INTRODUCTION GENERALE
1
La concrétisation d'un processus stable de
développement socio-économique est un objectif pour tous les
pays. Face à un tel défi, les pays d'Afrique de la zone franc ont
longtemps poursuivi le processus d'intégration régionale pour
compléter et renforcer les politiques mises en place au niveau
national et multilatéral pour un développement harmonieux. C'est
dans ce contexte que huit (08) pays de l'Afrique de l'Ouest ont exprimé
leur volonté de donner une impulsion nouvelle et décisive par une
harmonisation accrue des politiques et des législations, à
travers la création d'une Union Économique et Monétaire
Ouest Africaine (UEMOA). Cette forme d'intégration débouche sur
un arrangement des politiques macroéconomiques qui, au-delà de
ses avantages et coûts, soulève quelques préoccupations
majeures.
En effet, au sein d'un tel espace, la politique
budgétaire demeure spécifique à chaque Etat membre. Les
avantages de ce type d'arrangement sont multiples sur le plan théorique.
Ils ont trait à la facilitation du commerce intra-communautaire pour
Rose et Engel, (2002) à la réduction du taux d'inflation des pays
membres selon Alesina et Barro, (2002), à la baisse des taux
d'intérêt et à l'accroissement de l'investissement
débouchant sur une croissance économique plus rapide
d'après De Grauwe, (2000). Pourtant, ces avantages théoriques
s'accompagnent de coûts en termes de flexibilité de la politique
macroéconomique pour les pays. Ces derniers ne peuvent plus recourir
à la politique monétaire pour stabiliser les cycles
économiques. Une telle architecture soulève alors un certain
nombre de préoccupations, dont celle liée à la
stabilisation des chocs asymétriques pouvant toucher les Etats. Selon
Zumer (1998), « le choc défini comme toute perturbation
affectant une économie donnée, est dit asymétrique dans un
contexte d'union monétaire, s'il ne frappe qu'un seul pays, quelques
pays ou même l'ensemble des pays de l'union, mais dans des proportions
différentes ». Ces chocs sont le grand problème des
unions monétaires et ne peuvent faire l'objet d'une réponse
commune. Si la politique monétaire est efficace pour l'économie
en cas de chocs symétriques, elle devient inefficace cependant aux chocs
asymétriques. Alors, la stabilisation doit passer par d'autres
politiques économiques, Guillaumin (2007).Dans un tel contexte, la
politique budgétaire retrouve un regain d'importance. Elle reste le seul
moyen à la disposition des pouvoirs publics pour faire face aux chocs
asymétriques conjoncturels, pouvant menacer la viabilité d'une
union monétaire, Schalck (2006). Au sein d'un espace
intégré, l'instauration d'un mode d'organisation institutionnelle
des fonctions budgétaires pour discipliner les politiques nationales et
les rendre compatibles avec le renforcement de la monnaie commune, trouve toute
sa légitimité, Oros et Turcu, (2008) ; Echinard et Laurent
(2010). De facto, l'on a toujours supposé que les pays en union
monétaire présentent des économies structurellement
identiques. Pourtant, des théories de Mundell et Fleming à ce
jour, aucune union n'est fondée sur des économies
homogènes ; malgré la volonté manifeste des gouvernements.
Le vrai constat est que les économies sont
hétérogènes. En effet, il y a des différences entre
pays en ce qui concerne les comportements, les structures économiques et
les préférences des agents. Parfois même, les politiques
discrétionnaires nationales sont susceptibles de renforcer
l'hétérogénéité ; puisque les règles
budgétaires (Pacte de stabilité) sont peu respectées.
Face à la recrudescence des chocs asymétriques,
l'instrument budgétaire est souvent utilisé comme une
réponse. Cela a des conséquences positives ou négatives
sur le niveau de l'activité économique de l'union. Ces
conséquences connues sous le nom « effets de débordement
» en français ou « spill-overs » en anglais, continuent
d'alimenter les débats ; à la recherche de solutions optimales
pour les unions monétaires. Ce recours excessif à l'instrument
budgétaire amplifie le niveau de déficits et d'endettements
publics au sein des unions monétaires. Ce qui remet au goût du
jour la question de l'efficacité de la politique budgétaire,
Engone (2005).
