VIII - DEFINITION DES CONCEPTS ET DU
CADRE THEORIQUE D'ANALYSE
La production agricole dans nos pays et
particulièrement dans notre région d'étude connaît
une rivalité entre les cultures vivrières
destinées à la consommation paysanne et les
cultures de rente ou de rapport pratiquées pour l'exportation
comme source de devise.
Cependant cette confrontation bénéficie du parti
pris de l'Etat et pour cause, les décideurs politiques ont fait des
cultures d'exportation et de spéculation (café, cacao surtout)
une source importante de devise étrangère pour l'économie
nationale d'une part et d'autre part, ces mêmes pouvoirs publics ont
également choisi le camp des consommateurs urbains dans le bras de fer
qui les opposent aux producteurs ruraux à propos des prix des
denrées alimentaires. Tout ceci explique sans doute la quasi
suprématie des cultures de rente sur les cultures vivrières dont
les prix restent toujours bas pour éviter toute révolte urbaine
(HATCHEU, 2000).
Avant l'introduction de la caféiculture dans la
région Bamiléké, la production vivrière constituait
à côté de l'élevage et de l'artisanat, l'essentiel
des activités agricoles (DONGMO J.L. 1981). Avec l'expansion de la
caféiculture dans toute la région et à toutes les couches
sociales, les cultures vivrières pratiquées en complantation
connaissent un recul dans les activités paysannes. Cette
agriculture vivrière est ainsi réduite à
la consommation ou à l'autosubsistance pure et simple
c'est-à-dire pratiquée juste pour satisfaire les besoins
alimentaires de la famille. C'est à partir d'ici que la division par
sexe des tâches, apparaît clairement dans le calendrier des
activités agricoles ; les hommes s'occupant des cultures de rente
(café) et les femmes réduites à la production
vivrière pour nourrir tout le ménage.
Désormais, les vivriers sont pratiqués comme
culture d'appoint, c'est-à-dire que le surplus des
récoltes est régulièrement écoulé sur les
marchés locaux pour subvenir à d'autres besoins familiaux. Dans
les années 70 elle contribuait pour près de 17% dans les budgets
familiaux.
Or depuis peu, le café est entrain de péricliter
et la crise socio-économique qui en a suivi a plutôt permis une
recomposition du système agraire (ZAMBO MANGA, 1998). On note
également l'émergence de nouvelles cultures tel le
maraîchage, pour les besoins des consommateurs urbains et
30
le renforcement de la commercialisation des vivriers
d'où l'expression de vivriers marchands (CHALEARD J.C.
1995). Le maraîchage consiste en un jardinage minutieux des cultures des
vivres frais tels la tomate, le poivre, le poivron, le choux, la carotte, le
piment, les oignons et le persil qui sont les principaux. Avec le fort appel
urbain, non seulement le surplus, mais parfois toute la production
vivrière de la campagne fait également l'objet d'une
commercialisation sur les marchés ruraux et urbains. Mais à quel
prix ?
C'est dans ce sillage du développement de l'agriculture
vivrière marchande et de l'émergence des cultures
maraîchères que s'inscrit la production du haricot.
Nous ne pourrons davantage comprendre ceci que si on analyse
de près les conditions et mécanismes en amont de la
production.
Le système agraire fait appel aux
résultats de l'exploitation sur le paysage ; recherche davantage
l'influence du poids qu'exerce le passé sur le présent et ne perd
jamais de vu les ensembles agraires, c'est-à-dire les
aménagements spatiaux (formes des champs, clôtures) et temporels
(successions des cultures ou permanence des cultures sur un même champ)
dans leurs rapports avec les techniques et avec des liens sociaux (pratiques
communautaires, structures de la propriété) (MAX DERRUAU,
1985).
