CONCLUSION GÉNÉRALE
En définitive, la satire sociale accorde un sursis
indéniable au picaresque. L'expression de la pérennité de
ce genre dans les oeuvres actuelles contribue à poser un regard
subversif sur la société. Notre mémoire s'est
disposé, tout compte fait, à repenser le picaresque à
travers un corpus composé de deux textes romanesques à l'instar
de L'histoire de Gil Blas de Santillane d'Alain-René Lesage et
Onitsha de Jean-Marie Gustave Le Clézio. De ce fait, notre
analyse s'est avéré être centralisée sur le
problème du picaresque dans notre corpus. Sur quels ressorts ce genre se
fonde-t-il pour représenter la marginalité ? Dans quelles mesures
peut-on parler de modalités picaresques ? A partir de quelles
données, peut-on affirmer que ce genre réécrire les
mentalités d'une civilisation ? Toutefois, quelques hypothèses
nous ont permis d'asseoir notre travail en littérature en lui donnant
une orientation concrète et définitive. Le picaresque est en
effet un genre de nature marxiste représentant la marginalité. Le
caractère satirique de son écriture permet au picaresque de
s'inscrit dans l'atemporalité et par conséquent, il devient une
esthétique permettant de réécrire une civilisation
donnée.
Ceci dit, pour marquer la faisabilité des
différentes hypothèses citées ci-dessus, nous avons
centré prioritairement notre travail sur une double approche
théorique. Nous avons d'abord insisté sur la
transgénéricité, mis en lumière par Dominique
Moncond'huy et Henri Scepi, pour montrer comment le picaresque se
pérennise dans l'oeuvre littéraire à travers le
phénomène de changement, d'évolution et d'adaptation d'un
genre. Ensuite, nous nous sommes également focalisés sur la
critique sociologique, plus précisément le structuralisme
génétique de Lucien Goldman, pour mettre en relief le fait que
nos textes du corpus sont en effet le produit imaginé correspondant
à une structure mentale d'un groupe social donné.
C'est-à-dire qu'effectivement, ces textes sont en réalité
le reflet d'une conscience collective.
Cependant, nous nous sommes permis d'asseoir notre travail sur
trois principaux axes au regard des approches théoriques et
méthodologiques retenues. Le premier axe s'est attelé à
démontrer comment l'écriture du social organise le discours
picaresque. À cet effet, l'accent est mis sur l'univers social qui se
manifeste dans notre corpus. À travers les différents strates
lexicaux et sémantiques exprimant, bien entendu, une coloration
affective, voire un reflet de la conscience collective et mettant en relief un
ensemble de schèmes transgénériques, les fondamentaux
stylistiques et de sémantiques qui agencent nos récits sont
à découvert.
Ceci dit, le deuxième axe a insisté sur les
différentes modalités du picaresque, tous les
éléments qui modèlent sa structure, sa forme. En insistant
sur la structuration du récit -
Page 121
insistance portée sur son personnage principal - et les
formes de satire considérées respectivement comme étant la
matière et le langage picaresque, nous avons pu démontrer
qu'effectivement les textes de notre corpus s'avèrent mettre en relief
un motif picaresque indéniable. Ceci explique sa pérennité
dans la littérature française.
De ce qui précède, le troisième axe s'est
penché sur le picaresque comme étant l'expression d'une autre
histoire des mentalités. Ainsi nous avons voulu insister sur la valeur
du picaresque pris comme marqueur d'une civilisation, plus
précisément la civilisation française. Par le biais de la
satire, nous nous sommes permis de montrer comment le picaresque sert à
déconstruire les croyances des peuples. De ce fait, le picaresque se
transmue en idéologie et se revendique être l'expression de la
liberté du bas peuple. Dans les textes, le bas social est dans
une position marginale, subit de ce fait, toutes les décisions de ceux
considérés comme la haute classe ou la classe du pouvoir de
décision. Ainsi à partir d'un langage commun, celui de faire une
critique virulente, les deux textes deviennent le symbole d'une revendication
collective puisqu'en fin de compte comme l'affirme Jacques Guilhaumou (2012)
les individus sont appelés à se mouvoir et « tiennent en
commun des notions propres à mettre en place les pièces d'une
infrastructure mentale nécessaire à leur adhésion à
l'ordre social » (34). Cette revendication collective se substitue en
identité collective puisqu'elle essaye de mettre en exergue l'essence
même de l'écriture des deux auteurs. Ici les textes du corpus ont
pour dessein premier de dévoiler, à partir d'une structure
intertextuelle, la misère sociétale engendrée par la
création des classes sociales et les conflits y découlant.
