Vers une compréhension de la mobilité résidentielle au regard de l'étalement de l'aire métropolitaine de Port-au-prince : le cas de Canaan de 2010 à 2020par Wilguens Pharius Université d'État d'Haïti - Diplôme en sciences sociales 2021 |
LES ELEMENTS DE LA PROBLEMATIQUEÀ toi et à ta race après toi, je donnerai le pays où tu séjournes, tout le pays de Canaan, en possession à perpétuité, et je serai votre Dieu3(*). (Genèse 17, 8) Le constat de l'étalement de l'agglomération de Port-au-Prince a été fait par les acteurs urbains et les chercheurs. La mobilitérésidentielledéfinie comme le déplacement par lequel un ménage change durablement de logement en raison, notamment, de facteurs professionnels, familiaux, sociaux ou environnementaux (Da Cunha et al.,2007), constitue le moteur principal de ce phénomène qui transforme morphologiquement cette ville. Au cours des dernièresdécennies, on est en phase àdes mutations territorialesliéesà la mondialisation. Dans les pays du Nord comme dans les pays du Sud4(*) de nombreuses agglomérations urbainesévolue en mégalopoles ou « villes tentaculaires ». Cette réalité traduit le processus de métropolisation, qui renvoie à l'insertion de la ville dans la mondialisation (Bourdeau-Lepage, 2011, cité par Darbouze et al. 2018 : 44).La métropolisation est la forme contemporaine d'un processus d'urbanisation séculaire qui a d'abord vidé les campagnes de leurspopulations et qui tend aujourd'hui à réduire le poids relatif des villes petites et moyennes pour former de nouveaux ensembles territoriaux (Da Cunha et al. 2007 :33). Mondialisation rime avec mondialisation : il ne s'agit pas d'un slogan mais d'une réalité.Le processus de métropolisation est animée par une triple dynamique en relations les unes aux autres, selon Bahr (2010, cité par Darbouze et al. 2018). Il s'agit de la concentration de richesses et d'emplois comme dynamique économique, une dynamique de ségrégation spatiale et de concentration des catégories donnant à la ville son pouvoir symbolique et une dynamique spatiale d'étalement urbain et d'enchevêtrement des populations et des activités. Dans le cas de l'agglomération de Port-au-Prince, s'intégrant dans la mondialisation, elle accueille vers les années 1960 et 1970 l'industrie de la sous-traitance, des parcs industriels y sont construits ainsi que des nouveaux équipements (port, aéroport...). L'implantation de ces équipementsattire de plus en plus de ruraux (Lucien, 2018) :l'agglomération de Port-au-Prince est renforcée, et est au coeur des mouvements résidentiels sur le territoire national, c'est le lieu d'accueil privilégié des migrants internes.James Darbouze et al. (2018) affirme que « la métropolisation de la capitale haïtienne renforce un certain nombre d'enjeu d'aménagement et d'urbanisme, notamment la gouvernance, les inégalitéssociospatiales et l'équité en matière d'habitat et d'accès aux infrastructures et services ». D'après Georges Eddy Lucien (2018), les jalons de cette dynamique territoriale demétropolisation de l'agglomération de Port-au-Princeont été poséspendant l'occupationaméricaine de 1915. Il a de démontrer, non sans argument, que Port-au-Prince a été le lieu de prédilectionsous les auspices des occupants entre 1915-1934 d'un ensemble de transformations (politique, économique et sociales qui tout en lerenforçant, sèment les graines de ses dysfonctionnements contemporains (Lucien, 2013). Grace à un ensemble de transformations réalisées, marquées par des logiques de centralisation par les occupants à Port-au-Prince, celui-ci est renforcé au regard du système urbain national. En effet, tout est misé sur la capitale au détriment de la province, car c'est elle qui attire plus que toute autre partie du pays l'attention des Américains. Les investissements affectés au département de l'Ouest, dont la majeure partie est réalisée dans la capitale, s'élevaient entre 1921 et 1930 à près de 70% des budgets totaux (Lucien, 2018 : 64). Ces privilèges budgétaires et fiscaux accordés à Port-au-Prince et à son port, par rapport au réseau urbain haïtien et la suppression de l'autonomie budgétaire des communes et des régions, favorisent à ce que la capitale émerge progressivement en tant qu'une structure macrocéphale. Georges Eddy Lucien (2018 : 64) ajoute en ce sens que : « cette attraction accroît le déséquilibre avec le reste du pays et nourrit un mouvement migratoire interne ». La croissance de la capitale résultant de l'arrivée massive des migrants et d'un accroissement naturel significatif de la population urbaine, génère l'étalement de la ville et des dysfonctionnements urbains majeurs. 