Dans l'un de nos objectifs, il était question de
trouver la solution idoine pour résorber la crise ambiante dans la
région. Crise est un mot polysémique qui selon
le DICTIONNAIRE ROBERT est un « changement subit et
généralement décisif ». Pour le Grand
Larousse, c'est un « moment très difficile dans le
déroulement d'une activité » et pour le LAROUSSE
2000 c'est la « phase difficile traversée par un groupe
social».
Le mot traduit l'idée de perturbation, de rupture et
fait également référence à une notion de changement
défavorable. Les crises (économique et sociale) qui ont
affecté le département de la Mifi entre 1975 et 1995 sont
multiformes :
- Crise de sous-production des cultures vivrières qui
s'est rapidement solutionné par la disponibilité des terres sur
la bordure et au-delà du fleuve Noun dont le département est
limitrophe au Sud
- Crise de mévente du café arabica qui est la
principale et pas l'unique facteur des mutations agraires ici.
31
- Crise des structures agraires révélée par
la taille trop petite des
exploitations familiales (plus de 50% ont moins de 0,5 ha).
Cette crise est aggravée par la croissance démographique (3,3%
par an). La Mifi étant le département le plus densément
peuplé de la région avec 503 habitants au Km2, ce qui
en milieu rural accentue la pression sur la terre qui parfois
dégénère en conflit ouvert entre autochtones et
allogène (à Kouekong route Foumbot, Mai 2000).
Cette crise agricole devient par ramification une crise rurale
qui accentue le degré de pauvreté. Mais elle n'a pas seulement
des effets négatifs, car avec la rareté de l'argent,
l'accès aux autres services et la satisfaction d'autres besoins restent
limités. Ainsi les paysans recherchent de plus en plus les cultures
rentables dans un délai assez court.
Ceci a permis la pénétration par la base des
circuits économiques des vivriers et des maraîchers d'une part et
d'autre part l'évolution des comportements sociaux par la mise en place
des projets (individuels ou collectifs) au niveau local tout au plus
régional.
Ce sont autant d'évolution et d'adaptation qui
concourent à des mutations sur le moyen et le long terme (S. ARLAUD,
1997).
Si on entend par `'Evolution» une
transformation lente des techniques de production et des structures agricoles,
on est loin de le constater et d'affirmer ceci pour notre région
d'étude. Par contre, si on parle d' »Adaptation»
synonyme d' `'Ajustement» qui illustre un type
de rupture des pratiques culturales, alors on constate qu'il y a bien eu
abandon des cultures de rente au profit des vivriers pour la consommation
d'abord et pour la vente par la suite. C'est la somme de cet exemple
d'adaptation et de bien d'autres qui, sur une décennie, peuvent aboutir
à une véritable mutation. Dans notre sens `'Adaptation»
est un agent catalyseur de la mutation.
La mutation est `'une transformation
profonde et durable» (Dictionnaire le Robert). Concernant les
structures agraires, il s'agit d'un changement radical et rapide sous l'effet
de forces variables, qu'il conviendra d'analyser à travers divers
exemples. En cela, la notion de mutation est apparue inséparable de
celle de dynamique (S. ARLAUD, 1997).
32
Pour nous, il sera question dans cette étude,
d'analyser la dynamique du haricot au regard des mutations en cours dans la
région. Autrement dit, évaluer la part du haricot dans les
adaptations agraires actuelles.
Historiquement le département de la Mifi a
été le principal passage des Bamiléké fuyant
l'islamisation et la poussée impérialiste de leur puissant voisin
Bamoun qui avait repoussé leur limite territoriale bien au-delà
du Noun actuel. C'est avec l'arrivée du Sultan NJOYA (mort en 1933) que
celui-ci décida que son royaume doit être délimité
par les fleuves. C'est ainsi que la limite Sud est marquée par le Noun.
