par le mécanisme d'action collective ou de groupe. Mais il faut noter que l'association au-delà de l'agrément, doit avoir pour objectif général ou spécifique, la protection/défense de l'environnement ou des ressources naturelles.120(*) Cette action des associations est donc corrélativement indispensable. C'est pourquoi les textes, portant notamment sur la condition de l'intérêt à agir, doivent leur permettre d'acquitter au mieux cette mission dont elles s'investissent121(*). Certaines raisons sont à la base même de la consécration de la qualité d'agir des associations en matière environnementale. Il s'agit de groupements ainsi entendus, qui agissent pour la défense de l'environnement. Les associations ne sont pas au premier plan de la défense de l'environnement, spécifiquement dans le cas où elles seraient comparées aux particuliers. Néanmoins leur rôle est indéniable.122(*) Les associations ont beau avoir des profils très variés, on leur retrouve des constantes communes. En effet, elles sont caractérisées par l'engagement, voire le militantisme, de leurs membres au service de causes collectives. Ce trait de caractère n'est pas propre aux associations « environnementales » ou agissant en matière d'environnement, car il caractérise le monde associatif en général, à des degrés variables, quel que soit l'objet social des personnes morales concernées. De même, les associations sont des acteurs organisés. Il est courant qu'elles se structurent en s'entourant de personnes qualifiées. Elles mènent leurs actions en s'appuyant sur des données généralement collectées par leur travail de terrain. Enfin, ces acteurs sont caractérisés par l'animus ou affectio societatis qui lient leurs membres entre eux, c'est-à-dire la volonté ou l'intention de mettre en commun leurs connaissances et activités dans le but qui est le leur, en l'espèce, la protection de l'environnement123(*). L'ouverture régulière d'une action de groupe est soumise à des conditions, et pour agir valablement en justice, les acteurs doivent s'y conformer. En effet en pratique, une association intente une action, puis une fois que les juges tranchent le litige, en cas de succès de tout ou partie des prétentions du demandeur, des mesures de publicité sont mises en oeuvre pour que toute personne répondant aux critères définis par le juge dans les conditions arrêtées par celui-ci pour le cas considéré, et souhaitant se joindre au « groupe » aux fins d'indemnisation se fasse connaître. Un agrément est exigé pour l'association demanderesse, qui doit notamment être déclarée au moins cinq ans avant l'exercice de l'action, et s'assurer que son objet social correspond aux intérêts défendus par ladite action. Enfin, elle doit avoir mis en demeure la personne contre laquelle elle souhaite agir, de cesser ou faire cesser le manquement dont elle se plaint ou de réparer les préjudices causés.124(*) Il s'agit de ce qui précède la réalité du Droit français. Les causes défendues par les actions dont il est question ici sont celles tendant à protéger l'environnement commun.125(*) Le juge judiciaire en droit français a facilité l'accès au prétoire des personnes agissant aux fins de réparation des atteintes à l'environnement. Il a été encouragé en cela par le législateur français et plus spécialement par la loi Barnier de 1995 qui a donné une habilitation générale « aux associations agréées de protection de l'environnement » afin qu'elles puissent exercer « les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre (...). A titre d'illustration, une association de défense du milieu aquatique a été déclarée recevable à agir dans un cas de pollution marine par hydrocarbures. Les juges de la Cour d'appel de Rennes ont considéré que cette pollution lésait « les intérêts défendus par l'association qui a pour obligation statutaire de protéger la qualité de l'eau et notamment les estuaires et rivages marins et les eaux de mer, lieux de séjour ou de passage des espèces migratrices ». Il est remarquable de constater ici que les juges se réfèrent à l'objet statutaire de l'association ce qui montre à quel point la précision des statuts est importante.126(*) Il se dégage à cet effet que, les associations jouent un très grand rôle en matière environnementale, souvent ce sont les associations qui dénoncent les pollutions et d'autres dommages à l'environnement dont provoquent les activités pétrolières aux populations périphériques. Elles constituent à cet effet, des acteurs majeurs de mise en oeuvre de la responsabilité environnementale devant le juge congolais, mais pour ce faire, encore faut- il que la qualité d'agir en justice leur soit