Discours des auditeurs dans les magazines radiophoniques interactifspar Joseph LOKENDANDJALA Okonda IFASIC-Kinshasa - Licence en SIC 2012 |
I.1. Approche conceptuelleCette section se concentre sur la définition de différents concepts contenus dans le titre de ce travail. Il s'agit de définir les concepts discours, auditeur, magazine interactif. 1.1.1. Discours Dans ce point, nous allons définir le concept discours avant de présenter, à la suite de la littérature scientifique, ses caractéristiques, ses typologies et ses genres. 1.1.1.1. Définition Le discours est un substantif dérivé du verbe discourir. Ce verbe a le sens de parler sur un sujet déterminé, en le développant de manière méthodique. Discours signifie alors le développement oratoire, d'un thème déterminé, de manière méthodique8. La particularité de cette définition repose sur le fait qu'elle met en exergue l'aspect oratoire (oral) et méthodique lié au discours. La notion de discours reçoit différentes acceptions selon les domaines de savoir. En philosophie classique, par exemple, le concept discours est apparenté à la notion de logos grec9. Cette dernière est une expression de la raison. Ainsi, la connaissance discursive signifie une connaissance médiate, celle qui passe par un raisonnement logique. Elle s'oppose à la connaissance intuitive ou immédiate. Dans 8 Le Petit Larousse illustré. Dictionnaire encyclopédique, p. 230. 9 CHARAUDEAU, Patrick et MAINGUENEAU, Dominique, Dictionnaire d'analyse de discours, p. 185. 9 cette logique, le discours constitue un raisonnement procédant par un enchaînement cohérent des propos. En linguistique, le discours est défini par opposition à la phrase ou à la langue. Il est conçu comme une unité linguistique constituée d'une succession de phrases ou encore l'usage de la langue dans un contexte déterminé10. La première acception est relativisable dans la mesure où la taille n'est pas un élément déterminant du discours. En évoquant l'aspect contextuel, la deuxième définition confère au discours une valeur pragmatique particulière. Dans son ouvrage Langage et acte de langage, aux sources de la pragmatique, Gardiner définit le discours comme étant L'utilisation, entre les hommes, des signes sonores articulés, pour communiquer leurs désirs et leurs opinions sur les choses11. Cette définition globalisante a une forte portée sémiologique. Elle met l'accent sur les signes linguistiques utilisés dans la communication humaine. La mise en évidence du sujet parlant dans la définition du discours est aussi perceptible chez Benveniste pour qui le discours est La langue en tant qu'assumée par l'homme qui parle, et dans la condition d'intersubjectivité qui seule rend possible la communication linguistique12. Cette définition met l'accent sur la dimension subjective et interactionnelle du discours. Autrement dit, le discours suppose une source de repérage personnel et une situation d'interlocution. Pour Michel de Foucault, le discours est Un ensemble d'énoncés en tant qu'ils relèvent de la même formation discursive13. En parlant d'énoncé, cette approche de Foucault suppose la prise en compte aussi bien du contexte de production que de la dimension systématique du discours. Au-delà de son acception usuelle de développement oratoire, la notion de discours, dans les sciences de langage, est sujette à une diversité d'acceptions que 10 Ibidem, p. 186. 11 GARDINER, A., Langage et acte de langage. Aux sources de la pragmatique, cité par, CHARAUDEAU, Patrick et MAINGUENEAU, Dominique, Op.cit., p. 186. 12 BENVENISTE, Emile, Problèmes de linguistique générale, p. 266. 13 FOUCAULT, Michel, L'archéologie du savoir, p.153, cité par CHARAUDEAU, Patrick et MAINGUENEAU, Dominique, Op.cit., p. 186. 10 l'on peut résumer de la manière suivante : le langage mis en action (c'est-à-dire assumé par le locuteur) ; l'énoncé de longueur supérieure à la phrase; l'énoncé envisagé dans sa dimension interactive ; conversation ; tout système de signe verbal ou non-verbal14. Enfin, Sarfati définit le discours comme un ensemble des textes considérés en relation avec leurs conditions historiques (sociales, idéologiques) de production15. La définition de cet auteur prend en compte l'aspect contextuel et les conditions de production du discours. Il s'ensuit que le discours est une notion pragmatique dans la mesure où on ne peut en parler qu'en rapport avec le contexte social, historique ou idéologique de production. Dans ce travail, nous considérons le discours comme un développement oratoire contextualisé en vue de communiquer ses sentiments, ses opinions sur l'état des choses. En rapport avec les émissions interactives, objet de notre étude, nous utiliserons indistinctement les concepts discours, interventions, propos. Cette approche définitionnelle nous permet maintenant de passer à la seconde section consacrée aux caractéristiques du discours. 1.1.1.2. Caractéristiques du discours Dans ce sous-point, nous présentons, à la suite de Dominique Maingueneau, les traits caractéristiques et distinctifs du discours16. Cet auteur caractérise le discours de la manière suivante : -C'est une organisation transphrastique, c'est-à-dire, au-delà de la phrase. Autrement dit, le discours mobilise une structure d'un autre ordre que celle de la phrase. -Il est orienté : l'orientation est d'abord consacrée par sa linéarité. Car le discours est un développement linéaire. Elle est, ensuite, traduite par sa vocation 14 SARFATI, Georges, Eléments d'analyse du discours, p.14. 15 Ibidem, p.16. 16 MAINGUENEAU, Dominique, Analyser les textes de communication, p.46-48. 11 d'une production toujours finalisée. Toute production discursive a une visée énonciative. -Il est une forme d'action dans le sens que le discours vise à modifier une situation existante. Il y a un rapport direct entre langage et action, dans la mesure où il y a des énonciations qui constituent des actes destinés à modifier une situation. C'est l'objet même de la théorie des actes de langage qui sera développé plus loin. -Il est interactif dans la mesure où il suppose la présence de deux partenaires, un énonciateur et un co-énonciateur en inter-activité ou interaction dialogale. D'ailleurs la conversation ordinaire est la forme élémentaire de l'interactivité discursive. -Il est contextualisé, car on ne peut parler de discours que dans un contexte d'énonciation déterminé. C'est le moi-ici-maintenant, je dis...En dehors du contexte, il n'y a pas de discours, mieux le discours n'a pas de sens. -Il est inévitablement pris en charge par un sujet. Tout discours est pris en charge par un énonciateur, source et responsable du message. C'est la dimension subjective inhérente à toute production discursive. -Il est toujours régi par des normes : cela veut dire que la production discursive est sujette aux règles, aux conventions sociales que les partenaires doivent impérativement respecter. -Il est toujours pris dans un interdiscours. Cela veut dire que tout discours comprend des éléments de référence provenant d'autres discours. Ainsi pour expliquer un énoncé, il faut le mettre en rapport avec d'autres énoncés ou d'autres discours semblables. Les caractéristiques du discours étant présentées, il convient maintenant d'aborder la section relative à la typologie et aux genres de discours. 12 1.1.1.3. Types et genres de discours La notion de type de discours, à en croire Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau, est sujette à diverses acceptions, surtout dans l'analyse des discours francophones. La typologie discursive se rapporte à un classement de discours établi sur base des critères aussi multiples que variés17. Il existe une panoplie de typologie de discours établie selon les différents critères de classement. Ces critères dépendent d'un auteur à un autre. Jean Michel Adam, par exemple, distingue six types de discours. Bronckart, de son côté, en distingue quatre. Bouchard, en ce qui le concerne, présente neuf types de discours basés sur trois critères principaux. Georges Elia Sarfati répertorie six types de discours. En ce qui nous concerne, nous exploitons la typologie de ce dernier18. En effet, cet auteur opère sa classification à travers les différents domaines de l'activité socio-historique et culturelle. Ce faisant, il distingue six types de discours : discours littéraire, politique, scientifique, religieux, juridique et journalistique. Chaque type de discours recouvre, en son sein, une diversité de genres identifiables. Nous présentons, ici, les types de discours et les genres correspondants19. -Discours littéraire : est celui qui se rapporte à la littérature. Il comprend les genres tels que le poème, le roman, la pièce de théâtre, etc. -Discours politique : concerne les activités politiques. Il comprend le slogan de campagne électorale, le discours sur l'Etat de nation... -Discours scientifique : est basé sur des sujets scientifiques. Parmi les genres correspondant, il y a la conférence académique, la leçon inaugurale, l'article scientifique, etc. -Discours religieux : porte sur la religion, les pratiques religieuses, le sacré. Au registre de ces discours, on compte la parabole, l'hagiographie, la prière, l'homélie, la catéchèse, etc. 17 CHARAUDEAU, Patrick et MAINGUENEAU, Dominique, Op.cit., p.592. 18 SARFATI, Georges Elia, Op.cit., p.79. 19 Idem. 13 -Discours juridique : se rapporte au droit, à la loi, à la justice. Il comprend les genres suivants : l'article, la loi, le plaidoyer, le verdict judiciaire... -Discours journalistique : celui produit par les médias, lié aux genres journalistiques, à la presse. Il renferme les genres ci-après : reportage, éditorial, brève, documentaire, magazine, etc. Ce dernier type de discours est d'une importance capitale pour nous, étant donné que nos recherches portent sur l'analyse des discours produits à travers des médias. La première section relative à la définition du discours étant terminée, nous abordons la seconde section consacrée à l'élucidation du concept auditeur. 1.1.2. Auditeur Auditeur est un substantif issu du latin auditor du verbe audire (écouter). Un auditeur est donc une personne qui écoute. Il peut s'agir d'écouter un discours, un récit, un enseignement, une conférence, une exécution musicale20. En audiovisuel, un auditeur est une personne qui écoute les programmes diffusés à la radio, qu'il s'agisse des émissions d'actualités, des magazines en direct ou en différé. Dans ce sens, les auditeurs d'une radio ou d'une émission sont l'ensemble de public qui écoute cette radio ou cette émission. Dans ce travail, nous entendons par auditeur, les gens qui écoutent les programmes de la radio, surtout les magazines interactifs, objet de notre étude. Tous ceux qui écoutent, mais surtout ceux qui interviennent en direct, par téléphone ou internet, pour poser une question ou exprimer une opinion. Ces auditeurs intervenant à l'antenne sont aussi appelés des « anonymes », c'est-à-dire des hommes « ordinaires », qui parlent en leur nom propre et dont le statut est pour le moins négligé par les médias. Dans les magazines interactifs, ils sont généralement désignés par le prénom et le nom contrairement aux invités dont on décline l'identité et présente le statut complet21. 20 REY, Alain (dir), Dictionnaire historique de la langue française, p.256. 21 DELEU, Christophe, Op.cit., p.9. 14 Dans la suite de ce travail, nous utiliserons indistinctement les concepts auditeur, intervenant, anonyme pour désigner ces personnes ordinaires qui interviennent dans les magazines radiophoniques interactifs pour exprimer leur opinion personnelle. 1.1.3. Magazine interactif 1.1.3.1. Approche définitionnelle Cette sous-section, va essentiellement consister à élucider les concepts magazine et interactivité. Nous définirons d'abord le concept magazine, ensuite, celui d'interactivité. ? Magazine Dans la presse écrite, on entend, par magazine, une publication périodique éditée sur papier couché, largement illustrée et qui traite, dans un but de vulgarisation, des thèmes variés. Les magazines sont des périodiques spécialisés, très souvent à périodicité mensuelle ou trimestrielle22. Cependant, il y a des magazines qui obéissent à la périodicité hebdomadaire. Cette catégorie appelée news magazines aborde des sujets aussi divers que variés. De par son étymologie, le concept magazine vient de l'anglais magazine. Cette origine anglaise est, elle-même, issue du français magasin venant de l'arabe et signifiant l'endroit où l'on garde une diversité de produits23. La variété des rubriques contenue dans ce périodique (comparée à la variété des produits contenus dans un magasin) lui a valu par un procédé métaphorique le nom de magazine. Contrairement aux journaux, les magazines n'embrassent pas tous les thèmes et ne s'adressent pas à tous les publics. Ils possèdent, chacun, une spécialité thématique et s'adressent à un public bien ciblé. 22 BALLE, Francis, Lexique d'information d'information communication, p.245. 23 LAMIZET, Bernard et SILEM Ahmed (Dir.), Dictionnaire encyclopédique des sciences de l'information et de la communication, p.352. 