La résurgence des réflexions sur la
politique budgétaire1 dans les unions
monétaires fait l'objet de vives discussions. Ces
débats portent entre autres sur
1 Selon A. BENASSY (1990), la politique
budgétaire est un instrument de politique économique qui
consiste
à utiliser le budget de l'Etat pour atteindre certains
objectifs, tels que : la croissance économique, le plein
les effets de débordement budgétaires et les
canaux de transmission. En effet, dans une union monétaire, une
politique budgétaire d'un pays donné transite par des canaux pour
affecter les comportements des agents économiques d'autres pays,
Bénassy-Quéré et Cimadomo, (2006). Par canaux de
transmission, on attend les voies par lesquelles une décision de
politique économique (budgétaire ou monétaire) dans un
pays affecte l'économie d'un autre pays (Wyplosz, 2002). Ces impacts
sont des externalités connues sous le nom d'effets de
débordement. Ils caractérisent les effets voulus et
attendus2, engendrés par une décision de politiques
budgétaires d'un pays membre, et qui peut avoir des répercussions
positives ou négatives sur l'activité économique du pays
en question et sur ces partenaires commerciaux. (Biales, 2010 ; Schalck et
Benassy,
2007). La connaissance des mécanismes de transmission
d'une politique budgétaire permet aux décideurs de surveiller
correctement l'état de l'économie et de prendre les
décisions appropriées. À contrario, la
méconnaissance des mécanismes de transmission peut avoir des
conséquences : réactions cycliques ou contra- cycliques dans les
économies, (Angeloni et al, 2003).
Toutefois, les économistes ne s'accordent pas trop sur
les effets des politiques budgétaires. La théorie
keynésienne stipule que la politique budgétaire peut stimuler la
demande globale et relancer une économie stagnante. Ainsi, les
politiques budgétaires produisent des effets positifs sur
l'économie d'un pays par le mécanisme du multiplicateur
keynésien puisque les dépenses publiques représentent
une composante de la demande globale au même titre que la
consommation, l'investissement et les exportations. Celles-ci
produisent grâce au
emploi et la réduction de la pauvreté. Pour R.A
MUSGRAVE (1959), la politique budgétaire se définit aussi comme
l'ensemble des instruments dont dispose un gouvernement pour influer sur
l'activité économique, ce qui lui permet d'assurer les fonctions
de stabilisation, d'allocation et de redistribution.
2Augmentation du revenu ; accroissement des
exportations ; accroissement des importations ; hausse de la production des
entreprises ; hausse des taux d'intérêt ; hausse des prix ;
détérioration de la balance courante ; perte de
compétitivité de l'économie ; hausse de
l'endettementmécanisme du multiplicateur, un accroissement important de
la production nationale, Keynes (1936).
Dans la théorie néo-fonctionnaliste, Haas (1958)
a mis l'accent sur la notion d'engrenage ou « spillover » dans les
communautés européennes. Il trouve sans équivoque une
forme de déterminisme économique ; puisque la décision
prise par les gouvernements européens de placer un secteur
économique donné sous l'autorité d'institutions
supranationales, a créé inévitablement, une pression
favorable à l'extension de l'autorité de ces institutions
à d'autres secteurs voisins.
La théorie de la Nouvelle Économie Classique
(NEC) dont les auteurs (Lucas, Sargent, Wallace et al, 1970), montre que la
politique budgétaire de stabilisation n'a aucun effet favorable sur
l'activité économique ; puisque les gouvernements utiliseraient
la politique budgétaire à mauvais escient, à des fins
électoralistes et non à des fins de régulation ; les
déficits publics seraient généralement trop
élevés, conduisant à une forte accumulation de dette
publique. Par ailleurs, les déficits publics seraient nuisibles en
entrainant une hausse des taux d'intérêt, une baisse de la demande
privée (puisque les agents anticipent les impôts qu'ils devront
payer demain) et une baisse de l'offre (en raison de l'anticipation des effets
néfastes des impôts futurs). Barro (1974) aborde dans le
même sens à partir du principe « d'équivalence
ricardienne3» pour lequel, un déficit budgétaire
n'a pas l'effet attendu sur la demande car les individus anticipent une
augmentation future des impôts afin que l'État rembourse sa dette.