50% des équipements hospitaliers, 2/3 des banques, 3/4 de l'enseignement supérieur se retrouvaient dans la trame urbaine de Port-au-Prince en 2012 (Théodat, 2012 :6). Entre 1950 et 2012, le taux de croissance annuel lié à la croissance et l'expansion spatiale de Port-au-Prince était de 4,8% (Tamru et Milian, 2018 : 5). Bezounesh Tamru et Johann Milian (2018 :5) ajoutent qu'en 2015, le territoire urbain de Port-au-Prince était d'une superficie de plus de 40 000 ha alors qu'en 1915, soit exactement un siècle avant, celui-ci se mesurait à 700 ha: Port-au-Prince s'avance au Nord vers Cabaret et dans la plaine du Cul de sac et vers le Sud jusqu'à Léogâne.L'aire métropolitaine de Port-au-Prince concentre environ 4 millions d'habitants en 2018 (Lizzarralde et al. :150, 2018), c'est-à-dire 55% de la population urbaine du pays (Théodat, 2018 :5). Cette croissance de la population de l'agglomération port-au-princienne s'explique d'aprèsJean Marie Théodat (2012), d'un côté parl'exode rural :la capitale haïtiennereçoit entre 75 000 et 100000 migrants par année. Et de l'autre côté, le croît démographique des faubourgs(Cité soleil, Cité de l'Eternel, Carrefour, etc.), qui s'apparentent àcelui des populations rurales. L'expansion récente de l'agglomération urbaine de Port-au-Prince concerne principalementtrois zones :la zone ouest dans les communes de Gressier et de Léogâne, lazone sud dans les communes de Pétion-Ville et de Kenscoff et la zone nord dans les communes de Croix-des-Bouquets, de Thomazeau, deGanthier et de Cabaret. Ce sont les « nouvelles périphéries ».L'étalement de l'agglomération ou l'étalementrésidentiel est surtout marqué par l'habitat individuel, le lotissement et l'autoconstruction dans un contexte de déni total des règles d'urbanisme. Le séisme du 12 janvier 2010 fut un tournant dans la croissance spatiale de la ville et en même temps participe à fragiliser davantage le tissu urbain5(*). Celui-ci a causé la mort de 220 000 personnes environ (Etienne, 2019). Le nombre de sans-abris était de 1.3 millions. 105 000 logements ont été détruit et 208 000 endommagés. Le manque en matière de logement est exacerbé : d'ailleurs avant le séisme la demande de logement s'estimait à 200 000/an (Tamru et Milian, 2018, citant PNUD). Fritz Pierre Joseph (2014 : 120) parle d'un déficit d'un million de logements en 2009. Après la date du 12 janvier 2010, les camps de déplacés fusaient partout dans la capitale. Le séisme a intensifié les mouvements résidentiels sur le territoire national. Certains ménages sinistrés partaient s'installer dans la périphérie de Port-au-Prince. Cela participait à une redistribution de la population. L'apparition de Canaanviseàrépondre au prime abord le déficit de logement après le tremblement de terre du 12 janvier 2010.Canaan était un camp d'hébergement. Il allaitêtredéclaré d'utilité publique vers la mêmeannée, soit en mars 2010 par l'administration Preval-Bellerive. En 2015, selon l'UCLBP, cette nouvelle zone urbaine située à 18 kilomètres du site historique de Port-au-Prince comptait 250 000 habitants, selon l'UCLBP. Ces citadins occupent ce territoire sans aucune planification de l'Etat et en toute illégalité.Ce territoire urbain est confrontéà ce qu'appelle Bezounesh Tamru et Johann Milian (2018 :9), une « urbanité vulnérable ». Le site support du bâti de ces nouveaux arrivants se trouve trèsexposé face aux phénomènes naturels. En fait, la population de Canaan n'est pas exempte de ce que soutient Gonzalo Lizzaralde et al. (2018 :150) pour l'ensemble