L’apprehension du sans gluten dans les cultures française et britanniquepar Pauline Raulet ISIT - Master Management Interculturel 2017 |
II. LE SANS GLUTEN EN FRANCE : DE L'INTEGRATION A L'ASSIMILATION, LES FRANÇAIS TROP CHAUVINS ?1. LA FRANCE MAUVAISE ÉLÈVE ?A. SITUATION ET CONSIDÉRATION ACTUELLES DU SANS GLUTEN EN FRANCEEn France, le marché du sans gluten a presque doublé en 2014, passant ainsi de 35 à 78 millions d'euros20(*).Cette affirmation va dans le sens de l'étude de notre précédent tableau. Pourtant, malgré ces chiffres en nette augmentation, les critiques fusent toujours de la part des consommateurs : « La France est à la traîne quant à sa distribution de produits sans gluten et sans lactose, cela est considéré comme un handicap alors que c'est parfois une nécessité pour la santé » comme l'explique l'une des personnes ayant participé à mon enquête.En quelques années, le visage des supermarchés c'est bien souvent transformé. Les rayons traditionnels ont petit-à-petit laissé la place à un puis deux, parfois trois rayons biologiques. Dans ces derniers, on retrouve parfois un étalage sans gluten aux produits de bonne qualité souvent particulièrement onéreux. Mais à l'évidence, un étalage "parfois", est encore peu suffisant. Bien que l'offre se soit étendue et spécialisée, le choix reste très restreint. Le supermarché n'est pas le seul endroit où les personnes ayant adopté un régime sans gluten rencontrent des problèmes : l'accès aux restaurants est lui aussi très limité car ils sont trop peu à proposer des menus sans gluten. Seulement 40 restaurants parisiens sur plus de 13 80021(*) proposent des options sans gluten, et seulement 23 d'entre-eux le sont à 100%. Si l'argument d'une nouvelle part de marché émergente, autant que les intérêts sanitaires, ne paraissent pas séduire les restaurateurs, le phénomène « touche désormais [...] restaurants gastronomiques et palaces ». Le chef Jean-Yves Leuranguer propose ainsi des plats sans gluten au Fouquet's, et Thierry Marx s'attache quant à lui à proposer des alternatives « gluten free » au petit-déjeuner au Mandarin Oriental. Malgré cette évolution favorable, l'offre reste très faible par rapport à la demande, et souvent peu accessible que ce soit pour la localisation ou le prix : quel sens donner à ce trou béant que dessine l'offre du sans gluten, comprise bien souvent par les consommateurs comme de la méprise ou un manque d'intérêt ? Une jeune Irlandaise habitant en Angleterre se confie : « Comparé à l'Angleterre, la France ne propose pas grand-chose [...]. Mais on y arrive progressivement » avant d'ajouter « Je pense aussi qu'aller au restaurant en ayant un régime particulier est difficile en France car ils font moins d'effort selon moi »22(*)[Notre traduction]. Aller manger chez des proches se révèle aussi problématique : «?On soupçonne un peu tous les plats », confie Sandrine Droumaguet au journal Les Echos. En réalité, le régime sans gluten peut être compliqué... surtout pour les autres. C'est ainsi qu'une des personnes ayant répondu à mon questionnaire en ligne et qui ne connaît pas de personne ayant adopté ce régime, nous confie son scepticisme face au régime sans gluten, et elle est bien loin d'être un cas isolé en France, Romuald Savatier nous confie ainsi : « Je pense qu'il y a des gens qui sont vraiment allergiques et d'autres qui font beaucoup de cinéma ». Un autre enquêté nous confie : « J'ai du mal avec les personnes qui ne saisissent pas tout ce que la vie peut offrir. Je n'approuve donc pas qu'on se limite à un certain régime ». C'est avec étonnement que l'on découvre comment le sans gluten, outre considérations médicales, est compris par bon nombre de Français comme un régime restrictif, littéralement comme un régime "sans", c'est-à-dire un régime "moins". Pourtant, comme nous l'avons vu, le sans gluten n'est pas réellement un produit sans, mais bien un ensemble d'aliments produits différemment, de sorte à contenir moins de substance moins digestes. C'est une alternative qui finalement ne supprime absolument aucun produit de consommation classique, puisque chacun y trouve son équivalent, même pour le lait et le fromage. Mais alors d'où vient cette idée du restrictif ? Du manque d'offre ? Serait-on face à une sorte de cercle infernal contre-productif de l'émergence du sans gluten? Cela est difficile à dire, pour autant, il est intéressant de remarquer le traitement perceptif de ce nouveau mode de consommation: il est automatiquement considéré comme restrictif et donc exclu, lui et ses consommateurs. Nous sommes ainsi face à une image bien pessimiste de la perception de la nouveauté en France. On se rend compte que si nos habitudes, ici alimentaires - mais cela pose la question pour d'autres domaines - diffèrent de la « norme », celles-ci sont presque automatiquement réprimées lorsque que le changement qu'elles induisent comprennent une restriction qu'importe qu'elle soit