Ils réduisent donc leur consommation et augmentent leur épargne
pour payer les impôts futurs. Aussi, Kydland et Prescott (1977) ont
analysé le problème de l'incohérence dans le temps des
décisions des pouvoirs publics. Ils démontrent que les
politiques publiques mises en oeuvre par les pouvoirs publics
sont incapables de
3 Selon ce théorème, il y aurait,
sous certaines conditions, équivalence entre l'augmentation de la dette
publique aujourd'hui et l'augmentation des impôts requise demain pour le
remboursement de cette dette et le paiement des
intérêts.réaliser les objectifs fixés dès que
les conséquences de leurs engagements sont
parfaitement intégrées dans les anticipations
d'agent considéré comme rationnel.
Aussi, la théorie néo-réaliste ou
inter-gouvernementaliste a mis en évidence la place de la politique
intérieure dans les espaces communautaires. Certains auteurs comme
Hoffmann. S et Moravcsik. A (1980) concluent que les priorités
essentielles des gouvernements nationaux restent les programmes qui leur sont
propres. Ainsi, la Commission Européenne devient l'institution
internationale destinée à faciliter les marchandages entre
Etats (interstate bargains) qui constituent en réalité le
véritable moteur de l'intégration européenne.
Krugman (1991) dans sa théorie des zones
d'intégration « naturelle 4» a mis en
évidence le résultat des « effets frontières
». Dans ces conditions on peut admettre que lorsque les zones de
préférences institutionnelles ne recouvrent pas les zones
d'intégration « naturelle », les effets de débordement
sont importants ; ce qui peut réduire les échanges par les
accords commerciaux officiels. L'importance du rôle des effets de
proximité dans ces zones est liée notamment aux coûts de
distance ; c'est-à-dire « l'ensemble des coûts
supportés pour transférer un bien de son lieu de production
à son lieu de consommation » (Siroën, 2000). Il peut s'agir
des coûts de transport, des difficultés de consommation et autres
barrières non tarifaires. Ces facteurs jouent en faveur de la dispersion
des activités industrielles en créant une protection «
naturelle 5» qui conduit à localiser les
activités à proximité du lieu de consommation. À
l'inverse lorsque les externalités positives se
généralisent, les avantages de la concentration des
activités se diffusent dans un espace plus large par « effets de
contagion » ; favorisant ainsi la réduction des disparités
de revenus. Entre ces
deux situations, on peut observer le cas intermédiaire
où la concentration
4 Ce sont les zones où les pays qui sont
proches naturellement et dont les transactions sont facilitées par cette
proximité
5 Pour Krugman [1991], une zone naturelle se
définit comme une zone à l'intérieur de laquelle, en
l'absence de barrières aux échanges et d'accords de
préférence, les échanges seraient plus intenses qu'avec le
reste du Monde.d'activités dans une région donnée implique
des effets de débordement à la fois locaux et globaux.
Solow (2002) dans sa théorie de réhabilitation
de la politique budgétaire montre qu'il est très difficile, voire
impossible d'imaginer une politique budgétaire pure qui n'ait aucun
effet sur la répartition des revenus ou sur l'affectation des
ressources. Cette affirmation remet en cause l'opinion dominante des
années 80 sur l'incapacité de la politique budgétaire
à stabiliser la conjoncture. Or, la mise en place de l'Union
Européenne redonne à cette question une nouvelle actualité
soutenue par le débat que soulève la nouvelle Théorie
anti-Keynésienne (TAK) des finances publiques (Giavazza et Pagano, 1990
et 1995 ; Besson et Echinard,
2000 ; Mathieu et Sterdyniak, 2005).
Depuis Mundell (1961) et Fleming (1962)6, la
controverse est vive sur le signe et l'ampleur des externalités
générées par une politique budgétaire expansive.
Malgré l'enrichissement du cadre d'analyse de Mundell-Fleming par une
meilleure spécification des fondements microéconomiques des
comportements des agents par la nouvelle macroéconomie internationale,
la littérature théorique ne fournit pas une réponse claire
quant aux signes des effets de débordement de la politique
budgétaire. Il ressort globalement des modèles théoriques
analysant la transmission internationale de la politique budgétaire que
le signe des externalités générées est fortement
dépendant de la spécification des fondements
microéconomiques des comportements des agents. Par ailleurs, la
robustesse des arguments relatifs aux externalités négatives de
demande dépend de l'importance du canal du commerce extérieur et
de la réaction du taux d'intérêt commun de l'union aux
changements de la politique budgétaire (Sarr, 2006).
