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Le régime de l'immigration irrégulière par voie maritime en droit international public


par Mariette Amandine Fleur GNAMBA
Université Jean Lorougnon Guédé de Daloa (Côte d'Ivoire) - Master 2 Spécialité Droit public 2017
  

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Paragraphe 2. L'étendue territoriale du principe de non refoulement

La question de l'étendue territoriale du principe est importante en ce qu'elle détermine sur quel territoire soumis à l'État il va s'appliquer et ainsi déterminer l'État fautif en cas de refoulement avéré. Ainsi, deux courants s'affrontent, ceux qui pensent que le principe ne peut s'appliquer que sur le territoire national, et ceux qui, au contraire, pensent que les États ne peuvent pas se dédouaner juste sur une question territoriale. En effet, selon que le champ est large ou restreint, il sera plus facile de retenir la responsabilité de l'État en cause pour non-respect du principe de non refoulement. Il y a donc deux camps opposés, l'application stricte (A) et l'application large (B).

A. Les arguments en faveur de l'application strictement territoriale

Ce courant se base sur l'idée selon laquelle les situations hors du territoire national sont dans un vide juridique114. Il avance donc que le principe ne doit s'appliquer qu'aux réfugiés qui ont déjà atteint le territoire115. Cette position est défendue officiellement par deux juridictions influentes, la Cour Suprême des États-Unis avec l'arrêt Sale vs Haitian Centers Council116 et la Cour fédérale australienne avec son arrêt Ruddock c. Vadarlis117.

Les évènements ayant conduit à l'arrêt Sale sont les suivants : le 23 septembre 1981, les États-Unis ont signé un accord avec Duvalier, président d'Haïti. Le président Ronald Reagan signe l'Executive Order No 12324 du 29 Septembre 1981. Jusqu'à 1992, les réfugiés Haïtiens interceptés en haute-mer étaient amenés aux États-Unis pour des démarches de régularisation118. Cependant, après le coup d'État de 1991, le nombre de réfugiés augmentent et les États-Unis changent de politique : tous les Haïtiens interceptés sont retournés à Haïti sans

114 Dimitrios BATSALAS, « Maritime Interdiction and Human Rights » dans Efthymios D. PAPASTAVRIDIS and Kimberley N. TRAPP (dir.), La criminalité en mer, Martinus Nijhoff / Académie de Droit International de la Haye., , 2014, p. 432.

115 Carola SALAU, The extraterritorial application of the principle of non-refoulement in the context of sea borders, Bachelor thesis, University of Twente European Studies School of Management and Governance, 2014, p. 1.

116 COUR SUPRÊME DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE, Sale, Acting Commissioner, Immigration and Naturalization Service, Et. Al. v. Haitian Centers Council, INC., Et. Al., 1993.

117 COUR FÉDÉRALE AUSTRALIENNE, Minister for Immigration and Multicultural Affairs & Others v. Vadarlis (« Tampa Appeal »), 2001. ; Carola SALAU, The extraterritorial application of the principle of non-refoulement in the context of sea borders, op. cit., p. 7.

118 David A. MARTIN, « The Authority and Responsibility of States » dans T.A. Aleinikoff and V. Chetail, Migration and International Legal Norms, The Hague, The Netherlands, T.M.C. ASSER PRES, 2003, p. 38.

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possibilité de demander la protection internationale119. L'Executive Order No 12807 du 29 mai 1992 signé par le Président George H.W. Bush met fin au décret de 1981 et à l'évaluation des migrants interceptés pour les demandes d'asile. La position du gouvernement des États-Unis est que l'article 33 ne s'applique pas à l'extérieur du territoire des États-Unis120. Le président des États-Unis Bill Clinton prend donc un arrêté Presidential Decision Directive No 9 du 18 juin 1993. C'est ce décret et cette position en général qui sont attaqués devant la Cour.

L'arrêt Sale vs Haitian Centres Council de la Cour Suprême des États-Unis121 soutient cette interprétation du gouvernement. Cette jurisprudence a estimé que l'ordre de renvoyer les embarcations des demandeurs d'asiles haïtiens hors du territoire américain était légal par rapport au droit américain et international. Le terme « renvoi » doit être interprété selon les juges strictement. L'article 33(2) implique une limitation territoriale à l'article 33(1). Les juges se sont basés sur ce point sur les déclarations des délégations suisse et danoise dans les travaux préparatoires122. Selon les juges, le terme « refouler » signifie repulse, repel, refuse entry, drive back. Le terme « return » quant à lui est un « defensive act of resistance or exclusion at a border ». Selon la majorité, « refouler » c'est le rejet à la frontière mais « return » ne s'applique pas aux réfugiés hors du territoire123.

