Chapitre 5 :
DYNAMISME DU CULTE VODOU À
VO-KOUTIMÉ : LE CAS DU
VODOUKONOUGAN
L'attachement des Ouatchi de Vo-Koutimé au culte
vodou est très marquant. Dans cette communauté, la
célébration de Vodoukonougan, une
cérémonie dédiée à tous les vodou
et plus particulièrement ceux à grande assise comme
vodou Hébiésso, en est la preuve d'attachement. Dans le
sillage de cette cérémonie, la Spéciale association des
féticheurs coutumiers africains nationaux et indispensables cantonaux
des féticheurs de Vo-Koutimé centre (SAFCANIVKC) a vu le jour en
prenant à corps les questions du culte vodou. Cette
cérémonie du Vodoukonougan, à la
différence de toutes cérémonies cultuelles, se fait
suivant une organisation particulière et ses impacts à
Vo-Koutimé sont très significatifs. À cet effet, nous nous
posons les questions de savoir : quel aperçu historique peut-on faire de
cette cérémonie ? Comment les prêtres vodou de
Vo-Koutimé sont-ils parvenus à la création de la
SAFCANIVKC ? Par ailleurs, de quoi regorge la cérémonie de
Vodoukonougan ? Enfin, quels en sont ces impacts ? Les réponses
à ses questions feront l'objet de ce chapitre.
5.1. Aperçu historique du
Vodoukonougan
Le Vodoukonougan, comme son nom l'indique, est la
grande cérémonie des vodou à Vo-Koutimé.
Elle est célébrée tous les trois ans, selon le calendrier
lunaire, à la différence d'autres sacrifices particuliers que
chaque prêtre faits à ses vodou, etc. Cette
cérémonie dédiée aux vodou ne date pas de nos
jours. Selon Zikpui Ayondo 41 :
La cérémonie se faisait depuis le temps de nos
ancêtres. Après leur installation sur le site, ils
décidèrent un jour de remercier leur vodou, car depuis
leurs trajets, en quittant Notsè et de leur passage à
Akoumapé et à Vogan, aucun malheur ne leur est arrivé. De
plus, sur ce site, leurs activités agricoles vont bon train. Or, ils
sont conscients qu'ils auraient enfreint à des totems de leurs vodou
et qu'ils ne seraient pardonnés une fois (un an), deux fois (deux
ans) et une troisième (trois ans). Ainsi, ils conviennent à
l'unanimité qu'à chaque trois an qu'ils se purifient de tout et
qu'ils offrent les prémices de leurs produits agricoles au vodou
en guise de remerciement. C'est ainsi qu'ils instituèrent le
Vodoukonougan à Vo-Koutimé.
41 Président de l'association des prêtres
vodou à Vo-Koutimé. Entretien du 20/07/2020 à son
domicile.
56
Cependant, aucune date n'est donnée par nos
informateurs concernant la première édition de cette
cérémonie. Elle est tout simplement pour eux, un héritage.
Au début du XXIe siècle, cette cérémonie
a pris une nouvelle tournure avec la création de la SAFCANIVKC
5.2. La naissance de la Spéciale association
des féticheurs coutumiers africains nationaux et indispensables
cantonaux des féticheurs de Vo-Koutimé centre
(SAFCANIVKC)
En Afrique, l'emprise de plus en plus forte des messagers de
la « Bonne Nouvelle » sur le quotidien des sociétés
fait réagir les garants de l'ordre moral et social de diverses
manières, pour faire échec à la propagation du
christianisme, tout en s'employant à la sauvegarde de l'héritage
cultuel des ancêtres (K. Étou, 2019, p. 13).
Ainsi, à Vo-Koutimé, l'heure est à la
création d'une association des prêtres sous le nom de la
Spéciale association des féticheurs coutumiers africains
nationaux et indispensables cantonaux des féticheurs de
Vo-Koutimé centre (SAFCANIVKC) ouvrant ainsi une nouvelle phase dans la
célébration du Vodoukonougan. Elle fut une initiative du
Hun? Zikpui Ayondo remontant en 2010.
Avant la célébration de chaque
Vodoukonougan, tous les prêtres vodou de
Vo-Koutimé se réunissent pour choisir un Konoutato,
« maître de la cérémonie » parmi tous les
prêtres à qui on confie l'organisation des
cérémonies.
Toutefois, celui-ci peut être reconduit à la
tête de ses pairs pour la cérémonie s'il a bien
exercé son rôle. En 2010, Hun? Zikpui Ayondo (Photo
n°5.1) a été porté à la tête de
l'association. À la différence de tous ses
prédécesseurs, il est un lettré et de plus un
géomètre agréé par l'État. Par ailleurs,
dans le domaine cultuel, il est le vice-président de tous les
prêtres vodou de la préfecture de Vo.