reconnue en matière environnementale cela de manière expresse par une loi spécifique relative à la responsabilité environnementale. Ceci interpelle une fois le législateur congolais des hydrocarbures à l'instar de celui français de doter aux associations d'intérêt environnemental d'une législation adaptée pour se constituer partie civile en vue de la mise en oeuvre effective de la responsabilité environnementale. Il est ainsi de la loi portant code forestier, en effet, l'article 134 de la loi No 011/2002 du 29 août 2002 portant code forestier de prévoir à son article 134 que « les associations représentatives des communautés locales et les organisations non gouvernementales nationales agréées et contribuant à la réalisation de la politique gouvernementale en matière environnementale peuvent exercer le droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits constituants une infraction aux dispositions de la présente loi et de ses mesures d'exécution, ou une atteinte, selon les accords et conventions internationaux ratifiés par la RDC, causant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre ». Il en est ainsi de la loi congolaise sur l'eau, en vertu de l'article 108 de la loi No 15/026 du 31 décembre 2015 relative à l'eau« toute personne physique ou morale, toute association représentatives des communautés locales, ou toute organisation non gouvernementale nationale agréée oeuvrant dans les domaines de la protection de l'environnement, de la gestion des ressources en eau ou du service public de l'eau, peut ester en justice contre toute violation des dispositions de la présente loi ou de ses mesures d'application, ou toute atteinte aux dispositions des accords et conventions internationaux ratifiées par la RDC, lesquelles causent préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre » Ces dispositions pourraient être insérées dans la législation des hydrocarbures pour une efficacité dans la mise en oeuvre de la responsabilité environnementale de l'exploitant pétrolier. - Les acteurs publics Les acteurs publics sont identifiés à la fois en tant que protagonistes de la responsabilité civile environnementale et, plus largement, du droit de l'environnement. Pour ainsi dire, ils « s'invitent » dans la sphère privée de cette responsabilité. Les protagonistes en responsabilité civile, qu'elle soit ou non environnementale, sont habituellement et majoritairement des personnes privées. Ceci n'empêche pas de reconnaître que les acteurs publics, sous une forme ou sous une autre, s'y invitent fréquemment à l'instar de tiers intervenants à part entière. Cette intervention est principalement due aux missions de contrôle et d'autorisation de l'État, car la « puissance » publique dispose de pouvoirs importants en matière d'environnement. Les choix qui en résultent étant susceptibles d'avoir des conséquences significatives sur la santé comme sur la qualité de vie des personnes vivant sur son territoire127(*) . L'action civile ouverte aux collectivités locales permet à ces personnes morales de droit public de réclamer la réparation de tout dommage à l'environnement survenu sur leur territoire. En effet, une commune dont un cours d'eau situé sur son territoire est pollué serait fondée de saisir les tribunaux pour demander la remise en état de ce cours d'eau. Elle agirait ainsi en représentation des intérêts de la collectivité de jouir du droit de vivre dans un environnement sain.128(*) Le pouvoir public, entre autre les collectivités territoriales souvent alertées sur les activités territoriales n'ont pas à rester inactives en matière de responsabilité environnementale. L'Etat avec tous ses moyens peut, à cet effet, se constituer partie civile contre les entreprises pétrolières en vue d'obtenir la réparation des préjudices environnementaux. L'action civile déclenchée par le pouvoir public se démontre efficace pour la mise en oeuvre et l'aboutissement de la responsabilité environnementale des entreprises extractives du pétrole. De ce qui précède, il ne doit pas seulement s'agir de la personne victime ayant subi directement le dommage qui doit avoir la qualité d'agir en justice contre l'exploitant pétrolier mais aussi les associations congolaise de défense de l'environnement ainsi que les collectivités territoriales proches des milieux d'activités d'extraction pétrolière. Le droit de procédure civil congolais doit alors s'adapter au droit de l'environnement. Paragraphe 2 : Les modes de preuve En droit de l'environnement, pour une réparation du préjudice environnemental, il se pose aussi un problème de preuve dans ce domaine. En effet, l'enjeu est bien de convaincre le