CHAPITRE 2. UN RÉGIME JURIDIQUE PERFECTIBLE
Il est difficile d'avoir un régime juridique uniforme
et cohérent sur l'océan. Le droit de la mer n'a de cesse de
morceler l'espace maritime planétaire. Ainsi, il y a aujourd'hui une
dispersion du corps normatif312. Cependant, les carences du droit en
vigueur peuvent être surmontées par la clarification de termes-
clés dans son application (Section 1). Mais au-delà de cette
solution, l'on peut s'interroger sur l'idée d'un changement de paradigme
complet sur le rôle de l'État dans ces questions à travers
le Pacte de Marrakech (Section 2).
312 Jean-Paul PANCRACIO, « Enjeux et
problématiques d'une gouvernance de la Haute mer », ANNUAIRE
FRANÇAIS DE RELATIONS INTERNATIONALES, vol. XIX. (2018).
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SECTION 1. LA CLARIFICATION DU DROIT EN VIGUEUR
Il est essentiel de définir des termes clés pour
l'application du droit (Paragraphe 1). Une autre solution est à trouver
dans le pacte de Marrakech qui propose de dépasser une gestion purement
étatique de la migration (Paragraphe 2).
Paragraphe 1. La clarification des règles
normatives
Comme montré supra, le droit international
impose de porter secours aux personnes en détresse en mer mais sans la
définir concrètement (A). Le lieu sûr invoqué et
désigné pour mettre fin au sauvetage fait face à la
même difficulté de détermination (B).
A. La notion de détresse en mer, condition pour le
sauvetage
La détresse est un terme capital dans le droit
international humanitaire et dans l'application du devoir de porter secours. En
effet, c'est la condition sine qua non pour pouvoir être secouru en mer.
Les navires pour être secourus doivent être dans une situation de
détresse, un statut qui n'est pas clairement défini en droit
international313. Les capitaines ont une compétence
discrétionnaire pour qualifier l'appel de détresse ou
non314.
La notion de détresse est apparue pour la
première fois dans la convention de Bruxelles sur le sauvetage du 23
septembre 1910315. Dans le droit positif, la notion de
détresse est contenue dans les articles 58 (2) et 98 (1) de la
convention sur le droit de la mer de Montego Bay316, dans l'article
10 de la convention internationale sur le sauvetage du 28 avril
1989317 ainsi que dans la convention sur la sauvegarde de la vie en
mer (SOLAS) au chapitre V règle 33 (1)318.
313 Matteo TONDINI, « The legality of intercepting boat
people under search and rescue and border control operations with reference to
recent Italian interventions in the Mediterranean Sea and the ECtHR decision in
the Hirsi case », loc. cit., p. 62.
314 Michael PUGH, « Drowning not waving: boat people and
humanitarianism at sea », loc. cit., p. 59.
315 Jasmine COPPENS, « Search and Rescue », loc.
cit., p. 383.
316 Ibid. ; « Convention des Nations unies sur
le droit de la mer, ouverte à la signature à Montego Bay
(Jamaïque) le 10 décembre 1982 entrée en vigueur le 16
novembre 1994 », loc. cit.
317 Jasmine COPPENS, « Search and Rescue », loc.
cit., p. 383.
318 HCR & OMI, Sauvetage en mer: Guide des principes
et mesures qui s'appliquent aux migrants et aux
réfugiés, op. cit., p. 4.
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La notion de détresse a subi des évolutions
concernant son sens dans le temps. En 1809 dans l'affaire Eleanor, la
détresse est entendue comme l'urgence qui a besoin d'une aide
rapide319. Avec l'affaire du Rainbow Warrior en 1986, une
urgence sanitaire peut suffire320.
La convention sur la recherche et le sauvetage de 1979 a
défini la notion de détresse en mer. Il s'agit d'une situation
dans laquelle il y a des doutes sérieux qu'une personne, un navire soit
menacé par un danger grave et imminent et demande une assistance
immédiate321. Vu cette définition, on peut dire que le
concept de détresse renvoie à une situation dans laquelle il y a
des raisons de croire que, sans assistance, le navire et ses passagers seront
incapables d'être en sécurité et seront perdus en
mer322.
Les navires ont l'obligation de répondre aux appels de
détresse. Mais le concept de détresse n'est pas clairement
défini en droit international. Or l'intervention dépend de
l'appel de détresse du bateau en cause323. Il signifie en
général qu'il y a des raisons sérieuses que,
laissés sans assistance, le navire et ses passagers seront incapables
d'être en sécurité et seront perdus en mer. L'on ne doit
pas tenir compte de leur statut de demandeur d'asile ou non324.
L'interprétation de ces dispositions est
appréciée différemment par les États : pour
certains, le navire doit être sur le point de couler tandis que pour
d'autres il suffit qu'il soit impropre à la navigation325.
