B. Les modalités concrètes de la lutte contre
le trafic de migrants
Le protocole de Palerme oblige les États parties
à incriminer et punir le trafic de migrants172. Pour les
États parties au protocole et à la convention donc, une
obligation de criminaliser le trafic sur leur territoire s'impose. Selon
l'article 6 :
« 1. Chaque État Partie adopte les mesures
législatives et autres nécessaires pour conférer le
caractère d'infraction pénale, lorsque les actes ont
été commis intentionnellement et pour en tirer, directement ou
indirectement, un avantage financier ou autre avantage matériel: a) Au
trafic illicite de migrants; b) Lorsque les actes ont été commis
afin de permettre le trafic illicite de migrants ». Les États
doivent également punir les actes aidant à la commission de
l'infraction c'est-à-dire la « fabrication d'un document de voyage
ou d'identité frauduleux »; le « fait de procurer, de fournir
ou de posséder un tel document »;le « fait de permettre
à une personne, qui n'est ni un ressortissant ni un résident
permanent, de demeurer dans l'État concerné, sans satisfaire aux
conditions nécessaires au séjour légal dans ledit
État, par les moyens mentionnés ».
La tentative est également punie c'est-à-dire le
« fait de tenter de commettre une infraction établie
conformément au paragraphe 1 du présent article » de
même que la complicité, le « fait de se rendre complice
» d'une infraction établie par les dispositions
précédentes.
Les traitements humains et dégradants sont
mentionnés par le fait de mettre en danger ou de risquer de mettre en
danger la vie ou la sécurité des migrants concernés ou au
traitement inhumain ou dégradant de ces migrants, y compris pour
l'exploitation.
La mise en application de la répression exige
l'entrée illégale dans un État-partie. La tentative
d'entrée illégale peut servir en haute mer. La criminalisation ne
s'applique qu'aux infractions transnationales selon l'article 4 du Protocole.
Elle vise les trafiquants seulement
172 « Protocole additionnel à la Convention des
Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée
contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel
à la convention des Nations unies contre la criminalité
transnationale organisée adopté le 15 novembre 2000 »,
loc. cit., article 3.
44
mais il n'existe pas d'immunité pour les migrants en
cas de violation des règles d'immigration173. En effet selon
l'article 6 alinéa 4 du protocole, « Aucune disposition du
présent Protocole n'empêche un État Partie de prendre des
mesures contre une personne dont les actes constituent, dans son droit interne,
une infraction.
Les éléments du crime sont le mens rea
et l'actus reus. Le mens rea signifie que le trafic doit
avoir été commis pour obtenir un bénéfice financier
ou matériel. L'actus reus consiste à participer
activement dans le trafic en fournissant les documents frauduleux ou avoir
physiquement fait traverser les frontières aux migrants174.
L'ONUDC a schématisé cette définition comme suit. Il
s'agit du fait d'assurer l'entrée illégale d'une personne dans un
État dont elle n'est pas ressortissante pour en tirer
profit175.
De manière préventive également,
l'article 10 du Protocole encourage l'échange d'informations entre
États qui se trouvent dans une zone couramment utilisée pour le
trafic de migrants.
Après avoir décrit les obligations des
États ci-dessus, il faut maintenant se pencher sur les titres de
compétences que détiennent les États en fonction des
différentes zones maritimes.
Il faut distinguer les zones sous souveraineté (eaux
intérieures et mer territoriale) et les zones maritimes sous juridiction
(zone contiguë et zone économique exclusive). Dans les zones sous
souveraineté, celle-ci est absolue tandis que dans les zones sous
juridiction, cette souveraineté est relative et n'est exercée que
dans une optique précise176. Au-delà des zones
présentées se trouve la haute mer.
En premier lieu, la haute mer est un espace situé
au-delà de la mer territoriale et de la zone contigüe
au-delà donc de 24 mille marins. Sa définition par l'article 86
de la Convention de Montego Bay est négative : la haute mer comporte
toutes les parties de la mer qui ne sont pas inclues dans la zone
économique exclusive, dans la mer territoriale ou les eaux
intérieures
173 Solène GUGGISBERG, « Le trafic illicite de
migrants en mer », loc. cit., p. 248.
174 Claire BROLAN, « An Analysis of the Human Smuggling
Trade and the Protocol Against the Smuggling of Migrants by Land, Air and Sea
(2000) from a Refugee Protection Perspective », International Journal
of Refugee Law, (2002), p. 584.
175 OFFICE DES NATIONS UNIES CONTRE LA DROGUE ET LE CRIME,
Cadre d'action international pour l'application du Protocole relatif au
trafic illicite de migrants, 2013, p. 4.
176 Isabelle PERRUCHON et Caroline DE MARTINI, « La police
en mer ».
45
ou les eaux archipélagiques177. Dans la zone
économique exclusive, la liberté de navigation
s'applique178.