Sur le plan empirique, Persson et Tebellini, (1995)
soutiennent que dans une union monétaire, les politiques
budgétaires peuvent dégager des externalités
importantes et des risques d'insoutenabilité des
finances publiques. Les
6 Les premiers à avoir mis en évidence
les canaux de transmission de la politique budgétaire lorsque les pays
étaient interdépendants
économies sont interdépendantes au point que les
politiques budgétaires adoptées par un pays affectent la
performance économique des pays voisins. Des coûts peuvent
clairement apparaitre : par exemple un gouvernement choisissant des politiques
visant à maximiser les objectifs nationaux et ignorant les
externalités imposées aux autres pays peut générer
un équilibre sous-optimisé. Creel et al., (2004) ont
identifié trois canaux de transmission de la politique budgétaire
dans l'union européenne à savoir la consommation,
l'investissement et les taux d'intérêt. Pour la même zone,
Bénassy-Quéré et Cimadomo (2006) identifient quatre
principaux canaux de transmission par lesquels les politiques
budgétaires nationales affectent l'économie des autres
pays. Il s'agit : du commerce extérieur ; du taux d'inflation ; du
taux d'intérêt et de la fiscalité. Cependant, il est
envisagé de porter la réflexion sur les canaux les récents
pour les besoins de la recherche ; c'est-à-dire les quatre canaux
identifiés.
Pour celui du commerce extérieur, les changements de
politiques budgétaires nationales affectent les autres pays à
travers les termes de l'échange et les changements dans la demande
d'importations (Persson et Tabellini, 1995). Ainsi, un effet positif de hausse
de la demande est immédiatement perceptible dans le pays en
déficit et chez ses partenaires (Carton, 2005). On peut noter là
une manifestation des effets keynésiens qui se propagent via le commerce
extérieur.
Le deuxième est relatif à l'inflation. Sarr
(2006) montre qu'une hausse des dépenses publiques peut accroître
l'inflation nationale et l'inflation moyenne de l'union si la banque
centrale commune réagit par une politique monétaire
restrictive. Cela peut affecter négativement l'activité de tous
les pays membres de l'union. Alors, il convient de dire qu'un
différentiel de taux peut être à l'origine d'une
transmission de choc budgétaire entre pays. Par exemple un pays en
déficit perd sa compétitivité face à ses
partenaires de l'union, lorsque son taux d'inflation locale est plus
élevé que ses pays voisins. Ce qui se traduit à long terme
par une activité moins dynamique dans le pays comparé au reste de
l'union.Le troisième est celui du taux d'intérêt. Les
changements dans les rendements après imposition du capital dans
différentes localités affectent les autres pays en cas de
mobilité parfaite ou imparfaite du capital. Selon Carton (2005) la
variation de la demande (situation de déficit) provoque une hausse des
prix, surtout dans le pays en question et une réaction de la politique
monétaire. Ainsi, les taux d'intérêt de court terme
augmentent temporairement dans l'ensemble de la zone, avec une propagation
partielle de taux longs (il s'agit des taux ayant servi à financer
l'investissement).
Dans la zone euro, le canal fiscal a été mis en
évidence aussi. Des auteurs tels que Giavazzi, Pagano et Blanchard
(1990), ont mis en évidence les effets de la politique budgétaire
sur la fiscalité. Ils ont montré qu'une baisse permanente des
dépenses publiques annonce une baisse future des impôts. Une
relance budgétaire peut donc avoir des implications différentes
pour les pays partenaires selon qu'elle résulte d'une stimulation de la
demande ou d'une baisse de la fiscalité. Par ailleurs, une politique
fiscale agressive en faveur des entreprises (par exemple, une baisse rapide de
l'impôt sur le bénéfice des sociétés) peut
obliger les pays partenaires à réagir, soit en rationalisant ses
dépenses publiques, soit en participant à son tour à la
course.