15 En audiovisuel, un magazine est un programme de radio ou de télévision basé sur l'information, la vulgarisation ou le service et inscrit dans les domaines de l'enquête journalistique24. Pour sa part, Paul Stéphane Manier, définit le magazine audiovisuel comme...un programme d'information destiné à développer un thème d'actualité, une situation ou un événement25. Ce programme, selon l'auteur, répond à une variété de traitement. Il peut être traité sous forme distincte de reportage, de débat ou d'interviews en studio ou même être un mélange de deux genres. Toutefois, la définition de Manier semble assez réductionniste. Elle réduit le magazine à la seule dimension informative alors que ce genre journalistique peut répondre à une variété d'objectifs parmi lesquels : la sensibilisation, l'information, la démonstration, l'animation. Dans le cadre de cette étude, nous entendons par magazine, une émission radiophonique à téléphone ouvert. Les concepts magazine, émission, programme seront utilisés comme des synonymes. ? Interactivité Le concept Interactivité tout comme l'adjectif interactif sont liés au développement de l'informatique. Interactif renvoie au support favorisant un échange entre deux systèmes à travers une interface. On appelle interface, un dispositif technique permettant l'échange des informations entre deux systèmes. Dans le cas d'espèce l'échange a lieu entre un système technique et son utilisateur, entre l'homme et la machine26. Cette faculté conversationnelle entre l'homme et la machine s'appelle interactivité. Josée FOURNIER définit l'interactivité comme une action réciproque d'un émetteur à un récepteur ; l'utilisateur agit sur l'ordinateur et l'ordinateur répond à l'action engendrée par le geste de l'utilisateur27. Il y a une sorte de dialogue 24 Ibidem, p.246. 25 MANIER, Paul Stéphane, Le journalisme audiovisuel, Techniques et Pratiques rédactionnelles, p.129. 26 GUALINO, Jacques, Dictionnaire pratique. Informatique, Internet, nouvelles technologies de l'Information et de la Communication, p.261. 27 FOURNIER, Josée, Scénarisation et multimédia. Processus de scénarisation interactive, p.66. 16 au cours duquel l'utilisateur demande à la machine d'exécuter une application ou une tâche et cette dernière répond à travers une interface. L'interactivité a ceci d'avantageux, qu'elle offre à l'utilisateur la possibilité d'interagir sur le programme par des choix et des opérations qu'il aura lui-même décidés, devenant ainsi maître de sa propre démarche. Ainsi par exemple, lorsque l'utilisateur par inadvertance lance la commande `effacer' la machine demande de confirmer si oui ou non il veut réellement effacer le texte. Il peut alors confirmer ou annuler l'opération. En effet, l'interactivité est un concept complexe et varié. Elle reforme une panoplie d'acceptions. Apparu dans le domaine de l'informatique pour désigner l'interaction entre l'utilisateur et la machine, ce concept est entré dans le langage courant avec le discours sur les télécommunications surtout en rapport avec la télématique et les réseaux câblés28. Aujourd'hui, l'interactivité est passée dans le domaine des SIC en particulier dans le vocabulaire de mass média ( surtout en audiovisuel). On parle de plus en plus des programmes interactifs pour signifier les programmes dans lesquels il y a une interaction entre l'instance médiatique (animateur du programme) et le public, à travers un dispositif technique tel que le téléphone et l'internet. Les magazines interactifs sont parmi les plus importants programmes favorisant l'échange direct et instantané entre le média et le public29. Induisant une réciprocité d'action, mieux une interaction entre l'émetteur et le récepteur, les magazines radiophoniques interactifs ont apporté une révolution importante dans la relation entre la radio et le public. En donnant un sauf-conduit aux auditeurs d'intervenir en direct sur l'antenne, ces types de programmes ont renversé les fondements de la relation entre la radio et ses auditeurs 30. Ainsi, le paradigme traditionnel de l'unidirectionalité lié à la communication médiatique cède le pas à 28 SCHMIDT, Blandine, Op.cit, p.13. '9 BECQUERET, Nicolas, Les émissions interactives à la radio : la parole par téléphone, quelle parole ? , dans Les cahiers du CREDAM, p.88. 30 DELEU, Christophe, Op.cit., p.9. 17 celui de la circularité qui, mettant les partenaires en position d'équivalence, relativise le statut d'émetteur et de récepteur31. Les notions d'interactivité et d'interaction sont très proches et parfois utilisées l'une pour l'autre, mais en réalité, elles ne se confondent pas. Alors que l'interaction est un concept d'origine sociologique, l'interactivité est d'origine informatique. L'interaction est une action réciproque entre un émetteur et un récepteur, un échange communicationnel entre les partenaires physiquement proches l'un de l'autre. L'interactivité, par contre, est un échange communicationnel entre deux interactants, à travers un dispositif technique de connexion.32. Dans ce travail, nous entendons par interactivité, la possibilité d'échange en direct entre la radio et les auditeurs. Les magazines radiophoniques interactifs sont ceux qui favorisent l'échange entre la radio et ses auditeurs. 1.1.3.2. Magazine dans la contractualisation audiovisuelle La notion de contrat de communication est partie du fait que tout acte de communication, peu importe sa finalité, met ensemble deux ou plusieurs partenaires. Si les interactants communiquent sans conformité aux règles connues par eux tous, la communication peut se solder par un échec33. Raison pour laquelle, pour éviter l'échec ou le quiproquo, toute situation de communication doit être régie par un minimum de règles et de conventions. Et celles-ci doivent être clairement identifiées et respectées par les protagonistes. C'est En vertu de ce principe, précisent en substance Guy Lochard et Henri Boyer, que l'on considère que l'activité médiatique repose sur un contrat de communication spécifique34. 31 EKAMBO Duasenge, Jean-Chrétien, Paradigmes de communication, p.69. 32 VIDAL, Geneviève, Contribution à l'étude de l'interactivité, les usages du multimédia de musée, cité par SCHMIDT, Blandine, Op.cit., p.15. 33 La panique créée en 1938 par l'émission pseudo-informative de Orson Welles annonçant le débarquement des martiens pour envahir les Etats-Unis, illustre bien l'échec de communication par le déficit d'identification et de respect des conventions. Orson présentait une émission de fiction, mais les auditeurs croyant à que c'était une émission d'actualité ont détalé. 34 LOCHARD, Guy et BOYER, Henri, La communication médiatique, p.11. C'est nous qui soulignons. 18 Proposée initialement par Algirdas Julien Greimas, la notion de contrat a été développée et enrichie dans le domaine des sciences du langage par Patrick Charaudeau, puis systématisée finalement par Lochard et Soulages. Bien que basés sur la télévision, les travaux de ces deux auteurs peuvent être appliqués avec succès à la radio. En effet, la communication étant soumise aux contraintes situationnelles, chaque situation de communication médiatique détermine une orientation discursive. Disons-le autrement, le type de discours produit est toujours fonction des contraintes situationnelles de production. Ces contraintes sont relatives au contrat de communication, au but poursuivi, à la visée discursive, au principe directeur, etc. Certes, le discours tenu par les protagonistes à travers les médias (dans un magazine interactif par exemple) est intrinsèquement lié à ces éléments situés à quatre niveaux macro-discursifs : le niveau des contrats, le niveau des buts actionnels, le niveau des visées discursives, le niveau des principes constitutifs, le niveau des genres d'émissions35. Toutefois, ces niveaux ne sont pas uniformes ; ils obéissent plutôt à une certaine hiérarchisation. Le contrat est placé au niveau hyper-macro-discursif, les buts et les visées y prennent place. Sous un même but, l'on peut retrouver un ensemble varié de visées. A l'intérieur d'une visée discursive, se retrouvent une diversité de principes. Sous un même principe, l'on peut identifier plus d'un genre36. Au niveau contractuel, Guy Lochard et Jean Claude Soulages distinguent six contrats (ou plutôt sous-contrats) de communication. Il s'agit des contrats d'information, d'explication, de divertissement, d'assistance, pédagogique, commercial. Ces contrats permettent aux interlocuteurs d'identifier la situation communicationnelle dans laquelle ils se trouvent. Par ailleurs, chaque contrat de communication comprend des genres répondant à son profil. Ainsi par exemple, le journal parlé ou le flash appartiennent au contrat 35 BECQUERET, Nicolas, Op.cit., p.208. 36 Ibidem, p.209. 19 d'information, le magazine répond au contrat d'explication, les jeux répondent au contrat de divertissement, Reality show réponde au contrat d'assistance, les émissions pour enfants répondent au contrat pédagogique, la publicité répond au contrat commercial. Au niveau des buts actionnels (intentions des institutions médiatiques), la communication poursuit quatre buts : faire savoir, faire comprendre, faire plaisir et faire faire. Ces buts correspondent aux grandes visées suivantes : informative, explicative, ludique, marchande. Les visées sont, à leur tour, portées par des principes constitutifs dont le principe de sérieux, de réalité, de vérité, de recréation, de relation, de médiation, d'interpellation, etc. Disons, toutefois, que ces visées ne sont pas exclusives, elles sont plus ou moins dominantes, selon le cas. Si le magazine répond, de manière spécifique, au contrat d'explication, il faut dire que de façon générale il peut se retrouver dans d'autres contrats de communication. C'est, du moins, ce qu'affirme Nicolas Becqueret lorsque, parlant des magazines radiophoniques interactifs, il écrit : Les discours dans les émissions interactives s'organisent, en grande majorité, autour de quatre contrats de communication correspondant à des grandes visées proposées par l'instance médiatique : un contrat d'information, un contrat d'explication, un contrat de divertissement relationnel et un contrat d'assistance37 A ces quatre contrats, peuvent se joindre le contrat commercial et le contrat pédagogique, respectivement pour les magazines à visée marchande (factitive) et ceux à visée éducative (explicative). 1.1.3.3. Typologie des magazines radiophoniques Les magazines radiophoniques présentent une diversité de typologie. Nous nous limitons à présenter la typologie de Becqueret et celle de Christophe Deleu. 37 BECQUERET, Nicolas, Op.cit., p.214. 20 ? Typologie de Becqueret : La typologie de Becqueret est basée sur les contrats médiatiques. En d'autres termes, l'auteur classe les genres d'émissions selon les contrats correspondant. A partir de contrats médiatiques et des visées discursives susmentionnés, Nicolas Becqueret, distingue quelques grandes orientations génériques des magazines radiophoniques interactifs. Ces orientations, constituant du reste, la typologie de Becqueret, sont présentées dans le tableau ci-dessous38: Tableau 1. Typologie des magazines
Cette typologie a l'avantage d'être détaillée. Mais, elle laisse tomber d'autres contrats, en l'occurrence, les contrats commercial et pédagogique pourtant présents dans les magazines radiophoniques interactifs. Ensuite, les différents genres de magazines ne sont toujours pas bien définis. ? Typologie de Christophe Deleu: Christophe Deleu distingue trois types de magazines dont deux du type interactif. Il s'agit de la parole forum, la parole divan et la parole documentaire39. 38 Ibidem. p.211. Quelques exemples de magazines selon les contrats : Information ( la première partie de l'émission appel sur actualité de la RFI, où les spécialistes répondent aux questions des auditeurs Cfr Becqueret), Explication (le magazine Dialogue entre congolais -Radio Okapi- avec sa dimension intersubjective), Divertissement ( Top musique sur Top Congo FM ), Assistance (priorité santé sur RFI, Okapi service sur Radio Okapi). 39 DELEU, Christophe, Op.cit. p.58. 40 Ibidem. p.60. 41 Ibidem, p.114. 21 -La parole forum : c'est une émission radiophonique interactive consacrée à l'actualité. Dans les magazines de type forum, l'auditeur est appelé soit à poser des questions, en direct, à une ou à des personnalités invitées par la radio soit à donner son avis personnel sur le sujet de l'émission du jour. Dans le premier cas, l'auditeur cherche un apport cognitif, un savoir qu'il ignore. L'émission les auditeurs pour comprendre l'actualité de la RFI est une illustration. Dans le deuxième cas, l'auditeur exprime son opinion et la fait valoir auprès des autres40. Il peut, au besoin, contredire l'invité ou le journaliste, dénoncer leurs propos, exprimer une préoccupation, proposer des solutions à un problème, etc. Bref, ici l'auditeur est plus actif. Ce type de programme répond aux contrats d'information et d'explication. Les émissions que nous analysons dans ce travail sont du type forum. -La parole divan : Ce sont des magazines dans lesquels l'auditeur intervient pour parler de ses problèmes, de sa vie privée. Il n'exprime pas son opinion, mais confie, plutôt, son expérience intime. C'est le cas, généralement, des personnes qui interviennent à la radio pour poser un problème pour lequel ils aimeraient trouver une solution41. Les invités, en majorité des spécialistes (médecin, psychothérapeute, conseiller conjugal), aident les auditeurs à résoudre leurs problèmes. Ces genres de programmes ont une grande utilité sociale dans la mesure où ils aident les gens à trouver solution à leurs problèmes à partir de la maison. Les magazines du type divan répondent aux contrats d'assistance et pédagogique. Car, ils éduquent les gens et, en même temps, les aident à résoudre leurs problèmes. -La parole documentaire : dans ces types de magazines, le journaliste ou l'animateur donne la parole à une personne qui raconte son expérience. L'interview de l'anonyme est enregistrée, puis montée. Le but est de partager les expériences des interviewés à un public plus vaste. Dans le récit, il peut s'agir d'une situation d'injustice vécue ou d'une déception connue. Contrairement aux précédents, ce 22 dernier type de magazine échappe à l'interactivité. Ce type répond aux contrats d'explication et d'assistance. Parmi ces deux typologies présentées, nous optons pour la typologie de Deleu à cause de sa clarté. Les magazines que nous analysons dans ce travail relèvent du type forum, car ce sont des émissions d'actualité sociale, politique, économique dans lesquelles les auditeurs expriment leurs opinions. Après avoir défini les principaux concepts théoriques de cette étude, nous abordons maintenant la deuxième section consacrée au cadre théorique, en l'occurrence la pragmatique illocutoire. I.2. Pragmatique illocutoire Cette seconde section est consacrée à la présentation de la théorie à l'intérieur de laquelle est circonscrit ce travail. C'est la pragmatique illocutoire ou illocutionnaire appelée aussi la théorie des actes de langage. La section s'articule autour de six points suivants : la notion de pragmatique, les précurseurs de la pragmatique, Austin et la naissance de la pragmatique illocutoire, approche de Searle, approche de François Recanati, instance énonciative et polyphonie. 