Paragraphe 1. Le contenu du principe de non
refoulement
Pour étudier le principe de non refoulement, il
convient de rappeler sa base juridique et sa signification (A). Son
caractère coutumier sera également étudié (B).
A. De la base juridique et de la signification du principe de
non refoulement
La principale base juridique du principe de non-refoulement
est l'article 33 de la convention sur les réfugiés de 1951 qui
stipule qu'« aucun des États Contractants n'expulsera ou ne
refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur
les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté
serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa
nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de
ses opinions politiques »88. Une autre base du principe est
l'article 3.1 de la Convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants89 qui dispose qu'
« aucun État partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une
personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux
de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture ». Le
principe est également reconnu par l'article 7 du pacte international
des droits civils et politiques90. La convention européenne
des droits de l'Homme91 en son article 3 et l'article 2 (3) de la
Convention de l'Organisation de l'Unité
88 Convention de Genève sur les
réfugiés, 1951.
89 Convention contre la torture et autres
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, entrée en
vigueur le 26 juin 1987, 1984.
90 Seline TREVISANUT, « The Principle of
Non-refoulement at Sea and the Effectiveness of Asylum Protection »,
loc. cit., p. 213.
91 Convention européenne des droits de
l'Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.
24
Africaine régissant les aspects propres aux
problèmes des refugiés en Afrique92 contiennent des
dispositions à la formulation similaire.
Le refoulement est selon le glossaire de la commission
européenne en 2012 le « renvoi d'un individu de quelque
manière que ce soit par un État vers le territoire d'un autre
État où il pourrait être persécuté en raison
de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance
à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ; ou bien
où il pourrait être victime de torture »93. A
contrario, le non-refoulement est, selon le même glossaire, le «
principe fondamental du droit des réfugiés interdisant aux
États d'éloigner ou de refouler, de quelque manière que ce
soit, un réfugié vers des pays ou territoires où sa vie ou
sa liberté serait menacée »94.
Le réfugié doit répondre à
plusieurs critères pour obtenir ce statut. Selon la Convention de
Genève du 28 juillet 1951, le refugié est « toute personne
craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race,
de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un
certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays
dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou du fait de cette crainte,
ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Il doit
avoir une crainte justifiée d'une persécution liée
à la race, la religion, la nationalité, l'opinion politique ou
l'appartenance à un groupe social. La personne concernée doit
également se trouver hors du pays dont elle a la
nationalité95. Le champ d'application du principe de
non-refoulement est donc intrinsèquement lié à la
définition du réfugié. Ainsi, le principe ne s'applique
pas aux personnes qui restent dans leur pays de résidence. Les
obligations tirées du principe de non-refoulement sont principalement
négatives. La condition la plus importante est l'effet du refoulement,
c'est-à-dire mettre en danger les personnes concernées et les
exposer à des risques de mort ou de torture.
92 Convention de l'Organisation de
l'Unité Africaine régissant les aspects propres aux
problèmes des refugiés en Afrique du 26 juin 1981.
93 COMMISSION EUROPÉENNE, Glossaire 2.0
sur l'asile et les migrations, Un outil pour une meilleure
comparabilité, op. cit., p. 165.
94 Ibid.
95 Roméo Koïbé MADJILEM, La
protection juridique des réfugiés et déplacés
climatiques à assurer par les organisations régionales.
Rôle de l'Union Africaine, Thèse en vue de l'obtention du
doctorat de Droit public de l'Université Paris Nanterre,
Université Paris Nanterre, 2017, p. 31.
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Le principe a deux aspects essentiels : l'application à
tous les réfugiés96 et l'obligation
d'évaluation de la situation individuelle des
réfugiés97. Cette obligation d'examen est
exigée par la Convention de Genève de 1951. Ces dispositions
s'appliquent à tous les réfugiés. Par ailleurs le statut
de réfugié est déclaratoire : ce statut n'a pas besoin
d'une reconnaissance quelconque. Il faut protéger les
réfugiés sans discrimination et respecter le principe de non
refoulement98. Ce principe impose pour obligations aux États
de ne pas expulser de leur territoire certains individus ou groupes de
personnes présents sur leur territoire vers les pays de
persécution99.
Le principe de non refoulement n'accorde pas automatiquement
l'asile100. Il est également différent du rejet
à la frontière. Il impose une identification et une
procédure individuelle pour voir si la personne concernée a droit
au statut et aux droits accordés aux réfugiés. La
reconnaissance de ce statut est déclaratoire et non
constitutive101.
La Cour européenne des droits de l'homme en fait une
application jurisprudentielle avec l'arrêt Hirsi Jamaa du 2
février 2012102. Les faits de l'affaire sont les suivants :
un groupe de 200 personnes quittent la Lybie à bord de 3 embarcations
dans le but de rejoindre les côtes italiennes. Le 6 mai 2009, les
embarcations furent approchées par 3 navires italiens à 35 milles
marins au sud de Lampedusa. Les occupants furent transférés sur
les navires italiens et reconduits à Tripoli contre leur gré.
