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Christianisation et résilience des cultes du terroir à  Vo-Koutimé en pays Ouatchi (XXè-XXIè siècle)


par Edoh Emmanuel BODJRO
Université de Lomé - Master 2020
  

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Chapitre 6 :

LES CHRÉTIENS DE VO-KOUTIMÉ FACE AUX CULTES VODOU : LE SYNCRÉTISME

Dans les communautés africaines, les missionnaires ont du mal à soustraire les néophytes chrétiens de leurs cultes du terroir. Ainsi, au Togo et précisément en pays ouatchi de Vo-Koutimé, le chrétien, en plus de sa foi biblique, n'hésite guère à recourir à la religion vodou. De ce constat, deux interrogations se dégagent à savoir : quels sont les facteurs qui contraignent les chrétiens à adopter le mimétisme religieux ? Quels sont les caractères que prenne le syncrétisme des chrétiens ? Ainsi, dans ce chapitre, nous aborderons les facteurs occasionnant le syncrétisme, en premier lieu, et puis, nous parlerons en second lieu des caractères que prenne ce phénomène du syncrétisme.

6.1. Les circonstances occasionnant le mimétisme religieux

La volteface du chrétien de Vo-Koutimé envers les cultes du terroir n'a toujours pas été un effet de hasard. Bien des circonstances obligent le néophyte chrétien ouatchi à accrocher par moment sa foi biblique. Miwonunyi Abotsi48 s'indigne en ces termes :

Si dans la Bible en Romains 8 v 9, il est dit : « Pour vous, vous ne vivez pas selon la chair, mais selon l'esprit, si du moins l'Esprit de Dieu habite en vous. Si quelqu'un n'a pas l'Esprit de Christ, il ne lui appartient pas » et dans la même perspective en Jean 6 v 63 en soulignant que « c'est l'esprit qui vivifie ; la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie » témoignant ainsi de l'importance particulière accordée à l'esprit au détriment de la chair humaine, le chrétien ouatchi a du mal à faire cette volonté biblique.

Alors, aux yeux du néophyte, à quoi est-il bon de ne vivre que pour l'esprit ?

Aussi, la recherche d'une promotion dans sa carrière, de la réussite des affaires, d'un enfant, ou bien vouloir recouvrer sa santé sont des désirs de la chair humaine qui poussent le croyant vers les cultes de son terroir, après avoir tant espéré une solution dans l'église. Il revient honorer ses engagements ou promesses lorsque les voeux sont exaucés (K. A. Honou-Amedome, 2015, p. 24).

48 Ingénieur retraité ç Vo-Koutimé et fidèle catholique, 70 ans, Information recueillie le 24/07/2020 à son domicile.

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Des lors, le néophyte a une conception magique de Dieu. Il prie Dieu, non pour l'aimer davantage et pour que sa volonté soit faite, mais pour que Dieu lui fasse sa volonté. Il demande le pain terrestre en négligeant celui du ciel ; il demande la tranquillité et non la paix. Il aimerait que Dieu révélé soit efficace comme les puissances tutélaires, hic et nunc (ici et maintenant) (M. K. Kuakuvi, 2011, p. 33).

Dans les sociétés africaines, la vie est un bien précieux, une richesse. Elle a plus de valeur que l'argent et l'or. Alors, on ne peut et ne doit la négliger ni la banaliser (A. Kuadjovi-Ayedewou, 1986, p. 8). Cela étant, en cas de maladie dont on n'a pu trouver solution dans les églises, on a recours aux géomancies, aux Bokono ou aux prêtres vodou afin d'en connaître en premier lieu les causes et d'y rémédier.

En effet, dans les sociétés africaines en général, la maladie est souvent vécue comme la conséquence d'une rupture avec les forces invisibles que sont les ancêtres et les esprits. Par conséquent, elle ne se limite guère à une atteinte du corps, mais nécessite une explication spirituelle. Or la médecine traditionnelle est inséparable des cultes du terroir, pas de soins sans sacrifices ou du moins sans une mise en scène rituelle (K. Napala, 2007, p. 692). Pour le néophyte, quelle que soit la médecine à laquelle il recourt, l'essentiel est qu'il recouvre sa santé, sans forcément tenir compte de sa foi chrétienne (K. Napala, 2007, p. 693).

