Les autochtones minoritaires et la dynamique d'urbanisation au Cameroun: l'expérience du département du Mbéré dans la région de l'Adamaoua (Cameroun)par Sylvester DIGNA DENAM Université de Ngaoundéré - Master II en Science Politique 2018 |
SECTION I : LA CONSTRUCTION DE L'OBJET DE LA RECHERCHEL'édification d'un objet d'étude constitue une étape préalable à toute recherche scientifique. Il convient d'abord de présenter le contexte du sujet (A), ensuite nous allons procéder à la 14 12 Engelbert Mveng, Histoire du Cameroun, Tome II, 1985 13 GL. Aymerich cité par Mveng Op.cit. Pp 93-94 Mémoire présenté par DIGNA DENAM Sylvester 14 Expression de Thierry Sanjouan et Étienne Monin qui dans cette étude renvoie concrètement au phénomène du découpage administratif des communes et/ou département en d'autres circonscriptions territoriales, et donc en zone urbaine si l'on s'appuie sur le critère administratif de définition de la ville 16 www.statistics-cameroun.org>news 17 Cette qualification tient au fait que plusieurs fleuves du pays s'y abreuvent 18 Balancier (G), Conséquence sociale de l'industrialisation et ses problèmes en Afrique, Paris, 1964 délimitation de notre cadre d'étude (B) avant d'évoquer succinctement enfin, l'intérêt de ce travail (C). 1. PRÉSENTATION DU CONTEXTE DU SUJET Le processus inéluctable de métamorphose urbaine dans la région de l'Adamaoua, la question de la gestion de la diversité et la nécessité d'une stratégie de planification urbaine constituent somme toute, des préoccupations nouvelles. Cette tendance contemporaine d' « implosion et d'explosion » des zones urbaines semble, dans une approche causale, imputable à une série d'événements d'ordre naturel et conjoncturel. Dès son accession à l'indépendance en 1960, la population du Cameroun est estimée à environ 2 600 000 habitants19. Cette situation démographique va suivre une trajectoire ascendante puisque la population camerounaise est aujourd'hui estimée à 24 millions environ. Le Mbéré quand à lui, dispose d'une population estimée en 2013 à 214 111 habitants20. La forte croissance urbaine à laquelle elle est assujettie est de prime abord due à l'accroissement naturel, la migration vers les villes et le reclassement des zones précédemment rurales en zones urbaine21. Secundo, l'étalement pluriforme des zones urbaines dans la région de l'Adamaoua et, tout spécialement dans le Mbéré, semble être lié à une situation conjoncturelle. Pour reprendre PASCAL Boniface et Hubert VEDRINE dans leur Atlas d'un monde global22 nous vivons dans un monde fortement marqué par de bouleversements de tout ordre et d'origines divers. Il n'est d'ailleurs pas étonnant de lire sous la plume de certains auteurs, que « l'Afrique est réputée en crise »23 , bien qu'en réalité, les crises ne soient l'apanage des sociétés africaines. Dans cette perspective, les troubles sociopolitiques postindépendances en République Centrafricaine ont partiellement conduit à une hausse de la population locale. En effet, Depuis le renversement du roi Fârûq par l'armée égyptienne en 1952, les coups d'État militaires se sont multipliés en Afrique -- au Soudan (1958), au Zaïre (1965), au Dahomey (actuel Bénin) (décembre 1965), en République centrafricaine (janvier 1966), au Nigéria (janvier 1966), au Ghana (février 1966) ; en Éthiopie, en 1974, l'empereur Hailé Sélassié était dépossédé du pouvoir puis déposé ; Moktar Ould Daddah subissait le même sort en Mauritanie en 1978. Un peu plus tard, il y eut des coups d'État au Ghana (décembre 1981), au Nigéria (décembre 1983) et en Mauritanie (1984), si bien qu'au milieu des années 80, l'Afrique avait connu plus de 70 coups d'État militaires24 De Jean Bedel Bokassa25à Michel Djotodia26 en passant par François Bozizé, la récurrence des coups d'État comme mode de dévolution du pouvoir par excellence en République Centrafricaine, nous semble-t-il, accroît exponentiellement le nombre de déplacement des personnes qui, n'hésitent pas de prendre le Cameroun pour exutoire. Nonobstant les 15 19 www.statistics-cameroun.org>news 20 Estimation issue du III Recensement General de la population de 2005 21 Julien Damon, L'Urbanisation mondiale : bienfait ou fléau ? 