C'est après sa mort que des Bamiléké allèrent
massivement s'y installer, mais la rive droite du fleuve
considéré comme une zone tampon n'a été
occupée par les Baleng et les Bafoussam qu'après
l'indépendance. De vastes couloirs fertiles de la Mifi Sud et du Noun
vont être une principale zone d'immigration agricole pour la plupart des
Bamiléké venant du Koung-Khi et des Hauts Plateaux actuels et
même d'ailleurs, fuyant les tensions foncières et la
médiocrité des sols. Ces vallées offrent de vastes espaces
fertiles pour la production vivrières exclusivement. On assiste
dès lors à deux aspects d'aménagement
diamétralement opposés.
Par mutation, l'on pourrait tantôt
entendre l'évolution DE la société (évolution macro
sociologique), tantôt de l'évolution DANS la société
(changement microsociologique) (H. MENDRAS, 1983).
Dans le premier cas, il s'agit d'une évolution
qualitative d'une société tel que les Bamiléké
considérés globalement dans toutes ses dimensions, et qui passe
d'une situation de départ -avant la crise- à une situation
d'arrivée après la crise. En général, on entend par
mutation sociale, tout phénomène durable qui affecte la structure
ou le fonctionnement d'une société en profondeur, et les
processus caractérisant ce changement et travaillent de façon
irréversible la société dans son ensemble.
Dans le second cas -les mutations dans la
société- il s'agit du changement de tel ou tel
élément de la société du fait d'une crise qui s'est
produite. Car on peut l'observer dans la dynamique des sociétés
humaines, la crise constitue un des éléments majeurs des
mutations politiques, culturelles et sociales.
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On peut établir cependant un lien entre ces deux
acceptions micro et macrosociologiques des mutations sociales. En effet, la
société est un système dans lequel les divers
éléments s'interpénètrent, de manière qu'un
changement significatif d'un élément influe de manière
significative sur les autres éléments qui sont aussi
modifiés, conduisant d'une certaine manière au changement du
système tout entier.
Ainsi la crise caféière a influencé de
manière significative l'économie, la politique, les rapports
sociaux, l'alimentation et le paysage agraire du Bamiléké : les
mutations DANS la société conduisent donc aux mutations DE la
société.
Mais est-ce les différentes composantes de la
société ont la même capacité de répercuter
leurs mutations les unes sur les autres et sur la société
globale. Le colloque international qui s'est tenu à Dschang du 26 au 30
novembre 200 sur le thème : `'La caféiculture paysanne des
hautes du Cameroun : mutations spatiales et transformations
socio-politiques» est très révélateur à
ce sujet.
Parmi les principales mutations que nous avons
déjà évoquées, nous focaliserons notre attention
sur la production des vivriers marchands et nous analyserons les
répercussions du développement de la production du haricot sur
les différents aspects de la société.
Ainsi la production du haricot a un caractère fortement
commercial au regard de sa valeur marchande et de la demande actuelle. On peut
raisonnablement présumer que les répercussions ne vont pas se
limiter à l'économie, mais s'étendront au politique et au
sociale.
Il nous reviendra d'analyser sur le plan économique,
les débouchés réels et potentiels du haricot, les
modalités de mise sur le marché, l'évolution de la demande
et de la consommation, le rôle des centres urbains, la formation des
prix. Nous verrons également la part du haricot dans les revenus du
paysan. Et avec le monopole de la production, la région peut-elle
contrôler le marché ? Qui sont les principaux
bénéficiaires de ce commerce ?
34
Sur le plan socio-politique, il nous faudra examiner dans
quelle mesure le développement de la production du haricot a
influencé les clivages travail d'hommes / travail de femmes par exemple,
et si l'argent qu'il procure confère aux femmes et aux jeunes surtout
confère un nouveau pouvoir financier qui modifie profondément les
relations dans la société. Parlant encore des acteurs, l'Etat
n'est pas épargné car dans ce contexte, il faut redéfinir
son rôle. Les nouveaux acteurs de la production du haricot ne veulent-ils
pas par-là échapper au contrôle fiscal de l'Etat ? Va-t-on
assister à l'émergence d'une nouvelle élite avec un
pouvoir décisionnel et politique à terme ? Ce qui pourrait
remettre en question l'équilibre de la société ?