juge de la vérité d'une allégation. En raison de la complexité des litiges environnementaux, cela ne va pas de soi suite à des incertitudes qui caractérisent le domaine environnemental, pour ce faire deux propositions s'avèrent importantes entre autre la facilitation et l'allègement de la preuve dans le procès environnemental.129(*) 1. Faciliter la preuve en matière environnementale Dans certains systèmes juridiques dont le droit français, c'est le droit substantiel lui-même et non le droit processuel qui peut être source de facilitation de la preuve. En effet, il existe certaines règles de droit qui, en décrivant précisément les conditions de qualification d'un élément présent au litige permettent au demandeur d'y trouver un appui en termes de preuve. Les précisions légales concernant la qualification d'un fait ont des implications sur le plan processuel lorsqu'il s'agit de le prouver en ce qu'elles permettent au demandeur de s'y référer pour « bien prouver » et ainsi convaincre le juge.130(*) Pour signifier que dans le souci de faciliter la preuve en matière environnementale face à l'incertitude scientifique liée au progrès technique, le législateur congolais doit doter les justiciables des règles juridiques substantielles qui déterminent les modalités de preuve en matière environnementale. L'exemple est éloquent en Droit français, ici en droit de la responsabilité civile, la loi sur la Biodiversité qui a consacré le régime de responsabilité civile pour préjudice écologique lui apporte une définition. Selon l'article 1247 du Code civil, « est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement ». Pour démontrer ce caractère non négligeable, les demandeurs pourraient trouver appui dans le décret d'application du 26 avril 2009 de la loi du 1er août 2008 relative à la prévention et réparation des dommages environnementaux qui transpose la directive 2004/35 sur la responsabilité environnementale. S'il s'agit ici d'un régime de police administratif, il n'empêche que les parties et juges pourraient bien y trouver inspiration lorsqu'ils seront appelés à réparer le préjudice écologique. Ce décret manifeste une grande précision quant à la manière dont il convient d'apprécier le degré de l'atteinte à l'environnement en distinguant clairement les atteintes aux sols, à l'eau, aux habitats et aux espèces.131(*) Pour ce faire, le cadre juridique congolais de l'environnement doit se doter de textes qui rendent facile la preuve en matière de l'environnement, en les organisant de manière claire et expresse par le droit substantiel étant donné que dans le contexte actuel, le droit congolais de l'environnement ne facilite pas la preuve du préjudice environnemental, une loi spécifique sur la responsabilité environnementale pourrait combler les lacunes. 2. Alléger la charge de la preuve Une autre modalité judiciaire permettant de faciliter la preuve en matière de préjudice environnemental dû aux activités pétrolières est celle de l'allégement de la charge de la preuve pour une effective mise en oeuvre de la responsabilité environnementale. Dans la grande majorité des procès, comme il en est du droit procédural congolais, la charge de la preuve incombe aux demandeurs. Ce sont eux qui doivent convaincre le juge du bien-fondé de leur action. Il s'agit alors de trouver des solutions permettant d'alléger cette charge en tenant compte notamment du contexte d'incertitude scientifique. Cela consiste généralement dans le déplacement de l'objet de la preuve avec le recours aux présomptions132(*). - Le déplacement de l'objet de la preuve Dans un litige environnemental caractérisé par une incertitude scientifique et donc la difficulté de prouver, le principe de précaution, s'il ne permet pas un véritable renversement de la charge de la preuve, invite à apprécier plus souplement l'exigence de preuve qui incombe au demandeur. C'est en ce sens que la Convention de Lugano sur la responsabilité civile résultant d'activités dangereuses pour l'environnement, sans mentionner le principe ni donner plus de précision sur les techniques à mettre en oeuvre, s'intéressait à la difficulté de prouver en lien avec les activités dangereuses et prévoyait que les États signataires devraient inviter le juge « à tenir dûment compte du risque accru de provoquer le dommage inhérent à l'activité dangereuse C'est le cas, à titre d'exemple, dans l'ordre international (1) et dans l'ordre interne (2)133(*) - Dans l'ordre international Le niveau international nous paraît être un niveau d'analyse pertinent, en raison du fait que les contentieux les plus emblématiques de l'incertitude scientifique finissent par être