En principe, en matière de trafic de migrants, seul
l'État de pavillon est compétent. L'État qui souhaite
intervenir doit demander l'autorisation à l'État de
pavillon179. Seuls les navires de guerre de l'État de
pavillon peuvent interférer avec le mouvement d'un navire. Le fondement
est la règle de la territorialité qui donne à
l'État de pavillon une compétence plénière et
exclusive sur les navires qui battent son pavillon. L'arrêt de la Cour
permanente de Justice internationale dans l'affaire du Lotus en 1927 a
affirmé qu'« aucun État ne peut exercer des actes de
juridiction quelconque sur des navires étrangers »180.
Les bases juridiques de la loi de pavillon sont multiples et nombreuses. Il y a
en effet la Convention de Genève de 1958 sur la haute mer en son article
6 reprise par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10
décembre 1982 en ses articles 87, 92, et 92.1. L'État de pavillon
exerce une souveraineté entière et exclusive sur les navires
battant son pavillon et régit les domaines de la navigation, de la
pêche et en matière de protection du milieu marin. Cette
compétence exclusive de l'État de pavillon est consacrée
par la CIJ dans l'arrêt Détroit de Corfou du 9 avril
1949181.
En matière d'interdiction et de répression de la
traite des esclaves, seul l'État de pavillon est compétent pour
juger les coupables182. Le trafic de migrants n'est pas
envisagé par la convention de Montego Bay ; elle ne permet donc pas de
droits de visite spécifiques183. Il faut l'autorisation de
l'État de pavillon.
Cependant, un titre de compétence peut être
exercé par l'État côtier dans une circonstance
particulière : la poursuite chaude. En effet, seul l'État
côtier face à un navire intercepté suite à une
poursuite chaude dispose d'une base juridique pour poursuivre le trafic. Le
droit de
177 « Convention des Nations unies sur le droit de la
mer, ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le 10
décembre 1982 entrée en vigueur le 16 novembre 1994 »,
loc. cit., article 86. ; Carola SALAU, The extraterritorial
application of the principle of non-refoulement in the context of sea
borders, op. cit., p. 21.
178 « Convention des Nations unies sur le droit de la
mer, ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le 10
décembre 1982 entrée en vigueur le 16 novembre 1994 »,
loc. cit., article 57; 58 (1). ; Solène GUGGISBERG, « Le
trafic illicite de migrants en mer », loc. cit., p. 265.
179 « Protocole contre le trafic illicite de migrants par
terre, air et mer, additionnel à la convention contre la
criminalité transnationale organisée, ouvert à signature
à Palerme le 12 décembre 2000 », loc. cit., art. 8
(2).
180 COUR PERMANENTE DE JUSTICE INTERNATIONALE, Affaire du
Lotus, 1927. ; Ludivine RICHEFEU, Le droit pénal face à
la migration transfrontière, op. cit., p. 164.
181 COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, Détroit de
Corfou, 1949.
182 Isabelle PERRUCHON et Caroline DE MARTINI, « La police
en mer », loc. cit., p. 7.
183 Anne-Claire DUMOUCHEL, Les atteintes à la
sûreté en Haute-mer, Mémoire pour le Master recherche
Relations internationales Option Sécurité et Défense,
Paris, Université Panthéon-Assas-Paris II, 2008, p. 75.
46
poursuite chaude est un transfert en haute mer des
compétences de police184. L'État peut poursuivre le
navire fautif par ses navires de guerres ou aéronefs militaires
jusqu'à la haute mer pour arrestation185. Cette
opération consiste à arraisonner, dérouter vers son port
et sanctionner186. Le droit de poursuite chaude peut être
exercé en haute-mer par un État côtier à l'encontre
d'un navire civil battant pavillon d'un État tiers qui a commis une
infraction à ses lois et règlements dans ses
eaux187.
Au surplus, les pouvoirs que détient l'État
côtier sont limités en haute mer. Le droit de visite188
en haute mer permet aux navires militaires de contrôler la
nationalité d'un navire, de l'inspecter et de faire des saisies. Mais ce
droit est extrêmement limité à ces situations et conditions
suivantes : doutes raisonnables d'esclavage189,
piraterie190, émissions radio non
autorisées191, navires sans nationalité, le cas d'un
navire étranger qui est en réalité de la même
nationalité que le navire qui l'inspecte192. Les navires sans
nationalité n'ont pas de protection puisqu'ils ne sont pas titulaires de
droits et n'ont pas d'État de rattachement pour faire valoir leur
souveraineté. Le droit de visite permet aux navires d'un gouvernement
qui y ont été dûment autorisés à
vérifier la nationalité du navire étranger s'il y a des
raisons sérieuses de croire qu'il pratique la piraterie, des
émissions radios non autorisées et du trafic
d'esclaves193.
Dans la mer territoriale, espace de 12 milles
marins194, l'État dont les migrants tentent de partir peut
les intercepter devant le droit de la mer. Mais il y a le droit de chacun de
quitter un
184 Isabelle PERRUCHON et Caroline DE MARTINI, « La police
en mer », loc. cit., p. 4.
185 Andrea CALIGIURI, « La lutte contre l'immigration
clandestine par mer: problèmes liés à l'exercice de la
juridiction par les États côtiers » dans CASADO RAIGON R.
(Dir.), L'Europe et la mer : pêche, navigation et environnement
marin, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 423.