Tandis que dans le domaine culturel, il s'agira de voir, si la
production du haricot associée à une large commercialisation en
villes ne deviendront pas une nouveauté alimentaire, une
modernité qui portera le label des paysans Bamiléké.
Dans le domaine géographique et de la production,
l'attention sera portée sur les espaces cultivées et les
répercussions d'une telle culture sur les paysages et l'environnement.
Le calendrier agricole comment se réorganise-t-il ? La part de travail
que requiert le haricot par rapport aux autres cultures et les influences de
celles-ci sur le haricot. Nous analyserons également la rupture et la
continuité entre les productions de café, de haricot et autres,
ainsi que les facteurs de production et le problème foncier qui se pose
déjà avec acuité.
Sur le plateau Bamiléké, on a un paysage de
bocage avec des champs délimités par des haies vives ou non, des
cultures pérennes omniprésentes avec surtout les caféiers
et les arbres fruitiers (kolatiers). Les cultures se font en complantation avec
l'étagement suivant ; de l'étage supérieur vers le sol, on
a les arbres fruitiers suivis des bananiers plantains, des caféiers et
enfin des cultures vivrières diverses (maïs, arachide, haricot) se
pratiquant successivement sur les mêmes sols en fonction des saisons. Le
petit élevage ainsi que les déchets ménagers permettent de
fertiliser les jardins de case, soigneusement entretenus.
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La terre ici appartient aux ancêtres et les exploitants
ne sont que des usufruitiers. Le morcellement foncier dû à
plusieurs successions a dépecé la concession au profit des fils
et petits-fils qui finalement ont moins de 0,5 Ha à exploiter, ce qui
sert juste de case de passage et de caveau familial.
Par contre sur la bordure marginale Nord du plateau
Bamiléké, les longues distances à parcourir (parfois
jusqu'à 30 Km) ne permettent pas un déplacement journalier dans
ses nouveaux champs obtenus pour la plupart par achat. C'est pourquoi, on se
déplace quelques jours dans le mois pour séjourner pendant une
à deux semaines au champ en fonction des saisons. L'objectif
étant de ramener sur le plateau des vivres en quantité pour la
famille et en qualité pour ce qu'on ne peut produire, faute d'espace et
de la nature du sol. Dans ces vallées, les cultures vivrières ne
sont pas permanentes et elles se pratiquent dans des openfields. Ces champs
ouverts sont propices à la production des céréales
(maïs) et des légumineuses (haricot, arachide) qu'on cultive en
monoculture pure de maïs ou de haricot. Ainsi des camionnettes sillonnent
régulièrement la région pour ramener vivres surtout et
hommes vers la ville de Bafoussam et les résidences permanentes de
Batié et de Baham entre autres.
Les femmes, principales actrices de la production dans la
région, sont également les principales résidentes
accompagnées des jeunes, les hommes ne venant que rarement pour quelques
gros travaux d'abattage ou de transport des vivres vers le passage des
voitures. Avec les prix élevés du haricot sur les marchés,
d'autres acteurs s'intéressent davantage à sa production ;
à ce moment, seule une enquête de terrain peut nous permettre de
savoir s'il y a continuité ou rupture dans la chaîne de
production.
Dans un cas comme dans l'autre, la technique de culture la
plus pratiquée est le billonnage contrairement à la culture
à plat ou à butte. C'est une technique qui convient bien à
la production du haricot dans un contexte de production traditionnelle, car il
permet un bon entretien des plantes ( facilite le sarclage) et évite le
tassement du sol par le déplacement régulier entre autres.