de l'aire métropolitaine de Port-au-Prince : Certains citoyens trouventune solution résidentielle faisant appel au secteur informel du foncier, de l'immobilier, du crédit et de la construction. Instinct de survie et résilience conduisent la population à relever elle-même les principaux défis posés par l'habitat. Phénomène omniprésent, l'informalité de ce fait s'enchevêtre aujourd'hui dans le tissu urbain de la métropole, souvent dans les interstices laissés par une géographie inhospitalière. Il en résulte une trame urbaine disloquée et fragmentée, révélant un déséquilibre de densités, et de grandes disparités économiques et sociales. Les mouvementsrésidentielsintéressent peu les décideurs politiques. De fait, les politiques publiques liées au logement et à l'urbanisme sont quasi inexistantes. Les actionsde l'UCLBP comme organisme étatique se versant dans le domaine de la construction de logement publiquene se font pas sentir. C'est l'anarchie urbanistique. Pourtant, la croissancedémographique de Canaan ne cesse d'accélérer. Les nouveaux cananéens arrivent au jour le jour. Canaan n'est plus un lieu d'hébergement : celui-ci est habité (Pierre, 2013). Il reçoit des nouveaux arrivants venant de l'aire métropolitaine de Port-au-Prince aussi bien que des migrants externes, alors que ce dernierreste géo-administrativement non reconnu et isolé des services et sourcesd'emploi de la capitale. Alors,qu'est-ce qui favorise les mouvementsrésidentiels vers le site de Canaan ? Quels sont les facteurs qui influencent l'attractivité de Canaan pour ces nouveaux arrivants ?Quelles sont les motivations qui sous-tendent le choix de résiderà Canaan? Pour quel lieu, quel cadre de vie, quel type de logement, d'habitat déménagent-ils ? Canaan répond-il à leur aspiration ? Comment l'espace du quotidien des Cananéens s'est évolué de 2010 à 2020 ? Sans passer par quatre chemins, nous tenons à préciser nos questions de recherche, lesquelles nous guideront tout au long du travail. Nous formulons notre question principale de recherche comme suit :Quelles sont les motivations résidentiellesdes habitantsde Canaanentre 2010 à 2020 au regard de l'étalement de l'Aire métropolitaine de Port-au-Prince? La présenteétude vise égalementàrépondreà la question secondaire suivante : Quel est le cadre de vie des habitants de Canaan entre 2010 à 2020? Par rapport à nos questions de recherche, nous avons formulé des hypothèses. Par rapport àla première question principale de recherche, notrehypothèse est :la décision gouvernementale du 22 mars 2010 et la volonté de devenir propriétaire d'une parcelle de terrain ont jouéun certain rôle dans le choix résidentiel à Canaan entre 2010 à 2020. Au regard de la seconde question, nous formulons notre hypothèse ainsi : Le cadre de vie des habitants de Canaan est un lieu « sans » : sans Etat, sans électricité, sans routes, sans eau, etc. Dans le cadre de notre étude, nous nous fixons comme objectifs de déterminer les motivations résidentielles des habitants de Canaan entre 2010 et 2020 et pour ensuite mettre en évidence le cadre de vie de ces habitants. Afin de réaliser ce travail, on ne saurait s'échapper à la consultation de quelques-uns des travaux déjà réalisés se rapportant à notre étude. La problématique de la mobilitérésidentielle en Haïtise trouve être un champ d'étude peu exploré voire inexploré à notre connaissance.Donc, nous n'avons pas été en contactavec des études ayant mis en relationla question de la mobilitérésidentielle et l'étalement urbain. Néanmoins, maintes investigations scientifiques ont étéréalisées dans l'objectif de mettre en lumière la question de l'habitat/logement dans l'espace haïtien dont l'étalement urbain demeure l'une des caractéristiques6(*), oules transformationsà l'oeuvre au sein du tissu urbain de Port-au-Prince. L'accent sera mis sur ces thèmes dans cette revue de littérature. Cela étant, nous avons été en contact avecdes mémoires, articles scientifiques, revue scientifique et des rapports scientifiques se rapportant à ces thématiques. En effet, Kensy Bien-aimé (2016) dans une étude réalisée sur la question du logement et le cadre de vie des personnes déplacées à Delmas 31 avance que bien avant le tremblement de terre du 12 janvier 2010, la question du logement restaitproblématique, elle s'est empirée après. Kensy Bien-aimésoutientaussique cette catastrophe a engendré de profond bouleversement lié à la répartition géographique de la population dans l'aire métropolitaine de Port-au-Prince. Analysant la situation post-catastrophe, l'auteur constate six (6) ans après, l'existence de plusieurs camps dans la capitale haïtienne. Cet état de fait témoigne de l'absence de politique sociale et de logement de l'Etat haïtien ainsi que de l'aide des institutions de bienfaisance privées. Ces gens-là vivent dans la crasse la plus abjecte, dans une promiscuité répugnante. Face à la pluie, ils ne sont pas protègés. Bonny Don Pierre (2008) amené une investigation scientifique sur les qualités de l'habitat et les conditions du logement en Haïti. Ce dernier faisant un constat historique avance que l'implantation des équipements industriels dans la capitale vers les années 60 a provoqué l'exode massif des ruraux vers Port-au-Prince en quête de revenus et de pouvoir de consommation. C'était le pôle d'attraction de la population rurale. En 1970, la situation commence à se détériorer en raison de l'impréparation de l'Etat : la bidonvilisation commence à prendre pieds dans l'espace urbain de Port-au-Prince. Pour le chercheur, l'étalement de l'urbanisation dans les périphéries de la capitale qui suit cette période est tributaire de l'inadéquation des emplois disponibles dans la capitale face à la croissance de la population urbaine active. L'espace urbain de Port-au-Prince abrite à lui seul 350 bidonvilles, dans lesquels se logent plus que 1.5 millions de personnes. Pour comprendre cette situation, Bonny aborde la question en considérant l'aspect lié à la précarité des conditions économiques des gens. Cela dit, il a porté un regard sur la problématique de la pauvreté afin de mettre en lumière la situation de l'habitat et les conditions de logement en Haïti. En outre, l'institution étatique est tenue pour responsable de par son inertie marqué par son incapacité à mettre en oeuvre une politique de planification spatiale, laquelle serait en adéquation au besoin de la population en matière d'habitat. Le LAQUE et l'URAU (2000) ont produit une analyse sur la situation de l'Habitat en Haïti. Le logement en effet demeure un besoin fondamental. Un logement indécent peut entacher entre autres la santé mentale et physique de son occupant. En effet le logement idéal permet d'exprimer son identité. Celui-ci sert de lien physique avec sa communauté et sa culture. Toutefois, dans certains cas, certains logements à l'échelle mondiale ne constituent pas une protection pour ses occupants contre les risques liés à l'environnement. Par ailleurs, le rapport considère la question du logement en Haïti dans une perspective socio-économique et culturelle des communautés. Citant l'OPS/OMS (1998), le document du LAQUE et de l'URAU soutient qu'au cours de la décennie 1990-2000, la croissance urbaine résultante de l'exode rural agit conséquemment sur le logement. Cela dit, l'explosion démographique s'est réalisée sur un territoire exigu engendre la dégradation des conditions du logement dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. La promiscuité dans les bidonvilles favorise la transmission des maladies par voies respiratoires comme la grippe, la tuberculose, la méningite, les infections cutanées et dans une certaine mesure les maladies sexuellement transmissible (IST), notamment le SIDA. Les résidents des quartiers précaires du pays se trouvent très exposés aux risques naturels à force de construire sur les bassins versants, dans le lit des rivières, et dans des zones protégées des sources : en plus de la localisation du logement, cela est dû aux types des matériaux utilisés. Le rapport considère que l'amélioration des conditions générales de logement aurait une influence positive sur l'espérance de vie