L'émission d'obligations vertes: entre liberté et contraintepar Lise Wantier Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 2 Droit bancaire et financier 2018 |
Titre II : La réception du projet européenCe projet, entre vigilance est ingérence est perçu différemment par les acteurs. Certains se positionnant contre, du fait de l'augmentation des contraintes, d'autres au contraire, souhaitent aller plus loin. Chapitre 1 : Les critiquesL'utilité d'une action législative est certaine, toutefois celle-ci peut être perçue comme une ingérence pour certains acteurs. Section 1 : Une initiative saluée, mais insuffisante ? Le projet semble répondre aux principaux problèmes soulevés par les obligations vertes. Toutefois, pour être efficace, l'action semblerait devoir être internationale. $1. Un projet permettant de pallier les problèmes posés par les obligations vertes Le considérant 9 de la proposition de règlement sur l'établissement d'un cadre pour favoriser les investissements durables indique que, du fait des accords de Paris ainsi que des engagements pris au niveau européen, les états membres seront de plus en plus nombreux à souhaiter mettre en place des labels ou des mesures contraignants les acteurs pour qu'ils se 143 Ibid Page 45 sur 62 conforment aux nouvelles exigences environnementales. Or si chaque état met en place sa propre taxinomie pour déterminer ce qui est durable et ce qui ne l'est pas, l'absence de critère uniforme rendrait la comparaison des offres entre les différents états membres plus complexe, et en plus d'alourdir les couts, pourrait décourager les investisseurs à investir dans d'autres États membres que le leur144. Ceci illustre l'un des problèmes que la proposition de règlement vise à résoudre. Et cette uniformisation est très bien accueillie par les différents acteurs, à la suite de la consultation sur le rapport, 80% des participants se sont déclarés en faveur d'un standard européen volontaire concernant les Green bonds. Les réponses au questionnaire détaillé sont globalement favorables au travail effectué145. L'AMAFI s'est déclarée très favorable à la création d'une taxonomie européenne pour promouvoir les activités et pratiques durables. Elle estime que cette taxinomie est primordiale pour faciliter la transition climatique, car elle permettra aux investisseurs d'obtenir plus de certitude quant au caractère vert de leurs investissements et éviter l'écoblanchiment. L'AMAFI précise toutefois que le cadre réglementaire doit rester suffisamment souple pour inclure les innovations futures. Dans sa position, elle s'est également déclarée très favorable à la proposition de l'Autorité Européenne des Marchés Financiers d'une approche fondée sur des principes pour l'intégration des facteurs ESG dans les processus de gouvernance des produits et de conseil en investissement. $2. Une incitation qui doit être suivie Cette initiative européenne est primordiale, mais à l'échelle mondiale elle ne sera pas suffisante. Comme le soulignait la Commission, « L'UE, cependant, n'y arrivera pas seule. Il est indispensable de coordonner les efforts au niveau mondial146» ainsi la Commission « en appelle également aux autres acteurs, y compris les États membres, les responsables de la surveillance, le secteur privé et les grands pays hors UE, pour qu'ils prennent des mesures 144 Proposition de règlement du parlement européen et du conseil sur l'établissement d'un cadre pour favoriser les investissements durables, considérant 9 145 COMMISSION EUROPEENNE, Invitation for feedback on the TEG preliminary recommendations for an EU green bond standard, 6 mars 2019, https://ec.europa.eu/info/publications/190306-sustainable-finance-interim-teg-report-green-bond-standard fr
écosystème pour promouvoir les entreprises sociales au coeur de l'économie et de l'innovation sociales » Page 46 sur 62 concluantes qui encourageront et orienteront les transformations dans leurs domaines respectifs147». Le projet européen est un pas vers la lutte contre le réchauffement climatique, il intègre la finance dans ce combat, mais doit, pour être efficace se propager à un niveau international. Si l'on prend par exemple en considération la proposition de label, avec l'interdiction de nommer une obligation verte en tant que telle sans respecter les normes européennes, les obligations vertes européennes pourraient se retrouver face à des obligations vertes étrangères qui ne respectent pas les mêmes obligations mais qui portent la même dénomination. L'ONU avait par ailleurs relevé que l'une des limites au développement des green bonds est notamment l'absence d'un standard international, d'un « langage commun148». Toutefois, on peut également considérer que les obligations européennes seront réputées de meilleure qualité, ou du moins seront moins soumises à une défiance des investisseurs, ce qui pourrait permettre à l'Europe de s'imposer comme pionnier dans ce domaine. Proposer un label optionnel peut en effet permettre à l'Europe de proposer une réglementation constituant un avantage compétitif, et non une contrainte. Notons toutefois l'effort de l'Union européenne pour inciter les autres acteurs internationaux à suivre son sillage. La Commission européenne a organisé une conférence pour présenter ses travaux et y a invité les représentants d'autres pays. Ainsi des représentants de la Banque d'Angleterre et la Banque Centrale de hollande étaient présents149. L'Europe souhaite faire figure de précurseur mais est suivie de près par l'Asie. N'oublions pas que le marché Chinois est d'ors et déjà régulé. Chaque émetteur devant en amont de son émission, la faire valider par un régulateur sectoriel. Même si ce système semble assez flou pour les investisseurs du fait que chaque régulateur sectoriel définit son propre catalogue d'activités vertes 150 .