36
A l'allure où la consommation interne et
extérieure en haricot croît, on se rend compte que ce
système, malgré ses avantages, a des limites et des contraintes
tant physiques qu'humaines. Car les surfaces à mettre en valeur se font
rares et celles existantes s'amenuisent progressivement. A cette
exiguïté vient s'ajouter un relief très accidenté qui
limite les possibilités d'irrigation au-delà des vallées
(Mifi sud et Noun). Les caprices du climat (abondance ou rareté des
pluies à contre temps) et les exigences du marché contribuent
remarquablement à multiplier les demandes. Dans ces conditions la
sécurité alimentaire pourrait être menacée et c'est
pour concilier ces intérêts économiques et sociaux
divergents, qu'une innovation technique s'impose.
Jean MARZIN définit l' `'Innovation»
comme un changement technique et organisationnel pour signifier les
recombinaisons produites d'une manière générique,
intégrées aux conditions sociales (rapports de force internes)
démographiques (accroissement naturel, migration), économiques,
écologiques et leur émergence. On peut distinguer 3 principaux
problèmes dans son application :
- Le marché des facteurs de production en agriculture
est souvent imparfait. Car la relative fixité des facteurs de production
en agriculture n'est pas une caractéristique favorable au changement
technique et organisationnel. Elle conduit à relativiser un
marché de l'innovation qui se baserait sur une allocation optimale des
ressources
- Le caractère familial de la majorité des
unités de production agricole. Il modifie les conditions de prise de
décision de changement technique et organisationnel en ajoutant aux
critères strictement liés à la production, des
caractères relevant de la consommation ou de l'épargne.
- L'accès à l'information est en
général difficile, aussi bien en ce qui concerne les
marchés des intrants, y compris les techniques que celui des produits
(à cause du caractère oligopolistique des marchés). Le
coût de l'information et d'une manière générale,
l'accès qu'ont les paysans à celle-ci, est une donnée
fondamentale dans l'approche du changement technique et qui renforce le
37
caractère imparfait d'un marché théorique de
l'innovation (MARZIN 1993).
A ceci, on peut ajouter les faits que la main d'oeuvre
agricole en milieu rural est toujours très fluctuante et le
marché de la terre est caractérisé par la diversité
selon les modes de propriétés et d'usages. Egalement, la
pauvreté est un obstacle majeur à l'innovation, car elle limite
les transformations de l'agriculture dans l'espace et dans le temps en ce sens
que faute de moyens financiers, aucun investissement n'est possible moins
encore une restructuration, ce qui perpétue des systèmes agraires
traditionnels désuets pour le monde d'aujourd'hui.
Pour qu'une innovation soit véritablement
adoptée, elle doit aussi être économiquement rentable,
socialement désirable et enfin compatible avec les filières de
production, de transport et de distribution dans lesquelles elle
s'insère. (MOUPOU M. 1987). Tels sont les aspects qu'il ne faut perdre
de vue dès la conception.
- N'y a-t-il pas inadéquation entre les techniques
proposées et les besoins réels des producteurs ?
- Quels sont les moyens et les acteurs mis en place pour
assurer la diffusion d'une innovation ?
Le problème n'est pas finalement de produire des
innovations à tout prix, mais bien de s'attacher à réunir
les conditions de leur durabilité.
Le département de la Mifi (actuel) est
caractérisé par une polyculture intensive dominée par la
production vivrière. En général les voies de la
technologie sont celles de la mécanisation, de la recherche agronomique,
des énergies douces, de la biotechnologie où la sélection
des espèces n'exclut pas la production de celles qui seraient
menacées de disparition et scrupuleusement des
écosystèmes. L'augmentation des rendements nécessite,
outre l'apport en fumures organiques, l'utilisation des pesticides et
fongicides, tout en offrant la possibilité d'effectuer plusieurs
récoltes sur une même parcelle au cours de l'année. Enfin,
il arrive que le développement de l'irrigation améliore les
productions vivrières sans induire une modernisation des moyens de
production, en particulier lorsque les parcelles sont inférieures
à un hectare. C'est le cas ici.