de la population, sur le développement des enfants et sur la productivité de la population active. Fritz Pierre Joseph (2014) dans un article scientifique publié dans les Cahiers du CEPODEa réaliséune étude sur l'implication de la construction non-assistée sur la qualité de l'habitat et le niveau de vie de la population en prenant l'exemple de Canaan. L'auteur inscrit l'existence de la localité de Canaan dans un processus d'étalementaccélérée de Port-au-Prince. En outre,les ONGs et l'Etat par leur non-assistance sont mis en cause afin d'expliquer la situation de vulnérabilité et de précaritédu bâti sur ce territoire. D'après Joseph, il s'agit depuis 2010 de la création d'une nouvelle zone de pauvreté. Dans son travail, le chercheur a porté son intérêt précisément sur la situation de l'habitat àCanaan etla perception des habitants sur l'évolution de leurniveau de vie depuis leur installation dans cette nouvelle périphérie. Le travail de Joseph a révélé que les habitants de Canaan végétaient dans des conditions infrahumaines peu importe qu'ils perçoivent ou non que leur condition de vie s'est améliorée. Trois (3) ans après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 rien à changer en ce qui concerne l'état des conditions. Johan Milian et Bezunesh Tamru (2018) ont élaboré un article, s'appuyant sur les travaux de chercheurs issus des sciences sociales et de l'environnement, lequel s'interroge sur la croissance urbaine de la zone métropolitaine de Port-au-Prince qui correspond à un territoirevulnérable.La capitale haïtienne comme d'autres villes du pays se trouve très exposée face aux aléas naturels. L'environnement de l'espace urbain souffre d'insalubrité. Il s'agit, en effet d'une précarité socio-spatiale, conséquence d'une urbanisation non contrôlée. Malgré les conséquences du tremblement de terre de 2010, les quartiers précaires se densifient pour la plus belle. Par ailleurs, les géographes ont brièvement passé en revue l'évolution de la dynamique spatiale de Port-au-Prince en mettant en lumière l'évolution de son aménagement et la question de la construction de logement. L'évolution macrocéphale de Port-au-Prince prend chair avec l'occupation américaine de 1915 et reste tributaire des mesures centralisatrices des occupants. Ainsi à Port-au-Prince sont concentré les équipements supérieurs tels les universités, banques ou hôpitaux. Vers 1948 plus de la moitié de la population urbaine résidant à Port-au-Prince sont des allochtones. Un an plus tard, la ville est rénovée à l'occasion de son bicentenaire. Sous l'administration de Paul Eugène Magloire et pendant la dictature, l'appareil étatique s'est montré intéresser à la question de la production de logement publique pour les ouvriers. Néanmoins, ces réalisations profitaient le plus souvent aux partisans de ces différents pouvoirs. Elles n'étaient pas en adéquation avec la demande réelle de logement dans la capitale, qui souffrait d'un exode rural accru. Avant le tremblement de terre, la demande de logement était à environ 200 000 par an (citant Onu-Habitat). Entre 1950 et 2012 la croissance et l'expansion qui se produit à Port-au-Prince s'est illustrée par un taux de croissance annuel de 4.5%. Port-au-Prince s'étale dans tous les sens. Elle dépasse 40 000 ha en 2015 alors qu'en 1915 Port-au-Prince disposait d'une superficie de 700 ha. On construisait n' importe où et n'importe comment sans aucun contrôle de l'Etat. De la sorte, selon les auteurs la croissance urbaine de Port-au-Prince s'accompagne d'une certaine « fabrique de vulnérabilité ». Après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 de « nouvelles périphéries » se sont émergées. Et la question de logement reste un problème chronique. Pierre James (2013), dans son mémoire de master intitulé Canaan au lendemain du séisme de 2010 de hébergé à habitant : un espace perçu et un espace vécu s'était interrogé suivant une approche de géographie par le bas sur « les représentations des habitants de Canaan de leur nouvel espace et les relations qu'ils tissent entre eux dans la production