Il faut noter que souvent, le patient chrétien, ne voulant pas s'afficher, se fait représenter par ses parents ou des membres de la famille pour les circonstances. Fréquemment, on fait toujours des promesses au vodou qu'on rembourse après avoir trouvé satisfaction de sa santé.

En outre, le missionnaire allemand Knall, lors de ses missions à Vo-Koutimé, a fait un constat amer qu'il exprime en ces termes :

[...] les Ouatchi de Vo-koutimé sont très enracinés dans la religion vodou au point que la mission catholique, présente depuis des dizaines d'années, n'arrive guère à les détourner.

Leurs fidèles, en dépit des baptêmes et confirmations, retournent dans la religion traditionnelle49.

J. C. Alladaye (2003, p. 307), qualifie ces types de fidèles de « Chrétiens caméléons » en donnant quelques caractéristiques en ces termes :

Le caméléon change de couleur. Son instinct le pousse à devenir vert avec le vert [...], il est un petit chef-d'oeuvre du Bon Dieu.

Le chrétien caméléon n'est pas un chef-d'oeuvre. Il change partout de couleur lui aussi. Le matin à l'église, il est bien blanc, il prie, il se confesse, il communie, il récite des prières très efficaces ; il n'oublie pas ses neuvaines.

49 Source : Archives du Bloc synodal de l'Église Évangélique Presbytérienne du Togo.

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Quand tombe la nuit, il redevient gris, puis noir. Il retourne à la boue de ses passions ou aux errements de son ancien fétichisme [...], et le lendemain, la série des métamorphoses recommence.

Alors, bien des chrétiens ouatchi de Vo-Koutimé ne participent aux offices religieux et ne se retrouvent véritablement dans la liturgie chrétienne que dans la mesure où les cantiques sont chantés en langue locale, sur fond rythmique autochtone, ce qui n'est pas la moindre des choses dans leur vie spirituelle (A. Sénou, 2019, p. 88). Dans la même perspective, M. K. Kuakuvi (2011, p. 32) affirme :

Beaucoup de catholiques vont à l'église le dimanche, mais pour certains problèmes de santé et d'envoûtement, ils recourent aux pratiques traditionnelles. On a l'impression que la victoire des missionnaires est une victoire à la Pyrrhus ; les chrétiens conservent une croyance très forte en l'efficacité des pratiques des religions traditionnelles.

Par ailleurs, l'attachement du converti à la religion chrétienne et aux cultes du terroir est dû à la valeur du lien familial dans les communautés africaines. Il vit pour le groupe et par le groupe. Ses joies et ses peines sont celles de l'ensemble du lignage ou de la famille. Ainsi, ce qui l'affecte touche également les autres ; ce qui le rend heureux est aussi partagé avec son entourage. Son existence est donc communautaire et ne peut en être autrement (A. Kuadjovi-Ayedewou, 1986, p. 10).

En effet, les cultes constituent un cordon reliant les membres d'un lignage ou d'une famille. Ainsi, en devenant d'un jour à l'autre fidèle de la religion chrétienne qui, de par ses dogmes, rompt avec les cultes lignagers, le chrétien se place dans une impasse entre le choix de tourner le dos aux cultes de la famille et celui de faire la volonté du Christ. Or, en choisissant ce dernier, un éclatement nait au sein des familles bouleversant ainsi l'ordre préétabli. K. A. Anatho (2014, p. 135) s'inscrit dans la même logique en affirmant :

La vie chrétienne des nouveaux convertis ne pouvait pas se concevoir en dehors des habitudes et des exigences du milieu social et de l'éducation reçue de ce milieu. Les néophytes ne pouvaient pas suivre facilement les missionnaires dans leur prohibition [...], s'ils le faisaient, ils se retireraient aux conceptions et aux relations de leur enfance et de leur monde et formeraient un corps étranger dans l'organisation socioculturelle traditionnelle. Ils risqueraient alors de perdre le bénéfice de la confraternité et du soutien de l'ensemble de la collectivité.

Craignant alors les retombées qui pourraient subvenir, le chrétien ouatchi de Vo-Koutimé conserve à la fois ce lien tout en continuant de suivre les enseignements bibliques.

