A- VERS UNE PERTE DES REPÈRES CULTURELS
Culture, conçue comme « un ensemble de
règles stables et homogènes, partagées par les individus
d'un groupe, et inspirant leurs actions et leurs modes de pensée
».128La culture, consiste en un. Au sens de Gabriel ALMOND, et Sydney
VERBA, la culture politique quant à elle, réfère à.
Il s'agit concrètement d'un ensemble de manière de voir, de faire
et de sentir le monde propre à un groupe donné. L'urbanisation
conduisant à l'avènement d'un monde cosmopolite, assure en zone
urbaine, la prééminence de la culture majoritaire de la
population locale. Il n'est dès lors pas rare d'identifier des
autochtones citadins s'écarter des normes et valeurs traditionnelles au
nom de la modernité129. Cette situation a grandement été
évoquée par les populations autochtones qui, décriant
la perte de sens ambiante, estiment « ne plus se reconnaitre dans
le mode de vie des habitants ».
Dans une déclaration susceptible de faire état
d'une confession, Jean GOTTMAN estime disait « Plus j'ai eu l'occasion
d'étudier des phénomènes d'urbanisation, ceci depuis une
vingtaine d'années au moins, plus j'ai été convaincu que
nous passions actuellement par une révolution dans la répartition
de l'habitat dans le monde qui s'accompagne d'une révolution dans le
système de genres de vie prédominants dans les pays
civilisés. Le genre de vie urbain va devenir, en
41
128 Ricardo CIAVOLELLA et Éric WITTERSHEIM,
Introduction à L'anthropologie du politique, Bruxelles, Louvain-La-Neuve
De Boeck, coll. « ouverture politique », 2016, p. 8
129 Cet état de chose tendrait à légitimer
la déviance politique, forme pathologique de la culture politique.
adoptant des formes différentes de celles qui furent
classiques dans les villes du passé, même d'hier, celui de la
grande masse de l'humanité dans la plupart des pays »130
B- LE CARACTÈRE RESIDUEL DE PARTICIPATION AU PROCESSUS
D'URBANISATION
Le caractère résiduel de participation au
processus d'urbanisation se traduit vraisemblablement d'une part, par le rejet
implicite des pratiques sociales urbaines et la campagne de villagisation
de la ville131d'autre part.
Il semble, à l'observation « béhavioriste
», que la grande partie des populations autochtones qui, du fait de
l'exode rural opte pour la ville comme lieu de prédilection continu
à vouloir perpétuer certains comportements qui résiste
douloureusement au mode de vie urbain. D'aucuns n'hésitent pas à
transposer même dans les lieux publics ce qu'ils appellent
affectueusement « mô'o sayé », ou choses du village.
Ce qui conduit parallèlement à la diffusion en
plein centre urbain par exemple des pratiques propres à la campagne.
En tout état de cause, il convient de relever que bien
que l'on observe une tendance à la ruralisation des zones urbaines du
département, cette cohabitation semble faire corps avec le
phénomène d'urbanisation d'autant plus que le rural dans cette
circonscription précède l'urbain. Ce qui ne manque pas
d'accroître incidemment les replis vers des espaces
éloignés du centre urbain ou mouvement de délocalisation
résidentielle.
C- LE RISQUE DE RECONVERSION POLITIQUE DES REFUGIES
Dans un contexte actuel marqué par une forte croissance
démographique du fait des facteurs non seulement naturels (augmentation
du taux de natalité, exode rural et migration) mais surtout
conjoncturels avec le flux des refugies qui atteint des proportions
considérables, et parfois même plus importante que la population
locale autochtone, l'on est en droit de se préoccuper du sort futur du
pouvoir politique. Car, Si à la suite des anthropologues et historiens,
nous reconnaissons, que le pouvoir reposerait « sur la richesse en gens
(wealth in people) et en biens (wealth in things), comme dans les
sociétés eurasiatiques »132, a fortiori dans une
société démocratique où la majorité fait la
loi, il parait légitime de craindre le flux des refugies et leur
potentiel implication politique sur le territoire d'accueil. Car ce serait
signer l'extirpation des autochtones du monopole politique de décision.
Cette préoccupation tient à deux raisons : la première est
le caractère trait-d `union des communautés vivant dans le
département, et la seconde, rigoureusement déductible de la
première, la possession par les refugies de la carte nationale
d'identité camerounaise qui les confère de droit la
possibilité de se faire délivré une carte
d'électeur.
SECTION II : LA PRÉDOMINANCE DU MOUVEMENT DE
DÉLOCALISATION RÉSIDENTIELLE OU DESURBANISATION ET LE VISAGE
CONTRASTÉ DE L'URBANISATION
42
130 Gottmann Jean, L'urbanisation dans le monde contemporain
et ses conséquences politiques, In: Politique étrangère,
n°6 - 1960 - 25? année, p. 557
131 Mandjack Albert,
132 N. Loraux, Né de la terre. Mythe et politique
à Athènes, Paris, Le Seuil, 1996 cité in
Problèmes de l'autochtonie et de l'ethno citoyenneté en Afrique,
Centre d'Etudes et de Recherche Internationales, 2000
Mémoire présenté par DIGNA DENAM
Sylvester
L'espace constitue de tout temps, le terrain fertile à
l'observation des rapports de force et phénomènes de pouvoir dans
toute société politique. Les sociologues à l'instar de
Jules Rémy et L. Voyez, mettant en évidence les dynamiques
sociales des phénomènes d'urbanisation, voient les villes,
à la fois comme enjeu de Politique (urbaines), comme espace
d'appropriation et de mode de vie spécifique.133. Dans cette
configuration, il importe d'analyser les ressorts du mouvement de
délocalisation résidentielle d'une part, avant de scruter le
visage contrasté de ce phénomène dans le
département du Mbéré.