57
Photo n°5.1: Hun? Zikpui
Ayondo
Source : Archives du prêtre Hun? Zikpui
Ayondo.
De par son charisme, il mettra en place, dès 2010,
l'idée de la création d'une Association pour unifier tous les
prêtres. Très vite, l'idée fut épousée par
tous les autres prêtres vodou de Vo-Koutimé.
Le 26 juillet de la même année, il envoya une
lettre au Ministre de l'Administration territoriale pour la reconnaissance de
leur Association sous le nom de la SAFCANIVKC, Spéciale association des
féticheurs coutumiers africains nationaux et indispensables cantonaux
des féticheurs de Vo-Koutimé centre, dont le but est d'assurer la
continuité de l'oeuvre de Dieu par l'intermédiaire des esprits et
des oracles des prêtres féticheurs. Ils désignent par
« Centre » le village matriciel regroupant tous les six quartiers.
L'accusé de réception ne parviendra que le 16
octobre 2013, où le ministre Gilbert Bawara, par une lettre
répond favorablement à la création de cette Association.
Un mois plus tard le 02 novembre 2013, il fit publier ladite Association dans
le Journal Officiel de la République (cf. Annexe N° 1).
Dès lors, la SAFCANIVKC acquit une existence
légale et s'engage pour la pérennité de la
cérémonie de Vodoukonougan.
5.3. Le Vodoukonougan à
Vo-Koutimé
Le Vodoukonougan des Ouatchi de Vo-Koutimé se
résume en de grandes phases et avec le pluralisme des vodou qui
caractérise le panthéon, seuls ceux ayant de grandes assises sont
plus impliqués. La participation la plus impressionnante à cette
cérémonie est celle des jeunes de tout genre.
58
5.3.1. Les grandes phases du
Vodoukonougan
La cérémonie du Vodoukonougan se
résume en trois grandes phases. Il s'agit de Doufankaka
à Agbassakaka ou l'apothéose en passant par la
phase des cérémonies proprement dites.
5.3.1.1. Le Doufankaka
Toute cérémonie cultuelle en pays ouatchi en
général et plus particulièrement à
Vo-Koutimé débute toujours par la consultation des oracles.
Ainsi, dans le cas d'espèce du Vodoukonougan, cette
consultation se désigne sous le nom de Doufankaka. Cette
première phase de la cérémonie est symbolique. En effet,
pour la circonstance, tous les prêtres vodou « Hun?
» et quelques Husro « adeptes hommes » et
Hussi « adeptes femmes » assistés par le grand
prêtre de Ziowu et le chef du village matriciel
accompagné de tous ses « Tchami » se
réunissent devant le Dulégba du village mère tout
en faisant appel à 7 différents oracles « Bokono
». Ces oracles consultent à tour de rôle les
ancêtres pour connaître sous quel Kpolidu «
destiné » sera placée la cérémonie de
l'année pour qu'elle soit digne. Souvent, le message de tous les sept
oracles est unanime sur un même Kpolidu et diffère d'une
cérémonie à une autre42.
Voici l'exemple du Kpolidu « Gbe Woli » de la
cérémonie de 2010 :
+
'' ''
' '
' '
'' ''
A en croire les devins, ce Kpolidu dit que le chef
Zouméké doit tuer un bélier et une poule au
Dulégba et en outre, les prêtres vodou doivent
une bouteille de Schnaps et de Sodabi au chef. Car selon les
ancêtres, il y a une absence d'entente et de convivialité entre le
chef et les prêtres vodou.
Toute l'organisation du konou dépend de ce que
diront les ancêtres à travers la consultation. Parfois, on reporte
carrément la cérémonie, car les ancêtres exigent au
préalable soit l'immolation de deux chèvres à
Doulégba, soit deux poules à Togbui Ziowu, car
ils ont enfreint tel ou tel totems de vodou. Après ces
cérémonies en amont, on fixe la date du début
42 Zikpui Ayondo, 76 ans, président de la
SAFCANIVKC, entretien du 15/03/2020, à Mamissi.
59
de la cérémonie proprement dite. Dès
lors, les prêtres vodou envoient aux adeptes de leur couvent une
graine de maïs en guise d'invitation et si le concerné habite
très loin, sa famille se chargera de l'informer. D'autre part, les
prêtres vodou, responsables des couvents, travaillent pour la
mise au propre de tous les couvents avant la date butoir43.
