A- Autochtone
Considéré comme objet de revendication
tantôt applaudi et exalté par les uns47, tantôt
vilipendé et réprimandé par les autres48, le concept
d'autochtone qui revêt une dimension plurivoque, occupe dans l'analyse
politique contemporaine des sociétés africaines
postindépendances, une place de choix. Et ce, d'autant plus que
l'État en Afrique49 est relativement récent. Indigène
(né aux Indes), « natif », ou plus récemment (puisque
l'expression triomphe à partir de 1946) 50 , autochtone, le concept
s'attache ici au jus sanguinis et non au jus soli. A défaut d'une
définition établit, les chercheurs en Sciences sociales,
notamment les Anthropologues, ethnologues et historiens à l'entame,
ainsi que le droit international, dans l'optique de colmater la brèche
définitionnelle, procèdent par une combinaison
critériologique d'éléments subjectifs et objectifs
d'identification.
Prenant appui sur des études anthropologiques et
ethnologiques51 c'est d'abord l'OIT qui a été la première
organisation à codifier le statut aussi bien des autochtones que des
minorités.
La Convention n°107 du 26 juin 195752 en son article 1(b) et
dispose expressément que :
« la présente Convention s'applique b) aux
membres des populations tribales et semi-tribales dans les pays
indépendants qui sont considérés comme aborigènes
du fait qu'elles descendent des populations qui habitaient le pays, ou une
région géographique à laquelle appartient le pays à
l'époque de la conquête ou de la colonisation et qui, quel que
soit leur statut juridique, mènent une vie plus conforme aux
institutions sociales, économiques et culturelles de cette époque
qu'aux institutions propres à la nation à laquelle elles
appartiennent »
Bien que les termes « aborigènes », «
tribales », ou « semi-tribales » n'aient pas été
définis par cet accord, il en découle que l'autochtonie a trait
à la descendance, a un groupe social qui existait bien avant toute
conquête ou colonisation.
La Convention n°169 de l'OIT du 27 juin 198953, se
substituant à celle n°107, distingue alors les « peuples
indigènes », i.e. autochtones, des « peuples tribaux »
qui seraient des minorités ethniques. Elle identifie en son article 1.b)
et 2 les autochtones :
« aux peuples dans les pays indépendants qui,
sont considérés comme indigènes du fait qu'ils descendent
des populations qui habitaient le pays, ou une région
géographique à laquelle appartient le pays à
l'époque de la conquête ou de la colonisation ou de
l'établissement des frontières actuelles de l'Etat, et qui, quel
que soit leur statut juridique,
19
Mémoire présenté par DIGNA DENAM
Sylvester
47 Notamment les groupes autochtones qui réclament des
droits et avantages liés à leur statut
48 En référence aux États qui y voient un
danger à considérer cette catégorie sociale comme un
peuple au regard des droits à l'autodétermination et à
celui de disposer d'eux-mêmes reconnus par le droit international
49 J. F-B, l'État en Afrique : La politique du ventre,
Fayard, 2006
50 Geneviève Koubi, De la citoyenneté, pp70
51 Charles de Lespinay, « Les concepts d'autochtone
(indigenous) et de minorité (minority) », Droit et cultures, 72 |
2016, p. 12-14
52 Convention n°107 de l'OIT du 26 juin 1957, concernant
la protection et l'intégration des populations aborigènes et
autres populations tribales et semi-tribales dans les pays indépendants,
aujourd'hui abrogée
53 Convention n°169 de l'OIT du 27 juin 1989 concernant les
peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants en
vigueur
conservent leurs institutions sociales, économiques,
culturelles et politiques propres ou certaines d'entre elles »
2) le sentiment d'appartenance indigène ou tribal,
doit être considéré comme un critère fondamental
pour déterminer les groupes auxquels s'appliquent les dispositions de la
présente convention ».
Ce sont donc des peuples qui sont fortement attachés du
point de vue de la trame historique (puisque leur existence
précède toute conquête ou colonisation), à leur
territoire (leurs ancêtres leurs ayant précédé sur
ce territoire), et qui ont conservé totalement ou partiellement, des
institutions politiques, économiques, sociales, cultuelles et
culturelles auxquelles ils s'identifient. Leurs pratiques revêtent
à notre sens, trois caractères : Notoriété,
constance, contraignante culturelle, auxquels l'on pourrait adjoindre
l'auto-identification.
La Déclaration des Nations-Unies sur le droit des
autochtones54 opte pour une caractérisation similaire que le groupe de
travail d'expert de la Commission africaine des droits de l'homme et des
peuples dans son rapport sur les populations /communautés autochtones55
mentionnent leurs modes de vie différents, leurs culture menacée,
ou leur dépendance à la terre.56 .