Par contre dans la zone UEMOA, une étude
réalisée par Sarr (2006) explique que les effets d'un choc
budgétaire transitent par les canaux suivants : le commerce intra-zone,
le taux d'intérêt et le taux de change. Selon Honohan (1992) ;
Boccara et Devarajan (1993), la transmission de l'inflation entre les pays du
noyau dur (la Côte d'Ivoire et le Sénégal) de l'UEMOA et
les pays les plus pauvres a été étudiée mais
également entre la France et les pays membres de l'union. Cependant, ils
concluent l'existence d'un noyau commun du taux d'inflation qui tourne autour
de celui de la France, mais rejettent toute cointégration des
séries de taux d'inflation dans la zone. En dehors de cela, une
étude empirique analysant l'ampleur des effets de débordement des
chocs de politiques budgétaires sur l'activité économique
réelle dans cette zone est quasi-inexistante.Dans le même ordre
d'idée, sur la période 1993-2002, Ondo Ossa (2006) trouve que la
zone CEMAC est indéniablement un espace anti-keynésien, dans la
mesure où la hausse des dépenses publiques et du déficit
budgétaire n'a aucun effet sur la croissance. La demande publique a donc
nécessairement un effet plus faible que la demande privée et la
politique budgétaire ne peut nullement y être utilisée pour
stabiliser l'activité. De plus, les externalités négatives
engendrées par des déficits excessifs de certains pays peuvent
avoir des répercussions sur les autres et provoquer dans le même
temps des pressions sur la banque centrale par le biais des dettes publiques.
À cet égard, un pays membre qui n'assure pas la
solvabilité de ses finances publiques fait automatiquement courir un
risque à la stabilité financière de la zone, à
travers un relèvement des taux d'intérêt de long terme.
Cependant, les externalités exercées par une politique
budgétaire nationale dépendent de la taille du pays. Si les
actions budgétaires du Gabon ou du Tchad affectent peu les autres pays
de la zone comme que le montrent les résultats de ses travaux, il en va
autrement des actions initiées par le Cameroun qui, en tant que grand
pays, est tenu à plus de discipline collective que les petits pays.
Les nombreux clivages notés dans les controverses
théoriques et empiriques font dire à Benassy et al (2004), que
les débats théoriques relatifs aux politiques budgétaires
sont perçues comme étant « un champ de bataille entre les
avocats de l'offre et ceux de la demande, entre tenants des politiques
structurelles et partisans des politiques contra-cycliques, entre chevaliers de
la libéralisation et défenseurs des services publics, entre ceux
qui évaluent une politique à l'aune de ses effets sur la
croissance à moyen terme et ceux qui mettent l'accent sur ses effets
immédiats pour la répartition du revenu, etc.».
Pourtant, peu de travaux empiriques ont évalué
les effets de débordement budgétaires et analysé leurs
canaux de transmission dans les unions monétaires. En union
européenne, les travaux empiriques tels que ceux de Gros et Hobza (2001)
ont montré en général que les externalités
budgétaires sont faibles, voirenon significatives dans une union
monétaire. Beetsma et al., (2001) mettent en évidence des
externalités positives, mais en se limitant au canal du commerce
extérieur. Pour la zone franc, l'Union Economique et Monétaire
Ouest Africaine (UEMOA) apparait comme notre champ d'investigation pour les
raisons ci-après :
D'abord la présence de
l'hétérogénéité structurelle des
économies nécessite de consacrer un important pouvoir de
stabilisation aux politiques budgétaires propres à chaque pays
pour le besoin de relance économique (Coulibaly, 2013) ;
Ensuite les économies sont à la fois pauvres et
fortement intégrées au processus de mondialisation
économique et financière ; à ce titre, elles restent
très vulnérables face aux chocs exogènes ;
En fin, la présence des cycles asynchrones de
production nécessite une coordination des politiques budgétaires,
afin d'amortir les chocs sur les économies (Kane, 2013).
Ainsi, la question de recherche est la suivante : comment
les chocs de politiques budgétaires d'un pays spécifique
peuvent-ils impacter l'économie des pays voisins dans le cadre d'une
union monétaire comme celle de l'UEMOA ?
L'objectif principal de ce travail est d'analyser la
propagation et l'ampleur des chocs des chocs de politiques budgétaires
d'un pays sur l'économie des autres pays de l'union. L'atteinte de cet
objectif passe par les objectifs spécifiques suivants :
OS1 : Vérifier si un choc de politiques
budgétaires dans un pays donné produit
des effets identiques sur tous les pays de l'union.
OS2 : Mesurer l'ampleur des effets de
débordement des chocs de politiques budgétaires dans
l'UEMOA sur l'activité économique (ici la croissance) des
pays.