du territoire de Canaan comme un espace vécu en 2012 ». L'auteur prend en compte dans son travail le rôle de l'acteur local qui participe à la production du territoire. Ainsi, part-il du constat que la catastrophe dont illustre le tremblement de terre du 12 janvier 2010 a fragilisé davantage le territoire national de par ses problèmesà la fois d'origine naturelle et politico-sociale : Canaan résultede cette catastrophe. Deux ans après le séisme, Canaan est trèsconvoité. L'auteur nous dit que leur installation sur ce site a été favorisé particulièrement par la publication de l'arrêté du 22 mars 2010 déclarant la zone d'utilité publique. Il compte en 2012à peu près de 200 000 habitants et est devenu le théâtre de conflits d'usage malgré l'absence des services sociaux de base sur ce territoire. Alors, ressort-il du travail de recherche de Pierre que les Cananéens dont la majorité sont issus des zones défavorisées et ayant vécu dans des conditions socioéconomiques très précaires, considèrent Canaan comme étant un « espace incomplet ». Habitant le site, disposant de peu d'outils, ils vivent au jour le jour, développent des stratégies : construisent des maisons, fondent des familles, sont artisans, commerçants, envoient leurs enfants à l'école, assistent aux cérémonies religieuses, se querellent et gèrent leurs conflits, souffrent de la chaleur, de la maladie et souvent de la faim. Ils ne sont pas des victimes impuissantes. Ces derniers mettent en oeuvre des solutions et posent quotidiennement des actions de solidarité dans une mouvance de proximité voire de promiscuité. Néanmoins, d'après James Pierre, ils sollicitent de la part de l'État : l'installation des services sociaux de base (électricité, eau potable, loisir, éducation etc.), la mise en place des emplois, un cimetière entre autres. Vosh DATHUS (2013) dans son mémoire de master II en géographie a voulu apporter sa contribution sur la problématique du foncier et de l'habitat à Canaan. En effet, en Haïti, la terre est source de conflit, c'est l'un des plus grands enjeux économiques depuis la périoderévolutionnaire (1791-1804). Dans tous les recoins du pays, on recense depuis plus de deux siècles des actes de violence relatifs à la question foncière. La terre est mêmegénératrice de litiges entre personnes issues de même lignage. Apres le tremblement de terre du 12 janvier 2010 surgit le quartier de Canaan au nord de la capitale haïtienne. L'auteur avance que ce site est approprié par les gens venant surtout de l'aire métropolitaine de Port-au-Prince.N'importe qui enclot une portion de terre et s'autoproclame propriétaire en se passant des conditions indiquées par la loi pour devenir propriétaire de terre (Dathus, 2013 : 23). L'arrêté du 22 mars 2010 àcôté des impacts duséisme sur le logementa été l'autre déclic favorisant l'afflux massif de nouveaux arrivants à Canaan. Ainsi tout le long de son travail, Dathus a voulu mettre en lumière les stratégiesdéveloppées par ces gens-là pour accéder aux terres de Canaan, mais aussi les formes et les logiques d'occupation du sol sur ce territoire. Les résultats de son étude font remarquer que la volonté d'accéderà la propriétéfoncière est le mobile principal attirant les gens à Canaan. Les gens (75%) viennent à Canaan parce qu'elles veulent accéder à une parcelle de terre. L'auteur nous dit qu'aprèsavoir occupé une portion de terre, généralement, on la clôturait dans le but de la protéger jalousementmême si on ne dispose d'aucun titre de propriété : il s'agit d'une fabrication de la propriété par le bas. Selon Dathus, Canaan est un quartier en trois (3) dimensions en fonction des formes et des logiques d'occupation du sol :c'est un quartier de refuge car celui-ci constitue une « forteresse » dans l'éventualité des répliques sismiques imminentes ; c'est un quartier pionnier dans la mesure où les habitants de Canaan en 2013 sont les premiers àexpérimenter la vie dans la zone ; c'est aussi un quartier durable au sens oùdes fortes sommes sont investies dans l'autocontruction. Laquelle offre la possibilité d'extension