5.3.1.2. Les cérémonies proprement
dites
La cérémonie s'étale sur 16 jours et
commence un mardi « Brada ». Dès ce premier jour,
tous les couvents du village matriciel se remplissent d'adeptes et de
prêtres vodou avec des caravanes. L'assistance aux
cérémonies à l'interne des couvents est formellement
interdite aux non-initiés. Ceux-ci ne sont autorisés à
prendre part qu'aux joues de tam-tam tous les soirs sur les places publiques
dans chaque quartier mère. Tous les désireux spectateurs sont
contraints au respect strict de quelques interdits à savoir qu'ils ne
doivent porter ni habits ni chaussures ni casquettes, bref ils doivent rester
à moitié nu. Faute de quoi, ils se verront déchirer tout
ceci par les Husro et les Hussi souvent lorsqu'ils entrent en
transe. Par ailleurs, les contrevenants sont ramenés de force dans les
couvents où ils paieront des amendes en argent et en boissons avant de
sortir.
Photo n°5.2 : Un groupe d'adeptes vodou
en caravane
Source : Archives privées de Zikpui Ayondo.
Au cours de la cérémonie, tous les vendredis
« Fida », les vodoussi se rendent dans le grand
marché de Vogan pour collecter soit des produits agricoles, soit de
l'argent. Aucune d'elles ne s'en approprie. Au retour à
Vo-Koutimé, elles offrent les prémices au
Doulégba.
43 Zikpui Ayondo, 76 ans, président de la
SAFCANIVKC, entretien du 15/03/2020, à Mamissi.
60
Au septième jour de la cérémonie, les
prêtres vodou, quelques Husro et Hussi, en
présence du chef de village et ses «Tchami », se
retrouvent pour une deuxième consultation des ancêtres au
même lieu et dans les circonstances que le cas du Dufan.
Seulement qu'à cette occasion, ils feront un mini bilan de la
cérémonie aux ancêtres et demanderont si effectivement le
Vodoukonougan prendra fin le seizième jour. À cette
occasion, les participants connaissent les cérémonies à
faire et les conduites à suivre pour l'apothéose.
5.3.1.3 Agbassakaka ou l'apothéose
Le seizième jour de la cérémonie
constitue le jour de l'apothéose où se fait Agbassakaka.
Agbassakaka, en dehors de son sens d'apothéose, est une grande
consultation de Doufan qui, à la différence de la
première consultation des ancêtres, se fait devant toute une foule
composite dans le marché Dégo. Tous les prêtres
vodou, les Husro et Hussi, le chef et ses Tchami
et sept autres oracles à la différence de ceux de la
première consultation, se retrouvent pour Agbassakaka. Au cours
de cette cérémonie, les ancêtres choisissent les
Avlokété « adeptes femmes de
Hébiésso » souvent au nombre de sept qui se
chargeront de transporter les Avossa ou Agba «
sacrifices » pour les déposer au grand carrefour situé au
nord du village matriciel.
Photo n°5.3 : La participation des prêtres,
adeptes et non-initiés à l'apothéose de la
cérémonie de 2014
Source : Archives privées de Zikpui Ayondo.
La plus importante des cérémonies qui implique
tous les Ouatchi de Vo-Koutimé au jour du Agbassakaka est que
chacun balaie sa chambre et la cour de sa maison en ajoutant une pièce
d'argent, selon son gré, et on dépose le tout dans de petits
paniers que les Agboessi distribuent
61
dans chaque concession à la veille. Vers 14h, les
mêmes vodoussi passent ramasser les paniers pour les amener au
lieu dédié à l'apothéose. Les habitants des
quartiers éloignés du village mère se chargent d'apporter
leurs ordures à la place de la cérémonie.
Dès 16h, on commence les cérémonies de
l'apothéose proprement dites. Le prêtre Hun?
chargé des cérémonies du Vodoukonougan avec
l'aide de ses pairs distribuent dans sept grands paniers toutes les ordures
collectées.
Ces paniers sont enroulés dans des
clobas44 blancs, noirs et rouges et on immole sur chacun
d'eux, soit des poules ou des chèvres, de tout pelage,
accompagnés de diverses boissons et de farine délayée
« Djati ». La nature des animaux et des boissons pour cette
cérémonie dépend de la volonté des ancêtres.
Tout au long de cette cérémonie, les adeptes et les prêtres
chantent des chansons spécifiques à des circonstances.
Avant l'heure du départ (18h) des Avossa, les
Avlokété choisies pour le transport des paniers se
rendent dans le sanctuaire de Togbui Ziowu pour se faire asperger de
l'eau lustrale se trouvant dans deux Adawa45 dont le sens
est de se protéger de mauvais yeux.
Photo n°5.4 : Les deux Adawa au sanctuaire
de Ziowu
Source : cliché E. E. Bodjro (25/07/2020).