1.2.1. Notion de pragmatique Le concept pragmatique est apparu bien avant la formalisation de cette discipline. C'est dans un article publié en 1938, dans une encyclopédie scientifique, par le philosophe américain Charles Morris que l'on retrouve pour la première fois ce concept. En effet, dans cet article, Charles Morris établit une distinction entre les trois types d'approches de signes ou de disciplines qui traitent du langage. Il s'agit de la syntaxe, de la sémantique et de la pragmatique. Si la syntaxe s'occupe des rapports des signes entre eux au sein de la phrase et que la sémantique étudie les relations 23 entre les signes et leurs référents, la pragmatique, quant à elle, traite des relations entre les signes et leurs utilisateurs42. De son côté, Catherine Kerbrat-Orecchioni définit la pragmatique comme l'étude du langage en acte43. L'auteure reconnaît le caractère polysémique de cette définition. Car, le langage en acte peut à la fois signifier le langage en situation mais aussi le langage agissant sur le contexte d'interlocution. Ces deux orientations ont donné lieu à deux formes de pragmatiques : la pragmatique énonciative et la pragmatique illocutoire44. La pragmatique énonciative, appelée aussi linguistique de l'énonciation, s'intéresse au langage en situation, c'est-à-dire, le langage actualisé dans une énonciation. Elle prend en compte les aspects du contexte communicatif. Il s'agit de la situation d'énonciation (lieu, temps) et des énonciateurs (émetteur et récepteur, leurs identités, leurs statuts). La pragmatique illocutoire, appelée aussi théorie des actes de langage, étudie le langage en tant que moyen d'agir sur le contexte et de modifier l'univers de discours. Elle envisage le langage comme un moyen permettant d'accomplir certains actes spécifiques. Ces actes réalisés au moyen du langage sont appelés les actes de langage. C'est à la pragmatique illocutoire ou la théorie des actes de langage que sera consacrée le développement de cette seconde section. Mais étant donné le rôle indispensable des énonciateurs dans la réalisation des actes de langage, la dernière sous-section reviendra sur l'instance énonciative. Mentionnons, en passant, une troisième forme de pragmatique, c'est la pragmatique interactionniste. Celle-ci s'intéresse particulièrement à l'analyse des conversations et autres formes d'interactions verbales. 42 KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, Pragmatique, dans SFEZ, Lucien, Dictionnaire critique de la communication, p.257. Souligné par l'auteure. 43 KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, Les actes de langage dans le discours. Théorie et fonctionnement, p.1. 44 KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, Pragmatique, dans SFEZ, Lucien, Dictionnaire critique de la communication, p.258. 45 KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, Les actes de langage dans le discours. Théorie et fonctionnement, p.6-7. 24 1.2.2. Précurseurs de la pragmatique illocutoire Le rapport entre parole et action est au coeur de la pragmatique. En effet, cette discipline confesse le credo selon lequel la parole est une forme d'action. Si la pragmatique illocutoire est née à partir des travaux de John Langshaw Austin, l'idée selon laquelle la parole est une forme d'action n'est pas austinienne. Bien d'autres courants de pensée, avant Austin, avaient formulé cette idée dans des perspectives variées. En effet, la rhétorique classique, depuis Aristote, vise la persuasion par le discours. Le but de la persuasion étant d'influencer le comportement de l'auditoire à partir de l'activité discursive, la rhétorique ambitionne l'accomplissement des actions par le moyen de la parole. Cette prise de conscience de la dimension pragmatique de l'activité langagière est visiblement présente dans les recherches de Roman Jakobson sur les fonctions du langage. Parmi les six fonctions énumérées par Jakobson, la fonction conative comprend une charge pragmatique remarquable. En orientant le message vers le destinataire, cette fonction constitue une invitation à l'action. Les travaux de Gardinier et de Malinowski ont constitué des avancées significatives dans l'émergence de la conscience pragmatique. Sous l'influence du modèle behavioriste de l'époque, ces deux auteurs ont mis en évidence le rapport entre langage et action. Pour eux, le langage n'est pas que miroir de la pensée. Il est aussi et surtout un moyen d'agir sur autrui, d'influencer sa conduite. Autrement dit, des énoncés ont un pouvoir d'accomplir par eux-mêmes des actions spécifiques45. C'est dans le prolongement de ces recherches qu'interviennent les douze conférences d'Austin prononcées à partir de 1955 et publiées en 1962 dans un ouvrage posthume intitulé How to do Things with Words (Quand dire, c'est faire). 25 1.2.3. Austin et la pragmatique illocutoire La paternité de la pragmatique est reconnue au philosophe anglais John Langshaw Austin. Ce chercheur de l'Ecole d'Oxford n'avait au départ aucune intention de fonder la pragmatique. Ses recherches étaient, plutôt, orientées vers la remise en cause des fondements de la philosophie analytique anglo-saxonne. En fait, la philosophie analytique, sous l'influence de Frege, Carnap et Wittgenstein, a assigné au langage une fonction exclusivement descriptive (exception faite des énoncés interrogatifs, exclamatifs et impératifs). Le but essentiel du langage étant de décrire la réalité, tout énoncé linguistique constitue une fonction de vérité. Dans cette perspective, l'énoncé est une entité dont la propriété consiste à endosser soit la valeur vraie soit la valeur fausse. Donc, l'énoncé est vrai si la situation décrite s'est effectivement produite ; il est faux dans le cas contraire. 1.2.3.1. Distinction constatif/performatif Dans ses conférences regroupées dans l'ouvrage Quand dire, c'est faire, Austin s'insurge contre le privilège radical accordé par la philosophie analytique anglo-saxonne aux énoncés linguistiques descriptifs. En analysant avec minutie le langage naturel, le philosophe d'Oxford, constate d'emblée l'existence d'un grand nombre d'énoncés sensés, mais ne répondant pas au critère de valeur de vérité. Loin de décrire un état de fait, ces énoncés accomplissent plutôt un acte par leur simple énonciation. De cette constatation, Austin infère que parmi les énoncés déclaratifs, certains ont un caractère descriptif et sont, par conséquent, soumis à la sanction du vrai ou du faux. D'autres sans rien décrire, exécutent une action par leur énonciation. Les premiers sont des énoncés constatifs (statements) et les seconds sont des performatifs46 (de to perform : exécuter, produire). 46 AUSTIN, John Langshaw., Quand dire, c'est faire, p. 20. 26 Illustrons-en par un exemple. L'énoncé le ciel est bleu est constatif, car il est susceptible d'être évalué après vérification empirique. Par contre, l'énoncé je te promets de l'argent demain n'est ni vrai ni faux, ni empiriquement vérifiable ; il exprime plutôt un engagement du locuteur qui en disant je te promets, accomplit ipso facto l'acte de promettre. Il est par conséquent performatif, c'est-à-dire qu'il y a simultanéité entre dire et faire, en d'autres termes, dire, c'est faire. Les énoncés performatifs sont ainsi à la base de la théorie des actes de langage. Pour Austin, la propriété distinctive des énoncés performatifs réside en ceci qu'ils ne sont pas évalués en terme de vérité ou de fausseté, mais plutôt de succès ou d'échec. Les énoncés performatifs ont une seconde propriété. Ils comportent une classe de verbes qui, conjugués à la première personne du singulier de l'indicatif présent, à la voix active, se caractérisent par la simultanéité entre l'énonciation d'une proposition et l'exécution d'une action. Ils sont donc dotés d'une valeur illocutoire. Au registre des verbes dits performatifs, l'on peut citer : ordonner, promettre, permettre, accepter, déclarer, nommer, baptiser, asserter, remarquer, critiquer, approuver, bref, tous les verbes qui accomplissent l'acte qu'ils énoncent. Toutefois, la réussite de ces actes, dans la vie de tous les jours, est soumise non seulement au respect des règles précises et partagées, mais aussi à certaines conditions linguistiques, sociologiques, psychologiques47. 1.2.3.2. Tripartition de l'acte de langage Poursuivant ses recherches, Austin constate que certains énoncés accomplissent des actions par leur énonciation sans pourtant comporter de verbe performatif. Les énoncés tels que La séance est levée ou Chien méchant en sont une illustration. Cette constatation conduit le chercheur à relativiser la distinction constatif/performatif. 47 PAVEAU, Marie-Anne et SARFATI, Georges-Elia, Les grandes théories de la linguistique. De la grammaire comparée à la pragmatique, p.210. S'agissant des verbes performatifs, Austin en énumère plus d'un millier en anglais. A titre indicatif : décrire, asserter, avertir, remarquer, commencer, commander, ordonner, demander, critiquer, présenter des excuses, blâmer, approuver, souhaiter, promettre, reprocher, exiger, alléguer, etc. 27 Dans le même ordre d'idées, Austin fait observer que dans l'énoncé « la terre est ronde », il n'est pas seulement question de rapporter un fait, mais aussi d'affirmer la réalité de ce fait. Or, l'affirmation est une action qui engage la responsabilité du locuteur. Ainsi, dire que la terre est ronde, c'est vouloir dire j'affirme que la terre est ronde. Ce dernier énoncé s'inscrit au registre des performatifs. Ce qui précède amène Austin à conclure que tout énoncé complet correspond à l'accomplissement d'au moins un acte de langage. Ce faisant, il abandonne la distinction constatif/performatif en vue d'une théorie générale de l'acte de langage. Ce revirement est introduit dans la huitième conférence où l'auteur affirme qu'un acte de langage est un processus complexe constitué de trois actes étroitement liés. Il s'agit de l'acte locutoire, l'acte illocutoire et de l'acte perlocutoire. Ce sont les trois niveaux de structuration d'un même acte48. En effet, l'acte locutoire est celui de dire quelque chose. L'acte illocutoire tient à ce qui est fait en disant. Et l'acte perlocutoire est celui réalisé par le fait de dire ce qui est dit. Concrètement, l'acte locutoire concerne l'aspect linguistique de l'énoncé et s'exprime à travers une énonciation. L'acte perlocutoire est lié aux effets produits par l'énonciation sur le destinataire. Quant à l'acte illocutoire, il met en exergue la force ou la valeur par laquelle l'énoncé transforme la réalité. 48. AUSTIN, John Langshaw., Op.cit., p.25. C'est l'acte que l'on accomplit en disant quelque chose. C'est ce dernier acte qui sert d'ancrage aux actes de langage et de critère pour établir leur classification49. 49 Au terme de ses investigations, Austin établit une typologie des actes de langage basée sur les types illocutoires en cinq rubriques suivantes : les verdictifs (actes judicaires tels que acquitter, décréter, condamner...) ; les promissifs (visant à obliger le locuteur à adopter un certain comportement. Exemple promettre, consentir) ; les expositifs( servent à exposer une idée, conduire une argumentation. Exemple : affirmer, conjecturer) ; les exercitifs (formulent un jugement favorable ou non sur une conduite. Exemple : exhorter, ordonner, pardonner) ; les comportatifs(expriment une attitude du locuteur envers la conduite de quelqu'un. Exemple : s'excuser, remercier, déplorer, critiquer, maudire). Cette classification sera reformulée par Searle. Cfr. KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, Op.cit., p.213. 28 1.2.4. Approche pragmatique de Searle Disciple d'Austin, Searle est le meilleur continuateur de l'oeuvre de ce dernier. Searle se penche sur les aspects des actes de langage dont il propose une reformulation rigoureuse. 