38
Dans l'optique de s'appuyer de plus en plus sur le vivrier
marchand pour équilibrer les comptes du ménage, l'augmentation
des volumes demeure l'option majeure. Par contre, les agriculteurs n'ont pas
encore épuisé l'éventail des variétés
produites et dans les projets d'innovation un minimum de montant fixe (dans
l'ordre de 200.000 Fcfa) est nécessaire au départ, pourtant
faisant beaucoup défaut ici, pour l'extension des surfaces et l'achat
des intrants, même s'il ne s'agit que des semences nouvelles. Autant
d'éléments qui expliquent que les innovations restent très
modestes et que rarement (2%) de nouvelles cultures soient adoptées.
L'accès aux innovations demeure un privilège des
« grands exploitants » car ne pouvant s'opérer qu'à
partir d'une assise financière qu'ils peuvent seuls facilement se
l'offrir.
ISANGU MWANA-MFUMU s.j. (2000) dans son mémoire de DEA
part d'une définition simple de l'innovation comme `'l'introduction
de quelque chose de nouveau''. Il formule plusieurs questionnements et
écrit qu'en examinant la situation avant l'innovation, on répond
à la question de savoir comment elle est née et s'est
diffusée, tandis que la situation après l'innovation permet de
dire quels changements l'innovation dans le milieu.
Dans le cas qu'il analyse, il constate que jusque dans les
années 80 les populations du Kwango en R.D.C. ne cultivaient ni ne
consommaient le niébé. Tandis qu'aujourd'hui, outre le fait que
cette légumineuse est très appréciée dans
l'alimentation, sa culture connaît une expansion étonnante et elle
est l'objet d'un commerce florissant avec Kinshasa, la capitale. L'innovation
se situe donc ici d'abord dans ce passage entre les deux époques et dans
les changements intervenus dans les domaines alimentaires et agricoles.
Si pour cet auteur, l'introduction du niébé au
Kwango est une innovation, dans notre région d'étude, la
situation n'est pas pareille, car sur les hautes terres de l'Ouest Cameroun la
production et la commercialisation du haricot commun a toujours
été un fait de civilisation. Mais depuis le début des
années 90 avec la crise économique et les tensions
socio-politiques, les populations urbaines du Cameroun consomme de plus en plus
le haricot produit sur les hautes terres de l'Ouest. Les Bamiléké
ont par ce fait réussi à exporter dans d'autres ethnies leur
habitude alimentaire et
39
désormais le haricot pourrait porter un label tant
à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays.
Or avec la forte demande extérieure en haricot, il est
à craindre que la région ne puisse pas satisfaire ce besoin
à long terme, c'est pourquoi nous proposons une innovation technique
réelle dans la production de cette légumineuse dont on observe
déjà une amorce. Notre travail ne porte pas sur l'innovation,
mais il entend débouché sur elle. Et dans ce sens l'analyse des
formes de l'innovation et son origine est importante.
Généralement on distingue l'innovation
spontanée de l'innovation organisée, mais cette dernière
n'a pas encore été porteuse de succès dans la plupart des
pays subsaharien. Nous en prenons pour preuve l'échec de la
vulgarisation de la culture du soja et de la variété de manioc
F100 par le gouvernement du Congo (Zaïre à cette époque)
avec de grands moyens logistiques. Au Cameroun, la situation est identique, car
la tentative de vulgarisation de la production de soja dans le cadre du projet
Soja/UCCAO a échoué, malgré le tapage médiatique
orchestré par le gouvernement camerounais. Les paysans ont refusé
d'adopter cette culture. Cette innovation organisée est conçue
comme une action volontaire et une stratégie des concepteurs et
destinée à réaliser un certain objectif.
L'innovation spontanée, par contre, fait bouger les
choses dans la société sans que les ingénieurs y soient
pour quelque chose. L'adoption et la diffusion peuvent être lente, mais
le succès réel.
M. ROBERTET (1989) propose une typologie de l'innovation en
agroalimentaire parmi lesquelles l'innovation par l'élaboration
technique, c'est-à-dire que l'aspect du produit reste identique, seule
la chaîne de production est modifiée. L'analyse de cette forme
d'innovation permet de voir comment le haricot tout en conservant ses
propriétés peut être produit à grande échelle
par les paysans en élaborant eux-mêmes de nouvelle technique de
production.
Plusieurs auteurs ont affirmé que dans une
collectivité paysanne, l'innovation - invention ne peut venir que de
l'extérieur et que les paysans n'inventent que de petits
perfectionnements, mais ne peuvent pas concevoir une véritable
innovation technique (H. MENDRAS et M. FORSE 1983 cités par ISANGU). Il
en est ainsi de M. AUGE LARIBE qui en 1955 avait accumulé les
40
exemples pour montrer qu'aucune invention n'avait jamais
été faite, aux époques récentes par des paysans
dans une société paysanne.
Cette vision des choses a cependant été
récusée par ESTER BOSERUP qui fait observer que sous la pression
de la poussée démographique, les agriculteurs dans les
sociétés du monde ont adopté de nouvelles méthodes
de cultiver. Elle rapporte ainsi `'le glissement, depuis quelques
décennies, de systèmes extensifs à des systèmes
plus intensifs, à peu près dans tous les pays
sous-développés». Bien plus, au-delà des adaptations
qu'ils peuvent apporter, les paysans sont capables d'inventions authentiques.
Elle l'illustre par l'introduction de la houe qui n'est pas le simple fait d'un
perfectionnement technique du bâton pointu, mais une réelle
innovation qui s'est produite lorsqu'une opération nouvelle est devenue
nécessaire (E. BOSERUP, 1970).
Dans le cadre de notre étude, nous pensons que
l'innovation doit être endogène et exogène à la fois
:
- Endogène ; comme l'atteste la
thèse de BOSERUP, car dans une
perspective de logique économique, les paysans peuvent
améliorer leurs outils de travail en quantité, mais surtout en
qualité et procéder à une sélection
économique des cultures dans l'exploitation agricole tout en trouvant de
nouvelles formes et technique de production.
- Exogène ; dans la mesure où les
opérateurs économiques privés et
particulièrement l'Etat peuvent mettre en place des
politiques pour inciter la production du haricot. Entre autre on peut citer, la
subvention aux intrants, la politique de soutien au prix, la garantie d'achat
à la récolte, le crédit à des taux
d'intérêt négatif, la prise en charge des coûts des
infrastructures (routes) et de stockage (silos).
Quoi qu'il en soit, le problème de l'innovation se pose
certes, mais celui de sa diffusion est tout aussi important. Elle correspond
à sa transmission et à son adoption graduelle dans le temps et
dans l'espace. C'est le fait pour une innovation qui a vu le jour en un endroit
donné d'être `'transportée» en des endroits
différents et à d'autres moments.
41
Cette diffusion peut se faire de plusieurs façons selon
THÉRÈSE SAINT-JULIEN (1985). Nous en retiendrons par contact
direct entre les individus qui transportent de proche en proche et par le
rapprochement des exploitations. La diffusion par saut se fait par des
individus migrants. Dans ce sens la position de Bafoussam et du
département de la Mifi est stratégique.
Les femmes chef de ménage sont aussi mal placées
que les petits planteurs dans cette quête aux innovations. A Bafou en
1993, 90% d'entre-elles ont mis l'accent sur les vivriers. Elles ne sont donc
pas moins combatives que les hommes. Mais comme leur point fort réside
dans leur force de travail, l'essentiel pour elles a consisté à
démultiplier une main d'oeuvre qu'on croyait pourtant déjà
utilisée à son maximum.
Leur attraction pour l'innovation, on ne peut pas le nier
tient aussi à leur aspiration croissante et légitime à
davantage de reconnaissance sociale. Economiquement, elles sont à la
base de la production vivrière et à la commercialisation en
détail sur les marchés urbains et ruraux. Cette place des femmes,
très prépondérante, a été
démontrée par DJEUTA N. et KAKANOU Y. (2000).
Les mutations agraires dans la province de
l'Ouest - Cameroun et ailleurs dans les autres campagnes du tiers-monde sont
à la une de l'actualité. Le département de la Mifi, notre
région d'étude, n'échappe pas à ce mouvement.
Mais la crise du café ne saurait expliquer à
elle seule les mutations agraires dans la région ; car au niveau interne
l'accroissement démographique s'est traduit par une pression sur le sol,
accentué sur le plan physique par les sécheresses récentes
des années 70 et 80, ce qui a exacerbé les tensions
foncières (plus récurrentes) d'une part et d'autre part elle a
contribué à l'explosion urbaine et la ville de Bafoussam est
passée de 100 ha en 1948 à plus de 1.000 ha en l'an 2.000, ce qui
augmente non seulement les consommateurs urbains mais réduit encore les
espaces cultivables.
Figure 2 : Evolution de l'espace urbain de
Bafoussam.
300 300
565
700
840
1000
400
900
800
700
600
500
300
200
0
1000
100
Superficie en Ha
42
1925 1948 1964 1976 1982 2000
Années
Source : PUD Bafoussam
Sur le plan extérieur à la région, la
situation est plus que dédoublée, car l'accroissement de la
population nationale et le taux d'urbanisation sont élevés avec
Douala et Yaoundé (1,5 et 1,2 millions d'habitants respectivement) qui
concentrent 38,8% de la population urbaine nationale.
Les conséquences de cette explosion urbaine sont
également entre autre, l'étalement spatial du
périmètre urbain qui s'opère au détriment des
espaces périphériques jusque là destinées à
l'agriculture, la saturation de la plupart des infrastructures,
l'intensification de la circulation et l'aggravation des difficultés de
transport. Le problème majeur est qu'il faut en plus, résorber le
chômage en croissance exponentielle sur un marché de l'emploi
déjà saturé, construire de nouveaux logements surtout et
enfin nourrir désormais cette population des villes. Ce qui relance les
inquiétudes sur la sécurité alimentaire durable de nos
populations.
A contrario, le taux d'urbanisation élevé n'a
pas que des effets négatifs, dans la mesure où il donne une
nouvelle impulsion à la commercialisation de la production
vivrière, corollaire d'une augmentation de la demande alimentaire
urbaine. Les circuits d'approvisionnement en denrée alimentaire de
Douala et de Yaoundé à partir des hautes terres de l'Ouest
Cameroun ont fait l'objet des études antérieures par HATCHEU E.
(2000) et DONGMO J (1990).
43
Dans le cadre de notre étude, il sera question
d'analyser les répercussions sur les zones de production, de la demande
alimentaire nationale à partir de Douala et de Yaoundé, voire
au-delà des frontières avec la demande sous-régionale.
Nous nous appesantirons sur l'exemple du haricot sec dans la Mifi.
Nous étudierons la dynamique du haricot à
travers le système et les techniques de production actuelle. La
diffusion de la consommation du haricot dans l'espace ainsi que le label
régional qu'il peut porter comme identificateur d'une région et
d'un peuple. Peut-il permettre de réduire, voire de substituer les
produits alimentaires importés (riz, farine de blé ).
Nous poserons le problème de l'innovation
(endogène ou exogène) à apporter tant au niveau de la
production pour satisfaire les besoins nationaux et sous-régionaux,
qu'au niveau de la communication pour stimuler et rendre ainsi le produit plus
compétitif à long terme sur les marchés national,
sous-régional et international.
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