OS3 : Identifier les canaux de transmission
des chocs budgétaires dans l'UEMOA.L'approche
méthodologique s'appuie sur un modèle Vectoriel
Auto-régressif (VAR) sur données de panel. Le modèle VAR
en panel dynamique a montré d'excellentes capacités de
représentation des fluctuations macroéconomiques. Cette approche
se caractérise par plusieurs avantages spécifiques. Elle permet
à la fois de contrôler les effets spécifiques individuels
et temporels et de pallier les biais d'endogénéité des
variables, surtout lorsqu'il existe un ou plusieurs retards de la variable
dépendante figurant comme variable explicative (Sawsen, 2006). Du point
de vue économétrique aussi, les chocs exogènes peuvent
être identifiés à partir des résidus
d'équation estimés. L'introduction de l'espace amène
à prendre en compte l'autocorrélation spatiale qui se
réfère à l'absence d'indépendance entre les
observations géographiques et
l'hétérogénéité spatiale.
Les données utilisées proviennent de plusieurs
sources. D'abord la base de données de la BCEAO publiée dans le
site de l'UEMOA, a permis d'obtenir les statistiques sur les dépenses
publiques, les recettes publiques, les importations, le crédit à
l'économie et la dette publique en vigueur dans la zone. Ensuite la base
de données du Word Development Indicator (WDI) publiée le 21
décembre
2016 dans le site de la Banque Mondiale, a permis d'obtenir
les données sur le taux de croissance réelle, l'investissement
privé et l'inflation. Et enfin la base de données émise
par le Fonds Monétaire International (FMI) qui a été
utilisée pour compléter les valeurs manquantes présentes
dans les précédentes bases de données. Cette recherche se
fonde sur les hypothèses suivantes :
H1 : La nature (signes) des effets de
débordement budgétaires dans les pays de
l'UEMOA est tributaire de leur structure économique
pour la zone.
H2 : Les chocs de dépenses publiques
induisent un effet plus important sur la croissance économique
que les chocs de recettes fiscales, en raison d'une harmonisation de plus
en plus poussée des législations fiscales dans l'UEMOA.
H3 : Les canaux de transmission peuvent
différencier d'une union à l'autre en
raison des spécificités économiques au
regard de la littérature économique.Cette thèse
défend l'idée selon laquelle, l'ampleur des effets de
débordement budgétaires dans l'UEMOA est tributaire du
degré d'hétérogénéité des
économies qui la composent. L'intérêt d'un tel sujet est de
montrer comment les chocs de politiques budgétaires se propagent dans
l'activité économique des États de l'Union et tente
à cet effet de ressortir les canaux de transmission. L'innovation dans
ce travail aussi, est d'avoir été le premier à
évaluer l'ampleur des effets de débordement des chocs
budgétaires dans la zone UEMOA. Dans un contexte de Pacte de convergence
et de stabilité, ce travail de recherche apporte quelques contributions
à l'amélioration de la stabilité macroéconomique
dans la zone à travers la politique budgétaire.
Ce travail est structuré autour de trois (03)
chapitres. Le premier chapitre traite des comportements économiques et
des externalités budgétaires dans l'UEMOA. A cet effet, il met
l'accent sur les hétérogénéités
structurelles, l'analyse des contagions budgétaires puis les
critères de convergence et de surveillance multilatérale. Le
deuxième chapitre passe en revue les arguments théoriques et
empiriques dans la conduite de la politique budgétaire en union
monétaire de façon générale. Le troisième
chapitre expose la méthodologie d'évaluation des effets de
débordement budgétaires et les résultats de la recherche
à partir d'un modèle VAR en panel dynamique.
CHAPITRE I : HETEROGENEITE STRUCTURELLE ET EXTERNALITES
BUDGETAIRES DANS L'UEMOA
L'apparition d'externalités budgétaires dans les
unions monétaires remet en cause l'efficacité de la politique
budgétaire comme instrument de régulation de l'activité
économique. Pourtant, plusieurs travaux de recherches ont
justifié la pertinence de la création d'une union
monétaire dans un espace géographique avec une monnaie unique
fondée sur une parité irrévocable. D'ailleurs, Agliette et
al., (1998) et Frankel (2001) montrent que la politique monétaire unique
(où le taux de change fixe) ne permet plus de corriger les effets d'un
choc de demande que sont le chômage et l'inflation. Sawall (2013) ajoute
que l'intégration économique et commerciale est un rempart contre
les chocs asymétriques.
Cependant, la crédibilité et la
pérennité d'une zone monétaire demeurent tributaires du
degré de convergence des économies appartenant à ladite
zone, ainsi que de la symétrie relative des chocs qui l'affectent. Ces
concepts de convergence et de symétrie renvoient à un certain
degré d'harmonisation des économies pendant une période
donnée. Dans le cas l'Union Économique Monétaire Ouest
Africaine, la question de l'hétérogénéité
structurelle des économies occupe une bonne place dans les débats
politiques et la recherche scientifique pour une résolution des
déséquilibres économiques.