1.2.4.1 Apport de Searle En effet, Searle à la suite d'Austin affirme que tout énoncé linguistique fonctionne comme un acte particulier visant à produire un certain effet et à modifier la situation interlocutive. Ce faisant, il place l'illocution au centre des préoccupations de ses recherches sur les actes de langage. Il retient, contre son maître, le grief d'avoir confondu le verbe illocutoire et l'acte illocutoire, deux notions pourtant différentes50. D'entrée de jeu, Searle réaffirme le caractère binaire de l'acte de langage. Il comprend deux valeurs, en l'occurrence, le contenu propositionnel et la force illocutoire. Par contenu propositionnel, on entend les unités linguistiques indispensables à la bonne compréhension du sens de l'énoncé, mieux les éléments de connaissance du contexte nécessaires à l'élucidation de l'énoncé. La force illocutoire, c'est l'intention qu'a le locuteur d'accomplir tel ou tel acte à travers son énonciation. Une force d'ordre, par exemple, correspond à l'intention d'ordonner51. C'est donc la force illocutoire qui donne à l'énoncé la valeur d'acte. C'est cette valeur qui, combinée avec le contenu propositionnel, confère à l'énoncé le statut d'acte de langage. On le voit bien, la valeur illocutoire qui détermine la nature de l'acte et fait la différence entre une affirmation, un ordre ou une promesse. Il appert que les énoncés peuvent avoir un contenu propositionnel plus ou moins semblable et s'opposer nettement au niveau de la valeur illocutoire, donnant lieu aux différents actes de langage52. 50 MEUNIER, Jean-Pierre et PERAYA, Daniel, Introduction aux théories de la communication, analyse sémio-pragmatique de la communication médiatique, p.102. 51 Ibidem, p.95. les deux auteurs indiquent que les pronoms personnels, les déictiques, les localisateurs constituent ces elements contextuels indispensables à la compréhension de l'énoncé. 52 KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, Les actes de langage dans le discours. Théorie et fonctionnement, p.16. L'illustration de Searle est éloquente. Ces quatre énoncés - Jean fume beaucoup(1), Jean fume-t-il 29 1.2.4.2. Taxinomie de Searle Searle examine la taxinomie des valeurs illocutoires en douze critères qu'il appelle les « dimensions de variation significative » des actes illocutoires. Trois de ces douze critères sont considérés comme principaux et déterminants. Il s'agit du but illocutoire; de la direction d'ajustement des mots avec le monde et du monde avec les mots ; de l'état psychologie exprimé53. Sur base de ces trois critères, Searle propose une classification des actes illocutoires selon cinq grands types fondamentaux : les assertifs, les directifs, les promissifs, les expressifs, les déclaratifs54. -Les assertifs : ils affirment un état de fait et se caractérisent par la correspondance de l'énoncé avec l'état du monde. Concernant la direction d'ajustement, les assertifs vont des mots au monde. L'état psychologique exprimé est la croyance que l'énoncé est vrai. Les assertifs nous disent comment sont les choses. Exemple (constater, affirmer, nier, répondre, décrire, etc.). Le ciel est bleu est un assertif. -Les directifs : ils visent à faire faire quelque chose à l'interlocuteur, à faire accomplir une action par l'interlocuteur, par injonction, supplication, prière, etc. Ces types d'actes tendent à modifier le monde de l'interlocution. La direction, elle va du monde aux mots. L'état psychologique exprimé, c'est la volonté que l'interlocuteur accomplisse l'action énoncée par le locuteur. Exemple de directifs : inviter à, suggérer, ordonner, réclamer, conseiller, etc. Exemple : Je te conseille de partir. -Les promissifs : ici, le locuteur s'engage à faire quelque chose, il assume l'obligation d'accomplir une action. Les promissifs obligent le locuteur (à des degrés variés) à adopter une certaine conduite future. Pour la direction, elle va du monde aux beaucoup ?(2), Fume beaucoup, Jean!(3), Plût au ciel que Jean fumât beaucoup !(4). Ces énoncés ont un contenu proposition plus ou moins semblable composé de 'attribut du prédicat 'fumer beaucoup' appliqué au sujet `Jean'. Ils se diffèrent plutôt ai niveau de la force illocutoire constituée respectivement de l'assertion(1), de la question(2), de l'ordre(3), du souhait(4). 53 MEUNIER, Jean-Pierre et PERAYA, Daniel, Op.cit., p.102-103. 54 SEARLE, John, Sens et expression. Etudes de théorie des actes de langage, p.51-60. Cité par MEUNIER, Jean-Pierre et PERAYA, Daniel, Op.cit., p.104. Voir note 4. 30 mots. Concernant l'état psychologique, les promissifs expriment l'intention du locuteur d'effectuer l'acte décrit par le contenu propositionnel. Parmi les promissifs, il y a promettre, jurer, garantir, s'engager, etc. Je te promets de l'argent demain est un acte promissif. -Les expressifs : sont des actes qui expriment l'état psychologique, l'état affectif du locuteur vis-à-vis d'un certain état des choses. Par les expressifs, le locuteur exprime les émotions, les sentiments ou les attitudes face à un état des faits. Ici, il n'y a pas de direction car la vérité est présupposée. Font partis des expressifs les verbes tels que remercier, féliciter, s'excuser, déplorer, compatir, applaudir, souhaiter, bénir, rendre hommage, etc. Je compatis à votre souffrance est un acte expressif. -Les déclaratifs : sont des actes qui visent à faire advenir la réalité qu'ils énoncent. Ici, le locuteur provoque un changement, une transformation dans le monde par son énonciation. Ces actes mettent en correspondance le contenu propositionnel avec la réalité. La direction d'ajustement : elle va des mots au monde et du monde aux mots. Il n'ya pas d'état psychologique exprimé. Certes, la réussite du déclaratif suppose que le locuteur possède un statut requis et est investi de l'autorité nécessaire et reconnue. Le fonctionnement de ces actes repose sur l'existence, dans le monde extralinguistique, des institutions (telles que l'église, la loi, la constitution) ainsi que le respect strict des règles rituelles. Exemple des déclaratifs : décréter, déclarer la séance ouverte, baptiser, excommunier, nommer, démettre, etc. Je déclare la séance ouverte. Par ailleurs, dans la vie de tous les jours, les actes de langage ne sont pas toujours conditionnés par l'usage des verbes performatifs ou des marqueurs illocutoires classiques. Ils sont plutôt déterminés par le sens de l'énoncé pris dans son contexte. Disons qu'à propos des actes de langage, il n'y a de correspondance biunivoque entre le signifiant et le signifié. Un même acte de langage peut se réaliser de différentes manières tout comme une même structure linguistique peut exprimer différentes valeurs illocutoires. Donc, un acte de langage peut se réaliser, de manière 31 directe, par un verbe performatif ou une structure classique, et de manière indirecte, par le truchement d'un autre acte de langage. Les réalisations indirectes peuvent être conventionnelles ou non conventionnelles55. Cet exemple peut illustrer ce qui vient d'être dit. Pour ordonner quelqu'un à fermer la porte(acte d'ordre), on peut utiliser un verbe performatif : je t'ordonne de fermer la porte. Cet acte d'ordre peut aussi s'exprimer de manière indirecte par une gamme de formule : ferme la porte ; peux-tu fermer la porte ? ; J'aimerais que tu fermes la porte; la porte est ouverte ; il fait froid. Autant de manière d'utiliser la valeur illocutoire d'ordre. Ce qui est de l'ordre vaut pour les autres actes. Ainsi l'analyse pragmatique du discours des auditeurs sera basée aussi bien sur les actes directs qu'indirects. 1.2.4.3. Conditions de réussite d'un acte de langage Le seul fait d'énoncer un acte de langage ne garantit pas sa réussite. Encore, faut-il que certaines conditions soient réunies. Les conditions de réussite sont donc celles qui doivent être réunies pour que la valeur illocutoire de l'énoncé ait des chances d'aboutir56. Ces conditions sont surtout en rapport avec la réalisation au niveau perlocutoire. Certaines conditions sont générales, en l'occurrence les conditions normales de départ et d'arrivée. Ces sont des conditions qui rendent toute forme de communication linguistique possible. On suppose ici l'inexistence, entre locuteur et destinataire, des obstacles en rapport avec l'audition, la compréhension de la langue, le canal de communication. D'autres conditions sont en rapport avec l'état des choses, le locuteur et le destinataire. - Etat des choses : l'action à accomplir ne doit pas être déjà accomplie avant ou au moment de l'énonciation. Le contexte doit être approprié à l'acte. Ex. Quand on dit à quelqu'un : « ferme la porte » ; on suppose que la porte en question existe et qu'elle est ouverte, sinon l'acte est défectueux. On ne peut pas demander à quelqu'un de fermer une porte déjà fermée. 55 KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, Op.cit., p.52. 56 SEARLES, John R., Les actes de langage. Essai de philosophie du langage, p.95. 32 -Le locuteur : la réussite de l'acte du côté du locuteur dépend des conditions de sincérité et institutionnelle. La condition de sincérité ou de prétention à la sincérité signifie que le locuteur doit adhérer à ce qu'il énonce, qu'il a l'intention de réaliser l'acte de son énonciation, étant donné que parler, c'est être sincère. Ainsi, il est non sens de dire « je te promets de venir demain, mais je n'ai pas l'intention de le faire ». La condition institutionnelle signifie que le locuteur doit être investi d'un statut reconnu institutionnellement pour pouvoir accomplir l'acte de son énonciation. Ainsi, N'est pas autorisé qui veut à affirmer, ordonner, répondre ou pardonner : encore faut-il que «l'illocuteur » possède, au moment de la prise de parole, une crédibilité et une autorité suffisantes ; qu'il dispose du « droit de réponse », ou d'une « position haute » lui permettant la « condescendance » du pardon57. En vertu de son statut, un étudiant n'est pas autorisé de dire à un professeur : « sortez de la salle de classe ». -Destinataire : l'accomplissement de l'action suppose que l'interlocuteur a la capacité et les dispositions psychologiques requises pour s'exécuter. 1.2.5. Approche de François Recanati Les recherches de Recanati s'inscrivent dans le prolongement de Searle. Cet auteur propose une classification arborescente dont la cohérence se fonde sur le principe d'ajustement. Il catégorise les actes de langage selon la direction d'ajustement entre les mots et le monde, critère qui, selon lui, permet de classer aussi bien les états psychologiques que les buts illocutoires. La taxinomie de Recanati est basée sur une triple distinction58. En effet, la première distinction est établie entre les actes essentiellement représentatifs et non essentiellement représentatifs. Les premiers possèdent un contenu proposition explicite (par exemple, je te baptise). Les deuxièmes n'ont pas de contenu propositionnel explicite, mais expriment simplement une convention et une 57 SEARLES, John R., Op.cit., p.29-30. 58 MEUNIER, Jean-Pierre et PERAYA, Daniel, Op.cit., p.104-105. 59 Ibidem, p.106. Nous avons complété ce schéma en ajoutant les éléments de la catégorie des actes non essentiellement représentatifs(expressifs) et des constatifs(assertifs). 33 attitude sociale à l'égard du destinataire (par exemple, bonjour, merci). Cette deuxième catégorie correspond aux expressifs de Searle. La deuxième distinction est basée sur les actes essentiellement représentatifs. Elle se rapporte à la dimension constative et performative des actes de langage. Les constatifs présentent l'état des choses comme donné indépendamment de l'énonciation, tandis que les performatifs présentent l'état de chose comme virtuellement réalisé par l'énonciation. La catégorie des constatifs de Recanati correspond aux assertifs de Searle. La dernière distinction concerne spécifiquement la catégorie des performatifs. Leur caractéristique commune, c'est la volonté du locuteur de transformer le monde, la réalité par son énonciation. Il s'agit des directifs, des promissifs et des déclaratifs de Searle. Cette classification est présentée dans le schéma ci-dessous. Schéma I59.( taxinomie de Recanati) Actes illocutoires Essentiellement Non essentiellement représentatifs représentatifs Performatifs actes constatifs Déclaratifs Promissifs Prescriptifs ( Assertifs ) (Expressifs) (Directifs) 34 Comme on le voit, la classification de Recanati présente un degré de cohérence interne élevé entre les différentes catégories d'actes. Cette taxinomie rejoint la distinction austinienne entre les actes constatifs et performatifs. Elle met l'accent sur la direction d'ajustement et donc sur la volonté du locuteur de transformer le monde, la réalité par son énonciation. L'intérêt de cette taxinomie de Recanati est de regrouper les actes selon le degré de leur force illocutoire. Les actes non essentiellement représentatifs (expressifs) ne réalisent ni une description ni une transformation quelconque du monde. Ils expriment simplement une convention ou une attitude à l'égard du destinataire. Les actes constatifs, eux, se limitent à décrire un état de fait, ils représentent un état de choses comme donné indépendamment de l'énonciation. Enfin, les actes performatifs sont portés par la volonté du locuteur de transformer le monde par l'énonciation. Ces derniers sont réalisés par le seul fait de leur énonciation. Cette troisième catégorie nous aidera à montrer la nature du discours des auditeurs dans les émissions interactives. Ces locuteurs, par leur énonciation, expriment la volonté de transformer, de changer la situation de leur environnement. 