Paragraphe 2. Les limites actuelles du Pacte de
Marrakech
Le Pacte de Marrakech a encore de nombreuses imperfections
qu'il faut prendre en compte. Le pacte accorde encore une place de choix aux
États pour sa mise en oeuvre (A) et son caractère non
contraignant qui est son plus grand argument, est aussi une faiblesse (B).
365 COMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
(CNCDH), Le Pacte mondial de Marrakech pour des migrations sûres,
ordonnées et régulières Pour une approche respectueuse des
droits des migrants (Communiqué de presse), 2018.
A. 87
Une place encore prégnante des acteurs étatiques
dans la mise en oeuvre du Pacte
Le pacte réaffirme toujours le droit souverain des
États à définir leurs politiques migratoires dans le
paragraphe 15 (c) : « Le Pacte mondial réaffirme le droit souverain
des États de définir leurs politiques migratoires nationales et
leur droit de gérer les migrations relevant de leur compétence,
dans le respect du droit international. Compte tenu de la diversité des
situations, des politiques, des priorités et des conditions
d'entrée, de séjour et de travail des pays, les États
peuvent, dans les limites de leur juridiction souveraine, opérer la
distinction entre migrations régulières et
irrégulières, notamment lorsqu'ils élaborent des mesures
législatives et des politiques aux fins de l'application du Pacte
mondial, conformément au droit international ».
Le pacte ne cherche pas à réduire
considérablement la place étatique dans la gouvernance des
migrations. En fin de compte, l'État est toujours le premier sujet de
droit international et le seul qui dispose de l'attribut de la
souveraineté. Le pacte réaffirme donc que l'État a encore
une place de choix dans le nouveau système qui se base sur l'ancien. Le
PMM ne révolutionne pas le système même s'il tente
d'inclure le maximum d'acteurs.
Son caractère non contraignant fait craindre pour sa
mise en oeuvre dans un système encore largement étatique.
B. Un caractère non contraignant
Le Pacte n'est pas la première idée d'instrument
cherchant et ayant pour ambition ultime de mettre en valeur les droits de
l'Homme.
Dans un régime juridique actuel qui n'est pas
cohérent, Alexander Aleinikoff préconise un bill of
rights pour garantir dans un seul document les droits de tous les
migrants366. Cette idée a été et
concrétisée en 2010 par Aleinikoff au sein du Georgetown
University Law Center
366 Alexander T. ALEINIKOFF, « International Legal Norms
on Migration: Substance without Architecture », loc. cit., p.
477.
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qui a conçu the International Migrants Bill of Rights
(IMBR)367. Cette initiative a pour but de protéger tous les
migrants indépendamment de la cause de leur franchissement d'une
frontière internationale. Il s'agit d'un instrument de soft law qui a
été conçu par un ensemble de chercheurs et
d'étudiants qui codifie les règles existantes en 23 principes et
propose une définition du migrant international.
« The term «migrant» in this Bill refers to a
person who is outside of a State of which the migrant is a citizen or national,
or, in the case of a stateless migrant, the migrant's State of birth or
habitual residence «368.
D'autres auteurs comme Alexander Betts ont poursuivi avec
cette même idée de faire appel à un régime de soft
law pour protéger les migrants369.
Le Pacte de Marrakech ne fait en fin de compte que rappeler
des obligations déjà souscrites par les États. Cependant,
son grand mérite est d'être une solution « pragmatique
»370. Il n'est qu'une simple étape vers un régime
complet et contraignant. C'est un texte avant tout de compromis371.
La soft law a pour avantage d'être flexible mais c'est aussi son plus
grand inconvénient. Son manque de technicité en fait un
mécanisme quelque peu facile à contourner pour des États
ayant déjà mis en place des politiques se basant sur une
interprétation biaisée du droit.
La cause du non-respect du régime juridique en vigueur
se trouve dans l'opacité du droit lui-même concernant la
définition de ces termes-clés. Ce pourquoi une clarification est
nécessaire. Mettre fin au débat sur la détresse en mer et
sur les critères de détermination du lieu sûr et leur
donner des caractéristiques objectives permettra d'éviter que les
États aient recours à leur interprétation personnelle et
biaisée au détriment des droits des migrants. Au niveau
367 Ian M. KYSEL, « Promoting the Recognition and
Protection of the Rights of All Migrants Using a Soft-Law International
Migrants Bill of Rights », Journal on Migration and Human
Security, vol. 4. Number 2 (2016), p. 29?44.
368 Ibid., p. 36.
369 Alexander BETTS, « Towards a `Soft Law' Framework for
the Protection of Vulnerable Irregular Migrants », International
Journal of Refugee Law, vol. Vol. 22. No. 2 (2010), p. 209-236. ;
Alexander BETTS, « Soft Law and the Protection of Vulnerable Migrants
», Georgetown Immigration Law Journal, vol. Vol. 24. (2010), p.
533.
370 Baptiste JOUZIER, Une analyse critique du Pacte
mondial pour des migrations sûres, ordonnées et
régulières, op. cit., p. 43.
371 Ibid., p. 156.
89
institutionnel, la création d'une organisation mondiale
permettrait de créer un cadre de discussion concret sur ce sujet.
Ce qui nous a conduits à analyser la proposition du
Pacte pour des migrations, sûres, ordonnées et
régulières, accord non contraignant qui propose un cadre d'action
sans créer un organe spécifique et qui repose toujours sur les
États pour sa mise en oeuvre. Cependant, cette proposition amorce un
changement de paradigme en donnant plus de place dans le débat à
d'autres acteurs de la question des migrations. La contribution du Pacte n'est
qu'une étape mais une étape significative vers un traitement
dépolitisé des migrations.
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