Toutefois, les communautés identifiées comme
peuples autochtones au Cameroun dans certaines aires géographiques du
pays, ne résisteraient pas aux cribles des études
sociohistoriques, anthropologiques et ethnologiques. Puisque selon l'ONU, les
peuples autochtones sont d'une part les éleveurs Mbororos et les
chasseurs-cueilleurs ou peuples des forêts57
La constitution camerounaise du 18 janvier 1996 prévoit
laconiquement que « l'État assure la protection des
minorités et préserve les droits des populations autochtones
conformément à la loi »
Pour Charles De Lespinay, l'autochtone est, « le membre
d'une population installé sur un territoire donné avant tous les
autres, qui a établi des relations particulières, anciennes et
toujours actuelles avec ce territoire et son environnement, et qui a des
coutumes et une culture qui lui sont propres »58
L'anthropologue Isabelle Schulte-Tenckhoff 59 pense que «
d'une manière générale, le qualificatif autochtone est
donc réservé à des populations aujourd'hui non-dominantes
du point de vue économique, politique et socioculturel (mais pas
nécessairement numérique),
20
54 DNUDPA, adoptée en 2007 par l ' Assemblée
générale des Nations Unies
55 Avis de la CADHP sur la DNUDPA pp 3-4
Mémoire présenté par DIGNA DENAM
Sylvester
56 Les peuples autochtones au Cameroun, Guide à
l'intention des professionnels des médias : BIT, Équipe d'appui
technique de l'OIT au travail décent pour l'Afrique centrale et bureau
de pays de l'OIT pour le Cameroun, l'Angola et Sao-Tomé et principe-
Genève : BIT, 2015 pp 13
57 Baka, Bakola, Bedzang...
58 Charles de Lespinay, Les concepts d'autochtones (indigenous)
et de minorités (minority), Droit et cultures, 72/2016, pp 19
59 La question des peuples autochtones, Bruxelles, Bruyland et
Paris, LGDJ (Collection « Axes Savoirs »,1997 pp 78
descendants des habitants originels d'un territoire
donné, victime de génocide, de conquête et de colonisation
»
Pierre Clastre60 pense que l'autochtone est celui qui n'a pas
une tradition d'origine. « Il a toujours été là
», sorti du sol (divinités chtonienne) ou descendu du ciel, ou
même venu de nulle part
L'autochtonie repose donc sur des « logiques
lignagères » comme le souligne le professeur Mouiche61
Le professeur James Mouangue Kobila62, au lendemain de la
très controversée affaire de la première promotion des
élèves de l'École Normale Supérieure de Maroua, y
voyait au regard des statistiques alors exigées par les élites
septentrionales du Cameroun, l'expression d'une réalité qui
s'impose dans le paysage scientifique camerounais. Pour lui, la question des
minorités se pose dans un grand nombre d'Etats, même parfois dans
des Etats qui refusent de reconnaître l'existence de leurs
minorités, la variété des situations concrètes est
telle qu'elle a jusqu'à présent empêché l'adoption
de toute définition univoque et devrait inciter à la prudence
dans les tentatives de généralisation".
De même qu'il peut exister des minorités non
autochtones, certains autochtones peuvent être des minorités.
Tout compte fait, le concept d'autochtone, dans le cadre de ce
travail, doit s'entendre comme un groupe de personnes établi de
manière permanente sur un territoire donné, et ayant en commun un
ensemble d'héritage politique, économique, socioculturel et qui,
par ce legs, s'identifie à ce groupe ou communauté.
b-) Minorité
Si le concept d'autochtone, au regard de sa difficulté
à se laisser définir était un mal, celui de
minorité en serait le pire. Et ce, d'autant plus qu'il touche
vraisemblablement non seulement, au nombre, mais également à la
notion juridique privative et exonérante, d'incapacité.