Parmi les 200 migrants, 11 ressortissants somaliens et 13 ressortissants
érythréens ont saisi la CEDH d'une requête le 26 mai 2009
en vertu de l'article 34 de la convention EDH. Ils allèguent que leur
transfert vers la Lybie par les autorités italiennes avait violé
les articles 3 de la CEDH et 4 du Protocole n°4 et ils
dénonçaient l'absence d'un recours conforme à l'article 13
de la convention.
96 Sophie RODEN, « Turning their Back on the
Law? The Legality of the Coalition's Maritime Interdiction and Return Policy
», paper in fulfillment of requirements for honours in law, the
Australian National University Paper, (2013), p. 6.
97 Ibid., p. 8. ; Kiara NERI, « Le
droit international face aux nouveaux défis de l'immigration clandestine
en mer », loc. cit., p. 151.
98 Ludivine RICHEFEU, Le droit pénal face
à la migration transfrontière, op. cit., p. 176.
99 Seline TREVISANUT, « The Principle of
Non-refoulement at Sea and the Effectiveness of Asylum Protection »,
loc. cit., p. 4.
100 Maarten DEN HEIJER, « Europe beyond its Borders:
Refugee and Human Rights Protection in Extraterritorial Immigration Control
» dans Bernard Ryan et Valsamis Mitsilegas, Extraterritorial
Immigration Control. Legal Challenges, Martinus Nijhoff Publishers, 2010,
p. 188.
101 Killian S. O'BRIEN, « Refugees on the High Seas:
International Refugee Law Solutions to a Law of the Sea Problem »,
loc. cit., p. 16.
102 COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME, Hirsi Jamaa
et autres c. Italie, 2012.
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La Cour a estimé que l'Italie avait sous son
contrôle continu en droit et en fait les requérants. Ensuite, en
se référant à la situation en Lybie depuis 2010, les juges
ont estimé que le risque de torture et de mauvais traitements
systématiques engageait la responsabilité des autorités
italiennes. D'ailleurs en 1989, l'article 3 de la convention EDH avait
déjà trouvé une application jurisprudentielle dans
l'affaire Soering103. Monsieur Soering, ressortissant allemand,
était détenu en Angleterre en attendant son extradition vers
l'État de Virginie aux États-Unis d'Amérique où il
y était accusé de meurtre. Il risquait d'être
condamné à la peine capitale et donc de subir le « syndrome
du couloir de la mort ». Selon la Cour, ce syndrome représente un
traitement dégradant. Cet arrêt instaure le principe selon lequel
en présence de motifs sérieux et avérés de croire
que l'intéressé, si on le livre à un État, y courra
un risque réel d'être soumis à la torture ou à des
peines ou traitements inhumains ou dégradants, la responsabilité
de l'État qui l'expulse sera engagée à raison d'un acte
exposant autrui à des traitements prohibés par l'article
3104.
La Cour a donné raison aux requérants parce
qu'il y a effectivement violation de l'article 3 de la convention EDH du fait
de leur expulsion et du risque de subir de mauvais traitements et d'être
rapatriés. Elle a ainsi condamné l'Italie pour avoir reconduit en
Libye des migrants somaliens et érythréens interceptés en
mer105.
L'affaire Khlaifia contre Italie a des faits similaires et a
vu la condamnation de l'Italie sur les mêmes bases juridiques de
l'interdiction des expulsions collectives106.
Les exceptions au principe de non-refoulement sont rares et
très réglementées. L'État n'a aucun devoir, aucune
obligation de concéder l'asile à personne. En
réalité, il s'agit d'un droit de l'État à accorder
l'asile à l'individu et non pas d'un droit de l'individu à
l'asile107. Cependant, l'individu ne peut être renvoyé
et refoulé que selon des conditions bien précises dans la
convention de Genève sur les réfugiés. Le principe de
non-refoulement n'est pas une obligation
103 COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME, Soering c.
Royaume-Uni, 1989.
104 Arnaud MONTAS, « Les migrants maritimes devant la
Cour européenne des droits de l'Homme » dans Patrick Chaumette,
Espaces marins :surveillance et prévention des trafics illicites en
mer, 2016, p. 157.
105 Émilie DERENNE, Le trafic illicite de migrants
en mer méditerranée : une menace criminelle sous contrôle
?, op. cit., p. 58.
106 COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME, Khlaifia et
a. c. Italie, 2015.
107 Sompong SUCHARITKUL, « Quelques questions juridiques
à l'égard des «boat people» en tant que
réfugiés politiques », loc. cit., p. 4.