L'objet de ce chapitre est d'analysé les profils
économiques des pays de l'union et les externalités
budgétaires. Il comprend trois grandes sections : la section (I) traite
de l'hétérogénéité des économies et
des chocs dans les pays, la section (II) met l'accent sur les
externalités budgétaires et la section (III) aborde la
convergence budgétaire et la surveillance multilatérale dans
l'union.
SECTION I : HETEROGENEITE STRUCTURELLE ET CHOCS
ECONOMIQUES
La structure productive des économies et leur
capacité de réaction aux chocs demeurent les principaux
déterminants des divergences structurelles entre pays membres d'union
monétaire. La difficulté de trouver la formule optimale pour la
conduite de la politique monétaire dans la zone UEMOA vient à la
fois du caractère asymétrique des chocs et asynchrone des cycles,
puisque le tauxd'intérêt de l'union est un compromis entre les
taux d'intérêt souhaités par les gouvernements. La
délégation de la politique monétaire à une banque
centrale indépendante peut générer des conflits indirects
entre les gouvernements nationaux. Par exemple un pays en récession
aimerait que la banque centrale suive une politique monétaire
accommodante, alors qu'un pays en expansion préférerait une
hausse des taux d'intérêt. Ce conflit d'objectifs
découle de l'hétérogénéité des
préférences des autorités monétaires et
budgétaires. En effet, les écarts durables entre les performances
nationales peuvent être à l'origine des coûts non
négligeables du fait de la difficulté de mener une politique
monétaire profitant à tous, (Kaiser, 2005).
Dans cette section nous allons mettre l'accent sur les
comportements économiques des pays de l'union à travers d'abord
l'analyse de certains indicateurs macroéconomiques, ensuite les sources
d'hétérogénéités et enfin les chocs
économiques et leur absorption.
I.1- Descriptions des indicateurs macroéconomiques
dans la zone
L'analyse des comportements par pays est faite à
travers certains indicateurs qui sont mis en avant pour montrer la nature
divergente des économies de l'UEMOA. Il s'agit du taux de croissance
économique, du taux d'inflation, du solde budgétaire de base et
du secteur du commerce sur la période de 1980 à 2014. Elle est
découpée en quatre grandes phases marquées par les
évènements suivants : la première va de 1980 à
1994, elle est marquée surtout par les programmes d'ajustement
structurel sous l'impulsion des institutions de Betton Woods (Banque Mondiale
et le FMI) ; la deuxième s'étale de 1994 à 1999,
marquée par la dévaluation du franc CFA et les politiques de
promotion à l'exportation dans la zone UEMOA et un début de
l'assainissement des finances publiques; la troisième se situe entre
1999 et 2008, ponctuée par l'adoption des pactes de stabilité et
croissance et le début de la crise financière de 2008 ; et enfin
la quatrième va de 2008 à 2014, où on note encore les
effets de cette crise et la révision des réformes du pacte de
stabilité et croissance.
I.1.1- L'analyse en termes de performances
économiques
De 1980 à 2014, le taux de croissance économique
dans l'UEMOA a connu une hausse de 3,16% en moyenne par an. Ainsi, durant les
quatre périodes, ce taux est passé de 2% entre 1980 et 1994
à 4,56% entre 1995 et 1999. Mais de 2000 à 2008, on observe une
baisse de l'activité économique de 1,03 point, soit 3,53%. Cette
situation va s'améliorer après la crise financière de 2008
pour se situer à
4,40% entre 2009 et 2014. La figure n° 1 illustre cette
évolution du PIB réel.
Figure 1 : Évolution du PIB de l'UEMOA de 1980
- 2014
5,00
4,50
4,00
3,50
3,00
2,50
2,00
1,50
1,00
0,50
-
1980-1994 1995-1999
2000-2008 2009-2014
Source : Auteur, à partir des données de la
BCEAO
Entre les pays, ils existent des disparités en termes
de croissance économique au cours de la période de 1980 à
2014. Ainsi, ils ont enregistré en moyenne des taux
différenciés avec (4,38%) pour le Bénin, le Burkina Faso
(5,54%), le Mali (4,20%), le Niger (3,39), le Sénégal (3,51%) et
le Togo (3,41%). Ces derniers ont réalisé des taux croissance
annuels généralement supérieur à la moyenne
régionale durant cette période. La Côte d'Ivoire et la
Guinée Bissau enregistrent respectivement (1,66%) et (1,96%) en raison
des nombreuses crises socio- politiques qu'elles ont connues. La figure
n° 2 nous aide à montrer cette
hétérogénéité des performances
économiques pour les pays individuels de l'union.