22 Pascal Boniface et Hubert Védrine, Atlas du monde global, Armand Colin/Fayard 2008 Mémoire présenté par DIGNA DENAM Sylvester 23 Bayart (J.F), Ellis (S) et Hibou (B), « De l'Etat Kleptocrate à l'Etat malfaiteur », in La criminalisation de l'Etat en Afrique, Editions Complexe, 1997, P.17 24 MAZRUI (A.A) ; WONDJI (C), Histoire générale de l'Afrique, Tome VIII, Unesco, 1998, P. 481 25 Le 1er Coup d'Etat en RCA a eu lieu le 31/12/1965 26 Le 23 mars 2013 suite à l'offensive de la Seleka soutenue par les mercenaires tchadiens et soudanais conventions internationales relatives aux réfugiés 27, le Cameroun(Mbéré), du fait de sa proximité géographique avec la RCA, constitue de fait, le champ de prédilection des réfugiés dont la présence impacte le taux démographique28. Un recensement du HCR en 200929 indique qu'ils sont installés dans 33 sites ou villages de l'Adamaoua pour une estimation totale d'environ 80 711 personnes pour 16072 ménages dont 43% dans la région de l'Adamaoua et 57% à l'Est. 2. DELIMITATION DU CHAMP D'INVESTIGATION La Science peut être assimilée à un vaste champ d'étude recouvrant des réalités différentes, dans des cadres variés, où il n'est pas possible même dans une démarche comparative30 de saisir un phénomène étudié dans sa totalité absolue. Ainsi, la restriction de son champ d'investigation, loin de constituer une stratégie d'évitement devant une réalité sociale donnée, répond à une exigence scientifique. Puisque « toute démarche scientifique procède fatalement par un découpage de la réalité, il n'est pas possible d'étudier toute à la fois ou des extrêmes limites de la terre et jusqu'au début du temps »31. Ainsi, le département du Mbéré dans la région de l'Adamaoua au Cameroun, servira de cadre de référence à notre étude. Cette délimitation procède du fait qu'au-delà delà des coûts financiers qu'implique toute recherche scientifique, il convient de préciser à la suite de CLAUDE LEFORT(1996), que les sciences sociales sont intimement liées avec l'idéologie ; que comme Durkheim, Marx, Pareto..., l'on est jamais que le sociologue de son temps ; que l'on ne parle jamais que d'un « lieu » dont on est, par la force des choses, porteur de tout ou partie des servitudes (Certau)32 Érigé en département à la suite de l'éclatement en 1983 de l'ancien département de l'Adamaoua33, le Mbéré tire son nom du cours d'eau du même nom, affluent du Logone donné par des ancêtres Gbaya qui habitaient au bord de l'étang et qui vivaient de la pêche, la chasse et la cueillette34. Il est administrativement structuré en quatre communes et arrondissement du 16 27 Notamment la Convention de Genève de 1951 relative au statut des refugies 28 Nombre des réfugiés estimé à 80 711 personnes en 2009 29 Rapport du HCR en 2009 30 Hermet (G) et Badie (B), La politique comparée, Paris, PUF, 2000 Mémoire présenté par DIGNA DENAM Sylvester 31 Kuyunsa (B), et Shomba (K), Initiation aux Méthodes de recherches en Science Sociales, Kinshasa, PUZ, 1995, P. 39 32 Cité par Onana (J), Leçons sur les changements politiques en Afrique subsaharienne : Regard croisé sur le Cameroun, Édition Harmattan, 2016 p. 15 33 Décret n°83/392 du 22 août 1983 portant création de nouveaux départements et arrondissements au Cameroun 34 Entretien réalisé le 04/06/2019 AVEC kOUNANG Paul à Djohong. Aussi, lire Parlons Gbaya, de Paulette Roulon-Doko même nom35 : Meiganga36, Ngaoui37, Dir38, et Djohong39, chacun, comprenant des villages organisés autour des chefferies traditionnelles40. Avec une population estimée à 214 111 habitants41 ( tableau d'évolution démographique) et établie inégalement sur une superficie totale de 14 267 km2, cette zone de haute savane ayant une pluviométrie de 1200 à 1400 mm par an42 et qui alterne tradition et modernité, regorge une mosaïque ethnico-culturelle43 qui s'organise principalement autour de l'agriculture de subsistance ( cultures du manioc ou gueda, l'arachide, le maïs, la patate et l'igname adossée à une faiblesse technique et technologique qui fait d'elle, une agriculture d'autoconsommation) et l'élevage. La pêche et l'exploitation minière artisanale, draine aussi les populations. En outre, relié à d'autres régions du pays notamment par sa situation sur la route nationale n°1, la position carrefour du département du Mbéré, lui permet d'échanger avec certains États comme le Nigeria ou la RCA. Le Mbéré, réputé pour son apiculture et son parc national de la vallée, abrite aussi deux marchés à bétail d'envergure internationale à Ngaoui et Gbatoua-Kodolé Les résistances à l'invasion coloniale allemande et la conquête islamique d'Ousman Dan Fodio, en même temps qu'elles aient participé à la consolidation timide de l'animisme au sein de la population autochtone Gbaya44, ont aménagé un terrain fertile à la floraison du Christianisme dans le territoire (photo des églises construites par les premiers missionnaires). A côté donc du Christianisme, principale religion pratiquée par les Gbaya, qui constituent le groupe ethnique prédominant en terme numérique, l'on relève l'islam et l'animisme. Toutefois, dans le cadre de ce travail, nous allons nous appesantir à l'étude des zones à forte croissance urbaine. Notamment, Meiganga, Djohong et Ngaoui. 3. INTÉRÊT DE L'ETUDE 35 Meiganga, Djohong, Dir, Ngaoui 17 36 Erigée en unité administrative en 1927 par l'administration française exerçant sous mandat de la SDN, la création de la commune de Meiganga intervient en 1960 après l'indépendance du Cameroun. Elle est limitée au Nord et au Nord-est par les arrondissements de Nyambaka, de Belel et de Djohong, à l'Est par l'arrondissement de Ngaoui et la RCA, au Sud-Est par l'arrondissement de Garoua Boulai, au Sud-ouest par l'arrondissement de Betare-Oya dans la région de l'Est, et à l'ouest par l'arrondissement de Dir. Chef-lieu du département du Mbéré qui tire son nom d'une rivière de la localité et affluent du Logone, la commune de Meiganga compte un canton de premier degré et deux cantons de deuxième degré (Lokoti et Mboula en l'occurrence). Elle compte environ 72 villages. Sa population totale est estimée à 130 000 personnes avec près de 60 000 vivant en campagne 37 La commune de Ngaoui (montagne de la femme en Mboum et Montagne de l'eau en Mbéré) est située dans le Nord-est du département du Mbéré, est limitée au Nord-ouest par l'arrondissement de Djohong, à l'Est par la RCA, au Sud et Sud-est par l'arrondissement de Meiganga. Elle a été créée par décret présidentiel n° 95/085 du 25 avril 1995. En 2005, sa population était estimée à 24 196 personnes suivant le «3e RGPH, soit 12 831 personnes résidant dans la zone urbaine et 11 365 dans la zone rurale. Celle-ci est formée de 28 villages 38 Avec une population estimée en 2005 à 34 284 habitants dont 5 148 pour Dir ville, la commune de Dir est limitée à l'Est, à l'Ouest, au Nord et au Sud respectivement par Meiganga, Ngaoundal, Nyambaka, et Betare-Oya 39 Créée en 1992 par décret présidentiel n°92/127 du 26 aout 1992 sur une superficie de 2653 km2, la commune de Djohong est limitée au Nord par la commune de Touboro, au Nord-ouest par la commune de Belel, à l'Ouest et au Sud-ouest par la commune de Meiganga, au Sud par la commune de Ngaoui et la RCA, à l'Est par l RCA. Cette commune est arrosée par deux principaux cours d'eau, le Mbéré et Ngou. Ce dernier se jette dans le Mbéré au niveau de Yamba. Suivant les résultats du recensement général de la population de