Après cela, elles se rendent au lieu de la
cérémonie. Le chef gongonne dans tout le village pour faire
savoir aux populations que les Avossa vont partir et que nul n'a le
droit de rencontrer les Avlokété avec les paniers sur la
tête. On passe ce message à maintes reprises pour les avertir.
44 Pagne de couleur unique qu'on utilise pour les
rituels.
45 Jarre en terre cuite
62
À 18 h alors, les sept Avlokété
transportent les paniers. Personne ne les accompagne ni les prêtres
vodou. En cours de route, elles crient en disant «
agbagbono, agbagbono, agbagbono, ekouneto,
doneto » « sacrifices arrivent, sacrifices arrivent, que la
mort parte, que la maladie parte ». Tous ces mots sont
répétés à plusieurs reprises jusqu'à leur
arrivée au carrefour réservé pour les paniers dont le but
est d'avertir tous les usagers de cette route de rebrousser chemin. Faute de
quoi, ils ramasseront tous les malheurs du village.
Photo n°5.5 : Les Avlokété
transportant les Avossa
Source : Archives privées de Ayondo Zikpui
Cette dernière étape met fin à la
cérémonie Vodoukonougan réservée plus aux
déités de grande assise.
5.3.2. Les différentes déités
du panthéon impliquées
Comme nous l'avions souligné plus haut, le
panthéon des Ouatchi de Vo-Koutimé se caractérise d'une
pluralité de vodou. Pourtant, tous n'ont pas la même
assise territoriale. Ainsi, la cérémonie du
Vodoukonougan, en dehors des trois Togbui vodou, toute la
famille de vodou Hébiésso et plus
précisément Adayro et Agboe sont les vodou les
plus impliqués dans cette cérémonie au point que certains
ont l'habitude de désigner la cérémonie de
Hébiésso Konou.
Toutefois, tous les vodou du terroir ouatchi de
Vo-Koutimé sont honorés à l'occasion par la participation
de leurs prêtres ou de leurs adeptes et celle d'une classe jeune.
63
5.3.3. L'engagement des jeunes dans le culte
vodou
De tous les participants à la cérémonie
de Vodoukonougan, celui d'une classe jeune de la communauté
ouatchi de Vo-Koutimé est la plus marquante. En effet, cette
cérémonie démontre le degré d'attachement de la
jeunesse au culte vodou, chose rarissime dans une mondialisation où les
valeurs cultuelles des sociétés africaines sont en passe de
disparaître. Ainsi, la prise de relève des pratiques cultuelles
à Vo-Koutimé ne laisse personne dans la perplexité.
En dehors des noms théophores,
Yébéssivi, Husrovi, qui font mention
quotidiennement aux jeunes adeptes de vodou à
Vo-Koutimé, leurs attachements sont plus vestimentaires (Photos
ci-dessous). Lors des cérémonies du culte vodou et
surtout du Vodoukonougan, les néophytes adeptes de vodou
(Yébéssivi et Husrovi) se distinguent avec
grand plaisir de par leurs accoutrements.
Photo n°5.6 : Une Yébéssivi
et deux Husrovi en habits cultuels
Source : Archives de M. André Tonou46.
La cérémonie de Vodoukonougan impact
considérablement la communauté de Vo-Koutimé.
5.4. Les impacts de la fête de Vodoukonougan
à Vo-Koutimé
Aux yeux des populations de Vo-Koutimé, le
Vodoukonougan a beaucoup de retombées d'ordres divers. Selon
André Tonou47 :
46 Président du comité culturel de
Vo-Koutimé.
64
Nous ne regrettons jamais la cérémonie du
Vodoukonougan à Vo-Koutimé. Elle nous procure sur le
plan économique, la réussite des activités agricoles avec
une pluviométrie régulière au cours des saisons permettant
à son tour un bon rendement. En outre, tous les commerçants
ouatchi de Vo-Koutimé attachés aux cultes vodou,
trouvent toujours gain de cause. Par ailleurs, le Vodoukonougan nous
épargne des accidents répétés, des morts
prématurées, en bref des malheurs de tout genre. Un vodou
qui ne satisfait pas ses adeptes se voit sa devanture poussée des
herbes.
En conclusion, dans la communauté ouatchi de
Vo-Koutimé, le culte vodou reste en vogue avec un attachement
de la part d'une classe jeune, rassurant indubitablement la relève
cultuelle. Au vu de cet enracinement dans la religion traversant les
siècles, les chrétiens du pays ouatchi de Vo-Koutimé
voient leur foi tachée de remords avec toujours un penchant à la
religion de leur terroir.
47 Entretien du 22/07/2020 à son domicile
à Vo-Koutimé.
65
|