Cette décision a été très vivement discutée en doctrine124.

D'autres juridictions ont rendu des décisions similaires. La House of Lords en Grande-Bretagne a adopté le même raisonnement dans l'arrêt R v. Immigration Officer Prague Airport, ex parte European Roma Rights Centre en 2004125. Dans cette affaire, des agents de l'immigration britanniques installés temporairement à l'aéroport de Prague ont empêché 6 ressortissants tchèques de quitter l'aéroport pour entrer au Royaume Uni. La Cour a estimé que

119 James MANSFIELD, « Extraterritorial Application and Customary Norm Assessment of Non-Refoulement: The Legality of Australia's «Turn-Back» Policy », loc. cit., p. 20.

120 Niels FRENZEN, « US Migrant Interdiction Practices in International and Territorial Waters » dans Bernard Ryan et Valsamis Mitsilegas, Extraterritorial Immigration Control. Legal Challenges, Martinus Nijhoff Publishers, 2010, p. 387.

121 COUR SUPRÊME DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE, Sale, Acting Commissioner, Immigration and Naturalization Service, Et. Al. v. Haitian Centers Council, INC., Et. Al., op. cit.

122 Sophie RODEN, « Turning their Back on the Law? The Legality of the Coalition's Maritime Interdiction and Return Policy », loc. cit., p. 4.

123 James MANSFIELD, « Extraterritorial Application and Customary Norm Assessment of Non-Refoulement: The Legality of Australia's «Turn-Back» Policy », loc. cit., p. 3.

124 Maarten DEN HEIJER, « Europe beyond its Borders: Refugee and Human Rights Protection in Extraterritorial Immigration Control », loc. cit. ; Harold KOH, « Reflections on Refoulement and Haitian Centers Council », Harvard International Law Journal, no 35 (1994), p. 20.

125 HOUSE OF LORDS, Regina v. Immigration Officer at Prague Airport and another ex parte European Roma Rights Centre and others, 2004.

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la Convention sur les réfugiés n'empêche aucunement à un État de s'abstenir d'exercer un contrôle sur le déplacement de personnes en dehors de ses frontières126.

La Cour fédérale australienne a estimé dans l'arrêt Ruddock c. Vadarlis que l'action du gouvernement australien d'empêcher l'entrée du Tampa en Australie était compatible avec l'étendue de ses compétences127. Elle estime que les rescapés n'ont pas été détenus arbitrairement. Selon le Chief Justice Blackmun dans son opinion dissidente, le pouvoir d'expulser des personnes entrées irrégulièrement est du ressort des lois du Parlement et non du pouvoir exercé par le pouvoir exécutif.

Ces positions juridictionnelles et politiques sont ardemment critiquées par la doctrine dominante.

B. La doctrine communément admise de l'application extraterritoriale du principe

Les défenseurs de la thèse dominante ont lancé une critique vive de l'arrêt de la Cour Suprême américaine dans l'affaire Sale. Selon eux en suivant les dispositions de la convention de Vienne sur le droit des traités en son article 31 (1), les traités doivent être interprétés selon la signification littérale du texte et du but du traité. Or l'arrêt a appliqué une interprétation spéciale au terme « return ». Elle n'a pas analysé le terme « de quelque manière que ce soit » et a immédiatement analysé les travaux préparatoires alors qu'ils ne doivent être analysés que si le texte original est obscur. Les défenseurs se basent également sur l'avis consultatif de la CIJ sur la légalité de la construction du Mur sur le territoire palestinien occupé128. En effet, le Pacte des droits civils et politiques, selon cet avis, s'applique de manière extraterritoriale.

Cette position internationale a été confirmée par le juge international au travers de la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l'homme dans l'arrêt The Haitian Centers Council for Human Rights et al. c/ États-Unis du 13 mars 1997129. Cette décision prend

126 Maarten DEN HEIJER, « Europe beyond its Borders: Refugee and Human Rights Protection in Extraterritorial Immigration Control », loc. cit., p. 182.

