SECTION 2. LA PISTE DES ACCORDS NON CONTRAIGNANTS : LE
CAS DU PACTE
DE MARRAKECH
Le Pacte de Marrakech, de son nom complet « Pacte mondial
pour des migrations sûres, ordonnées et régulières
» (PMM), a été adopté lors d'une conférence
intergouvernementale les 10 et 11 décembre 2018 par 152 États
à Marrakech au Maroc. Ce texte est un instrument non contraignant
mettant au premier plan les droits de l'Homme, une approche inédite dans
le traitement des migrations irrégulières (Paragraphe 1). Mais il
comporte encore de nombreuses limites qui jettent des doutes sur son impact
réel sur le droit actuel (Paragraphe 2).
Paragraphe 1. Un instrument non contraignant mettant au
premier plan les Droits de l'Homme
La raison principale ayant présidé à
l'adoption du pacte est la volonté de créer un cadre mondial pour
les migrations à travers la soft law (A). Les migrations sont
traditionnellement considérées comme un problème relevant
de la souveraineté des États352. Le PMM veut ainsi
changer de paradigme et mettre plutôt en avant les droits de l'Homme
(B).
A. Un instrument de soft law comme réponse
à l'insuffisance du droit positif concernant la protection des
migrants
Le pacte de Marrakech est juridiquement non contraignant. Il y
a une préférence des États pour les instruments de
soft law, capables de répondre à des problématiques
de manière plus ciblée et flexible353. La soft
law ou fuzzy law354 est le droit mou et la hard
law est le droit dur qui contraint juridiquement les parties. Les accords
de soft law permettent de contourner les processus de
ratification355.
352 Ibid., p. 6.
353 Ibid., p. 3.
354 Céline LAPERRIÈRE, La gestion des
migrations de transit: quelles réponses apportées au Maroc?,
Mémoire pour le Master Coopération Internationale, Action
humanitaire et Politique de développement, Université Paris I
Panthéon-Sorbonne, 2006, p. 49.
355 Matthieu TARDIS, « Le pacte de Marrakech. Vers une
gouvernance mondiale des migrations? », loc. cit., p. 19.
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Les avantages de la soft law sont nombreux : elle
permet des accords plus faciles à négocier et qui peuvent se
modifier plus facilement. Ces accords peuvent être établis par des
acteurs non étatiques et peuvent constituer un tremplin pour
l'établissement d'un cadre de gouvernance356. Les accords
de soft law sont perçus comme moins attentatoires à la
souveraineté nationale.
Les différentes fonctions du pacte sont de
compléter et remplir les manques en instruments internationaux
contraignants, interpréter une convention et servir de précurseur
vers le développement d'un nouveau traité357.
Comme nous l'avons remarqué dans notre étude,
les seules catégories retenues et protégées sont les
réfugiés et les migrants travailleurs internationaux. Ce type de
protection s'avère totalement insuffisant pour prendre en compte les
problèmes de protection de ces personnes exclues du système.
L'objectif principal du pacte est de renforcer les fondations
de la gouvernance mondiale des questions migratoires358. Le pacte
propose un cadre global pour répondre à trois questions : les
objectifs de la gouvernance mondiale des migrations, les outils de cette
gouvernance et la répartition des rôles entre les agences des
Nations-Unies, les États et les acteurs non-étatiques.
Mais alors quelle est sa force juridique ? Il compte sur
l'engagement moral des États359. L'impact réside plus
dans sa mise en oeuvre que dans son statut juridique360. Le pacte
propose uniquement des orientations politiques de base, souligne les
règles déjà existantes, fournit une information
indépendante sur les effets positifs de la migration et encourage une
coopération accrue entre les États. Il promeut enfin une
amélioration de l'accessibilité à la migration
régulière361.
L'objectif du pacte est de renforcer les fondations de la
gouvernance mondiale des questions migratoires. Le pacte n'est pas un
traité international. De ce fait, il a un périmètre plus
large. Son objectif est d'appuyer une gestion efficace et humaine des flux
migratoires.