Figure 2 : PIB réel par pays dans l'UEMOA de
1980 à 2014
8,00
7,00
6,00
5,00
4,00
3,00
2,00
1,00
0,00
-1,00
-2,00
1980-1994 1995-1999
2000-2008 2009-2014
UEMOA BENIN
BURKINA FASO Côte d'Ivoire Gunee Bissau
Mali Niger
Sénégal Togo
Source : Auteur, à partir des données BCEAO
Une explication que l'on peut attribuer à cette
divergence des cycles économiques relève de l'action des
gouvernements nationaux et de la contribution du secteur privé dans
chaque pays membre. Ainsi de 1995 à 1999, la politique budgétaire
a contribué en moyenne à la croissance du PIB de 14,24% au
Bénin (dont 7,66% aux investissements publics et 6,57% aux
dépenses de consommation de l'Etat), de 38,69% au Burkina Faso (dont
20,86% aux investissements et 17,83% aux dépenses de consommation), de
16,69% en Côte d'Ivoire (dont 9,31% aux investissements et 7,38% aux
dépenses de consommation), de 29,36% au Mali (dont 2,38% aux
investissements et 28,84% aux dépenses de consommation), de
17,15% au Niger (dont 7,51% aux investissements publics et
9,63% aux dépenses de consommation), de 19,12% au Sénégal
(dont 16,58% aux investissements et 3,08% aux dépenses de consommation)
et de 34,88% au Togo (dont 17,05% aux investissements et 17,83% aux
dépenses de consommation).
Ces résultats s'expliquent par les mesures
adoptées dans l'ensemble des pays de l'union suite à la
dévaluation du franc CFA. Ces mesures portaient sur l'assainissement des
finances publiques, le développement des infrastructuresde
qualité, la maitrise du taux d'inflation et la baisse des taux
d'intérêt par la
banque centrale.
Sur la période de 2000 à 2008, l'introduction
des mesures budgétaires du Pacte et la contrainte faite aux États
membres de l'union de réaliser le critère sur le solde
budgétaire de base ont entrainé des changements dans
l'implication des gouvernements au processus de création de richesse. On
observe, en effet sur cette période, que les gouvernements des pays ont
pesé sur la croissance du PIB. Les contributions respectives sont de
(29,77%) au Bénin, (36,20%) au Burkina Faso, (10,37%) en Côte
d'Ivoire, (31,22%) au Mali, (59,87%) pour le Niger, (35,53%) au
Sénégal et (-0,73%) au Togo. Pour la Côte d'Ivoire,
l'instabilité politique a largement influencé la politique
budgétaire du gouvernement qui a gelé une bonne partie de ses
infrastructures durant cette période. Dans les autres pays, il convient
de constater que les tendances se sont inversées, car les gouvernements
ont mis davantage l'accent sur leurs dépenses de consommation et ont
réduit considérablement leurs investissements. Il s'en est suivi
toutefois une baisse de la croissance économique. Cette situation est
observée dans tous les pays de l'union contrairement à la
période 1995 -1999 où l'implication des gouvernements se
manifestait à travers leurs dépenses en capital public.
De 2009 à 2014, la croissance économique des
pays de l'union était portée par le secteur privé et le
secteur public dont les contributions demeuraient moindres à cause des
nouvelles règles de finances publiques imposées par le Pacte de
convergence. Le poids en moyenne de chaque gouvernement dans la croissance du
PIB sur la période se résume comme suit : 7,01% pour le
Bénin, dont 9,61% aux investissements et -2,59% aux dépenses de
consommation, 48,32% pour le Burkina Faso dont 17,81% sont liés aux
investissements publics ; 16,69% pour la Côte d'Ivoire, dont 9,31% aux
investissements de l'État ; 33,98% pour le Mali, dont 18,69% aux
dépenses en capital public ; 34,88% pour le Sénégal,
dont
17,05% aux investissements publics et 11% pour le Togo, dont
6,83% aux investissements publics. Cette phase est marquée par une
participation faible.
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