Photo 4 : Vue panoramique de Meiganga, chef-lieu du
département du Mbéré
PARAGRAPHE I : LE MOUVEMENT DE DÉLOCALISATION
RESIDENTIELLE
La délocalisation résidentielle en zone urbaine,
est inextricablement liée à la notion de minorité. Au sens
d'Alain Fenet, « il n'y a de minorité que lorsqu'il y a un groupe,
c'est-à-dire non pas une collection indifférenciée
d'individus, mais une entité sociale plus ou moins structurée par
des facteurs de solidarité. La situation de minorité est produite
par une relation de domination spécifique entre le groupe et le pouvoir
dans la société globale, s'ajoutant aux liens de contrainte
générale ou leur donnant une signification particulière.
Il n'y a pas de minorité en soi, ni d'un point de vue quantitatif ni
d'un point de vue qualitatif, mais des groupes ténus à
l'écart du pouvoir et entravés dans leurs possibilités de
développement, en raison de la nature de leur lien social
spécifique. Ce dernier les met en dehors du référent de
légitimité et le privé de la garantie de
pérennité recherchée par la société dans son
organisation politique et juridique.134
43
Mémoire présenté par DIGNA DENAM
Sylvester
133 Rémy (J) et Voye (L), Ville, ordre et violence, Paris,
PUF, 1981
134 Geneviève Koubi, De la citoyenneté, 1995 p.
80
Mémoire présenté par DIGNA DENAM
Sylvester
Elle est le produit d'un rapport entre un groupe social
spécifique, le territoire et le pouvoir. Dans le département du
Mbéré, ce phénomène se traduit par la
désurbanisation, la périurbanisation qui trouvent leur exutoire
dans le relis groupal
A- LA TENDANCE A LA DESURBANISATION/ PÉRIURBANISATION
La désurbanisation et la périurbanisation, que
nous juxtaposons dans le cadre de ce travail, sont deux notions certes
distinctes mais susceptibles de complémentarité. Il sied tout de
même de présenter brièvement la notion de
contre-urbanisation.
S'inscrivant dans une vision réversible de
développement politique, le phénomène de
contre-urbanisation a trouvé un terrain fertile dans les Etats du Nord
dits civilisés (USA, Grande Bretagne, Belgique etc.). Au sens de Beale
et Berry135, à qui il revient d'attribuer la paternité
du concept, la contre-urbanisation symbolise le point culminant de
l'urbanisation qui se caractérise par « un mouvement migratoire
dirigé des centres à forte concentration de population vers les
régions plus rurales et périphériques
»136. C'est donc « un processus de déconcentration
impliquant un mouvement d'un état de plus grande concentration vers un
état de plus faible concentration »137
La population autochtone, qui structure douloureusement le
tissu économique du département, se trouve lésée
dans la lutte pour l'appropriation des facteurs de production et de l'espace.
Ainsi, pour assurer leur survie, plusieurs n'hésitent pas à
cédé leur « droit de propriété sur le sol
» 138 aux organisations non gouvernementales, ou aux personnes nanties,
à des prix dérisoires. Dans une sorte de bataille voe
victis139, la population autochtone préférant ainsi se
replier vers des zones reculées du centre urbain pour pouvoir
bénéficier des bienfaits de la nature à l'état
brut140. Cette situation illustre suffisamment le phénomène de
désurbanisation dans le cas spécifique du Mbéré.
Des quartiers tels Gbakoungue, Daa-Boloi etc. apparaissent comme des zones
privilégiées de refuge face au dilemme urbain à
Meiganga.
Outre l'essor de la vente des terrains en zone urbaine, il
convient d'adjoindre les conflits fonciers entre autochtones et
allogènes, ainsi que l'expropriation pour cause d'utilité
publique, qui sont aussi susceptibles de léser les autochtones dans
l'aménagement du territoire.
B- LE REPLIS GROUPAL DANS LES ZONES
PÉRIPHÉRIQUES
Il s'opère au profit des quartiers populeux, et
reculés de la ville. Cette situation semble être à
l'origine du visage contrasté141 que prend le
phénomène de l'urbanisation dans cette société.
Ainsi, fuyant par la force des choses ou par désir
délibérément exprimé de continuer à jouir
parallèlement des bienfaits de l'urbanisation et de la nature à
l'état brute (pêche artisanale,
44
135 Notamment dans une étude menée aux Etats-Unis
en 1976
136 Laurence THOMSIN, L'apport du concept de
contre-urbanisation au cas de la Belgique, Bulletin de la Société
géographique de Liège, 35, 1998, p. 58
137 Op0cit p.59
138 Le terme droit de propriété ici étant
pris au sens coutumier puisque la terre appartient ici aux ancêtres qui
la cèdent aux générations futures
139 Terme latin qui signifie malheur aux vaincus
140 Ils s'installent le plus souvent à proximité
des cours d'eau pour exercer la pêche, dans les savanes pour la chasse
etc.
141 ONANA janvier, Gouverner le désordre urbain :
Sortir de la tragique impuissance de la puissance publique au Cameroun,
L'Harmattan, 2019
chasse, cueillette, agriculture de subsistance etc.), les
autochtones s'engagent dans un mouvement de replis vers des zones
reculées du centre urbain. Pour certains, il s'agit par-là d'agir
pour joindre les deux bouts142.
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