356 Ibid.
357 Ibid.
358 Ibid., p. 7.
359 Ibid., p. 18.
360 Ibid., p. 21.
361 ORGANISATION SUISSE D'AIDE AUX RÉFUGIÉS,
« Cinq mythes sur le «pacte sur les migrations» », Des
faits plutôt que des mythes, no 139 (22 novembre 2018),
p. 1.
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Le pacte se compose de 23 objectifs qui proposent des mesures
spécifiques dans lesquels les États pourront piocher pour
atteindre les dits objectifs. Sa force résulte de la solennité de
sa rédaction et de son adoption. Il compte sur l'engagement moral des
États. Le pacte constitue une étape importante : il
précise les objectifs, pose le cadre et les mécanismes de suivi.
Mais il se confronte à un grand défi : celui de la
coopération des États362.
Le pacte de Marrakech est souvent dépeint comme un
instrument mettant directement à mal la souveraineté des
États. Il est également décrit comme un traité
international. Or ce n'est pas le cas. Le pacte ne propose uniquement que des
orientations politiques de base, un cadre de coopération. Il est
juridiquement non contraignant. Ce n'est pas une nouvelle règle
coutumière du droit international car il souligne des règles
déjà existantes.
Le Pacte veut en effet se présenter comme un «
cadre de travail inclusif »363 qui concentre la majorité
des acteurs du domaine à la fois dans le processus et dans la lettre. Il
propose un cadre de travail et une feuille de route pour harmoniser les
politiques migratoires.
Le principal problème de la soft law est un manque de
technicité qui entraîne une plus grande facilité à
la contourner mais peut être un plus grand atout pour une gouvernance des
migrations efficace. Il s'agit du pari du Pacte de Marrakech. La gouvernance
peut se définir comme un ensemble de mécanismes de gestion d'un
système social national ou international en vue d'assurer des objectifs
communs. Il s'agit en quelque sorte d'une ingénierie
sociale364.
Son deuxième apport de taille est de mettre en avant les
droits de l'Homme.
362 Matthieu TARDIS, « Le pacte de Marrakech. Vers une
gouvernance mondiale des migrations? », loc.
cit.
363 Baptiste JOUZIER, Une analyse critique du Pacte
mondial pour des migrations sûres, ordonnées et
régulières, Mémoire de recherche
présenté pour l'obtention du master 2 Carrières juridiques
internationales de l'Université Grenoble Alpes, Université
Grenoble-Alpes, Faculté de droit, 2018, p. 107.
364 Céline LAPERRIÈRE, La gestion des
migrations de transit: quelles réponses apportées au Maroc?,
op. cit., p. 49.
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B. Un instrument affirmant la prévalence des droits de
l'Homme dans le traitement des migrations
Le Pacte mondial pour les migrations de Marrakech (PMM) a pour
enjeu une meilleure administration collective et respectueuse des droits de
l'Homme. Les droits fondamentaux des personnes migrantes se retrouvent au coeur
de l'accord365 .
Dans son préambule au point 4, le PMM affirme que
« Les réfugiés et les migrants jouissent des mêmes
libertés fondamentales et droits de l'homme universels, qui doivent
être respectés, protégés et exercés en toutes
circonstances ».
Le point f du paragraphe 15 intitulé Droits de l'homme
dispose que « Le Pacte mondial est fondé sur le droit international
des droits de l'homme et respecte les principes de non-régression et de
non-discrimination. En appliquant le Pacte mondial, nous veillons au respect,
à la protection et à la réalisation des droits de l'homme
de tous les migrants, quel que soit leur statut migratoire, à tous les
stades de la migration ».
En s'engageant à mettre en évidence l'importance
des droits de l'Homme dans le débat sur les migrations, les États
veulent tourner le dos à une politique avant tout sécuritaire et
à considérer les migrants comme des personnes ayant besoin
d'aide.
Le PMM n'est cependant pas dépourvu de limites qui
l'éloignent de son objectif ambitieux.
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