Par ailleurs, le noeud du phénomène de syncrétisme serait dû aux interprétations que feraient des néophytes chrétiens de certains discours et actes des responsables de l'Église. La méconnaissance de la liberté que l'Eglise proclame a produit chez certains la méfiance et même le recul (A. Kuadjovi-Ayedewou, 1986, p. 35).

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En effet, lors de sa visite au Togo (1985), le Pape Jean Paul II, dans son discours, invite les Togolais à « être authentiquement africains et authentiquement chrétiens, sans séparer l'un de l'autre et sans craindre de témoigner en public nos convictions50 ». Ce discours ne sera qu'un stimulus pour le mimétisme religieux et la photo (ci-dessous) servira d'argument.

Photo n°6.1 : Le Pape Jean Paul II rencontre le nyigblinnu Asenu de Togoville en août

1985

Source : Archives de la Maison des Missionnaires Comboniens à Cacavéli (Lomé).

Alors, les conversions des néophytes n'étaient pas synonymes de ferveur, ils n'abandonnèrent pas totalement du jour au lendemain leurs habitudes, leurs cultes ancestraux. Ils ont une foi superficielle liée à l'enracinement dans la religion du terroir, car ils se bornent le plus souvent à adopter des marques extérieures de ces religions pour faire preuve d'émancipation et montrer qu'ils évoluent vers les idées européennes, mais le fond de l'individu arrive bien difficilement à se dégager de l'emprise des croyances et de la philosophie cultuelle de son milieu. Tel est le constat amer de K. Napala (2007, p. 724). Nombreux sont les caractères témoignant le syncrétisme du chrétien au sein de la communauté à Vo-Koutimé.

6.2. Les caractères syncrétistes des chrétiens à Vo-Koutimé

Le syncrétisme des fidèles chrétiens de Vo-Koutimé prend plusieurs formes, de l'observance des interdits cultuels jusqu'à la sauvegarde des noms vodou dans les registres de baptême en passant par le recours aux bo « gris-gris » (bienfaisant).

50 Témoins de l'évangile : la présence des Missionnaires Comboniens au Togo-Ghana-Bénin (1964-2014), p. 71.

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6.2.1. L'observance des interdits cultuels

Les néophytes chrétiens de cette communauté ne se démarquent quasiment pas de cette emprise des cultes vodou. En effet, tous les interdits se doivent une observance particulière vis-à-vis des populations au risque de tomber sous le coup de la colère de leurs protecteurs. Le choix de tourner le dos aux cultes vodou ne donne à qui que ce soit la capacité de désobéir aux règles préétablies qui ne sont qu'une émanation des dieux du terroir. Nombreux sont les signes qui témoignent du respect des chrétiens à ces interdits. La forêt de Togbui Gbe est entourée de plusieurs interdits au rang desquels on trouve la défense d'y entrer, d'y chercher le bois de chauffage, de regarder de face les vodou qui s'y trouvent, tant de prohibitions bien connues par toute la communauté et autant respectées par les adeptes vodou que par les chrétiens.

Par ailleurs, le chrétien ouatchi de Vo-Koutimé obéit, dans son quotidien, à la défense de frapper qui que ce soit avec les ustensiles de cuisine en occurrence le pilon, la louche, la spatule, les assiettes, en bref à des règles placées souvent sous la protection de vodou Sagbata à qui appartient la terre.

6.2.2. Le chrétien et le bo

En dépit des condamnations des missionnaires et des clergés, les chrétiens font recours à une catégorie de bo ayant pour objet d'attirer sur soi des avantages, des profits, des bénéfices, du bien-être et du bonheur (J. C. Alladaye, 2003, p. 311).

La cherté de la vie et le fait de se protéger contre les mauvais sorts obligent certains chrétiens du pays ouatchi de Vo-Koutimé à se vouer aux ports des talismans, des amulettes, des bagues ou bracelets auxquels on attribue des pouvoirs de protection. Ainsi, dans la communauté ouatchi de Vo-Koutimé, les chrétiens font usage de ce type de bo dans les affaires, pour avoir plus de clientèle afin d'augmenter leur rendement. Les néophytes chrétiens, perdant souvent patience du laxisme de Dieu, s'adonnent à l'usage des bo ayant des effets immédiats, pour se protéger de toute tentation de la part d'un ennemi. Il est clair que le chrétien de Vo-Koutimé, en continuant d'aller à l'église, croit toujours en la force de ses pratiques cultuelles dans la perspective d'être fort et doté de tout.

