CHAPITRE 4 : LA QUESTION DU VIVRE ENSEMBLE FACE À
L'ETHNICISATION POLITIQUE
Le discours qui s'empare des débats publics aujourd'hui
au Cameroun est celui du vivre ensemble, de la cohésion sociale et de
l'harmonie de tous les peuples. Ce discoursest amplifié, miroitant une
certaine stabilité sociale, politique et économique. Le vivre
ensemble est prôné à travers les stratégies
d'intégration des différents ministères comme le MINJEC le
MINEPAT. Bien plus encore, il est prôné à travers la vision
générale des gouvernants qui est celle d'une intégration
nationale, d'un Cameroun unie et indivisible dans sa diversité
culturelle et ethnique. Quand on parle du Cameroun, on parle de l'Afrique en
miniature c'est-à-dire toute l'Afrique dans un seul pays. Cependant, une
réalité et pas des moindres, reste persistante dans la
société camerounaise. Les appartenances ethniques, les
diversités culturelles, considérées comme une richesse du
territoire se sont transposées sur la scène politique en ce sens
où le champ politique se retrouve coloré par le facteur ethnique.
Le jeu politique se fait mais dans un climat largement influencé par les
appartenances tribales, linguistiques et ethniques. On parle dès lors
d'une ethnicisation du champ politique. À cette ère
contemporaine, la question ethnique est devenue problématique sur la
scène politique raison pour laquelle nous avons par la présente
recherche voulu jeter un regard introspectif avec pour but d'analyser et de
comprendre la question. Dans ce chapitre donc, nous voulons questionner le
vivre ensemble face à l'ethnicisation de la politique. Autrement dit,
nous envisageons entrevoir le sort du vivre ensemble dans un climat politique
fortement dominé par des fractions identitaires. À la
lumière des informations collectées sur le terrain auprès
des populations de l'arrondissement de Dschang, nous rendrons compte sur les
effets de l'ethnicisation politique sur le vivre ensemble.
QUELQUES DISCOURS DE TERRAIN SUR LE VIVRE ENSEMBLE
FACE À L'ETHNICISATION POLITIQUE
EN1 :le vivre est presque impossible parce que chacun va
dire que puisque c'est telle ethnie, de ma famille, de mon village, de ma
région je préfère plutôt m'aligner derrière
lui. À partir de là donc je suis en train de voir les distances
qui se créent ; parce que tu vas dire que ça c'est un bassa
et je suis bamiléké je ne peux pas aller voter pour lui. Je
prends par exemple toi es mon frère, tu appartiens à un parti
politique, je suis dans l'obligation d'appartenir à ce même parti
politique. Voilà maintenant Y à coté qui n'est pas de
notre ethnie de notre région, je vais dire je m'en fou ce lui il va
m'apporter quoi ? Et cela entraine une dislocation sociale parce que
chacun cherche là où ça va plus peser, on cherche d'abord
à satisfaire son ethnie.
EN2 :ça influence parce que l'homme ne voudrait
pas voir ce qui est bien mais voudrait seulement voir que c'est mon
frère bamiléké, c'est mon frère anglophone qui est
devant donc je veux voter pour lui et le vivre ensemble n'est pas ça.
Quand on dit dans la constitution que le Cameroun est un et indivisible cela
implique que, que tu sois béti, ewondo, que tu sois
bamiléké ça n'empêche pas que quelqu'un d'une autre
ethnie que la tienne peutte voter. Mais on constate que l'ethnicisation et le
vivre ensemble ne peuvent pas marcher. Cela c'est juste une autre
manière de faire les gens resté dans les conflits, conflit qui en
principe ne devraient pas exister. La constitution a prévu que une fois
voté en tant que peut-être sénateur, tu es sénateur
pour toute la république du Cameroun ; tu n'es pas sénateur
ou député pour seulement le parti politique qui t'a voté,
t'a tribu et c'est ça le vivre ensemble dont on parlait.
Cela entraine des clivages et rivalités en ce sens que
même si tu as quelque chose à proposer je ne veux même pas
voir, tu es qui, tu parles le français et moi l'anglais alors je vote
seulement celui qui parle ma langue. Ça m'a influencé au point
où la récente élection j'ai dit je ne peux pas voter un
francophone, c'est un anglophone que je vais voter.
