L'émission d'obligations vertes: entre liberté et contraintepar Lise Wantier Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 2 Droit bancaire et financier 2018 |
Master II Droit Bancaire et Financier Année universitaire 2018-2019 L'émission d'obligations vertes : entre liberté et contrainte Sous la direction de Madame Anne-Catherine Muller Par Lise Wantier Page 2 sur 62 Sommaire Partie I : Une réglementation souple 8 Titre I : Originellement, des initiatives privées basées sur le volontariat 8 Chapitre 1 : Le développement d'initiatives privées 8 Chapitre 2 : La nature de ces obligations justifie une certaine souplesse 14 Titre II : La transparence de l'information comme contrainte 18 Chapitre 1 : Un effet incitatif et une auto-régulation par la pratique commerciale 18 Chapitre 2 : Contraindre les acteurs à respecter les engagements auxquels ils ont volontairement souscrit 26 Partie II : Les émetteurs, de plus en plus contraints ? 32 Titre I : L'initiative règlementaire européenne 32 Chapitre 1 : La reprise des idées fondatrices 32 Chapitre 2 : Le projet de règlement européen : vers une ingérence ? 37 Titre II : La réception du projet européen 44 Chapitre 1 : Les critiques 44 Chapitre 2 : La France souhaite aller plus loin 49 Bibliographie 55 Page 3 sur 62 « L'université n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les mémoires. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs. » « Nous avons compris que ce n'est qu'en mobilisant le monde des affaires que nous ferons de vrais progrès » Kofi Annan1. Cela pose une première question : jusqu'où va cette mobilisation ? La Banque Centrale Européenne a rappelé récemment que les défis auxquels nous sommes confrontés en matière de changement climatique ne pourront être relevés avec succès, que si toutes les parties prenantes acceptent d'assumer leurs responsabilités2. Cela appelle une seconde question : assumer ses responsabilités, est-ce être responsable ? Nous verrons que ce type de question est primordiale car les obligations vertes (ou Green Bonds) oscillent entre autonomie des acteurs et régulation. Mais qu'est-ce qu'une obligation verte ? Ce sont tout d'abord des obligations, c'est à dire « des titres négociables qui, dans une même émission, confèrent les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale3». La spécificité d'une obligation verte réside dans l'affectation spécifique du produit de l'émission. Par exemple, selon l'ICMA4, c'est « une obligation dont le produit de l'émission est utilisé exclusivement pour financer ou refinancer, partiellement ou en totalité, des projets verts nouveaux et/ou en cours5». Pour les émetteurs, ces obligations sont attractives. Elles le sont en termes de financement en permettant un accès complémentaire au marché, une diversification des produits et de la base des investisseurs. Elles permettent en effet de toucher des investisseurs qui n'auraient pas forcément investit sur le marché obligataire classique6. Elles sont également bénéfiques en termes de signal, par le financement de projets de développement dans un secteur porteur. Elles améliorent par ailleurs l'image de l'entreprise et réduisent donc le risque 1 Johannesburg Summit : Big Business Gets Green Light from Kofi Annan : The Earth Time, 2 sept. 2002. 2 European Central Bank, «Central Bankers, Supervisors and Climate-Related Risks», 17 avril 2019 https://www.ecb.europa.eu/press/key/date/2019/html/ecb.sp190417~efcf14da2a.en.html 3 Article L213-5 CMF 4 International Capital Market Association 5 ICMA, The Green Bond Principles, 2018, https://www.icmagroup.org/green-social-and- sustainability-bonds/green-bond-principles-gbp/ 6ATTAC, La «finance verte» est-elle vraiment verte ? » , p°12, Décembre 2017 Page 4 sur 62 Page 5 sur 62 réputationnel7. Les émissions d'obligations vertes sont effectivement souvent relayées par la presse économique. Elles présentent également des avantages en termes de relation avec les obligataires, les green bonds étant basés sur des valeurs, l'émetteur peut espérer des relations plus durables et « apaisées » par rapport aux souscripteurs habituels8. Pour les investisseurs institutionnels, ces obligations peuvent également leur permettre de remplir leurs objectifs fondés sur les critères ESG (l'article 173 de la Loi de transition énergétique pour l'économie verte exige ainsi que les investisseurs institutionnels, les fonds de pension et les compagnies d'assurance évaluent les risques carbone et climatiques de leurs portefeuilles d'investissements9). Les premiers green bonds ont été émis par des banques de développement10, des organismes dédiés au développement11, puis par des régions , provinces, ou municipalités. 12 Dès 2010 le champ des entités intéressées s'est diversifié et le marché a été saisi par les grandes entreprises13 puis progressivement par des entreprises de taille plus modeste . 14 Devant le potentiel de ce marché, des indices spécialisés sont apparus (S&P DJ Green Bonds Index, Barclays MSCI Green Bond Index) et la Bourse de Londres (LES) a crééì en juillet 2015 un compartiment dédié aux green bonds. Les états se saisissent également de ce nouvel instrument perçu comme prometteur. Par exemple, la France souhaitait être le premier pays à lancer un emprunt vert de taille standard, et ce, avec un taux d'émission similaire à celui 7 GADIOUX S.