1.2.6. Instance énonciative et polyphonie La pragmatique, ainsi que nous l'avons indiqué précédemment étudie le langage en acte. Il s'agit aussi bien du langage actualisé dans un acte énonciatif particulier que du langage comme moyen d'agir sur le contexte d'interlocution. Or, l'actualisation d'un énoncé suppose la présence des indices linguistiques qui inscrivent le discours dans le cadre énonciatif de sa production. Cette inscription se réalise par la présence des traces des énonciateurs dans le discours60. En effet, les actes de langage sont contenus dans des énoncés linguistiques. Ces énoncés contiennent les traces des énonciateurs ou des protagonistes du discours61. Ces traces sont perceptibles par la présence, entre autres des marques de personnes, des indices spatio-temporels, etc. Pour le besoin de cette étude, nous 60 KERBRAT-ORECOEIONI, Catherine, La pragmatique, dans SFEZ, Lucien, Op.cit., p.258. 61 COURTES, Joseph, Analyse sémiotique du discours. De l'énoncé à l'énonciation, p.248. 35 examinons simplement la position énonciative ainsi que les conditions de polyphonie dans un discours. 1.2.6.1. Position énonciative dans le discours Comme l'écrivent Meunier et Peraya, Les marques de personnes sont certainement un des aspects les plus importants à considérer dans un discours. Mais, on ne saisira bien leur portée pragmatique que si, d'une part, on tient compte de leur degré de présence, et que d'autre part, on tient compte de ce qui les différencie62 En effet, l'énoncé est toujours produit par un locuteur désigné par les pronoms et les différentes marques de la première personne(je)63. « Je » désigne celui qui parle et qui prend en charge l'énoncé. Il représente la personne subjective transcendante. L'allocutaire, à qui s'adresse l'énoncé, est désigné par les pronoms et les marques de la deuxième personne(Tu). « Tu » est nécessairement désigné par « Je » ; il ne peut être pensé en dehors de la situation posée par ce dernier. « Tu » représente la personne non subjective à laquelle « Je » s'adresse64. Contrairement à « Je » et « Tu » qui désignent les personnes dans leur unité spécifique, « Il » (ou elle), n'implique aucune personne spécifique. Il est par conséquent considéré comme la personne sur qui porte le discours, c'est-à-dire la non-personne. Il est situé en dehors de la relation par laquelle « Je » et « Tu » se spécifient65. Au pluriel, la première personne, c'est le « Nous ». Elle est l'amplification de « Je » auquel elle joint une globalité d'autres personnes indistinctes. Le « Nous » se présente sous deux formes : inclusive et exclusive. Le « Nous » inclusif correspond à « Moi + Vous». Le Nous exclusif par contre équivaut à « Moi + Eux ». Ce n'est pas tout, « Nous » comprend aussi d'autres emplois amplifiés de « Je » tels que le « Nous » de majesté, le « Nous » d'auteur utilisé pour relativiser une affirmation trop catégorique. 62 MEUNIER, Jean-Pierre et PERAYA, Daniel, Op.cit., p.82. 63 Ibidem, p.81. 64 BENVENISTE, Emile, Problèmes de linguistique générale, p.228. 65 MEUNIER, Jean-Pierre et PERAYA, Daniel, Op.cit., p.86. 36 Le pronom « Vous » se présente comme la manifestation d'un processus de généralisation ou d'extension de « Tu ». On distingue le « Vous » collectif et le « Vous » de politesse. Quant au pronom Ils, il désigne l'ensemble indéfini des êtres non personnels, c'est l'extension illimitée et indéfinie de la non-personne66. Il reste le pronom « On ». Celui-ci présente une généralité indécise d'autant plus qu'il peut se substituer à tous les autres pronoms. Sa spécificité, par rapport aux autres pronoms, est de ne porter aucune marque de personne. Ainsi le pronom « On » vient gommer en quelque sorte les frontières entre les positions de première, deuxième et troisième personne. C'est un pronom syncrétiste67. Cet éclairage théorique sur la position énonciative, à travers les indicateurs de personnes, met en évidence la manière dont les protagonistes du discours structurent leur relation et se positionnent par rapport aux autres. 1.2.6.2. Regard sur la polyphonie La polyphonie peut désigner la marque ou la trace d'hétérogénéité des voix dans le discours. Il y a polyphonie lorsque les protagonistes du discours font résonner dans leur voix, les voix des autres personnes. Pour Bakhtine, initiateur de ce concept, le discours est le lieu de manifestation de plusieurs voix représentatives de discours différents. Abondant dans le même sens, Meunier et Peraya affirment que Tout texte doit donc être considéré comme le lieu d'interaction entre différents discours et analysé comme une instance énonciative plurielle68. 66 BENVENISTE, Emile, Op.cit., p.233-235. De son côté, Oswald Ducrot présente une formulation théorique de la polyphonie comprenant deux pôles de l'interlocution et quatre rôles de l'énonciation. Les deux pôles de l'interlocution sont : le pôle de l'émission et le pôle de la 67 MAINGUENEAU, Dominique, Op.cit., p.111. 68 MEUNIER, Jean-Pierre et PERAYA, Daniel, Op.cit., p.88. 69 DUCROT, Oswald, Les mots du discours, p.233-236, cité par MEUNIER, Jean-Pierre et PERAYA, Daniel, Op.cit.,p.88-90. 37 réception. De ces deux pôles, l'on peut dégager quatre rôles ou figures de l'énonciation : le locuteur, l'allocutaire, l'énonciateur et le destinataire69. -Le locuteur - ou l'auteur des paroles- désigne la personne qui produit l'acte illocutoire (qu'il en soit responsable ou non) ; -Les allocataires sont des personnes à qui l'acte est adressé ( c'est-à-dire tous ceux qui entendent, écoutent le message, qu'ils y soient concernés ou non).; -L'énonciateur est l'agent de l'acte illocutoire, il le prend en charge et en assume la responsabilité (c'est le responsable du message, qu'il le produise explicitement ou non); -Les destinataires sont les patients des actes, ceux à qui les actes sont destinés ; ils en constituent en quelque sorte la cible (ceux à qui le message est nécessairement destiné). Cette formulation théorique de Ducrot peut se résumer dans ce tableau proposé par Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau.
38 S'agissant de niveau, le sujet parlant peut se situer au niveau externe ou interne au discours70. Au niveau externe, le sujet parlant produit un discours dont il n'est pas le vrai responsable. L'instance productrice des messages peut alors être appelée un émetteur, un locuteur ou un auteur. Quant à l'instance réceptrice, elle est constituée par des gens qui écoutent des messages dont ils ne sont pas les vrais destinataires, la vraie cible. Cette instance réceptrice peut avoir le statut de récepteur, allocutaire, auditeur, lecteur, bref ceux qui entendent un discours qui ne leur est pas adressé. Au niveau interne, l'instance productrice transmet un message construit par elle-même, un message dont il est l'agent. Celui qui produit un message dont il est responsable peut être appelé énonciateur, narrateur ou auteur modèle. Du côté de la réception, l'on trouve des personnes qui écoutent les messages qui leur sont destinés, les messages dont ils sont de vrais destinataires. Cette instance peut s'appeler destinataire, co-énonciateur, narrataire, lecteur modèle. La polyphonie s'applique aussi bien au pôle de l'émission qu'à celui de la réception. Elle suppose nécessairement une différence nette entre locuteur et énonciateur d'une part et entre allocutaire et destinataire d'autre part. Ainsi, du côté de l'émission, il y a polyphonie lorsque le locuteur produit un discours venant d'une autre personne ou d'une autre instance énonciative. Du côté de la réception, il y a polyphonie lorsque le message destiné aux vrais destinataires (personnes nécessairement concernées par le message) est entendu par l'ensemble des allocutaires. Ce chapitre a consisté non seulement à cerner les concepts théoriques contenus dans le titre de notre travail, mais aussi à présenter le cadre théorique de l'étude, à savoir la pragmatique illocutoire. Les concepts discours, auditeur, magazine interactif ont été définis de manière détaillée et systématique. Le discours est un développement oratoire, écrit ou verbal, contextualisé. L'auditeur est considéré comme une personne qui écoute les programmes de la radio et peut intervenir en direct pour exprimer son opinion. Quant 70 CHARAUDEAU, Patrick et MAINGUENEAU, Dominique, Op.cit., p.557. 39 aux magazines interactifs, ce sont programmes radiophoniques ouverts, constitués d'un dispositif d'échange, en direct, entre la radio et les auditeurs. Concernant le cadre de référence, nous avons recouru à la pragmatique illocutoire. Cette théorie met exergue la valeur illocutoire des énoncés linguistiques. Elle montre la capacité qu'ont les énoncés linguistiques de transformer la réalité par leur énonciation. Le premier chapitre étant brossé, nous abordons à présent le deuxième chapitre consacré à la présentation du champ de notre étude, à savoir la Radio Okapi. 40 CHAPITRE DEUXIEME : PRESENTATION DE LA RADIO OKAPI ET DU MAGAZINE DIALOGUE ENTRE CONGOLAIS Ce chapitre porte sur la présentation de l'objet de notre étude. Il sera question de présenter la Radio Okapi ainsi que le magazine Dialogue entre congolais, programme sur lequel porte spécifiquement cette recherche. 2.1. Présentation de la Radio Okapi La présentation porte sur les éléments suivants : le statut juridique et l'historique de la radio Okapi, sa situation géographique, son objet social, sa structure et son fonctionnement, sa politique éditoriale, son organigramme. 2.1.1. Statut juridique et Historique La Radio Okapi est un organe de presse sous la gestion de la Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation du Congo(MONUSCO) et de la Fondation Hirondelle. Cette radio vit le jour 25 février 2002 sous l'initiative de la Fondation Hirondelle71 et de la MONUC(Mission d'Observation des Nations Unies au Congo). Mais, cette naissance a une histoire. En effet, le 17 mai 1997, les forces de l'Alliance sous la direction de Laurent Désiré Kabila ont pris le pouvoir d'Etat en RDC. Le pays a connu une accalmie avant de se replonger, le 02 Août 1998 dans une autre guerre menée d'abord par la rébellion du RCD(Rassemblement congolais pour la démocratie), puis par le MLC(Mouvement pour la libération du Congo) ainsi que d'autres petites rébellions ramifiées. Ces rébellions ont mis en mal la souveraineté du pays, l'intégrité territoriale, la sécurité et la paix en RDC. C'est dans ce contexte que le Conseil de sécurité de 71 La Fondation Hirondelle est une organisation des journalistes suisses fondée depuis 1995. Elle dirige les médias en zone de conflit ou de crise dans le monde. Elle a été présente au Libéria, à Arusha/ Tanzanie(auprès du Tribunal Pénal International d'Arusha), au Kosovo, au Timor, au Népal, etc. 41 l'ONU votera, le 30 novembre 1999, la résolution 1279 autorisant l'envoi d'une mission de maintien de la paix en RDC, dénommée « Mission d'Observation des Nations Unies au Congo »(MONUC). Sitôt mise en marche, cette mission de sécurité a senti le besoin d'avoir un outil de communication dans le but de vulgariser l'information sur la paix, la sécurité, la situation humanitaire sur l'étendue du pays. C'est ainsi que le département de maintien de la paix des Nations Unies, à New York, intéressera la Fondation Hirondelle pour participer à la mise en place d'une radio en RDC. Après la prise de connaissance de la réalité locale du pays, la Fondation Hirondelle proposera la structure d'une radio avec des antennes à l'intérieur du pays. La proposition présentée en 2001 reçue l'assentiment du Conseil de sécurité. Ainsi la Radio Okapi verra le jour le 25 février 2002, le jour de l'ouverture des travaux du dialogue intercongolais organisé, entre les différents belligérants ainsi que les forces sociales congolaises, à Sun City, en Afrique du Sud. 2.1.2. Situation géographique Le siège social de la Radio Okapi est situé au quartier général de la Monusco, sur l'avenue des Aviateurs, à côté de l'ambassade des Etats-Unis, dans la commune de la Gombe. La Radio Okapi assure une couverture médiatique nationale à travers ses antennes provinciales. 2.1.3. Objet social La résolution 1355 assigne à la Radio Okapi une diversité de missions toujours actuelles. Il s'agit de : -proposer les informations, des magazines et de la musique pour accompagner le processus de paix sur le territoire national ; -donner des informations sur l'actualité du pays, les activités de la Monusco et l'assistance humanitaire. -accompagner la RDC dans la phase de reconstruction et de développement. 42 2.1.4. Structure et fonctionnement La radio Okapi comprend une structure coiffée par une administration bicéphale, en l'occurrence, la division de l'information publique de la Monusco d'un côté et la Fondation Hirondelle de l'autre. La division de l'information publique a la tâche de concevoir les stratégies pour le bon fonctionnement de la radio conformément aux prescrits du Conseil de sécurité. Elle exécute ce travail par le biais de la direction de la Radio. La Fondation Hirondelle gère une partie du personnel, elle assure la tenue des programmes et veille sur leur contenu. Comme on le voit, la Radio Okapi fonctionne avec deux administrations conjointes, deux types du personnel et deux types de contrat de travail. Il y a des travailleurs qui sont pris en charge par l'Administration des Nations Unies et d'autres par la Fondation Hirondelle. La Radio Okapi fonctionne 24heures /24 pendant toute la semaine. Elle émet en modulation de fréquence (FM) et en onde courte ( sur 11.960 Mhz de 5h à 6h et 18h à 19h). Elle est captée sur toute l'étendue du territoire national, à travers les 14 antennes régionales, une vingtaine de stations relai ainsi que des radios communautaires partenaires. Les émissions de la Radio Okapi sont disponibles sur le site www.radiookapi.net . 