en hauteur. A l'instar de tout travail scientifique, le présent mémoire se fonde sur des motivations. Celles-ci relèvent de trois (3) niveaux : académique, scientifique et personnelle. · Académique : Notre travail trouve son sens académique dans le fait que celui-ci s'inscrit dans le cadre de l'élaboration de notre mémoire de sortie, en vue de l'obtention du diplôme de fin d'Etudes Normales de Géographie à l'Ecole Normale Supérieure de l'Université d'Etat d'Haïti. · Scientifique : Au cours de ces dernières décennies, la géographie a connu de grandes avancées. Entre autres, la discipline se veut davantage au-devant de la scène dans la résolution des problèmes auxquels sont confrontées nos sociétés. Par la recherche de la vérité, la géographie s'inscrit dans une perspective générale de recherche du bien commun (Mercier, 1988). Jacques Sheibling (1994) avance que : « la géographie savante cherche à expliquer la structure et le fonctionnement du territoire ». D'où celle-ci élabore des connaissances en décrivant et en expliquant certains phénomènes. Cela dit, cette discipline faisant partie intégrante des sciences sociales, cherche à intelligibiliser les phénomènes sociaux dans leur spatialité. Elle a toute son importance dans une société comme la nôtre. En ce sens, avec la croissance urbaine accélérée de la ville de Port-au Prince, nous estimons primordial de réfléchir sur la question de mobilité résidentielle. Des travaux se sont penchés sur la problématique de l'habitatsur notre terrain d'étude, le mode d'occupation, ou la situation socio-économique ou précisément sur les modes d'accès au foncier et les formes d'occupation du sol dans un contexte post-catastrophe à Canaan dans le cas du mémoire de master II de Vosh Dathus (2013), d'autres sur les représentations que font les habitants de Canaan de leur nouvel espace et les relations qu'ils tissent entre eux dans la production du territoire de Canaan comme un espace vécu en 2012, celuide Pierre James (2013). Toutefois, une approche par la mobilité résidentielle nous paraît cruciale dans une tentative de compréhension de l'étalement de l'aire métropolitaine de Port-au-Prince dans sa zone nord. Autrement dit, nous voulons tenter de mettre en cause la mobilitérésidentielle par rapport au processus d'étalement résidentiel dans la capitale haïtienne. A ce titre, ce mémoire se propose modestement comme une étude exploratoire. · Personnelle : Le choix du sujet n'est pas anodin. Des motivations personnelles sont à la base de notre recherche. Le sujet commence par nous porter à coeur le dernier trimestre de l'année 2019. En fait, cette période était marquée par des turbulences politiques.Il s'agissait de ces mouvements de révolte contre le pouvoir de Jovenel Moise, dénommé « peyi lòk »7(*). Pendant plusieurs semaines, la violence régnait dans nos plus grands centres urbains comme Port-au-Prince, Cap-Haïtien, Gonaïves, Saint-Marc et les axes routiers reliant ces grandes villes du pays étaientbloquées. Cela ne facilitait pas le déplacement de la population et des marchandises. La route nationale numéro un (1) au niveau de Canaan, précisément à Canaan 70 illustrait cette situation. Des groupes armés occupaient la route presque quotidiennement pendant la période. Des gens témoignaient qu'elles sont victimes de viol et de vol. D'autre évoquaient le pillage de leurs marchandises.Or il s'agit d'une voie dont nous empruntonstrès souvent, car nous sommes originaires des Gonaïves à une centaine dekilomètres de la capitale. Curieux, dès ce moment le désir de circonscrire notre travail de recherche de fin d'étude de premier cycle dans la zone de Canaan nous habitait. * 3. Le site tire son nom directementd'une église baptisée Canaan, se trouvant sur la cime de l'une de ses mornes, où réunissait bon nombre de fidèle bien avant qu'il soit urbanisé. Ce nom vient de la bible, le livre sacré des Chrétiens. Dans le livre de Genèse, premier texte de la Bible, il est fait mention de ce lieu comme terre promise aux peuples d'Israël. Le site dont fait référence la bible se localise le