A- LA MONDIALISATION EN QUESTION
Les principes Keynésiens, caractérisés
par le maintien des barrières douanières et la
souveraineté relative des Etats à l'intérieur de leurs
frontières, ont inspiré l'essentiel des politiques
économiques, monétaires et salariales des pays
industrialisés jusqu'à la fin des années soixante-dix. La
vie de ces pays est tributaire de l'état du monde, fragmenté en
deux blocs-Est et Ouest, économie dirigée et économie de
marché - suivant des frontières nationales fortes.
A la fin des années soixante-dix, les politiques
Keynésiennes sont à bout de souffle. Il devient de plus en plus
clair que les politiques appliquées à l'abri des barrières
douanières ne permettent plus de compenser les effets des flux mondiaux
qui ruinent les pans entiers de l'édifice économique, social et
culturel des Etats nationaux. Nombreux sont alors les économies qui
pensent que sans une mondialisation des marchés pleinement
assumés, point de salut.
Pour eux, la sortie de crise passe par une mise en
compétition de tous les producteurs à l'échelle
planétaire, et spécialisation de chacun en fonction des avantages
comparés, la libéralisation des échanges et le
désengagement de l'Etat.
Le programme économique du président Ronald
Reagan aux Etats-Unis (baptisé Reaganomics) et les onze années de
Thatchérisme en Grande-Bretagne se sont largement inspirés de
cette nouvelle doctrine au point de s'ériger en champions d'un
libéralisme économique qui ne respecte qu'une seule loi, celle du
profit.
A l'échelle internationale, ces lois inspirent
également les orientations de la banque mondiale, du fonds
monétaire international, du fonds européen du
développement et de la cuisse française de
développement.
Le nouvel ordre économique mondial
caractérisé par l'économie de marché s'impose avec
d'autant plus de facilité que la seule alternative existante a disparu
depuis 1990, avec l'effondrement du bloc soviétique et l'ouverture de la
chine.
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Désormais, les échanges marchands sont
planétaires, et aucun pays de leur échappe. La mondialisation
s'effectue par une globalisation des marchés. Le domaine des biens
culturels n'est pas en reste. Ici, elle se traduit par une mise en concurrence,
à l'échelle mondiale, de toutes les entreprises qui produisent
des biens culturels : disques, films, programmes, journaux, livres et supports
de toutes sortes. Elle se caractérise aussi par la rencontre entre des
hommes inscrits dans des cultures fragmentées, locales,
enracinées dans la longue durée de l'histoire, d'une part, et de
biens et des services mis sur le marché par des industriels
récentes et globalisées par des systèmes d'échanges
et de communication d'une grande capacité d'une part.
Dans cette confrontation, toutes les sociétés
semblent sur la défensive face aux industries culturelles armées
par les échanges internationaux et l'économie marchand. Des
industries semblent jouir d'une puissance incomparable, voire destructive.
C'est face à ces menaces que la France va revendiquer
son droit à « l'exception culturelle ».
Inventée par Jack Lang alors ministre de la culture au début
des années quatre-vingt, cette revendication permettra à la
France d'obtenir que l'audiovisuel par exemple soit retiré des accords
de libre-échange négociés dans le cadre du GATT.
Les dirigeants français toutes tendances politiques
confondues, souhaitent sur ce sujet qu'une politique européenne commune
soit mise sur pied afin de soustraire les entreprises culturelles aux accords
de l'OMC, l'organisation mondiale du commerce. L'objectif étant de les
protéger contre la superpuissance américaine et garantir ainsi la
diversité culturelle en préservant la singularité de
chaque environnement culturel.
Si les cultures industrielles européenne se sentent
elles menacées, qu'en sera-t-il des culturelles davantage fondées
sur la tradition ? Dans ce contexte, le maintien des Musiques du Monde en tant
que bien culturel sur le terrain de l'offre culturelle mondiale ne se ferait
qu'au prix du respect de la logique des industries culturelles qui consiste
à transformer en spectacles tout ce qui entre
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dans leur « zone de captage ». C'est ce prix que
nous nous attacherons à présent à évaluer.
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