2.1.5. Politique éditoriale La Radio Okapi s'efforce d'apporter une contribution significative au processus de paix et de sécurité dans le pays. Elle revendique neutralité et impartialité dans la couverture et le traitement des informations et milite en faveur de l'expression libre des idées et des opinions. A travers ses programmes d'information, la Radio Okapi respecte le pluralisme régional et politique au sein d'une identité nationale. Pour toute question, surtout controversée, elle cherche toujours un autre son de cloche avant de diffuser 43 l'information. A ce principe d'équilibre, s'ajoute celui de l'exactitude qui consiste à distinguer nettement les faits des commentaires. La Radio Okapi s'attache, afin, au respect des individus et de la vie privée , elle tient compte de la sensibilité du public dans l'élaboration de ses programmes72. 72 Cfr Entretien avec Monsieur Julien NYAMWENY, Rédacteur adjoint chargé des régions et des informations en langues nationales. 44 2.1.6. Organigramme 45 2.2. Présentation du magazine dialogue entre congolais 2.2.1. Historique L'historique du magazine Dialogue entre congolais est confondu avec celui de la Radio Okapi. Ce magazine a été diffusé pour la toute première fois le jour de l'inauguration des programmes de la Radio Okapi qui, d'ailleurs, coïncida avec l'ouverture du dialogue intercongolais à Sun City, en Afrique du Sud. Cette émission a connu deux grandes périodes. Avec la situation de belligérance de 2002 à 2006, elle était orientée vers les thèmes en rapport avec la réunification du pays. Depuis 2006, sans abandonner la préoccupation de pacification, elle aborde des aspects pédagogiques, de reconstruction et de développement. 2.2.2. Objectif Le Dialogue entre congolais est une émission d'actualité qui poursuit un certain nombre d'objectifs, entre autres73 : -S'investir dans le processus de pacification du pays. Etant donné la guerre qui a sévi durant plusieurs années en RDC, il est nécessaire de vulgariser le discours et la logique de la paix. -Aider la population à comprendre les enjeux de la paix. Autrement dit, amener la population à comprendre, à travers les analyses faites par les acteurs politiques et les forces vives, les avantages de la paix. -Favoriser la solution de la crise par le dialogue ou les moyens pacifiques. -Faciliter la réconciliation nationale 73 Entretien avec Monsieur Alain IRUNG, Coordinateur du magazine. 74 Cfr. Entretien avec Monsieur Alain IRUNG MUSHINJ, Coordonnateur et présentateur principal du magazine politique « Dialogue entre congolais », le 18 juin 2012. 46 2.2.3. Déroulement de l'émission L'émission est structurée de la manière suivante. L'animateur présente le sujet de l'émission du jour suivi généralement de deux questions principales. Ensuite, l'on balance un élément sonore (reportage, papier...) servant à situer le contexte du sujet. Le présentateur lit en principe une ou deux réactions écrites des auditeurs, puis pose la première question à l'un des invités, le débat est ainsi lancé. Après cette question introductive, on prend quelques réactions des auditeurs, et l'animateur pose une deuxième question aux invités, l'un après l'autre. Quelques 10 minutes avant la fin de l'émission, le présentateur prend les derniers messages des auditeurs et demande la réaction des invités. 2.2.4. Fonctionnement74 Le magazine est préparé et animé par une équipe de quatre personnes, dont le Coordonateur qui est aussi le présentateur principal, le reporter (aussi présentateur adjoint), le réalisateur et le responsable du desk. Le coordinateur supervise le magazine et assure la présentation du mardi à jeudi. Le reporter recherche les éléments sonores d'illustration à intégrer dans l'émission. Il présente l'émission du lundi. Le réalisateur garde contact avec les invités jusqu'à la réalisation de l'émission. Il s'occupe du conducteur et de la gestion du chrono pendant l'émission. Le chargé du desk s'occupe du standard, il reçoit et enregistre les appels des auditeurs et tous les messages écrits envoyé en guise de réaction au sujet de l'émission. Le magazine a lieu du lundi à jeudi, de 19h15 à 20h00 heures de Kinshasa et la rediffusion se fait entre 4h15 et 5h00. Le vendredi est consacré à la tribune de la presse où l'on invite les journalistes pour débattre sur un sujet d'actualité, mais sans intervention des auditeurs. Certes, le choix des sujets est dicté par l'actualité. Chaque jour de l'émission, l'équipe animatrice se réunit dans la matinée pour choisir le sujet du jour. Ce sujet est trié parmi les éléments d'information importants et actuels diffusés dans les journaux parlés de la Radio et qui méritent un approfondissement. 47 Une fois le sujet trié, on l'annonce à l'antenne et sur le web, à partir de 12h55, pour permettre aux auditeurs d'envoyer déjà leurs réactions. En même temps, on sélectionne puis contacte les invités convenables en tenant compte de l'équilibre politique ou idéologique. A part les deux protagonistes, on invite aussi très souvent un analyste ou une personnalité neutre pour équilibrer le débat. La plupart, si pas toutes les réactions des auditeurs sont pré-enregistrées sur le standard pour. Cela évite des dérapages et les défections des lignes téléphoniques en direct de l'émission. Au moment venu, le présentateur lance l'émission et les invités interviennent par téléphone ou à partir du studio. La moyenne de temps de parole par invité est de 12 minutes. L'auditeur a une place importante dans ce magazine ; il est considéré dans ce comme le quatrième invité. Et pour preuve, l'émission commence souvent par les réactions des auditeurs avant même l'intervention des invités. Les réactions des auditeurs sont minutieusement filtrées à un double niveau75. D'abord au niveau du responsable de desk, puis celui du présentateur de l'émission. On privilégie les réactions pertinentes tout en respectant le principe d'équilibre. Autant dire que d'autres réactions ne sont pas prises en compte. Ce deuxième chapitre était essentiellement consacré à notre champ d'étude. Il était question de présenter l'objet de notre e étude, dans son contexte. La première section a consisté à présenter le contexte dans lequel fonctionne ce magazine, à savoir la Radio Okapi, et la seconde section s'est appesanti sur le magazine proprement dit. Nous avons passé en revue l'historique, l'objet, la structure, le fonctionnement. Il ressort que ce magazine s'inscrit dans la dynamique de la politique éditoriale de la Radio Okapi qui consiste à contribuer à la vulgarisation de l'information auprès de la population, mais aussi de favoriser l'expression libre des idées et opinions de tous. Ceci nous permet d'aborder le troisième chapitre portant sur l'analyse des discours des auditeurs. 75 Selon le Coordonnateur, beaucoup d'interventions des auditeurs sont enregistrées à l'avance et rediffusées au moment de l'émission. Le filtrage se fait en rapport avec l'intérêt de la réaction et la conformité à la ligne éditoriale qui bannit l'insulte, la xénophobie, le tribalisme, le racisme, etc. 48 CHAPITRE TROISIEME: Ce chapitre constitue la partie empirique de notre étude. Il analyse le discours des auditeurs intervenant dans les magazines radiophoniques interactifs. L'objectif est de dégager l'orientation illocutoire de ce discours. Ce chapitre s'articulera autour de trois points fondamentaux, à savoir le protocole méthodologique, l'analyse des données et l'interprétation des résultats. 3.1. Protocole méthodologique Cette étape va nous permettre d'indiquer la démarche à entreprendre pour valider l'hypothèse de ce travail. Il est question de montrer le cheminement à suivre dans l'analyse des données. En effet, cette étude est partie de la question spécifique suivante: Quelle est l'orientation illocutoire du discours des auditeurs dans un programme radiophonique interactif d'actualité? En rapport avec cette question, nous avons émis l'hypothèse selon laquelle les anonymes qui interviennent dans un programme radiophonique ouvert ont tendance à produire un discours de nature performative. Au regard de notre hypothèse, nous opérationnalisons les concepts suivants : anonyme, programme radiophonique, discours performatif. Construction des concepts
49 Programme radiophonique interactif
Discours performatif
3.1.1. Présentation de l'analyse de contenu En vue de vérifier la validité de notre hypothèse nous procédons à l'analyse du corpus. Le procédé que nous utilisons est l'analyse de contenu. En effet, l'analyse de contenu est une technique fréquemment usitée dans l'étude des documents (visuels, écrits ou sonores)*. La définition de Bernard Berelson est explicite : C'est une technique de recherche pour la description objective, systématique et quantitative, du contenu manifeste des communications, ayant pour but de les interpréter76. Il existe divers types d'analyse77. Dans cette étude, nous * L'analyse de contenu est un concept générique. Il désigne les procédés d'analyse des documents tels que des oeuvres littéraires, les articles des journaux, les documents officiels, les programmes audio -visuels, les déclarations politiques, les rapports des réunions, etc. Cfr. MULUMA, Albert, Guide du chercheur en Sciences sociale et humaine,, p.110-111. 76 BERELSON, Bernard, Content Analysis in communication research, p.220, cité par GRAWITZ, Madeleine, Méthodes des sciences sociales, p.606. La description est objective, car elle procède selon les règles et obéit à des consignes claires et précises ; elle est systématique parce que le contenu est ordonné et intégré dans les catégories choisies, en fonction du but poursuivi ; elle est dite quantitative car elle vise le 50 utilisons l'analyse quantitative, celle basée sur la fréquence ou le dénombrement du phénomène à étudier. L'analyse de contenu comporte quatre étapes principales : la préanalyse, le codage et le comptage, la catégorisation, l'interprétation78. La préanalyse : c'est l'étape de l'opérationnalisation et de la systématisation de l'objectif de départ. Trois missions sont assignées à la préanalyse, à savoir le choix des documents, la formulation des hypothèses et l'élaboration des indicateurs sur lesquels devront s'appuyer l'interprétation. Notons que le choix du corpus est toujours effectué en rapport avec la question préalable de recherche. Le codage79 et le comptage des unités : c'est l'étape du découpage du document en de petits segments significatifs. Ce sont des unités d'enregistrement, de numération et de contexte. En effet, l'unité d'enregistrement est la plus petite unité de signification. Elle correspond à l'identification des éléments du document ayant un sens complet en eux-mêmes. L'unité d'enregistrement utilisé dans ce travail c'est l'énoncé dans l'intervention de l'auditeur. L'unité de numération c'est la manière de compter ou de mesurer les unités d'analyse. Dans cette étude, nous utilisons le nombre comme unité de numération. Il s'agit de déterminer la fréquence de chaque acte de langage dans le corpus. Reste maintenant l'unité de contexte. Elle est immédiatement plus grande que celle d'enregistrement dont elle permet d'interpréter avec précision la signification80. L'intervention de l'auditeur est utilisée ici comme unité de contexte. En clair, la procédure de découpage des unités d'analyse se fera de façon suivante : dans chacune des émissions, nous isolerons les interventions des auditeurs dénombrement et met en évidence la fréquence des éléments significatifs ; contenu manifeste, car l'analyse est basée sur le message explicitement exprimé et non sur des présomptions. 77 GRAWITZ, Madeleine, Op.cit., p.608-609. D'après l'auteure, il existe divers types d'analyse de contenu : analyse d'exploration ou de vérification, quantitative ou qualitative, directe ou indirecte, dirigée ou non dirigée communication représentative ou instrumentale. 78 MBIYE, Hilaire, Cours d'Analyse de contenu, L1 FCS, UCC, 2008-2009, inédit. 79 Le codage est le processus par lequel les données brutes sont transformées systématiquement et agrégées dans des unités qui permettent une description précise des caractéristiques pertinentes du contenu'. Cfr. Ole R. HOLSTI, Analyse de contenu, dans http://responsable.unige.ch/AnalyseEtuRispalAnnexe1.pdf le 10 mars 2012. 80 BONVILLE, Jean de, L'analyse de contenu des médias : De la problématique au traitement statistique, p.26. 