novembre 2005, sa population est estimée 20 300 habitants répartis sur 53 villages et 16 quartiers 40 Dictionnaire des villages de l'Adamaoua, Division des études géographiques, 1974 Mémoire présenté par DIGNA DENAM Sylvester 41 Minepat, 2013 un Rapport supra 42 Rapport d'évaluation SANME dans le département du Mbéré, Première Urgence, 2015 43 Gbaya, Haoussa et Foulani, Bororos, Mboum, Arabes choa, Bamileke, Beti, Bamoun etc. 44 Ceux-ci puisant essence dans le culte et la tradition ancestrale (Zôôm-Dââ) pour donner sens à leur bataille de préservation de leur identité culturelle lors de la bataille de Kongô-wara menée par le leader Karnou en 1929 par exemple Pour Jean-Michel Berthelot dans son propos liminaire45 « il est toujours délicat de justifier la parution d'un nouvel ouvrage. Les bonnes raisons de l'auteur ne sont pas forcément celles des lecteurs. L'auteur d'un ouvrage scientifique ne vise pas d'abord à satisfaire l'attente d'un public, mais à proposer une réponse à une question. Évidemment, cette formulation est un raccourci. Mais l'auteur postule que, dans le domaine du savoir où s'exerce sa compétence, existent des problèmes non résolus, mal clarifiés ou mal posés qu'il peut par sa réflexion théorique ou ses recherches empiriques, contribuer à éclairer. Naïvement peut-être, il postule également que cette entreprise intellectuelle est susceptible d'intéresser ceux qui sont amenés à se frotter à ces problèmes, qu'ils soient chercheurs, étudiants ». Cette assertion soulève pertinemment la question de l'intérêt d'une étude scientifique. Certes, les problématiques de l'urbanisation et celles des minorités autochtones, ont de manière disparate, fait l'objet d'une abondante littérature. Mais il sied de relever que très peu de chercheurs ont essayé de saisir les logiques concrètes du lien que le premier phénomène entretien avec le ou les seconds. Plus modestement, notre ambition est de saisir et de comprendre l'impact de la dynamique d'urbanisation spectaculaire au Cameroun et plus précisément dans le département du Mbéré sur les autochtones. Poursuivre la piste de réflexion encore évanescente dans l'analyse des politiques d'aménagement du territoire, nous a semblé opportun. En outre, les propositions qui en ont découlé (de ce travail), méritent à notre humble avis, de s'inscrire dans une perspective praxéologique, notamment pour une implémentation de la part des autorités publiques en vue de prévenir ou d'anticiper sur d'éventuels conflits susceptibles d'émerger du fait des inégalités engendrées par le dilemme urbain. SECTION II : CLARIFICATION CONCEPTUELLE ET REVUE DE LA LITTÉRATURE Pareille analyse sur la dynamique d'urbanisation et les minorités autochtones, pour être bénéfique et édifiante, mérite une clarification des notions de base(A) avant le passage en revue de la littérature qui a soutenu ce travail (B). A- CLARIFICATION CONCEPTUELLELa spécificité d'un travail de recherche réside dans la rigueur méthodologique dont elle est astreinte en tant que exercice scientifique. L'exigence préalable d'une définition (qui fasse ou non l'objet d'unanimité) en constitue l'épine dorsale puisqu'elle est partagée aussi bien par les classiques (Platon, Hérodote, Aristote...) que les auteurs contemporains des sciences sociales dont l'une des figures éminemment pionnière, est Émile Durkheim pour qui, « la première démarche du sociologue, doit donc être de définir les choses dont il traite, afin que l'on sache et qu'il sache bien de quoi il est question »46. Ainsi donc, à quoi renvoient les concepts d'autochtone, de minorité et urbanisation ? 18 Mémoire présenté par DIGNA DENAM Sylvester 45 Berthelot (J-M), Épistémologie des Sciences sociales, Quadridge, PUF, Paris, 2012 pp 3 46 Durkheim (E), Les règles de la méthode scientifique, PUF, 1988, pp 34 |
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