Ceci étant, nous arrivons au résultat de notre
travail. Le caractère atemporel du picaresque dans la littérature
actuelle s'érige à travers l'expression de la marginalité
de son héros. Cette marginalité prend effet à partir d'une
modalité majeure qui organise exclusivement son récit ; il s'agit
bien entendu de la satire sociale. Celle-ci semble l'arme légitime pour
faire une critique acerbe des moeurs dans le picaresque. Cela se confirme, tout
compte fait, avec les dires de Maurice Molho (1968) lorsqu'il affirme que :
Si l'on impose au lecteur le personnage d'un picaro, si on
l'oblige à voir le monde à travers un regard aussi vil, si, en un
mot, on le contraint de partager l'expérience et la pensée d'un
être quasiment infrahumain, c'est à seule fin de lui
présenter l'humanité - son humanité - sous un
éclairage dépréciatif. [...] Le picaro met l'homme en
présence de tout ce que sa condition comporte de négatif, afin de
dessiller ses yeux et de démasquer les contrevérités
faussement rassurantes qui sont l'habitude de la pensée. (XI, XII)
Page 122
Au regard de cet extrait, le picaresque s'implante
effectivement dans une société de drames, « mal en partie
». cette-dernière représente sa portée
idéologique dans la mesure où le picaresque apparaît ainsi
comme « une arme de lutte sociale et politique, un débat
fondamental sur les phénomènes du racisme, de la dictature et de
la guerre » (Bodo, 2005 :22) Par conséquent, le picaresque se
revendique une esthétique atemporelle, transgénérique.
Dans ce cas, elle est reflet d'une conscience collective traduisant une fois de
plus un univers imaginaire. On note donc une sorte une renaissance du
picaresque aussi présente chez Lesage et chez Le Clézio ; mais
qui tout de même, garde un contact inconscient avec l'archétype
espagnol. Ceci dit, Onitsha s'identifie sans prétention
à L'histoire de Gil Blas de Santillane. Ayant des
similarités génériques visibles, ces ouvrages s'organisent
autour d'une même vision du monde. Ces écrivains éprouvent
sans doute une sensibilité indéniable face aux injustices
orchestrées par la division des classes. Cette sensation couplée
et vouée au goût de la critique morale et de la revendication des
humanités se transmue sous la plume des écrivains français
de génération en génération. Ainsi, Lesage et Le
Clézio : deux univers, deux mondes, deux siècles
différents, une même soif, se lisent, d'un point de vue
générique, l'un dans l'autre. On remarque certainement qu'ici, le
picaresque se pérennise dans la littérature française et
organise les récits des auteurs de différentes époques.
Au regard de ce qui est dit, on parlera d'abord de «
picaricature » pour exprimer une mentalité lié au genre et
enfin de « picarisme » car, partant d'une approche à la fois
anhistorique et transhistorique, l'esthétique picaresque devient
universelle et se revendique être une façon littéraire de
concevoir le monde. Son action est mise au service de la société,
en ce sens qu'elle doit non seulement arborer le malheur comme étant le
lot de l'humanité mais également démontrer comment le
picaro survit aux souffrances, aux vives misères, aux injustices
orchestrées par les idéologies dominantes. Ceci dit, à
partir de ce procès marxiste sur la société, le picaresque
se pose doublement, comme une attitude et une écriture de
réaction contre toute souffrance, toute injustice : d'où
l'expression de sa permanence et de son universalité.
Cependant, à partir des résultats
découlant de notre démonstration, nous arrivons à soulever
une nouvelle question, celle de savoir si l'esthétique picaresque peut,
du fait de sa littérarité, être considérée
comme un symbole de liberté et d'espoir pour le bas social.
Page 123
|