51 selon l'ordre chronologique de leur passage à l'antenne. Chaque intervention sera ensuite découpée en des unités linguistiques d'analyse ou énoncés. Le caractère oral du discours en analyse a rendu ardu le découpage des énoncés. Pour surmonter cet obstacle, nous avons décidé de recourir aussi bien au sens logique des énoncés qu'aux éléments paralinguistiques contenus dans le discours -l'intonation montante(/) ou descendante(\), la pause(-), etc.). Une fois découpés, ces énoncés seront soumis à l'analyse pragmatique en vue de dégager, pour chaque unité linguistique, la position énonciative et l'acte de langage sous-jacent. La catégorisation : c'est l'opération de classification des éléments du document selon les critères préalablement définis. Une catégorie, à en croire Madeleine Grawitz, est une rubrique significative, en fonction de laquelle le contenu sera classé et au besoin quantifié81. Dans l'analyse de notre corpus, les énoncés seront classés selon la position énonciative et les actes de langage. La position énonciative indique la marque de la personne ; elle s'exprime à travers les pronoms personnels L'interprétation des résultats : c'est la dernière et la plus intéressante étape de l'analyse. Elle permet d'évaluer la fécondité de la démarche ainsi que l'hypothèse énoncée. L'interprétation s'appuie sur les éléments mis à jour par la catégorisation pour fonder une lecture à la fois originale et objective du corpus. Cette étape consiste à confronter les résultats obtenus aux hypothèses (à l'hypothèse) du départ, afin de tirer les conclusions relatives à la validité ou à l'invalidité de l'hypothèse. Cette phase méthodologique nous permet de passer à la présentation du corpus de notre étude. 3.1.2. Présentation du corpus Dans un travail scientifique, le corpus est l'ensemble des données sur lesquelles s'effectue l'analyse et qui permettent de répondre aux interrogations de la problématique de départ. La taille du corpus, comme l'indique Suzanne de 81 GRAWITZ, Madeleine, Op.Cit. p.616. 82 CHEVEIGNE, Suzanne de, L'environnement dans les journaux télévisés : Médiateurs et Vision du monde, 2000. 52 Chéveigné, dépend des moyens du chercheur ainsi que de l'importance de l'actualité en rapport avec le sujet82. Quant au choix, il doit être plus ou moins représentatif. Notre corpus est composé de sept émissions du magazine Dialogue entre congolais, un programme radiophonique interactif diffusé à la Radio Okapi. Ces émissions ont été sélectionnées parmi les magazines diffusés dans la période allant du 20 février au 07 mars 2012. Nous pensons que cette durée est représentative pour une étude scientifique de ce genre. La sélection était basée sur la diversité des sujets traités dans les émissions (politique, social, environnement). Ces émissions ont été enregistrées à l'aide d'un dictaphone, puis retranscrites minutieusement pour l'analyse. Concernant le choix de la période, il se justifie par le fait que c'était une période de grands enjeux socio-politiques tels que le refus de l'UDPS et alliés de faire valider le mandat de leurs députés à l'Assemblée nationale, la problématique de la réforme de l'armée, la fermeture des médias appartenant aux opposants, etc. Nous avons pensé voir la manière dont les auditeurs réagissent d'actualité socio-politique d'intérêt commun. Le magazine Dialogue entre congolais est diffusé du lundi à jeudi de 19h15 à 19h45 (le vendredi est consacré à la tribune de la presse). La rediffusion a lieu de 4h15 à 5h00. Le choix de ce magazine est dicté par son ancienneté parmi les émissions interactives d'actualité diffusées à Kinshasa, la qualité et la variété des sujets traités, ainsi que le statut des invités. Les invités participant aux émissions sélectionnées sont des acteurs politiques, des analystes politiques, des spécialistes, des cadres d'entreprise, des membres du clergé, de hauts cadres de l'armée. 3.1.3. Procédure d'analyse des données Nous allons procéder à l'analyse de sept émissions sélectionnées. Pour chaque émission, appelée ici texte, il sera mentionné les éléments suivants: la date de 53 diffusion, le thème, le nom de l'animateur, le nombre d'invités, nombre d'auditeurs intervenant ainsi que le tableau de repérage des énoncés. En effet, le tableau de repérage comportera cinq colonnes. La première colonne indique l'ordre de succession des auditeurs pendant l'émission ainsi que le lieu à partir d'où ils interviennent. La deuxième indique l'ordre continu de repérage des énoncés pour chaque émission. La troisième colonne est réservée à l'identification des énoncés contenus dans chaque intervention de l'auditeur. La quatrième indique la position énonciative de chaque énoncé. Quant à la cinquième colonne, elle détermine l'acte de langage contenu dans l'énoncé. Après la présentation de chaque tableau, nous ferons un commentaire explicatif pour définir les tendances observées, par rapport aux catégories définies (position énonciative et actes de langage). Nous regrouperons, ensuite, toutes les données dans deux tableaux : celui de synthèse de repérage et celui de fréquence. L'observation de la fréquence de chaque élément de la catégorie par rapport à l'ensemble orientera l'interprétation des données et permettra de tirer des conclusions qui s'imposent. 54 3.2. Analyse des données 3.2.1. Repérage des données Texte n°1 Emission du 20 février 2012 Thème : Où en est-on avec la réforme de l'armée ? Animateur : Kelly KUTE Nombre d'invités : 3 Nombre d'auditeurs intervenant: 6
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56 Six auditeurs ont participé à cette émission du 20 février. Concernant la position énonciative, nous avons relevé 27 pronoms personnels selon la fréquence suivante : 9 pronoms de la première personne (3 pronoms du singulier(je) et 6 pronoms du pluriel(Nous) ); 1 pronom de la deuxième personne du pluriel ( 1 Vous); 15 pronoms de la troisième personne (5 du singulier(Il) et 10 du pluriel (Ils)) ; 2 pronom syncrétistes 83 (On) Dans les interventions des auditeurs, il ressort 24 énoncés donnant lieu à 24 actes de langage répartis comme suit : 13 assertifs, 10 directifs et 1 expressif. Les actes promissifs et déclaratifs sont absents dans les discours des auditeurs. Texte n°2 Emission du 21 février 2012 Thème : Installation de 11 commissions parlementaires sans l'UDPS et alliés Animateur : Kelly KUTE Nombre d'invités : 3 Nombre d'auditeurs intervenant : 4
83 Nous empruntons cette expression à Dominique Maingueneau. D'après cet auteur, le caractère syncrétiste de ce pronom réside en ceci qu'il produit ainsi une sorte d' effacement des frontières entre les positions de la première, deuxième et troisième personne. Autrement dit, On peut renvoyer à la première, à la deuxième ou à la troisième personne, du singulier ou du pluriel. Cfr. MAINGUENEAU, Dominique, Op.Cit., p.111. 57
Concernant la position énonciative, nous relevons 13 pronoms personnels selon la fréquence suivante : 4 pronoms de la première personne (3 du singulier(Je) et 1 du pluriel (Nous) ; 7 pronoms de la troisième personne (3 du singulier (il) et 4 du pluriel (Ils) ; 2 pronoms On. Nous constatons l'absence des pronoms de la deuxième personne (singulier et pluriel) L'émission compte 12 énoncés comprenant les actes de langage répartis comme suit : 4 assertifs et 8 directifs. L'on remarque l'absence des expressifs, des promissifs et de déclaratifs. 58 Texte n°3 Emission du 27 février 2012 Thème : l'Observatoire des médias congolais exige la réouverture de RLTV et Canal Futur Animateur : Kelly KUTE Nombre d'invités : 3 Nombre d'auditeurs intervenant : 5
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En ce qui concerne la position énonciative, l'analyse relève 19 pronoms. La répartition est la suivante : 11 pronoms relèvent de la première personne ( 8 du singulier (Je) et 3 du pluriel (Nous) ; 7 de la troisième personne ( 3 du singulier (Il) et 4 du pluriel (Ils) ; 1 pronom syncrétiste (On). Nous remarquons l'absence des pronoms de la deuxième personne (singulier et pluriel) Ce discours comprend 18 énoncés contenant les actes de langage ci-après : 5 assertifs, 10 directifs et 2 expressifs et 1 promissif. Il n' ya pas de déclaratif. 60 Texte n°4 Emission du 28 février 2012 Thème : Etat des lieux des parcs nationaux de la RDC Animateur : Kelly KUTE Nombre d'invités : 3 Nombre d'auditeurs intervenant: 4
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Les interventions des auditeurs dans cette émission du 28 février contiennent 15 pronoms personnels selon cette fréquence : 5 pronoms de la première personne ( 1 du singulier(Je) et 4 du pluriel (Nous)) ; 1 pronoms de la deuxième personne du pluriel(Vous) ; 6 pronoms de la troisième personne (4 du singulier (Il) et 2 du pluriel (Ils)) ; 3 pronoms (On). Quant aux actes de langage, ils sont répartis de la manière suivante : 7 assertifs, 5 directifs, 2 expressifs et 1 promissif. Il n'y a aucun acte déclaratif dans ce discours. 62 Texte n°5 Emission du 29 février 2012 Thème : Etat des lieux des routes de desserte agricole en RDC Animateur : Alain IRUNG Nombre d'invités : 3 Nombre d'auditeurs intervenant: 7
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Dans le discours des auditeurs intervenant à l'émission du 29 février, il se dégage 28 pronoms personnels dont 13 relèvent de la première personne( 6 du singulier (Je) et 7 du pluriel (Nous)) ; 2 pronoms de la deuxième personne du pluriel (Vous) ; 12 pronoms de la troisième personne du singulier (Il) et 2 pronoms (On). Il n'y a pas de pronoms de la deuxième personne du singulier. Concernant l'orientation illocutoire, l'analyse relève 24 acte de langage dont voici la fréquence de répartition : 11 assertifs, 9 directifs, 4 expressifs. Nous remarquons l'absence des actes promissifs et déclaratifs. Texte n°6 Emission du 01 mars 2012 Thème : Signature d'un contrat de performance entre l'Etat congolais, la SNEL et la Regideso Animateur : Kelly KUTE Nombre d'invités : 3 Nombre d'auditeurs intervenant : 3
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Dans les interventions des auditeurs ayant participé à l'émission du 1er mars, nous avons relevé 11 pronoms personnels dont : 5 pronoms de la première peronne ( 1 du singulier(Je) et 4 du pluriel(Nous)) ; 6 pronoms de la troisième personne (5 du singulier(Il) et 1 du pluriel(Ils)). Les pronoms de la deuxième personne sont absents. En outre le discours comprend 10 énoncés répartis selon les actes de langage suivants : 3 assertifs, 4 directifs et 3 expressifs. Nous constatons l'absence de promissifs et de déclaratifs. 66 Texte n°7 Emission du 07 mars 2012 Thème : Les évêques s'entretiennent avec Kabila, Tshisekedi, Kamerhe et un délégué de Kengo Animateur : Kelly KUTE Nombre d'invités : 3 Nombre d'auditeurs intervenant: 4
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En rapport avec la position énonciative, nous avons relevé 11 pronoms personnels dont 3 pronoms de la première personne (1 du singulier(Je) et 2 du pluriel(Nous)) ; 7 pronoms de la troisième personne(A du singulier(Il) et 6 du pluriel(Ils)) ; A pronom (On). Le discours ne contient aucun pronom de a deuxième personne. Quant à l'orientation illocutoire, le discours comprend 10 actes de langage : 3 assertifs, 5 directifs et 2 expressifs. Il n'y a pas de promissifs ni de déclaratif. 68 3.2.2. Tableaux synthétiques Après analyse de l'ensemble des textes du corpus, nous procédons à la synthèse des données relevées. Les deux premiers tableaux reprennent, respectivement, l'ensemble des pronoms personnels ainsi que des actes de langage pour chaque texte (émission). Tandis que les deux derniers tableaux présentent la fréquence des données pour l'ensemble du corpus. 1° Tableau de synthèse de repérage a) Position énonciative84
Ce tableau nous présente, de manière détaillée, le nombre de pronoms personnels par texte et pour l'ensemble du corpus. L'on constate que la marque de la troisième personne vient en tête avec 60 pronoms, suivie de la première personne (50 pronoms) et du pronom « On »(11). La deuxième personne est en bas de l'échelle avec 4 pronoms. 84 L'abréviation T= Texte. Ainsi T1=texte1 etc. 69 b) Actes de langage
Au regard de ce tableau, l'on constate la prédominance des actes directifs et assertifs avec respectivement une moyenne de 51 et 46 sur 113 actes. Viennent les expressifs et les promissifs. Les déclaratifs sont absents. Cette synthèse de repérage nous permet de présenter les tableaux de fréquence des pronoms personnels et des actes de langage contenus dans notre corpus. 2°) Tableau de fréquence de données a) Position énonciative
70 Concernant la position énonciative, l'analyse relève 125 marques de personnes dans le corpus. Dans l'ensemble, les pronoms de la troisième personne (Il/Ils ainsi que les expressions corrélatives) prédominent avec une fréquence de 60 sur 125, soit une moyenne de 48% de l'ensemble. Les pronoms de la première personne (Je/Nous ainsi que les expressions corrélatives) avec une fréquence de 50 pronoms sur 125, soit la moyenne 40%. Ces pronoms de la première personne se présentent sous deux modalités, le singulier (33 pronoms) et le pluriel (27). Dans la modalité du pluriel, l'on trouve les deux formes de «Nous » : inclusif et exclusif. La forme inclusive(Moi+Vous) compte 18 pronoms et la forme exclusive(Moi+Eux) en compte 9. Le (Nous) de majesté ainsi que celui de la relativisation de l'affirmation catégorique sont absents. La marque de la deuxième personne (Tu/Vous) est faible dans ce discours. Elle ne compte que 4 pronoms sur 125, soit une moyenne de 3,2%. Enfin, le pronom « On » revient 11 fois, avec un pourcentage de 8,8%. Ce pronom se substitue 1 fois à Vous, 4 fois à Nous et 6 fois à Ils. Comme on le constate, le discours des anonymes contient une charge subjective élevée. Il regorge un taux important de marque d'énonciation de la première et de la troisième personne. 71 b) Actes de langage Pour les sept émissions sélectionnées, il y a eu 33 interventions. De ces interventions, nous avons dégagé 113 énoncés correspondant à 113 actes de langage. Les données du tableau de repérage nous permettent de présenter ce tableau de fréquence.