186 Convention de Genève relative à la
haute-mer, article 23; Convention des Nations unies sur le droit de la mer,
ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le 10
décembre 1982, article 111.
187 Isabelle PERRUCHON et Caroline DE MARTINI, « La
police en mer », loc. cit., p. 3. ; « Convention de
Genève relative à la haute-mer », loc. cit.,
article 23. ; « Convention des Nations unies sur le droit de la mer,
ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le 10
décembre 1982 entrée en vigueur le 16 novembre 1994 »,
loc. cit., article 111.
188 « Convention des Nations unies sur le droit de la
mer, ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le 10
décembre 1982 entrée en vigueur le 16 novembre 1994 »,
loc. cit., article 110.
189 « Convention de Genève relative à la
haute-mer », loc. cit., article 13. ; « Convention des
Nations unies sur le droit de la mer, ouverte à la signature à
Montego Bay (Jamaïque) le 10 décembre 1982 entrée en vigueur
le 16 novembre 1994 », loc. cit., article 99.
190 « Convention des Nations unies sur le droit de la
mer, ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le 10
décembre 1982 entrée en vigueur le 16 novembre 1994 »,
loc. cit., article s 100 à 107.
191 Ibid., article 109.
192 Ibid., article 110. ; Barbara MILTNER, «
Irregular Maritime Migration: Refugee Protection Issues in Rescue and
Interception », loc. cit., p. 104.
193 Sophie RODEN, « Turning their Back on the Law? The
Legality of the Coalition's Maritime Interdiction and Return Policy »,
loc. cit., p. 16.
194 « Convention des Nations unies sur le droit de la
mer, ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le 10
décembre 1982 entrée en vigueur le 16 novembre 1994 »,
loc. cit.
47
pays y compris le sien. Il ne peut que criminaliser certains
actes accessoires car la tentative de trafic ne peut être prouvée.
Il y a un manque de droit d'appréhender alors que l'obligation de
criminaliser existe195. L'État côtier peut-il
empêcher le passage dans sa mer territoriale d'un navire transportant des
passagers clandestins ? L'article 19 de la convention de Montego Bay dispose
que le passage n'est plus inoffensif si le navire se livre à une
activité en violation des règles d'immigration. Mais traverser
uniquement ne porte pas atteinte au bon ordre de l'État
côtier196. Un État dont la mer territoriale sert de
destination peut agir car le passage n'est plus inoffensif. La criminalisation
des trafiquants est, dans ce cas, obligatoire197.
Dans la zone contiguë, espace maritime de 24 mille
marins198, l'État côtier peut exercer un droit de
visite. Ainsi, il est compétent pour intercepter les navires qui se
livrent à une activité d'embarquement ou de débarquement
d'une personne en contravention aux règles d'immigration de
l'État côtier199. Cette zone sert uniquement pour
prévenir et réprimer les infractions à ses lois sur
l'immigration sur son territoire ou dans sa mer territoriale200.
L'État côtier a un droit d'interception dans une optique anti
trafic201. L'État côtier peut intercepter un navire qui
se dirige vers la mer territoriale ou qui en provient202. Dans la
zone contigüe, le protocole prévoit que la tentative de trafic est
criminalisée. Le crime peut déjà commencer hors des
frontières. Dans sa zone contiguë donc, l'État côtier
peut criminaliser la tentative de violation ou la violation des lois
d'immigration et la tentative de trafic203.
Dans la mer territoriale d'un autre État, il faut
l'autorisation de l'État côtier204.
D'autres types de criminalité transnationale sont
réprimés par le droit pénal international.
195 Solène GUGGISBERG, « Le trafic illicite de
migrants en mer », loc. cit., p. 281.
196 Kiara NERI, « Le droit international face aux
nouveaux défis de l'immigration clandestine en mer », loc.
cit., p. 128.
197 Solène GUGGISBERG, « Le trafic illicite de
migrants en mer », loc. cit., p. 281.
198 « Convention des Nations unies sur le droit de la
mer, ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le 10
décembre 1982 entrée en vigueur le 16 novembre 1994 »,
loc. cit., article 33 (2).
199 Kiara NERI, « Le droit international face aux
nouveaux défis de l'immigration clandestine en mer », loc.
cit., p. 127.
200 « Convention des Nations unies sur le droit de la
mer, ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le 10
décembre 1982 entrée en vigueur le 16 novembre 1994 »,
loc. cit., article 33 (1).
201 « Protocole additionnel à la Convention des
Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée
contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel
à la convention des Nations unies contre la criminalité
transnationale organisée adopté le 15 novembre 2000 »,
loc. cit., article 8.
202 Solène GUGGISBERG, « Le trafic illicite de
migrants en mer », loc. cit., p. 281.
203 Ibid., p. 264.
204 Ibid., p. 281.
48
Paragraphe 2. La protection contre les autres types de
criminalité transnationale
Le trafic de migrants n'est pas le seul type de
criminalité transnationale dont peuvent être victimes les migrants
irréguliers. Leur situation précaire les expose à la
traite de personnes (A) et à l'esclavage (B) qui sont interdits par les
instruments internationaux.
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