long de la rive orientale de la mer de Méditerranée. Il s'agit d'un territoire ou le lait et le miel coule en abondance selon la Bible. Canaan en ce sens représente un nouvel espace de vie, cette « terre promise » et conquise pour les sinistrés qui s'y installait immédiatement après le tremblement de terre du 12 janvier 2010. * 4Selon le site spécialisé Géoconfluence (2018) la métropolisation désigne le mouvement de concentration de populations, d'activités, de valeur dans des ensembles urbains de grande taille. Comme processus, il doit son ampleur et son originalité à la concentration spatiale des fonctions stratégiques du nouveau système productif. Le mode d'inscription du processus de métropolisation peut varier suivant que l'on soit au Nord ou au Sud. En l'inscrivant dans les réseaux de l'économie mondiale, la métropolisation modifie l'ancrage local, régional ou national d'une ville. Il est question d'un processus multiscalaire : à l'échelle mondiale, il tend à renforcer les hiérarchies urbaines en faveur des grandes villes ; à l'échelle métropolitaine, on assiste à des dynamiques sociales et spatiales différenciées de fragmentation et de ségrégation. L'on doit noter que l'emploi du terme a été imparti au prime abord au pays du Nord. En d'autres termes, le concept a été élaboré a propos des terrains du Nord. N'a-t-il pas son applicabilité aux terrains du Sud, voire de Port-au-Prince. Selon Guy di Méo (2010, cité par Darbouze et al. 2018) les grandes agglomérations du Sud présentent cependant des caractéristiques spécifiques d'une « métropolisation paradoxale » qui se manifestent par l'accroissement des inégalités, la ségrégation socio-spatiale, mais aussi l'innovation. En Asie, en Afrique ou en Amérique latine ou dans les Caraïbes, certains pays voient leur territoire se disloquer et se fragmenter en micro-espaces apparemment déconnectés les uns aux autres. Devant leur poids grandissant à la mondialisation, ces métropoles du Sud sont insérées dans des réseaux de villes, parfois régionaux mais souvent dominés sur le plan économique par le Nord. On parle du couple métropolisation-bidonvilisation pour expliquer la non-linéarité du développement au Sud. Ces disparités sociales et spatiales sont liées au fait que la ville ne peut pas fournir du travail et un logement a tout le monde. Les « sans » des métropoles n'ont pas le choix que la débrouille pour leur survie. Elle prend chair entre autres dans l'auto-construction de logement et l'économie populaire. * 5Cet état dégradation de la trame urbaine de la capitale est la conséquence d'un manque de souci spatial d'ensemble car bien des initiatives urbanistiques ont été mise en branle mais sans aucune viabilité (Tamru et Milian, 2018 :12). La loi du 19 mai 1963 obligeant toutes les communes de plus de 2 000 habitants à l'élaboration d'un projet d'aménagement, d'embellissent et d'extension ou la création de la direction de l'aménagement du territoire et de la protection de l'environnement dans les années 70, la loi de 1982 mettant l'emphase sur les régions sont entre autres mesures visant à mettre en oeuvre une certaine planification urbaine mais sans véritable matérialisation. Il existe aussi une structure devant s'occuper de la question du logement en l'occurrence l'Unité de Construction de Logements et de Bâtiments Publics depuis 2012, toutefois les résultats tardent à venir. * 6GonazaloLizzarlde et al (2018 :150) avance que « cinq phénomènes connexes caractérisent aujourd'hui l'habitat dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince (ZMPAP) : un étalement urbain accentué, un processus accélérée de bidonvilisation de la périphérie, une densification et dégradation rapides des quartiers centraux, une vulnérabilité significative face aux risques environnementaux, et un important déficit quantitatif et qualitatif de logements causé - entre autres - par une pression démographique sans précédent ». * 7Les rues sont coupées. La circulation des personnes et des marchandises se révèle difficile. |
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