-E, Qu'est-ce qu'une banque responsable ? Repères théoriques, pratiques et perspectives » : Management & Avenir 8/2010 (n° 38) p°33 https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2010-8-page-33.htm « La gestion du risque de réputation peut inciter les entreprises à améliorer leurs pratiques, y compris en l'absence de réglementation contraignante. » 8 THOMAS Philippe, « Nature juridique des green bonds », Revue de Droit bancaire et financier n° 6, 9 Novembre 2015, étude 22 ATTAC, La «finance verte» est-elle vraiment verte ? », p°12 10 Banque mondiale, Banque Européenne d'Investissement
12 BARBIERE Cécile, « Les régions s'emparent des obligations vertes » EURACTIV.fr, 8 octobre 2015 https://www.euractiv.fr/section/politique-regionale/news/les-regions-s-emparent-des-obligations-vertes/ 13 14 Air Liquide, Unilever, EDF, GDF Suez, Unibail-Rodamco Unibail-Rodamco ou Paprec Page 6 sur 62 d'une obligation assimilable du trésor classique15 mais elle fut devancée par la Pologne. Cette propagation, la multiplication des acteurs et des projets ont progressivement posé la question d'une régulation. Les régulateurs se sont par ailleurs emparé du sujet. Plusieurs ont fait part de leur volonté de développer ce type d'instrument financier. La régulation des obligations vertes s'inscrit par ailleurs dans un débat plus étendu concernant la réglementation de la Responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises. Ainsi le Parlement européen énonçait déjà en 2013 « qu'il est nécessaire de situer le débat sur la RSE dans un contexte plus large qui, tout en préservant le caractère principalement volontariste, ouvre la porte à un dialogue sur des mesures réglementaires16». Actuellement les principes applicables aux obligations vertes sont volontaires et relèvent du soft law. Le dictionnaire du droit international17 défini le soft law comme : « Des règles dont la valeur normative serait limitée soit parce que les instruments qui les contiennent ne seraient pas juridiquement obligatoires, soit parce que les dispositions en cause, bien que figurant dans un instrument contraignant, ne créeraient pas d'obligation de droit positif, ou ne créeraient que des obligations peu contraignantes ». En l'espèce, les règles ont une valeur normative limitée parce qu'elles ne sont pas juridiquement obligatoires. Pour cette situation, Jean-Michel Jacquet indique que dans certaines circonstances « la règle de droit souple s'imagine volontiers un «destin» et projette, ou, en tout cas, n'exclut pas de se dépouiller de sa souplesse18». Ainsi on pourrait se demander si les principes d'encadrement des obligations verte constituent « une vis sans fin 15 ROYAL Ségolène et SAPIN Michel, Communiqué de Presse N° 084, Paris, le 3 janvier 2017, http:// proxy-pubminefi.diffusion.finances.gouv.fr/pub/document/18/21951.pdf 16 BALDASSARRE Raffaele, Rapport sur la responsabilité sociale des entreprises : comportement responsable et transparent des entreprises et croissance durable 2012/2098 (INI), point 4 17 SALMON Jean, Dictionnaire de droit international public, Broché, 1 novembre 2001 18 JACQUET Jean-Michel, « L'émergence du droit souple (ou le droit «réel» dépassé par son double) », Études à la mémoire du professeur Bruno Oppetit, Litec, Paris, 2009, p. 347 qui tourne à vide, ou une vrille qui peu à peu creuse son chemin19». On pourrait également analyser si les obligations vertes, de par leur nature et de par les caractéristiques de ce marché ont vocation à se voir appliquer des règles normatives, contraignantes. La question de l'encadrement est primordiale. Trop faible, il mène à un flou quant aux pratiques admissibles, nuit à la lisibilité du marché, et peut même favoriser des abus de confiance. Trop fort, il va à l'encontre du principe de volontarisme sur lequel les obligations vertes sont initialement basées. Où situer le juste milieu ? Entre la vigilance dont doit faire preuve le législateur pour que ces pratiques ne deviennent pas illisibles et galvaudées, et l'ingérence de celui-ci dans une démarche qui se veut par essence et par définition volontaire, à la seule initiative des entreprises ? Une règlementation est-elle souhaitable ? Nous étudierons dans un premier temps le cadre actuel, qui se caractérise par sa souplesse, pour ensuite analyser si cette souplesse a vocation à perdurer. Page 7 sur 62 19 DECAUX Emmanuel, « De la promotion à la protection des droits. Droit déclaratoire et droit programmatoire », La protection des droits de l'homme et l'évolution du droit international, Pedone, Paris, 1998, p°115 Page 8 sur 62 Partie I : Une réglementation soupleLe cadre actuel se caractérise par sa souplesse. D'une part, par l'absence d'une règlementation contraignante car il est basé sur des initiatives privées. D'autre part, par les mesures étatiques très légères et fondées principalement sur l'information. |
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