Ce tableau récapitule la fréquence des actes de langage contenus dans les interventions des auditeurs. Après examen de 113 actes de langage exploités par les auditeurs, nous sommes arrivé à ces résultats : les directifs dominent avec 51 sur 113 actes, soit une moyenne de 45,12%. Les assertifs comptent 46 actes, soit 40,71%. Les expressifs sont au nombre de 14, soit 12,39%. Les promissifs comptent 2 actes, soit 1,77%. Les déclaratifs sont absents dans le discours des auditeurs. Nous constatons, dans ce discours, une forte prédominance des directifs, suivis des assertifs, des expressifs et des promissifs. Les actes déclaratifs n'y figurent pas. En effet, les directifs contenus dans le discours des auditeurs sont présentés sous forme des questions (Texte 2, n°10-13, Texte 3, n°5, Texte 4,n° 6,11, Texte6,1-2, 4-5, Texte 7, 1-2). -[Exemple : Texte 3 n°5 pourquoi toujours les chaînes des opposants -qui sont fermées-.alors qu'on constate le dérapage partout ?]. Les directifs sont aussi utilisés ici pour exprimer une nécessité, un devoir, une obligation, une recommandation -souvent 72 avec les verbes falloir et devoir (Texte1, n°10, 17, 21, Texte3, n°9-11). -[Exemple d'une nécessité (Texte 2, n°6 : il faut beaucoup d'ingéniosité de la part des politiciens pour détendre le climat politique en RDC) ; d'un devoir (Texte 2, n°8: en plus, ils -les députés de l'UDPS- doivent choisir entre le mot d'ordre de leur leader et le choix fait pour eux par la population)]. Les assertifs relèvent de la description de la réalité locale ou nationale telle qu'elle est perçue par les anonymes, des déclarations pour critiquer, appuyer ou récuser les thèses défendues par les invités ou les revendications de certaines catégories sociales. Voir les références suivantes : (Texte1, n° 1, 4, 6-7 ; Texte2, 2 ; Texte3, n° 17 ; Texte4, n°3-5 ; Texte5,n°4). Les assertifs servent à faire le constat, le diagnostic de la situation et à dégager ce qui ne va pas. -[Exemple : Texte5, n°10 : je constate que ce sont seulement les populations locales qui tentent de maintenir ces routes avec de maigres moyens, n°14 : nos routes ne sont pas aménagées et celles qui tiennent encore datent de l'époque du Zaïre]. Les auditeurs recourent aux actes expressifs moins pour louer les faits constatés ou les actions réalisées que pour les dénoncer et exprimer une indignation, une déception comme nous le voyons dans les énoncés suivants : (Texte1,n°2, Texte4, n°8-9, Texte5, n°9, 19-20). -[Exemple Texte 4, n°8: nous déplorons quand même le comportement de l'autorité ; n°9 la société civile dénonce le braconnage ; Texte5,20 : Dommage!]. Quant aux deux promissifs répertoriés, ils relèvent moins des promesses que d'un engagement collectif pour la défense d'une cause populaire. -[voir Texte3, 1 : Nous militons tous pour l'instauration d'un véritable Etat de droit- ; Texte 4,7 -Donc, ça pose déjà un problème, donc, nous allons faire des actions en justice]. 73 3.4. Interprétation des données Cette dernière section de notre travail va essentiellement consister à interpréter les tendances générales qui se dégagent de l'analyse du corpus, avant de les confronter à l'hypothèse du départ. Trois étapes constituent l'essentielle de notre démarche : présenter les résultats de l'analyse, les justifier, les confronter à l'hypothèse. Concernant la position énonciative affichée dans les interventions des anonymes, l'analyse révèle une large proportion de pronoms personnels de la première et de la troisième personne ainsi que le pronom « On ». Ces pronoms sont aussi bien explicites qu'implicites. Quant à la marque de la deuxième personne, elle est bien rare. A propos de l'orientation illocutoire, il est remarquable que le discours des anonymes est majoritairement dominé par les actes assertifs et directifs ainsi que quelques expressifs. Les promissifs sont très rares et les déclaratifs carrément absents. Qu'est ce qui justifie alors ces résultats de l'analyse ? Evoquons d'abord la position énonciative. Elle est dominée par les pronoms de la première et de la troisième personne. En effet, cette prédominance de la première personne est révélatrice. Elle montre que les anonymes assument véritablement leur discours, qu'ils parlent avec responsabilité. Raison pour laquelle ils inscrivent leur subjectivité personnelle dans le discours par l'usage abondant des pronoms de la première personne. D'autre part, la fréquence des marques de la troisième personne traduit l'orientation discursive des propos des auditeurs. Leur discours sort du cadre personnel (Je/Tu) pour s'adresser essentiellement à la non-personne (Il/Ils). En d'autres termes, les interventions des auditeurs sont plus destinées aux instances absentes du cadre discursif de l'émission qu'aux personnes qui y prennent part. Cette tendance à vouloir s'adresser plus aux personnes absentes qu'aux protagonistes de l'énonciation justifie la rareté des pronoms de la deuxième personne (Tu/Vous). 74 On le voit bien, le discours des auditeurs accorde autant d'intérêt à l'instance absente du cadre énonciatif. Cette attitude s'explique par le fait que ces émissions traitent des questions de haute portée sociale dont les vrais acteurs, c'est-à-dire les instances de décision, sont absents. Ainsi par exemple dans l'émission sur la démarche des évêques après les élections, au lieu de s'adresser à l'Abbé qui était invité de l'émission, les intervenants s'adressaient plutôt aux évêques en général(Texte7, n°1-7). De même dans l'émission sur l'état des lieux des routes de desserte agricole, au lieu d'interpeller les invités, les auditeurs interpellaient le gouvernement de la République ou le Chef de l'Etat(Texte5, 11-13, 17,19). De cette constatation, l'on peut inférer que, bien que s'adressant aux invités, le discours des auditeurs dans les magazines interactifs est plutôt destiné aux autres instances considérées comme des destinataires du message. Les invités ne sont que des allocutaires. Par conséquent, ce discours est polyphonique. Evoquons ensuite les proportions des actes de langage contenus dans le corpus. Au regard de l'analyse, deux types d'actes prédominent: les assertifs et les directifs. Ils sont suivis de quelques expressifs. En effet, les sujets des magazines en étude traitent, pour la plupart, des questions socio-politiques. Ainsi, les auditeurs qui participent à la tribune publique où l'on débat de ces questions, ont tendance à commencer par poser le diagnostic, décrire les faits tels qu'ils se présentent. En cas du constat négatif, ils déplorent la situation, interpellent les responsables et formulent des recommandations. L'on constate que très souvent, les anonymes recourent aux assertifs pour décrire les faits en rapport avec le sujet de l'émission du jour ; ils convoquent les expressifs pour évaluer les faits, pour exprimer un sentiment positif ou négatif par rapport à la réalité décrite ou au comportement des acteurs. Ils exploitent enfin les directifs pour formuler des recommandations ou des requêtes en vue du changement de la situation. Voilà qui justifie la prédominance de ces trois actes dans les interventions des auditeurs. 75 Cette interprétation nous permet de postuler la structure caractéristique du discours des anonymes. De manière générale, ce discours commence par une constatation ou un diagnostic de la situation, suivi d'une évaluation en termes de jugement de valeur ou prise de position morale pour finir par des recommandations. Cette structure peut être représentée dans le schéma ci-après : Constatation/ Evaluation/ prise de position/ Recommandation/ Interpellation/ Ordre Assertifs Expressifs Directifs Nous pouvons illustrer cette structure du discours des anonymes dans le texte 5 où l'intervenant (2) de Kolwezi parle de l'état des lieux des routes de desserte agricole. Il articule son discours de manière suivante : - [(n°6) c'est le cas de la route xxx qui se détériore. (Assertif)
Cette structure permet de comprendre l'apport des assertifs et des expressifs à la production des actes performatifs, en l'occurrence les directifs. Ces actes déblayent le terrain pour les directifs dans le sens que, avant de faire des recommandations, l'auditeur commence par poser le diagnostic, faire l'autopsie de la situation, ensuite il procède à l'évaluation en portant un jugement sur les faits décrits et, enfin, il fait des recommandations en vue de la transformation, du changement de la situation. C'est ce qui justifie le fait que malgré sa nature performative, ce discours contient une gamme d'assertifs et quelques expressifs qui servent, en fait, de passerelle aux directifs. Ce rôle des constatifs dans la réalisation des performatifs constitue un grand apport pour cette étude. 76 Concernant la faible fréquence des promissifs et l'absence des déclaratifs, elle s'explique par le fait du statut des locuteurs. Les anonymes, étant des personnes ordinaires, n'ont ni légitimité, ni pouvoir, ni emprise sur le cours des événements. Ainsi de par leur statut, les auditeurs n'ont pas de légitimité sociale ou juridique requise pour convoquer avec succès ces deux types d'actes susceptibles de modifier la réalité par leur énonciation. A titre de rappel, notre hypothèse de recherche affirme que les anonymes qui interviennent dans un programme radiophonique interactif ont tendance à produire un discours de nature performative. En effet, au terme de notre analyse, nous avons relevé la prédominance des actes directifs, assertifs et expressifs dans le discours des auditeurs. Comme quoi ces résultats de l'analyse correspondent aux projections de l'hypothèse. En somme, ce troisième chapitre, articulé autour de trois sections, a consisté à l'analyse et à l'interprétation des données. La première section a porté sur le protocole méthodologique. Il s'est agi d'indiquer le cheminement à suivre dans notre analyse. La deuxième section s'est appesantie sur la description du corpus. L'analyse proprement dite a constitué l'essentiel de la troisième section. Il était question de procéder au repérage des données dans un tableau à cinq colonnes avant de procéder à la synthèse des éléments analysés. Cette analyse a révélé l'orientation illocutoire des interventions des auditeurs à travers les magazines interactifs. Ces interventions sont dominées par les actes directifs et assertifs et expressifs. 77 CONCLUSION GENERALE Nous voici au terme de notre étude sur le Discours des auditeurs dans les magazines radiophoniques interactifs. La préoccupation principale de cette recherche a été de connaître l'orientation illocutoire du discours des auditeurs à travers les magazines interactifs. Par rapport à cette préoccupation, nous nous sommes posé la question de savoir quelle est l'orientation illocutoire du discours des anonymes dans un programme radiophonique interactif d'actualité ? Pour répondre à cette question, nous avons émis l'hypothèse selon laquelle les anonymes qui interviennent dans un programme radiophonique interactif ont tendance à produire un discours de nature performative. Le cadre théorique utilisé dans ce travail est la pragmatique illocutoire. Cette théorie nous a permis d'analyser le discours des auditeurs et de dégager la prédominance des actes du langage employés. Il ressort que le discours des auditeurs est basé, pour une large majorité, sur les actes directifs suivis des assertifs, des expressifs et quelques promissifs. Afin de bien vérifier notre hypothèse de recherche, nous avons recouru aux méthodes analytique, descriptive et herméneutique. Quant aux techniques de collecte, nous avons utilisé la technique d'observation, la technique documentaire et l'entretien. Comme technique d'analyse, nous avons recouru à l'analyse de contenu. Pour ce faire, cette étude s'est articulée autour de trois chapitres. Le premier chapitre a été consacré au cadre conceptuel et théorique de l'étude. Il était question de définir et de présenter succinctement les concepts de discours, d'auditeur et de magazine interactif. Nous avons, ensuite, présenté le cadre théorique dans la tradition duquel s'inscrit cette étude. Dans le deuxième chapitre, il était question de faire la présentation du champ de notre étude. Nous avons, tour à tour, présenté la Radio Okapi et le magazine Dialogue entre congolais sur lequel a porté l'étude. Enfin, le troisième chapitre était 78 consacré à l'analyse du discours des auditeurs. Il a consisté à la présentation du protocole méthodologique, à l'analyse du corpus et à l'interprétation des résultats. L'objectif assigné à ce chapitre était de vérifier l'hypothèse de départ à partir des résultats de l'analyse. Selon ces résultats, 33 auditeurs ont participé aux sept émissions sélectionnées. De leur discours, nous avons relevé, pour le besoin de cette étude, 113 actes de langage répartis comme suit : 51 directifs (45,13%), 46 assertifs (40,71%), 14 expressifs (12,39%), 2 promissifs (1,77%), 0 déclaratif (0%). L'examen de la position énonciative a révélé une fréquence élevée des pronoms de la troisième personne (Il/Ils), 60 sur 125, soit 48% ; suivie de ceux de la première personne(Je/Nous), 50 sur 125(40%), du pronom indéfini « On », 11 sur 125(8,8%). Quasiment absents, les pronoms de la deuxième personne (Tu/Vous) ne comptent que 4 sur 125, soit 3,2% de l'ensemble de tous les pronoms utilisés. La prédominance des directifs dans ce discours traduit la volonté des intervenants, à ce magazine, de vouloir transformer le monde par leur énonciation. Ceci montre la nature performative de ce discours. Ainsi donc, ces résultats confirment notre hypothèse du départ. 79 BIBLIOGRAPHIE 1) Ouvrage AUSTIN, John Langshaw, Quand dire, c'est faire, Paris, Seuil, 1970. BALLE, Francis, Lexique d'information communication, Paris, Dalloz, 2006. BENVENISTE, Emile, Problèmes de linguistique générale T.1, Paris, Gallimard, 1966. BONVILLE, Jean de, L'analyse de contenu des médias : De la problématique au traitement statistique, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 2000. CHARAUDEAU, Patrick et MAINGUENEAU, Dominique, (Dir), Dictionnaire d'analyse du discours, Paris, Seuil, 2002. COURTES, Joseph., Analyse sémiotique du discours: de l'énoncé à l'énonciation, Paris, Hachette, 2002. DELEU, Christophe, Les anonymes à la radio. Usages, fonctions et portée de leur parole, Paris, De Boeck, 2006. EKAMBO, Jean-Chrétien, Paradigmes de communication, Kinshasa, Ed. Ifasic, 2004. FOURNIER, Josée, Scénarisation et multimédia. 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BECQUERET, Nicolas, Un modèle d'analyse du discours des émissions interactives radiophonique, Dans Les recherches en communication, n°26, 2007.
www.histoiredesmedias.com www.cairn.info/revue-mots www.patrick-charaudeau.com/discours-journalistique http://responsable.unige.ch/AnalyseEtuRispalAnnexe1.pdf (consultés entre janvier et mars 2012). 82 TABLE DES MATIERES DEDICACE I REMERCIEMENT ..II INTRODUCTION GENERALE 1 CHAPITRE PREMIER: 8 APPROCHE CONCEPTUELLE ET THEORIQUE 8
1.2.1. Notion de pragmatique 22 1.2.2. Précurseurs de la pragmatique illocutoire 24 1.2.3. Austin et la pragmatique illocutoire 25 1.2.3.1. Distinction constatif/performatif 25 1.2.3.2. Tripartition de l'acte de langage 26 1.2.4. Approche pragmatique de Searle 28 1.2.4.1 Apport de Searle 28 1.2.4.2. Taxinomie de Searle 29 1.2.4.3. Conditions de réussite d'un acte de langage 31 1.2.5. Approche de François Recanati 32 1.2.6. Instance énonciative et polyphonie 34 1.2.6.1. Position énonciative dans le discours 35 1.2.6.2. Regard sur la polyphonie 36 83 |
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