Censé a priori être moins nombreux et encore
moins mature, puisque dans « l'enfance » et ne possédant qu'un
droit résiduel puisque « mineurs » et minoritaire à la
fois, le concept de minorité est d'une ambiguïté
extraordinaire63 et a généré dans l'histoire de
l'humanité des massacres à coloration idéologiques
impulsés par des entrepreneurs politiques véreux64
Pour le Dictionnaire des sciences sociales65 une
minorité désigne, au sens large, un groupe humain englobé
dans une collectivité plus importante. La catégorie de «
minorité » est tout à
21
60 Clastre (P), Ethnocide in Encyclopaedia universalis...
61 Mouiche Ibrahim, Chefferies traditionnelles, autochtonie et
construction d'une sphère publique locale, anthropologue africain, Vol
15, Nos. 1&2, 2008
Mémoire présenté par DIGNA DENAM
Sylvester
62 James Kobila Mouangue, La protection des minorités
et des peuples autochtones au Cameroun : Entre reconnaissance interne
contrastée et consécration universelle réaffirmée "
éditions Dianoïa à Paris, 2009
63 Charles de Lespinay, op.cit.
64 Le génocide rwandais de 1994 entre hutu et tutsi et
la fuite des arméniens de Turquie pour échapper au
génocide de 1915 ou même le cas des Kurdes en Turquie, des Turcs
en Allemagne, les Lapons en Suède, les aïnou au Japon etc.
65 Jean-François Fortier, Le Dictionnaire des sciences
sociales, éditions Sciences humaines, Paris 2013, p. 223-224
fait relative, toujours susceptible de se déplacer, car
elle dépend du contexte et du point de vue emprunté. Ainsi, les
Tutsis ont été pendant des décennies une minorité
numérique au Rwanda, mais détenaient le pouvoir par rapport
à la majorité hutu. Toutes les communautés politiques
organisées se trouvent, de près ou de loin, confrontées
à la question des minorités. L'enjeu fondamental soulevé
par l'existence de minorités est celui du degré
d'hétérogénéité culturelle et sociale qu'une
nation ou une société peuvent accepter en leur sein. En amont, la
notion de minorité renvoie donc à une problématique qui
est celle de la construction sociale de l'identité collective et du
rapport à l'altérité : quelle image la collectivité
se fait-elle d'elle-même ? Comment assure-t-elle une cohésion
sociale et culturelle interne ?
Historiquement, le terme « minorités »
(employé au pluriel) a pourtant longtemps été
utilisé pour désigner plus spécifiquement un peuple
(défini en référence à l'ethnie et/ou à la
langue ou à la religion) inclus dans un État comportant une
nation dominante. Dans les sociétés antérieures à
l'État-nation, l'allusion est faite en référence à
la question du droit des minorités (notamment à
l'autodétermination) et de leur protection juridique.
La convention n°107 (1a) suscitée identifie ce
groupe aux membres des populations tribales ou semi-tribales dans les pays
indépendants, dont les conditions sociales et économiques
correspondent à un stade moins avancé que le stade atteint par
les autres secteurs de la communauté nationale et qui sont régies
totalement ou partiellement par des coutumes ou des traditions qui leurs sont
propres ou par une législation spéciale.66
Celle n°169 du 27 juin 1989 1a), l'assimile aux peuples
tribaux dans les pays indépendants qui se distinguent des autres
secteurs de la communauté nationale par leurs conditions sociales,
culturelles et économiques et, qui sont régis totalement ou
partiellement par des coutumes ou des traditions qui leurs sont propres ou par
une législation spéciale.67
De Lespinay pour qui, « il ne devrait y avoir en droit,
qu'une seule définition du minoritaire, estime qu'il s'agit du «
membre d'un groupe non dominant, attaché ou non à un territoire,
qui se distingue des groupes environnants par ses spécificités
sociales, culturelles et économiques, par la conscience d'une
identité spécifique, et qui peut-être régi ou non
par des traditions qui lui sont propres »68
Selon le Professeur Ibrahim Mouiche, les minorités sont
le plus souvent marginalisées dans les instances de décision
politiques et économiques et, subissent des discriminations relatives
à leur sol et/ou culture69
Le terme d'autochtone minoritaire employé dans le cadre
de ce travail, renvoie donc à un groupe de personnes ayant en commun des
traits politiques, économiques, sociaux, et culturels, et qui est
établi de manière permanente sur un territoire donné et
dont la contribution dans le système sociopolitique, économique
et/ou culturel revêt un caractère marginal.
22
Mémoire présenté par DIGNA DENAM
Sylvester
66 Op.cit.
67 Op.cit.
68 De Lespinay Autochtone et droit foncier en Afrique noire,
Le courrier ACP-UE, Dossier sur les peuples autochtones, Janvier-février
1999, n°173 pp 40-42
69 Mouche (I), Chefferies traditionnelles, autochtonie et
construction d'une sphère publique locale au Cameroun, L'anthropologue
africain vol. 15 1&2, 2008
b-) urbanisation
Phénomène social en pleine effervescence au sein
des sociétés politiques contemporaines, l'artificialisation des
villes (villages), revêt depuis plusieurs décennies
déjà, une dimension « planétaire », et touche
aussi bien les États du Nord que ceux du Sud.