127 Natalie KLEIN, « Assessing Australia's push back the boats policy under international law: legality and accountability for maritime interceptions of irregular migrants », Melbourne Journal of International Law, vol. Vol 15. (2014), p. 26.

128 COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, 2004.

129 COMMISSION INTERAMÉRICAINE DES DROITS DE L'HOMME, The Haitian Centers Council for Human Rights et al. c/ États-Unis, 1997.

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le contrepied de l'arrêt de la Cour Suprême américaine130. Elle condamne les États-Unis pour avoir violé le principe de non refoulement.

Cette thèse est la plus acceptée en droit positif. En effet, la communauté scientifique des juristes se rallie à cette position dont les institutions internationales et les cours de justice internationales. En effet, le HCR confirme l'application extraterritoriale du principe dans son Avis consultatif sur l'application extraterritoriale des obligations de non-refoulement en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et de son Protocole de 1967131. La convention sur les réfugiés ne mentionne nulle part une application extraterritoriale du principe. Le camp de l'application extraterritoriale se base donc juridiquement sur le protocole à la convention sur les réfugiés de 1967132. Leur raisonnement juridique se base sur une disposition qui précise que le protocole doit être appliqué par les États parties sans aucune limite géographique133. Il s'agit de l'article 1 (3) qui dispose que « Le présent Protocole sera appliqué par les États qui y sont parties sans aucune limitation géographique ». Ils se basent également sur l'objectif visé par la convention sur les réfugiés dans son préambule qui est de protéger tous les réfugiés où qu'ils se trouvent. Par conséquent, ils estiment qu'une limitation territoriale ne respecterait pas cet objectif134.

La Cour Permanente de Justice Internationale dans son arrêt de 1927 du Lotus a affirmé le principe de droit selon lequel un État peut exercer sa juridiction au-delà de son territoire national si cet exercice n'est pas contraire au droit international135. Aussi, l'arrêt Affaire Medvedyev et autres c. France136 a conclu qu'une application extraterritoriale de la Convention était possible sous certaines circonstances.

La doctrine de l'application extraterritoriale se base pour résumer sur plusieurs arguments. En premier lieu, il n'y a pas de limites territoriales dans la convention de 1951.

130 COUR SUPRÊME DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE, Sale, Acting Commissioner, Immigration and Naturalization Service, Et. Al. v. Haitian Centers Council, INC., Et. Al., op. cit.

131 HAUT-COMMISSARIAT DES NATIONS UNIES POUR LES RÉFUGIÉS (UNHCR), Avis consultatif sur l'application extra-territoriale des obligations de non-refoulement en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et de son Protocole de 1967, 2007. ; Carola SALAU, The extraterritorial application of the principle of non-refoulement in the context of sea borders, op. cit., p. 8.

132 Killian S. O'BRIEN, « Refugees on the High Seas: International Refugee Law Solutions to a Law of the Sea Problem », loc. cit., p. 727.

133 Carola SALAU, The extraterritorial application of the principle of non-refoulement in the context of sea borders, op. cit., p. 10.

134 Ibid., p. 25.

135 COUR PERMANENTE DE JUSTICE INTERNATIONALE, Affaire du « Lotus » (France c. Turquie),

1927.

136 COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME, Medvedyev et autres c. France, 2010.

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Deuxièmement, l'article 33(1) interdit d'expulser ou de refouler de quelque manière que ce soit et « retourner » veut dire emmener vers le point de départ. Enfin, ce courant doctrinal adopte une interprétation téléologique de la convention qui est d'assurer la plus grande protection possible des réfugiés en se basant sur le préambule137.

L'obligation de non refoulement n'est donc pas sujette à des restrictions territoriales selon la doctrine internationale dominante.

Ce chapitre a montré et explicité les premières branches qui régissent les obligations des États en mer face aux migrants irréguliers. À savoir, le droit de la mer et le droit international des réfugiés. Le devoir de porter secours impose aux États de secourir les migrants irréguliers en mer. Le principe de non-refoulement prohibe le fait de les renvoyer vers leur point de départ.

Le chapitre suivant se focalisera sur les droits dont bénéficient les migrants et qui doivent être respectés en toute circonstance.

137 Killian S. O'BRIEN, « Refugees on the High Seas: International Refugee Law Solutions to a Law of the Sea Problem », loc. cit., p. 11.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote