2. Implications politiques, sociales et
économiques de la patrimonialisation du
PNVI
a. Implications politiques
Lors de sa création en 1925, les terres choisies pour
la constitution de la réserve naturelle et celles annexées dans
la foulée de son extension ont été expropriées dans
un contexte d'un pouvoir colonial absolu face auquel les marges de
négociation avec les populations indigènes étaient quasi
inexistantes82. Les règles du jeu étaient
unilatéralement fixées par le même pouvoir colonial. A
chaque fois qu'une fenêtre d'opportunité s'est offerte aux
populations, comme naguère durant la deuxième guerre mondiale ou
les rébellions récentes, les réflexes des populations
riveraines ont été l'envahissement anarchique du PNVi, la
pêche incontrôlée dans les frayères interdites, la
coupe de bois pour le chauffage ou la braise (makala), le pacage ou les
cultures illégales83. L'approche autoritariste et
policière adoptées par l'administration coloniale ont dans
l'ensemble réussi dans beaucoup de cas essentiellement à cause du
monopole de la violence dont jouissait ce pouvoir. Ce dernier a pu non
seulement imposer l'évacuation des populations dans les zones
réquisitionnées ou jugées infectes par la trypanosomiase
dans la vallée de la Semliki mais aussi organiser le glissement des
populations de zones à forte démographie dans le Jomba et le
Rugari vers le Mushari et Bwito au début des années
195084.
Après l'indépendance en 1960, les
propriétaires de terres expropriées par l'administration
coloniale croyaient la rétrocession de leur terre, cependant, en 1973
avec l'avènement de la loi portant régime général
des biens, régime foncier et immobilier et régime des
suretés, les terres du PNVI sont domanialisées, les droits des
populations locales parties en fumés, En 1979 lors de la
patrimonialisation du PNVI, on s'attendait que le Président Mobutu
règle la question, cependant, cela a été au-dessus de ses
forces car comme on peut le croire la patrimonialisation du Parc ne fut pas la
demande du Zaïre mais au contraire une
81 Rapport de l'UICN sur la liste du patrimoine
mondial : orientation et priorités futures pour l'indentification du
patrimoine naturel d'une valeur universelle exceptionnelle potentielle,
mais 2006, pp.7-8.
82 A. TOGERA, Désire de conserver et
nécessité de survivre : cas du domaine de chasse de Rutshuru et
du Parc national des Virunga, Goma, Pole institute, 2013, p.11.
83 Idem.
84 Ibidem.
25
forme de protection des certains animaux phares que les blancs
voulaient venir visiter et craignant les représailles de la population,
il l'ont patrimonialisé pour assurer leur
sécurité85.
b. implication sociale
Les ressources naturelles du globe, y compris l'air, l'eau, la
terre, la faune et la flore, les particulièrement les
échantillons représentatifs des écosystèmes
naturels, doivent être préservé dans l'intérêt
des générations présents et à venir par une
planification ou une gestion attentive selon que le besoin se
présente86. Certes les populations locales, ne savent pas
qu'est-ce un patrimoine mondial, pourquoi le préserver. Plusieurs ONG
dont WWF se force d'informer et sensibiliser la population environnante du PNVI
à la protection de l'environnement. Actuellement, le PNVI connaît
une pression de la population riveraine car il renferme des terrains dont le
développement est essentiel aux populations. Sa diversité
biologique est menacée par les actions anthropiques diverses:
agriculture, élevage, braconnage, feux de brousse
incontrôlés, exploitation forestière pour le
bois-énergie, etc.87 L'Etat ne remédier à ces
difficultés que s'il prend des mesures spécifiques et
appropriées pour satisfaire les besoins des villageois environnant le
PNVi. Quant aux considérations des populations vis-à-vis du PNVi,
on peut retenir quelques éléments de l'étude minutieuse de
Daniel Arnoldussen et Nzabandora
Ndimubanzi88 : «
Globalement nous pouvons affirmer que la population n'exprime pas d'opposition
Fondamentale à l'existence du parc. Ce dernier est perçu comme
une partie du patrimoine collectif légué aux vivants par les
ancêtres et qui doit être préservé pour les
générations futures. Les ancêtres ont géré
l'espace naturel de manière à le transmettre intact; aux
générations actuelles auxquelles incombe la responsabilité
de le protéger pour leurs descendants [...]. Le sol appartient
collectivement et individuellement au passé, au présent et au
futur [...]. La population n'exprime pas d'hostilité irréductible
vis-à-vis des gorilles [...]. Si l'on se place dans une perspective plus
actuelle, l'existence du parc et des gorilles est une fierté pour les
habitants du Bwisha car ils sont conscients de l'intérêt
international que ces animaux suscitent [...]. Ils savent que la
présence des touristes représente un apport financier important,
ils savent aussi que des fonds internationaux sont consacrés aux
gorilles par des organismes de protection de la nature. Que l'on se place
dans
85 Propos recueillis dans une interview avec LUGHUTU
KAKYIGHA, chef du village VITSHUMBI, Mardi le 12 Mai 2015 à 13h00, dont
l'interprétation a été faite en Français par
nous-même.
86 2ème principe de la Conférence des Nations Unies
sur l'environnement, Déclaration de Stockholm de1972,
87 C. PALUKU MASTAKI, Op.cit. , p.11.
88 D. ARNOLDUSSEN et NZABANDORA NDIMUBANZI, Etat
des relations existant entre le Parc national des Virunga (secteur Mikeno) et
les populations riveraines, Union Européenne, Aide au
développement, Gembloux, Bruxelles, 1996, pp. 1-6.
89 S. MUGANGU MATABARO, Conservation et
utilisation durable de la diversité biologique en temps de troubles
armés, cas du Parc National des Virunga,UICN, Programme Afrique
Centrale, 2001, p. 14.
26
la perspective traditionnelle ou la perspective moderne,
les populations environnant le parc ne sont pas opposées à son
existence et à la protection qui lui est accordée. Cela
n'empêche pas que de nombreux problèmes existent [...]. La
population ne peut pas s'intéresser au parc puisqu'elle est
écartée de tout pouvoir de décision le concernant. On ne
peut avoir de l'intérêt pour une chose sur laquelle on n'a pas le
moindre droit de regard [...]. La population ne bénéficie pas
suffisamment des revenus générés par le parc [...]. Les
rapports avec les gardes du parc sont ambigus car l'accès au parc est
interdit ou autorisé selon l'intérêt momentané de
ces derniers. Si, par exemple, un troupeau de chèvres pâture dans
le parc ou à ses abords immédiats, l'interdiction sera alors
formelle et quelques chèvres peuvent être saisies. Si un paysan a
besoin de tuteur pour ses cultures, il obtiendra, par contre, l'autorisation
des gardes pour pénétrer dans le parc s'il leur a
préalablement rendu service [...]. Le droit d'y chasser, d'y puiser
l'eau, d'y prélever les bois et les végétaux
nécessaires aux constructions et aux cultures, d'y faire boire et
pâturer le bétail, d'y tenir les rites des ancêtres [...]
est totalement incompatible avec la protection totale dont jouit la forêt
du parc [...]. Les buffles, les éléphants et les gorilles qui
sortent du parc viennent se nourrir dans les cultures qu'ils dévastent.
Les agriculteurs se sentent démunis face à cette situation car il
leur est interdit d'agir contre les animaux du parc. Ils regrettent donc
l'absence de mesures de refoulement des animaux ainsi que l'inexistence des
indemnisations encas des dégâts commis par les animaux du parc.
»
Ce qui précède peut se résumer en quelques
mots89 :
- Le rétrécissement de l'espace disponible pour
les paysans de plus en plus nombreux;
- La dépossession foncière de ces mêmes
paysans, en grande partie organisée par la collusion entre chefs
coutumiers, bourgeoisies urbaines et administrations corrompues;
- L'incertitude et la précarité croissante des
droits fonciers des paysans, résultant notamment des pratiques
foncières des chefs coutumiers et de la disqualification des droits
fonciers traditionnels par la loi foncière moderne (promulguée
en1973, elle consacre la propriété étatique du sol).
Ces réalités soulèvent, pour l'essentiel,
un sentiment de spoliation dans l'esprit de la population riveraine du parc.
Or, «quand le droit n'accède pas aux consciences et aux
Réalités psychologiques, l'homme ne l'accepte pas, ne s'incline
pas devant ses impératifs, ne consent
27
pas aux sacrifices qu'exige son
application»90. Cette idée rencontre les propos de
Chardonnet quand il écrit que «la réponse traditionnelle qui
affirme l'obligation morale de conserver le patrimoine vivant de
l'humanité pour les générations futures ne suffit pas en
Afrique. Ventre affamé n'a point d'oreilles, dit un
proverbe»91.
c. Implications économique
Parler des implications économiques revient à
savoir à quel hauteur l'aide de l'Unesco se lève, mais aussi
l'aide du gouvernement dans le cadre de conservation du PNVI. L'Unesco aide le
gouvernement dans le cadre de la formation des gardes parc, mais aussi finance
l'ICCN, institution chargé de la conservation de la nature en RDC dans
plusieurs domaines. Cependant, depuis la patrimonialisation, le gouvernement
semblait délaisser le parc aux mains de l'Unesco et d'autres
organisations internationales en charge de la conservation de la nature et la
protection de l'environnement. Alors qu'en se conforment à l'art.4 de la
convention de Paris, la conservation revient en premier à l'Etat. En
effet, l'on ne doit pas perdre de vue que l'obligation de coopération
internationale pose le problème de son contenu équivoque et
l'assistance internationale est toujours irrégulière, parfois
indisponible mais surtout dans le cadre des relations Nord-Sud, consacre
l'inégalité entre les Etats allant jusqu'à s'immiscer dans
affaires internes des pays du sud92. Pire et particulièrement
dans le cadre de l'UNESCO, l'assistance nécessaire attendue ne suit pas
efficacement l'inspiration du bien sur les listes patrimonialisantes
(labélisantes ?) de l'UNESCO.93
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