écosystème pour promouvoir les entreprises sociales au coeur de l'économie et de l'innovation sociales », p°15 148 UNO environment, Shifting Gears, the FC4S 2019 State of Play Report, p°9 149 VINES FIESTAS Helena, «Un effort à court terme pour un grand bénéfice à long terme », Supplément Revue Banque au n°833, juin 2019 150 CREHALET Erwan, « La dynamique du marché reste très dépendante des nouveaux émetteurs », Supplément n°833 Revue Banque, juin 2019 Page 47 sur 62 On peut relever que pour certain, le projet de règlement manque d'ambition. Ils regrettent le rejet de l'amendement sur les énergies « marrons » car la classification permise par l'Union Européenne ne permettra de révéler que les activités économiques positives sans savoir dans quelle mesure certaines activités sont nuisibles. Section 2 : Quelques ombres persistantesQu'ils soient internes ou externes, des problèmes persistent. $1. Les critiques intrinsèques au projet Certains acteurs se positionnent contre le projet européen. Selon Novethic, certains lobbies, ne souhaitent pas voir une telle classification apparaître151. A également été évoqué par le conseiller politique principal « pour une finance verte, durable et responsable » à la Commission européenne qu'« À l'issue de la publication du plan d'actions de la Commission européenne sur la finance durable, les oppositions des acteurs de l'industrie se sont manifestées avec force152». L'AMAFI « tient à souligner qu'il est important d'éviter d'être trop prescriptif sur un sujet aussi tourné vers l'avenir étant donné que l'industrie n'a pas encore atteint sa maturité sur les questions ESG153». Elle préconise dès lors des délais d'application suffisants (18 mois au moins) afin que les entreprises puissent mettre en oeuvre ces nouvelles pratiques. Elle recommande également une souplesse suffisante dans la détermination des critères ESG154. La proposition de règlement sur l'établissement d'un cadre pour favoriser les investissements durables précise dans le considérant 34 que :
mondiale? », 25 mars 2019, Novethic, https://www.novethic.fr/actualite/finance-durable/isr-rse/l-europe-peut-elle-devenir-le-phare-de-la-finance-durable-mondiale-147068.html 152 EDME Robin, « Finance durable, finance verte : quels enjeux pour l'économie? » - synthèse de la séance du 18 octobre 2018 153 Texte original: «Nevertheless, the Association would like to underline it is important to avoid being over-prescriptive on such a forward-looking topic given the industry has not yet reached maturity on ESG issues.» 154 AMAFI, «AMAFI position paper EU sustainable finance policies: enabling the ecological transition of EU economies and societies», 1er avril 2019 Page 48 sur 62 Pour que les acteurs concernés aient suffisamment de temps pour se familiariser avec les critères d'identification des activités économiques durables sur le plan environnemental définis dans le présent règlement et pour se préparer à les appliquer, les obligations prévues dans le présent règlement devraient commencer à s'appliquer, pour chaque objectif environnemental, six mois après l'adoption des critères d'examen technique concernés 155. $2. Des problèmes extrinsèques au projet On a ainsi pu comprendre la difficulté d'encadrer un tel engagement. Mais on peut également remarquer que le développement de l'émission d'obligations vertes devra faire face à d'autres difficultés. Dans un premier temps, pour financer un projet « vert » le projet doit exister. Et là réside le principal problème. Les projets « verts » sont finalement moins nombreux que la demande d'investissement. Il y a donc un déficit où d'une part, les financeurs pointent une insuffisance du flux de projets (« pipeline ») suffisamment rentables, et de l'autre par les porteurs de projets identifient une insuffisance de financements abordables ou adaptés156. Pour développer les obligations vertes, les projets devront donc tout autant s'amplifier. Or l'émission obligataire est destinée à des acteurs disposant de fonds suffisants, cela ne permet pas aux petites et moyennes entreprises d'y participer, ce qui limite d'autant plus les projets. Par ailleurs dans l'un de ses rapports ATTAC pose une question intéressante : « la transition énergétique, et plus largement écologique, qui nécessite des investissements appropriés et très localisés, est-elle vraiment compatible avec un tel processus de standardisation157 ? » 155 Proposition de règlement du parlement européen et du conseil sur l'établissement d'un cadre pour favoriser les investissements durables, considérant 34 156 CANFIN Pascal et ZAOUATI Philippe, Rapport « Pour la création de France transition »
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