Pour Julien Damon70, « l'urbanisation est une dynamique
disparate. Elle englobe autant l'étalement urbain pour les classes
moyennes ou favorisées que l'augmentation de la densité dans les
tours gigantesques ou le développement à d'immenses
échelles de taudis ». Cette définition laisse
aisément transparaître le dilemme urbain visible dans les zones
urbaines. Celle-ci étant appréhendée suivant divers
critères selon les pays dont : la densité de la population, la
structure de l'agglomération, des repères administratifs. Les
Nations Unies, semble privilégier des éléments
démographiques et administratifs71
« Le secteur urbain est
formé par l'ensemble des chefs-lieux administratifs (province,
département, arrondissement, district) auxquels on a ajouté
quelques agglomérations abritant une population d'au moins 5.000
habitants et comportant des
équipements de caractère urbain (hôpital,
gare, collèges).
Une telle définition vise à faciliter les
possibilités de comparaison futures en ce sens que bon nombre de
localité à fonction administrative, sans être à
proprement parler des villes à l'heure actuelle, sont en fait des villes
potentielles. Cependant, il est clair qu'une étude précise de
l'urbanisation actuelle au Cameroun demanderait à mettre à part
un certain nombre de localités à caractère rural
marqué et à faible population, comptés dans le secteur
urbain.
Le second problème touchant à la
définition de la ville concerne la définition géographique
de chacune d'elles. Celle-ci a été effectuée lors des
opérations cartographiques dans le cadre de la préparation du
recensement. Le problème de la délimitation recouvre deux aspects
: celui de I `étude de chaque ville confrontée
à son espace rural environnant. »72
En clair, le statut d'autochtone minoritaire attribué
aux Gbaya dans le cadre de cette étude, augure éloquemment un
« retournement du monde »73, un changement brusque et
paradoxal de situation. Et ce justifie par trois raisons : D'abord, avec le
changement de l'environnement social marqué par le flux des refugies
centrafricains, notamment dans certaines zones à Meiganga, Djohong et
Ngaoui, Garoua-Boulai ; Kette et Bombe ou le nombre total des réfugies
atteint 249 00074 personnes dont 88% issu de l'ethnie Mbororo, en
majorité musulmans et de tradition nomade, 12% constitué des
Pana, Kako, Yakoma, Gbako, Gbaya et autres75 l'on constate que la
population autochtone Gbaya est désormais subsumée par le flop
des refugies76 avec plus de 70% constitué des peulhs venus de
la République centrafricaine. Ensuite, avec la
23
70 On l'urbanisation : bienfaits ou fléau Op.cit.
71 En Islandes, est urbaine une localité de plus de 200
habitants... En Autriche, ce sont les communes de plus de 5 000 habitants. Au
Pakistan sont urbaines les zones dotées d'un conseil municipal. D'autres
mesures combinent les critères. C'est le cas en France, où la
définition des « villes et agglomérations » associe
taille de la commune (minimum de 2 000 habitants) et continuité de
l'habitat (moins de 200 mètres de séparation entre deux
habitations successives). C'est le cas au Botswana, où une
agglomération est classée urbaine lorsqu'elle compte au moins 5
000 habitants et lorsque moins de 25 % de l'activité économique
relève du secteur agricole.
72Gubry (P) et Tayo (J), Les conséquences
démographiques de l'urbanisation au Cameroun, p.130
73 Au sens de Bertrand BADIE et Marie
Claude-Smouts,
74 UNHCR 2017
75 Rapport UNHCR ; 2012
76 Dans l'arrondissement de Djohong par exemple, le
seul site de Borgop enregistre 11852 personnes réfugiés contre
seulement 2119 populations hotes
Mémoire présenté par DIGNA DENAM
Sylvester
sédentarisation77 de ceux-ci, le risque
d'une marginalisation susceptible de découler des conflits fonciers et
de la congruence des activités économiques (puisque pratiquant
désormais les mêmes activités avec les nationaux et
même parfois avec des outils plus adaptes, puisque
bénéficiant du statut des ONG) apparait comme une menace aux yeux
des autochtones. Enfin, l'activation à géométrie variable
de l'aide multiforme aux réfugies tout
particulièrement78, semble accentuer l'écart des
conditions sociales entre les populations autochtones, hôtes et les
refugies dans le département du Mbéré, lésant donc
de fait cette dernière catégorie sociale. Dans un contexte
où la plupart des réfugies refusent
délibérément de retourner dans leur pays d'origine, leur
reconversion politique sonnerait le glas du « seul » monopole
politique encore détenu par les nationaux, et a fortiori les autochtones
dans cette zone79.
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