EN3 : L'impact de l'ethnicisation politique sur le vivre
ensemble est en voie d'être opérationnel. Ça va
déboucher sur une guerre ethnique une guerre tribale, et il y'a pas pire
qu'une guerre ethnique. On a voulu créer des guerres de clan mais
ça a échoué. Maintenant comme on sait que les jeunes ont
été suffisamment compressé, chaque jour ils crient oh
souffrance, misère ; il faut alors venir avec un problème
ethnique pour diviser le peuple pour qu'ils prennent les machettes les uns
contre les autres ; pour que l'un dise « ah l'histoire des
bamilékés là moi suis pas dedans hein », plus
tard cela pourra créer une guerre ethnique
EN5 : le problème est au niveau du partage du
gâteau national, il y'a une petite poignée qui mange le
gâteau. C'est ça qui oppose les camerounais. Le camerounais ne
déteste pas l'autre parce qu'il vit au Cameroun colle lui ou parce qu'il
est de telle ou telle ethnie. On doit peut-être interdire le fait d'aller
fêter sa nomination dans son village.lui même sais ce qu'il doit
faire et ce que la population attend de lui mais il part dans son village
manger et boire avec ses frères sans se demander s'il sera même en
mesure de satisfaire toute la population
EN7 : création des clivages, des
divisions
Le Cameroun est composé de plusieurs groupes qui
veulent se différencier les uns des autres, les clivages, le culte de la
différence, dû au fait que l'État n'a pas appris la notion
de la nation, le patriotisme. Certains se sentent exclus de la gestion des
affaires politiques. Usage du faux, du truquage, si ton nom ne te permet pas
d'accéder à une fonction. Il y'a aussi la discrimination. Les
lois doivent être impartiales pour éviter les replis identitaires
et les frustrations. Le noeud du problème c'est la chose publique, elle
doit être bien gérée
EN14 : L'ethnicisation politique fragilise l'unité
nationale c'est la conséquence première de ce
phénomène parce que avant les élections récentes,
le mot d'ordre était unité nationale. Mais dès lors qu'on
prône l'unité alors que sur le terrain il y'a des fractions au nom
des obédiences politique qui naissent ça veut dire que
l'unité nationale est fragilisée. Parce que si les
obédiences politiques qui naissent sont à caractère
national on n'en serait pas arrivé là. Mais maintenant le
principal parti de l'opposition a un encrage plus ethnique ; on a eu un
débat tontinard et sardinard sur les réseaux sociaux du coup
l'alliage de ces deux peuples est presque impossible, les clivages tribaux vont
naitre,
Tableau 9:
Synthèse des discours sur le vivre ensemble face à
l'ethnicisation politique
ENQUÊTÉS
|
SEXE
|
Items
|
Noyau référent
|
EN1
|
M
|
« Le vivre est presque impossible parce que chacun va dire
que puisque c'est telle ethnie, de ma famille, de mon village, de ma
région je préfère plutôt m'aligner derrière
lui. À partir de là donc je suis en train de voir les distances
qui se créent ; Cela entraine une dislocation sociale parce que
chacun cherche là où ça va plus peser, on cherche d'abord
à satisfaire son ethnie. »
|
-crise du vivre ensemble
-distanciations sociales
-dislocations
|
EN2
|
M
|
« Ça influence parce que l'homme ne voudrait
pas voir ce qui est bien mais voudrait seulement voir que c'est mon
frère bamiléké, c'est mon frère anglophone qui est
devant donc je veux voter pour lui et le vivre ensemble n'est pas ça.
Cela entraine des clivages et rivalités en ce sens que
même si tu as quelque chose à proposer je ne veux même pas
voir »
|
-crise du vivre ensemble
-clivages
-rivalités
|
EN3
|
M
|
« On a voulu créer des guerres de clan mais
ça a échoué. Maintenant comme on sait que les jeunes ont
été suffisamment compressé, chaque jour ils crient oh
souffrance, misère ; il faut alors venir avec un problème
ethnique pour diviser le peuple pour qu'ils prennent les machettes les uns
contre les autres ; pour que l'un dise « ah l'histoire des
bamilékés là moi suis pas dedans hein », plus
tard cela pourra créer une guerre ethnique »
|
-distanciation entre les peuples
-crise du vivre ensemble
|
EN5
|
M
|
« Le problème est au niveau du partage du
gâteau national, il y'a une petite poignée qui mange le
gâteau. C'est ça qui oppose les camerounais. Lui-même sais
ce qu'il doit faire et ce que la population attend de lui mais il part dans son
village manger et boire avec ses frères sans se demander s'il sera
même en mesure de satisfaire toute la population »
|
-déséquilibre dans la répartition des
richesses
-favoritisme
|
EN7
|
M
|
« Création des clivages, des divisions. Le
Cameroun est composé de plusieurs groupes qui veulent se
différencier les uns des autres, les clivages, le culte de la
différence, dû au fait que l'État n'a pas appris la notion
de la nation, le patriotisme. Certains se sentent exclus de la gestion des
affaires politiques. Usage du faux, du truquage, si ton nom ne te permet pas
d'accéder à une fonction. Il y'a aussi la discrimination. Les
lois doivent être impartiales pour éviter les replis
identitaires et les frustrations. Le noeud du problème c'est la chose
publique, elle doit être bien gérée »
|
-divisions
-exclusion de certaines ethnies
- fragilisation de l'unité nationale
-favoritisme
|
EN14
|
M
|
« L'ethnicisation politique fragilise l'unité
nationale c'est la conséquence première de ce
phénomène. On a eu un débat tontinard et sardinard sur les
réseaux sociaux du coup l'alliage de ces deux peuples est presque
impossible, les clivages tribaux vont naitre »
|
-crise du vivre ensemble
-fragilisation de l'unité nationale
|
Source :données du terrain,
2019.
1. Fragilisation de la communion
des peuples
L'idée qui ressort lorsque nous parlons de
désenchantement de la communion entre les peuples est celle selon
laquelle, le vivre ensemble, la communion entre les peuples est plus
théorique que pratique. On le proclame au Cameroun et plus
particulièrement à Dschang, terrain de l'étude, juste des
lèvres mais la réalité nous révèle autre
chose. Elle n'est plus palpable ; la diversité culturelle est en
soi un élément de désunion que d'union. Longtemps vu comme
une réalité, l'on s'aperçoit aujourd'hui que ce n'est
qu'une chimère, une illusion qui n'existe presque pas. L'acquis qu'on
pensait préserver n'est, au regard de la réalité qu'une
utopie. Lors des entretiens réalisés avec les personnes
ressources, nous avons pu dégager que le vivre ensemble est sur une
mauvaise pente face à l'ethnicisation politique ceci dans la mesure
où cette dernière est facteur de distanciation entre les peuples
et des rivalités entre groupes.
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