CHAPITRE 1. UNE MULTITUDE D'OBLIGATIONS
ÉTATIQUES CONCOMITANTES
Les deux branches du droit sont applicables
simultanément à la migration par voie maritime. Le devoir de
porter secours aux personnes en danger en mer est la première
règle du droit international qui s'applique dans ces situations (Section
1). De plus, le principe de non refoulement interdit aux migrants d'être
ramenés dans les pays de persécution (Section 2).
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SECTION 1. L'OBLIGATION DE PORTER SECOURS EN MER, UN PRINCIPE
FONDAMENTAL DU DROIT DE LA MER
L'obligation de porter secours est une tradition maritime
coutumière consacrée par les traités internationaux. Elle
est la première règle juridique qui s'applique aux migrants par
voie maritime. Il importe de voir son contenu (Paragraphe 1) et les obligations
qui y sont liées (Paragraphe 2).
Paragraphe 1. Le contenu de l'obligation de porter
secours
Ces différents textes consacrent une obligation de
secourir toute personne en danger en mer (A) pesant sur tout État
(B).
A. Porter secours à toute personne en danger en
mer
L'obligation de porter secours est un principe coutumier du
droit international55. L'obligation d'assistance en mer est
fermement établie en droit de la mer. Cette règle
coutumière a été codifiée par plusieurs textes
juridiques et conventions internationales. Elle a d'abord été
consacrée à l'article 12 de la Convention de Genève de
1958 sur la haute mer, puis reprise par l'article 98 de la Convention de
Montego Bay sur le droit de la mer de 1982 et enfin consolidée par la
Convention Internationale pour la Sauvegarde de la vie humaine en mer
(Convention SOLAS pour Safety of life at sea, 1974) en son article 33.1 et la
Convention Internationale sur la Recherche et le Sauvetage maritimes,
(dénommée « SAR » pour Search And Rescue
1979).
C'est une obligation aussi vieille que le droit de la mer
lui-même. En effet, dans un environnement aussi hostile que l'espace
maritime, les navigateurs doivent très souvent compter sur la
solidarité entre gens de mer pour éviter le naufrage. Avant
d'être consacrée dans des textes juridiques et confirmée
par la jurisprudence, elle a été appliquée comme
étant le droit pendant plusieurs siècles. Cette obligation de
porter secours consiste à porter assistance à des
55 Violeta MORENO-LAX, « Seeking Asylum in the
Mediterranean: Against a Fragmentary Reading of EU Member States' Obligations
Accruing at Sea », International Journal of Refugee Law, vol.
Vol. 0. No. 0 (2011), p.21. ; Martin RATCOVICH, International Law and the
Rescue of Refugees at Sea, Academic dissertation for the Degree of Doctor
of Law in Public International Law, Stockholm, Stockholm University, 2019, p.
75.
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navires en difficulté, en détresse. Le
caractère coutumier de cette obligation a été
rappelé dans le « Commentaire du projet de l'article 12 de la
Convention des Nations Unies sur la haute mer » émis par la
Commission du droit international en 195656. Les parties des
conventions qui ont repris ce principe qui font partie du droit coutumier lient
même les États non parties57. En effet, le droit
coutumier international fait partie des sources du droit international
utilisées par la Cour Internationale de Justice. La coutume
internationale est donc applicable dans tous les affaires jugées par la
dite Cour.
La première jurisprudence qui consacre cette obligation
est l'arrêt Scaramanga vs Stamp de 188058. Ensuite,
est adoptée la convention de Bruxelles sur le sauvetage de 1910
remplacée ensuite par la Convention internationale pour l'unification de
certaines règles relatives à l'Assistance et au sauvetage en mer
de 198959 dont les dispositions ont été reprises par
les trois conventions de base régissant le secours en mer. Il s'agit de
la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) adoptée
le 10 décembre 1982, de la Convention sur la recherche et le sauvetage
maritime (SAR) adoptée le 27 avril 1979 et de la Convention
internationale pour la Sauvegarde de la Vie Humaine en Mer (SOLAS) qui est
adoptée le 1er novembre 1974.
La Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer de 1982
dispose en son article Art. 98 (1) que « Tout État exige du
capitaine d`un navire battant son pavillon que, pour autant que cela lui est
possible sans faire courir de risques graves au navire, à
l`équipage ou aux passagers :
a) il prête assistance à quiconque est trouvé
en péril en mer ;
(b) il se porte aussi vite que possible au secours des
personnes en détresse s'il est informé qu'elles ont besoin
d'assistance, dans la mesure où l'on peut raisonnablement s'attendre
qu'il agisse de la sorte ».
La Convention Internationale pour la Sauvegarde de la Vie en
mer de 1974 (Convention SOLAS) prévoit que le « capitaine d'un
navire en mer qui est en mesure de prêter assistance et qui
reçoit, de quelque source que ce soit, une information indiquant que des
personnes se
56 Jasmine COPPENS et Eduard SOMERS, « Towards
New Rules on Disembarkation of Persons Rescued at Sea? », The
International Journal of Marine and Coastal Law, no 25 (2010),
p. 377.
57 Jessica E. TAUMAN, « Rescued at Sea, but
Nowhere to Go: The Cloudy Legal Waters of the Tampa Crisis », Pac. Rim
L & Pol'y J., vol. 11. no 2 (2002), p. 467.
58 Jasmine COPPENS, « Search and Rescue »
dans Efthymios D. PAPASTAVRIDIS and Kimberley N. TRAPP (dir.), La
criminalité en mer, Martinus Nijhoff / Académie de Droit
International de la Haye, 2014, p. 382.
59 Ibid.
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trouvent en détresse en mer, est tenu de se porter
à toute vitesse à leur secours, si possible en les en informant
ou en informant le service de recherche et de sauvetage » en son Chapitre
V, Règle 33(1).
La Convention Internationale sur la Recherche et le Sauvetage
Maritime (SAR) définit le sauvetage comme une « opération
destinée à repêcher des personnes en détresse,
à leur prodiguer les premiers soins médicaux ou autres dont elles
pourraient avoir besoin et à les remettre en lieu sûr
»60. En effet, les États Parties doivent «s'assurer
que l'assistance puisse être octroyée à toute personne en
détresse en mer et ce indépendamment de la nationalité ou
du statut de cette personne ou des circonstances dans lesquelles cette personne
a été trouvée» (Chap. 2.1.10) et à «
pourvoir à leurs premiers besoins et soins médicaux et à
les conduire dans un lieu sûr.» (Chap. 1.3.2.). L'Annexe Chapitre
2.1.1 exige que « les Parties veillent à ce que les dispositions
nécessaires soient prises pour que les services requis de recherche et
de sauvetage soient fournis aux personnes en détresse en mer au large de
leurs côtes. »
L'opération de secours comporte, en pratique, six
phases : le ralliement sur zone, la reconnaissance de la situation de
détresse, son évaluation, l'embarquement des migrants et leur
débarquement61. Plus simplement, la procédure de
sauvetage se déroule comme suit : le navire repère une
embarcation en détresse, il prévient l'État responsable de
la zone SAR, il conduit les naufragés vers un lieu
sûr62.
Les amendements aux conventions SOLAS et SAR ont
été adoptés en mai 2004 et sont entrés en vigueur
au 1er juillet 200663.
Porter secours est obligatoire pour tout État en mer.
60 Benoît GRÉMARE, L'agence
Frontex et la marine nationale, Mémoire de Master 2 Droit Public
« Sécurité et Défense
Transméditerranéenne », Toulon, Université
Toulon-Var, 2012, p. 48.
61 Ibid., p. 50.
62 Estelle GELLET, « La lutte contre
l'immigration clandestine par voie maritime: une nécessaire
coopération entre terre et mer. », Cargo Marine,
no 08 (Mai 2013), p. 11.
63 HCR & OMI, Sauvetage en mer: Guide des
principes et mesures qui s'appliquent aux migrants et aux
réfugiés, Haut-Commissariat aux réfugiés et
Organisation maritime internationale, 2006, p. 2.
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