6.2.3. La sauvegarde des noms théophores

Dans les communautés africaines, les noms sont des éléments d'identification d'une personne dont leur sens diffère d'une communauté à une autre. En bref, les noms constituent des cartes

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d'identité. Ainsi, dans la communauté ouatchi de Vo-Koutimé, en fonction du pluralisme des vodou du panthéon, seuls les noms théophores distinguent un adepte de tel vodou à tel autre.

De par le sens cultuel des noms, les néophytes chrétiens de la communauté ouatchi de Vo-Koutimé en particulier, au cours de leur baptême, ajoutent aux noms théophores, un nom chrétien (cf. tableau ci-dessous). Or au cours des six premiers mois de l'instruction des aspirants-catéchumènes, on leur fait connaître les obligations du baptême qui sont l'abandon complet de la religion traditionnelle avec toutes ses composantes. Toutefois, le renoncement dont il s'agit était donc fait uniquement d'actes, de questions-réponses obligatoires qui n'impliquent pas forcément un rejet automatique du culte des ancêtres (K. Napala, 2007, p. 720) qui commence à Vo-Koutimé par la sauvegarde des noms théophores.

Même si pour le missionnaire, tout baptisé est considéré comme chrétien et compte comme tel sans rompre entièrement avec son paganisme, ou s'il a reçu le baptême en conservant de lui une conception toute païenne (K. Napala, 2007, p. 721), aux yeux des pratiquants de la religion du terroir, sans prosélytisme, cela témoigne la persistance de leur culte.

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Tableau n°6.1 : Récapitulatif des noms théophores dans le registre de baptême

NOM DE FAMILLE

NOM THEOPHORE (VODOU)

NOM CHRETIEN

HELLE

Etsè

Godson

HELLE

Atsou

Godwin

AKAKPOVI

Azonsi

Martha

ANANI

Agossou

Irénée

ANANI

Akoété

Réné

ANANI

Edoh

Emmanuel

BADO

Edoh

David

SEVON

Akoètè

Roméo

AMETEPE

Agossivi

Jeannette

WUIKPO

Edoh

Gérad

N'SOUGAN

Dosseh

Norbert

BOLOUVI

Agossa

Honoré

AYAYI

Sonouga

Marthias

SOUNOU

Edoh

Paulin

ASSIGBE

Sémadégbé

Rémi

AMOUSSOU

Akoélé

Claudine

Source : Archives des registres de baptême de la Paroisse Marie-Reine de l'Univers de Vo-Koutimé.

Les noms théophores figurant dans ce tableau font référence à plusieurs vodou de l'univers religieux des Ouatchi de Vo-Koutimé, entre autres, Vénavi, Ago, Sogbo, et Afan et témoignent de l'importance qu'accordaient les baptisés à leur culte. Car, selon les mots du Père Amah-

Tchoutchoui Michel51 : « ce sont les fidèles qui désirent maintenir leurs noms de la religion traditionnelle en ajoutant un nom chrétien ».

Nous pouvons conclure que le converti ouatchi de Vo-Koutimé, bien qu'étant chrétien, ne rompt pas totalement avec la consultation des devins, le recours aux déités lignagères et avec les ancêtres défunts. En clair, les abandonner ou les renier constitue pour lui une crise d'identité.

De cette troisième partie, retenons que le culte vodou de la communauté de Vo-Koutimé n'a guère fléchi face à la ferveur et la détermination des missionnaires chrétiens. Alors du dynamisme de ce culte du terroir à travers la cérémonie de Vodoukonougan, aux actes syncrétistes des néophytes chrétiens de Vo-Koutimé, nombreux sont des éléments qui témoignent, en partie, l'échec du christianisme dans la communauté ouatchi de Vo-Koutimé.

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51 Entretien du 11/03/2020 sur la paroisse Marie-Reine de l'Univers.

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King