L'évaluation de la notion de détresse dépend donc de
l'État qui détermine quand s'achève et se termine cette
situation326. Ce qui est attentatoire aux droits des migrants
concernés. Selon l'État donc, la détresse peut être
perçue de manière différente et non uniforme. Finalement,
la détermination de la détresse se fait au cas par
cas327. La notion de détresse a pour principale
conséquence juridique d'enclencher l'obligation de porter secours. C'est
le critère par lequel l'on détermine qu'il est obligatoire de
porter assistance. L'imprécision dont fait l'objet cette notion est
dommageable en ce que l'appréciation des États est biaisée
par
319 England High Court of Admiralty, The Eleanor
(1809) 165 ER 1058 cité par Martin RATCOVICH, International Law
and the Rescue of Refugees at Sea, op. cit., p. 82.
320 Jasmine COPPENS, « Search and Rescue », loc.
cit., p. 384.
321 Ibid., p. 385.
322 Michael PUGH, « Drowning not waving: boat people and
humanitarianism at sea », loc. cit., p. 59.
323 Matteo TONDINI, « The legality of intercepting boat
people under search and rescue and border control operations with reference to
recent Italian interventions in the Mediterranean Sea and the ECtHR decision in
the Hirsi case », loc. cit., p. 4.
324 Michael PUGH, « Drowning not waving: boat people and
humanitarianism at sea », loc. cit., p. 9.
325 Jasmine COPPENS, « Search and Rescue », loc.
cit., p. 385.
326 Éloise PETIT-PREVOST, Alpha DIALLO et Anais AUGER,
« Les obligations des États en matière de secours en mer.
Livret à destination de la société civile. »,
loc. cit., p. 13.
327 Jasmine COPPENS, « The essential role of Malta in
drafting the new regional agreement on migrants at sea in the mediterranean
bassin », Journal of Maritime Law and Commerce, no 89
(janvier 2013), p. 2.
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leurs intérêts sécuritaires et
économiques au lieu d'être guidée par des
considérations humanitaires.
Le lieu sûr est une autre notion clé qui
mérite d'être explicitée.
B. La détermination du lieu sûr pour le
débarquement des personnes secourues
Le sauvetage n'est effectif que si les personnes secourues
sont amenées dans un endroit sûr328. Il s'agit de leur
fin logique329. C'est une exigence de la convention SAR annexe
Chapitre 1 paragraphe 1.3.2330. Mais quels en sont les
critères ?
La notion de lieu sûr a été définie
par les amendements de 2004 aux conventions SAR et SOLAS. Il s'agit d'un lieu
où les opérations de secours sont considérées comme
terminées. La Directive sur le traitement des personnes secourues en mer
de 2004 précise dans son paragraphe 6.12 « Un lieu sûr est un
emplacement où les opérations de sauvetage sont censées
prendre fin et où :
? la vie ou la sécurité des
survivants n'est plus menacée ;
? l'on peut subvenir à leurs besoins
fondamentaux (vivres, abris et soins médicaux)
;
? le transport des survivants vers leur
destination suivante ou finale peut s'organiser331 ».
328 Michael PUGH, « Drowning not waving: boat people and
humanitarianism at sea », loc. cit., p. 61.
329 Killian S. O'BRIEN, « Refugees on the High Seas:
International Refugee Law Solutions to a Law of the Sea Problem »,
loc. cit., p. 722.
330 « Convention sur la recherche et le sauvetage
maritimes (SAR) adoptée le 27 avril 1979; entrée en vigueur le 22
juin 1985 », loc. cit., chapitre 1 paragraphe 1.3.2. ; Jasmine
COPPENS, « Search and Rescue », loc. cit., p. 387.
331 HCR & OMI, Sauvetage en mer: Guide des principes
et mesures qui s'appliquent aux migrants et aux
réfugiés, op. cit., p. 6.
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C'est aussi un lieu où les rescapés sont en
sécurité et leurs besoins de première
nécessité sont pourvus332. En clair, le lieu sûr
est un lieu où il n'y a pas de risques de refoulement et où les
droits humains des rescapés sont respectés333.
Le lieu sûr est de la responsabilité de
l'État responsable de la zone SAR dans laquelle les rescapés ont
été secourus. La base de cette obligation est contenue dans la
Directive sur le traitement des personnes secourues en mer de 2004 167 (78)
paragraphe 2.5334.
Mais il ne suffit pas de trouver un lieu sûr, il faut
l'autorisation de l'État en question. Or il n'existe pas d'obligation
juridique pour un État d'autoriser le débarquement335
ce qui crée un problème politique majeur336.
Le droit est également ambigu au sujet du lieu de
débarquement. Le sauvetage signifie que les personnes en détresse
doivent être acheminées vers un « lieu sûr
»337. La clarification de ce concept sera une étape dans
la solidification du droit humanitaire en mer338. Mais elle se
heurte à la souveraineté de l'État en cause339,
ce pourquoi il n'y a pas d'obligation juridique de permettre le
débarquement.
Une réforme institutionnelle est également
essentielle.
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