27
d'accepter le débarquement. Mais en pratique il force
les États à accorder un accès, même temporaire,
à leurs territoires pour les procédures
d'identification108.
Mais à quels États toutes ces règles
concernant le principe de non-refoulement s'appliquent-elles ? Autrement dit le
principe de non-refoulement est-il de nature coutumière et donc
d'application universelle ?
B. La question du caractère coutumier du principe de
non refoulement
La question du caractère ou non coutumier du principe
de non refoulement est importante car elle permet de savoir si les États
non parties à la Convention sont astreints à son respect. Sur ce
point, deux thèses s'affrontent : la thèse du caractère
non coutumier et la thèse dominante selon laquelle le principe fait
partie du droit coutumier international.
Le premier camp est celui de James Hathaway selon lequel, le
principe n'a pas rang de principe coutumier en droit international mais la
pratique internationale, le camp adverse, indique le contraire. Il n'y a pas de
consensus général sur la nature coutumière du principe de
non refoulement. Il existe un véritable débat doctrinal à
ce sujet. Le premier camp accorde un tel caractère au principe tandis
que l'autre le lui dénie109.
James Hathaway est la principale figure du déni de ce
caractère coutumier. James Hathaway est une référence en
droit international humanitaire110. Pour qu'il y ait coutume en
droit international, il faut deux éléments : l'existence d'une
pratique ayant une certaine récurrence et l'opinio juris
c'est-à-dire la conviction d'appliquer le droit. Selon James
Hathaway, ces deux éléments manquent pour que le principe de non
refoulement soit considéré comme un principe coutumier.
En effet, dans son ouvrage intitulé « The
Rights of Refugees under International Law » paru en 2005, il estime
que l'opinio juris n'a pas été constituée. De nombreux
États ont en effet retourné des réfugiés dans des
pays dangereux pour leur vie et leur liberté. Il n'y a donc pas
108 Killian S. O'BRIEN, « Refugees on the High Seas:
International Refugee Law Solutions to a Law of the Sea Problem »,
loc. cit., p. 731.
109 Barbara MILTNER, « Irregular Maritime Migration:
Refugee Protection Issues in Rescue and Interception », Fordham
International Law Journal, vol. 30. Issue 1,Article 3 (2006), p. 27.
110 Sophie RODEN, « Turning their Back on the Law? The
Legality of the Coalition's Maritime Interdiction and Return Policy »,
loc. cit., p. 4.
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assez d'éléments de pratique et d'opinio
juris, éléments essentiels pour constituer une coutume, pour
affirmer que le principe est une règle coutumière du droit
international111.
Le camp du caractère coutumier prend pour appui la
jurisprudence de la Cour Internationale de Justice dans son arrêt
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci112. Dans cet arrêt, la Cour affirme que lorsqu'un
État ne respecte pas une règle reconnue et se défend en
invoquant des exceptions à cette règle, cela confirme la force de
la norme elle-même. Ainsi, la pratique des États peut être
vue comme renforçant la force légale de la norme. Aussi, la CIJ
précise que la pratique des États signifie qu'elle doit
être généralisée et non strictement
universelle113.
Le camp du caractère coutumier se base également
sur le Protocole de 1967 à la convention sur les réfugiés
spécifiquement sur son article 1 (1) qui dispose que « Les
États parties au présent Protocole s'engagent à appliquer
aux réfugiés, tels qu'ils sont définis ci-après,
les articles 2 à 34 inclus de la Convention » donc l'article 33 de
la convention sur les réfugiés qui est la base juridique du
principe de non-refoulement.
Il est admis dans la pratique internationale que le principe
de non refoulement est coutumier. Selon le glossaire de l'UE sur la migration,
« le principe de non-refoulement fait partie du droit international
coutumier et est, de ce fait, obligatoire pour tous les États, qu'ils
soient ou non signataires de la Convention de Genève de 1951 ».
Aussi, le comité exécutif du HCR dans sa conclusion n°25 de
1982 l'a confirmé également.
Une autre polémique existe dans la pratique
internationale sur l'étendue territoriale du principe de
non-refoulement. Si le caractère coutumier répond à la
question des États concernés par l'application du principe de
non-refoulement, ici il faudra répondre à l'interrogation
suivante : où s'applique le principe ?
111 James MANSFIELD, « Extraterritorial Application and
Customary Norm Assessment of Non-Refoulement: The Legality of Australia's
«Turn-Back» Policy », The University of Notre Dame Australia
Law Review, vol. 17. (2015).
112 COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua contre
États-Unis), 1986.
113 Francesco MESSINEO, « Non-refoulement Obligations in
Public International Law: Towards a New Protection Status » dans
Satvinder Juss (ed), Research Companion to Migration Theory and Policy, ,
Ashgate, 2013, p. 17.
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