tranchés à ce niveau. Dans les contentieux emblématiques de l'incertitude scientifique, les juridictions internationales allègent généralement le fardeau de la preuve en admettant que l'on puisse se contenter de présomptions de preuve.134(*). C'est le cas dans l'affaire NICARAGUA, La Cour internationale de Justice, quant à elle, dans son arrêt rendu le 2 février 2018 en l'affaire Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa-Rica c. Nicaragua) reconnaît que, s'agissant des dommages à l'environnement, la preuve du lien de causalité peut être problématique. Parce qu'ils sont possiblement attribuables à plusieurs causes concomitantes ou que le lien de causalité ne peut pas toujours être démontré avec certitude, compte tenu de l'état des connaissances scientifiques, la Cour appréciera au cas par cas les difficultés de preuve « à la lumière des faits propres à l'affaire et des éléments de preuve présentés à la Cour ». La preuve probabiliste est donc largement admise au niveau international, on présume le lien de causalité entre le fait générateur et le dommage en considération du caractère dangereux des activités exercées135(*). Il se démontre que la preuve par présomption d'activité dangereuse est adaptée aux activités d'hydrocarbure, le juge présumera à cet effet, que le risque de l'extraction du pétrole sur l'environnement est imminent et allègera ainsi la preuve. - En droit interne comparé Du côté de l'ordre interne, en particulier en droit privé français, la preuve par présomption est plus strictement encadrée. Elle consiste « pour le législateur ou la jurisprudence à ordonner au juge de tenir pour avérer jusqu'à preuve du contraire un fait inconnu que la preuve d'un autre fait voisin ou connexe permet d'induire ». Comme Loïs Raschel l'a démontré dans sa thèse sur « Le droit processuel de la responsabilité civile », les présomptions sont largement utilisées. Or, dans notre domaine d'étude, la responsabilité civile environnementale n'y échappe pas avec une forte utilisation des présomptions de fait en particulier pour démontrer l'un des éléments les plus difficiles à démontrer dans un contexte d'incertitude : le lien de causalité.136(*) Il faut comprendre ici que, l'ordre international et l'ordre national admettent les preuves par présomption en droit de la responsabilité environnementale, face à l'incertitudes dans le domaine de l'environnement, le juge va présumer la responsabilité de l'exploitant. Ce mécanisme de preuve par présomption en Droit français est adapté au souci de faire face à l'incertitude scientifique à la base des activités dangereuses liées à l'exploitation du pétrole. Pour ce faire, les actions contre les exploitants pétroliers aboutiront à la réparation par cette facilitation des preuves entre autre la mise en place dans le cadre congolais d'une loi sur la responsabilité environnementale précisant les preuves des dommages environnementaux, mais aussi la consécration légale du principe de preuve par présomption en matière environnementale, pour alléger les victimes de la charge de la preuve souvent difficile dans le domaine environnemental. Section 2 : les mécanismes extra-judiciaires de mise en oeuvre de la responsabilité administrative Au-delà du procès environnemental c'est-à dire du cadre judiciaire, certains mécanismes extra judiciaires constituent un fondement significatif de mise en oeuvre de la responsabilité environnementale. Dans le cadre de cette réflexion, deux mécanismes extra-judiciaires vont être examinés à savoir la RSE (la responsabilité sociale des entreprises pétrolières) et les cahiers des charges. Paragraphe 1: La responsabilité sociale des entreprises pétrolière Pendant plusieurs décennies, au-delà du discours politique, la satisfaction des besoins fondamentaux des communautés locales africaines n'a jamais été au centre des intérêts de l'extraction des ressources naturelles et minérales du continent (......), aujourd'hui un changement de cap et de vision s'impose pour s'assurer que l'extraction s'insère dans une politique de développement intégral et durable. Cela n'est possible que si les droits et les intérêts des communautés locales affectées sont pris en compte par l'industrie extractive.137(*) À partir des années 1950, certains universitaires et industriels ont commencé à développer l'idée selon laquelle les entreprises ne devraient plus se concentrer uniquement sur leurs intérêts financiers, mais également sur l'impact qu'elles peuvent avoir sur la société afin d'en tirer un profit. La « responsabilité sociale des entreprises » (RSE) s'est alors construite selon une démarche volontaire des entreprises de contribuer au développement durable de leurs secteurs. Au XXIe siècle, le concept de RSE s'est rapidement imposé comme une notion incontournable au sein des entreprises138(*). Les préoccupations environnementales sont au travers de la RSE intégrées dans la gestion interne des entreprises. Si celles-ci doivent se conformer aux instruments législatifs pertinents, la RSE permet d'aller plus loin dans la protection de l'environnement en permettant aux entreprises de se doter volontairement de mesures préventives à travers l'adoption de codes de conduites, de contrôles ou de certifications issus du secteur industriel ou du secteur public.139(*). Selon le « Livre vert sur la promotion d'un cadre européen pour la RSE » de 2001, la RSE est « l'intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et écologiques à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes »140(*) Ainsi, la responsabilité sociale constitue à cet effet un mécanisme pour les communautés locales d'avoir de la part des entreprises extractives une réparation éventuelle des préjudices environnementaux qui déboucheront de leurs activités d'exploitation pétrolière. Le cadre légal congolais n'est pas resté indiffèrent sur la responsabilité sociétale des entreprises extractives. En lisant l'exposé des motifs de la loi sur les hydrocarbures, il se dégage des innovations quelle apporte dont, La mise en place de la responsabilité sociétale des entreprises pétrolières aux fins d'impliquer ces dernières aux enjeux de développement durable en faveur des populations directement affectées par les travaux pétroliers, à travers des contributions et une provision pour les interventions sociales tant en phase d'exploration qu'en phase d'exploitation.141(*) . Dans cet exposé des motifs de la loi sur les hydrocarbures, on établit une responsabilité sociale des entreprises extractives, les obligeant à intégrer dans leurs activités les préoccupations sociales des communautés locales, qui subissent des dommages environnementaux dus de l'exploitation pétrolière. Il en ainsi de l'article 77 du même code des hydrocarbures qui dispose que: « Le contractant tient compte des impacts sociaux sur les populations directement affectées par les travaux pétroliers. Il finance, chaque année, des projets sociaux et de développement durable, en phase d'exploration par une contribution pour les interventions sociales et en phase d'exploitation par la constitution d'une provision pour les interventions sociales. » Cette disposition oblige tout exploitant pétrolier de participer aux projets des communautés locales affectées par ses activités. Ainsi la responsabilité environnementale est mise en pratique par les provisions faites par l'exploitant pétrolier qui peuvent contribuer à la réparation des préjudices environnementaux. Le code minier congolais peut servir d'inspiration en matière de responsabilité sociétale des entreprises extractives du pétrole, l'article 285 octies prévoit le mécanisme de responsabilité sociétale en précisant le pourcentage de contribution des entreprises minière, ce qui n'est pas le cas dans le domaine pétrolier : A son tour, l'Article 285 octies dispose: « Conformément au principe de la transparence dans l'industrie minière prescrit par la présente loi, une dotation minimale de 0,3% du chiffre d'affaires pour contribution aux projets de développement communautaire prévu par l'article 258 bis du présent Code est mise à disposition et gérée par une entité juridique comprenant les représentants du titulaire et des communautés locales environnantes directement concernées par le projet .Le Règlement minier détermine la nature juridique de l'entité chargée de la gestion de la dotation, le nombre de membres de chaque composante ainsi que les modalités de leur collaboration et de contrôle par les ministères en charge des mines et des affaires sociales. Ces textes mettent en place la responsabilité sociétale des entreprises extractive en RDC » De ce fait, le mécanisme de RSE est une nécessité pour la prévention des risques environnementaux causés par les entreprises pétrolières sur la société comme partie prenante. Elle ouvre une responsabilité des entreprises fondée sur leurs propres mesures de prévention des risques des activités pétrolières. La démarche de responsabilité sociale des entreprises permet l'émergence de normes complémentaires qui se veulent « non juridiques et surtout extrajudiciaires ». La RSE incite donc les entreprises à se doter de code de conduite, de certifications environnementales ou de mécanismes d'évaluation de leur politique environnementale à travers l'affiliation à des normes publiques mais aussi à des normes issues du secteur privé142(*) . Il est clair, que dans le contexte de l'évolution des risques lié à l'industrialisation, entre autre l'industrie pétrolière, les entreprises pétrolières oeuvrant en RDC ne doivent pas se passer des mesures de RSE. En effet, la politique environnementale doit s'imprégner des avancées doctrinales et législatives en matière de RSE pour une effective responsabilité des entreprises pétrolières sur ce qui sont les dommages environnementaux, étant donné que la RSE couvre les préoccupations sociales et environnementales qui doivent être intégrées dans la stratégie et les opérations commerciales des entreprises.143(*) En somme de ce qui précède, il se dégage que les victimes des activités de l'industrie pétrolière peuvent fonder la responsabilité de cette dernière sur le mécanisme extrajudiciaire de RSE pour des dommages environnementaux causés à l'environnement, malgré des mesures volontaires de prévention mise en place par l'entreprise pétrolière. * 107 Vincent Cuche, Procédure civile et commerciale, paris, 1960, P.13. * 108 Ilunga Watuil Claude, procédure civile : manuel d'enseignement, ULPGL/faculté de droit, 2016-2017, p.18 * 109 Flore JEAN-FRANÇOIS, Responsabilité civile et dommage à l'environnement, thèse pour l'obtention du doctorat en droit, Université des Antilles, octobre 2018, 228 * 110 Idem. P.230 * 111 Flore JEAN-FRANÇOIS, op.cit. p.243 * 112 Ilunga Watuil Claude, op.cit., p.24 * 113 Flore Jean-François, op.cit., p.270 * 114 Edgar Fernandez, « Les controverses autour de l'intérêt à agir pour l'accès au juge constitutionnel : de la défense du droit à l'environnement (Costa Rica) et la défense des droits de la nature (équateur) », disponible sur https://journals.openeditio,.org/vertigo/16214. Consulté le 28noctobre 2020 à 14h. * 115 Flore JEAN-FRANÇOIS, op.cit., p.268 * 116 M. Sabin Mande, op.cit., p.255 * 117 V. REBEYROL, op.cit., p.11 * 118 . Sabin Mande, op.cit., p.255. * 119 Soumaala AOUBA, La réparation du dommage environnemental causé par la pollution par des déchets en droit international de l'environnement, mémoire de master, université de limoge, Faculté de Droit et de science économique, 2010, p.85 * 120 Sabin Mande, op.cit., p.2556. * 121 Flore Jean-François, op.cit., p.262 * 122 Flore Jean-François, op.cit., p.117 * 123 Idem, P.169 * 124 Flore Jean-François, op.cit., P.174 * 125 Idem, p.117 * 126 Laurent NEYRET, La réparation des atteintes à l'environnement par le juge judiciaire, Cour de cassation, actes de Séminaire « Risques, assurances, responsabilités » 24 mai 2006, p.6 * 127 Flore Jean-François, op.cit., p.183 * 128 Baudelaire N'Guessan, La réparation du dommage à l'environnement du fait des déchets simples en Côte d'Ivoire, thèse de doctorat, Université Cote d'Azur, décembre 2019, p.196 * 129 Eve Truilhé-Marengo et Mathilde Hautereau-Boutonnet, Le procès environnemental, Hall, paris 2019, P.121 * 130 V. M. Hautereau-Boutonnet, « Le risque de la preuve en droit de l'environnement », Dalloz, paris, 2015, p. 85 * 131 Eve Truilhé-Marengo et Mathilde Hautereau-Boutonnet, op.cit., p.122. * 132 : E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, PUF/Thémis, 2015, p. 240 * 133 Eve Truilhé-Marengo et Mathilde Hautereau-Boutonnet, op.cit., p.126 * 134 Sadeleer (N.), Les principes du pollueur-payeur, de prévention et de précaution : essai sur la genèse et la portée juridique de quelques principes du droit de l'environnement, Bruylant, Bruxelles, 1999, p. 176 * 135 Eve Truilhé-Marengo et Mathilde Hautereau-Boutonnet, op.cit., p.127 * 136 Idem,p.128 * 137 Pacifique Manirakiza, La protection de droits de l'homme à l'ère de l'industrie extractive en Afrique, disponible sur https://id.erudit.org/iderudit/1038419ar.pdf ,p.129, Consulté le 28 octobre 2020. * 138 Pacifique Manirakiza, op.cit, p.129 * 139 Idem, p.3. * 140 Livre vert sur la promotion d'un cadre européen pour la Responsabilité Sociale des Entreprises, 18/07/2011, COM (2001) 366 final, p. 7. * 141 Exposé des motifs la loi n° 2016-28 du 12 octobre 2016 portant code des hydrocarbures, disponible sur https://.www.droit-afrique.com/uploads/congo-code-2016-hydrocarbures , consulté le 30 novembre 2019 à 22h * 142 Pierre VOLONDAT, L'engagement environnemental des industriels du secteur pétrolier et gazier offshore, vol. 24, Neptunus, Nantes, janvier 2018, p.5 * 143 Ivana Rodiæ, Responsabilité sociale des entreprises. Le développement d'un cadre européen, Mémoire présenté pour l'obtention du Diplôme d'études approfondies en études européennes, UNIVERSITE DE GENEVE, avril 2007, p.9 |
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