compensée ou non. Par exemple, dans le cas du sans gluten, cela demanderait aux consommateurs de changer leurs produits usuels (pâtes, pain, lait, fromage...), souvent piliers de leur alimentation, contre ces mêmes produits issus de l'agriculture biologique et sans gluten. Le simple fait de quitter ces produits semblent insupportable au Français et source d'un désir de répression envers la nouveauté, malgré le fait qu'il y retrouverait les mêmes produits et de même qualité. Cet argument semble d'ailleurs bien plus prégnant que celui du coût des produits sans gluten, étrangement rarement avancés dans nos sondages. Lukas Gamard soutient quant à luique « ça devrait être plus reconnu et plus normal, que les gens devraient avoir le droit de manger ce qu'ils veulent sans que d'autres disent « oh sans gluten, il va faire chier encore » ». Aussi, on comprend qu'un individu avec un régime alimentaire particulier n'est pas simplement ignoré, il dérange foncièrement. Le désir de réprimer la nouveauté et les différences considérées comme restrictives semble amener les Français à pousser dehors les nouvelles habitudes alimentaires telles que le sans gluten. Une peur de la restriction tellement importante qu'elle finit par exclure ceux qui sont ou choisissent cette différence : le témoignage d'une des personnes sondées est particulièrement éloquent ;à la question « vous êtes-vous déjà senti ( ?) exclu de par votre régime alimentaire ? » Une jeune femme nous raconte : « Oui... Surtout en famille, on ne peut pas tout manger... Et on se fait passer pour des difficiles », une confrontation quotidienne pour les personnes « gluten-free ». Dans la continuité de ce témoignage, uneAméricaine d'une trentaine d'années vivant en France nous fait part de son expérience : « Beaucoup de personnes pensent que c'est juste une tendance, mais manger sans gluten a résolu pratiquement tous mes troubles digestifs »23(*) [Notre traduction]. A travers de l'enquête menée, on peut observer que, parmi les individus interrogés vivant en France, 21 % de ceux qui connaissent une personne ayant adopté ce mode alimentaire le perçoivent comme un caprice ou un effet de mode contre 33% pour les individus ne connaissant personne ayant adopté ce mode de consommation, soit au total près de 26,5% des sondés, tous individus confondus. On remarque que le pourcentage de personnes considérant la consommation sans gluten comme un caprice, tout du moins les personnes ayant le courage et la confiance d'assumer ce point de vue lors d'un sondage assuré par une consommatrice sans gluten, est particulièrement significatif. L'écart entre le pourcentage de ceux connaissant quelqu'un ayant adopté ce mode de consommation et le pourcentage de ceux qui n'en connaissent pas questionne également. On peut largement proposer que l'ignorance de ce mode de consommation et de ses tenants est impliquée dans le jugement négatif que peuvent avoir les Français quant au sans gluten et à ses consommateurs. Un des sondés remarque que « les Français sont globalement hostiles à tout ce qu'ils perçoivent comme une menace à leur sacro-sainte culture gastronomique. » alors qu'un autre propose « Je ne pense pas que le problème vienne du fait que des personnes suivent le régime par mode, mais de celles qui se permettent de juger, comme si on attaquait leur identité ». Pour chacun d'entre-eux, l'origine de cette hostilité, voire de l'exclusion dans certains cas, de l'ignorance au mieux, trouve son origine dansla menace identitaire, la gastronomie française étant, on le sait, un des piliers de l'identité nationale. Une hostilité qui conduit indubitablement à un sentiment d'exclusion d'autrui, parfois plus grave qu'en apparence : à la question « vous êtes-vous déjà exclu de par votre régime alimentaire ? », un sondé reconnaît « Oui, complètement : en soirée, il faut apporter ma propre nourriture, sinon je sais que je ne mangerai rien. Je suis parfois un peu vue comme "une chieuse" ». Les thématiques soulevées par notre recherche se confondent et interrogent, dépassant la tentative d'intégration des régimes "sans". Peur de la restriction, menace identitaire, réaction agressive et hostile, est-ce vraiment du sans gluten que l'on parle ? Il semble que l'origine de ce traitement spécifique, de la particularité française, se trouve bien plus loin dans sa propre histoire qu'il nous faut maintenant étudier, ici sous l'angle du culinaire. * 20 Informations disponibles sur https://www.lesechos.fr * 21 Etude Statista, 2014 * 22 Texte original d'une des personnes sondées : « Compared to England, France doesn't have much to offer [...]. It'sgettingtherethough. I thinkalsogoing to the restaurant isdifficult in France withanyspecialdiet as I findtheymakeless effort. ». * 23Traduit de l'américain« Many people thinkit's a fad but eating gluten-free has solvedmost all of my digestive problems ». |
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