VII - PROBLEMATIQUE
Le plateau Bamiléké est un vieux foyer
d'agriculture. Le foisonnement des cultures en a fait un des greniers du
Cameroun et de la sous-région d'Afrique centrale.
Introduite vers 1913, culture d'élite au départ
et pratiquée avec soins
dans les recoins les plus favorables pédologiquement,
la caféiculture et particulièrement la variété
arabica (tipica puis java), a marqué positivement hier et
négativement aujourd'hui la vie des populations de la région. La
libéralisation de sa culture autour des années
d'indépendance (décret de
1949 et promulgué en 1957) a permis une extension des
surfaces cultivées, à laquelle il faut également lier par
la suite, les cours élevés sur les marchés local et
mondial qui n'ont cessé de grimper.
Cette situation prépondérante, rythmée par
la caféiculture généralisée,
a eu des conséquences non seulement sur le plan
économique, mais également dans le domaine social. En ce sens que
considéré comme principale source de devise, le café
grâce à ses revenus, a largement contribué à relever
le niveau de vie des populations et à remodeler l'organisation sociale
des activités agricoles : les hommes s'occupant de la culture de rente
et reléguant les femmes au second rang avec les cultures
vivrières, nonobstant le nombre de bouches à nourrir en
croissance quasi exponentielle.
La situation économique mondiale se
détériorant davantage au
détriment des pays en voie de développement, on
assiste à une chute drastique des cours mondiaux des matières
premières agricoles à l'exportation. Dès 1985, c'est le
début de la fin du règne CAFE, qui a été jusque
là le pilier et le bouclier de l'économie rurale.
Consécutivement à cet effondrement des cours (de 475 Fcfa en 1989
à 250 Fcfa en 1990), la région est désormais
plongée dans une misère galopante qui par le même fait
ébranle les fondements même des structures socioculturelles
fortement monétaristes.
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Il faut ajouter à ceci la dévaluation de la
monnaie locale19 en janvier 1994 ce qui compromet dangereusement la
productivité du fait de l'inflation généralisée (10
à 15%) et la surenchère des intrants agricoles et des aliments
importés. Tout ceci dans un contexte socio-politique tendu dans lequel
l'Etat non seulement n'assure plus le paiement régulier des salaires de
ses fonctionnaires, mais aussi réduit un nombre relativement important
de ses agents qui vont grossir le rang des chômeurs
(particulièrement ceux des diplômés de l'enseignement
supérieur), accélérant ainsi l'exode urbain ou la
migration de retour à la campagne (SOCPA J. 1994).
Au regard de ces conditions précaires, le devenir des
paysanneries se trouve de plus en plus hypothéqué au point
où il s'avère difficile de faire admettre à celles-ci des
solutions extérieures, surtout pas en provenance de l'administration
publique. Or, en l'absence de toute assistance extérieure, comment
sortir de l'impasse dans laquelle l'on est plongé depuis plus d'une
décennie ?
Faisant prévaloir leur propre logique, les paysans sont
condamnés à trouver des solutions de reéchange à
travers les cultures de substitution, comme palliatif au manque à gagner
du café. Dans ce sens, ils ont spontanément entrepris un
mouvement de restructuration du système agraire qui augure bien un
processus de mutations en cours dans la région : - La
sylviculture ou l'agro-foresterie focalisée sur la culture de
l'eucalyptus sur les marges et les zones incultes pour le bois de chauffe et/ou
de construction (KENZO 1999).
- La colonisation des terres marginales.
C'est la suite logique de l'accroissement démographique et de
la pression sur le sol qui se traduit par l'extension des aires de cultures au
détriment parfois des pâturages et des bois sacrés ou de
réserve.
Les exemples sont les réserves forestières de
Bamougoum près de l'aéroport de Bafoussam et du Lac Baleng qui
sont presque entièrement dévastées par les populations
riveraines.
19 La monnaie locale le Franc CFA (Fcfa) est passé de
50 Fcfa à 100 Fcfa pour de 1 Franc Français (1 FF)
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- L'émergence et le développement du
maraîchage (19% des exploitations à Bafou). C'est une
culture prisée des bas-fonds dont l'extension ne peut se faire que par
la conquête des vallées raphiales aujourd'hui en net recul.
- L'engouement pour la production des vivriers
marchands, stimulé par une main d'oeuvre jeune et abondante en
milieu rural et par une consommation urbaine toujours en hausse et à des
prix de plus en plus intéressants.
Ces deux derniers cas nous intéressent au plus haut
point car, l'on constate que les cultures de rente sont en train d'être
supplantées progressivement mais sûrement par les cultures
vivrières et maraîchères. Avec la chute de la production
caféière de près de 80% à Fongo-Tongo, les
indicateurs susmentionnés prouvent encore s'il en était besoin,
que le café est en voie d'éradication du paysage agraire du
plateau Bamiléké. A Bafou, le café participe seulement
pour 17% des revenus agricoles et 8% des revenus totaux, contribution
insuffisante à structurer les ressources monétaires des paysans
(OCISCA, n° 3, 1993).
En revanche, l'importance des cultures vivrières n'a
cessé de croître même sous l'ombrage économique du
café, dans leur rivalité comme pourvoyeuses de devises et de
soutien à l'économie régionale (DONGMO J.L. 1973).
Plusieurs facteurs ont expliqué hier comme aujourd'hui
encore, cette tendance renforcée: la pression démographique
entraîne non seulement l'explosion des villes, mais développe une
consommation urbaine et une demande élastique toujours plus forte. Ainsi
au Cameroun, on note une augmentation rapide de la population urbaine avec les
capitales provinciales comme principales pôles de croissance urbaine y
compris Bafoussam qui compte avec 4 autres villes plus de 200.000 habitants
hormis Douala et Yaoundé qui sont dans l'ordre du million
d'habitants.
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Dans la province de l'Ouest le schéma est identique;
des 6 villes administratives chefs-lieux de départements en 1990 on est
passé à 8 villes (en plus de Bandjoun et de Baham) auquel il faut
ajouter la création de l'Université de Dschang en 1993 avec les
instituts universitaires rattachés à Foumban et à
Bandjoun, facteur d'attrait des populations d'ailleurs de plus en plus
demanderesse des produits alimentaires. C'est dans ce sillage que les cultures
maraîchères ont fait leur entrée dans le système
d'exploitation agricole et que les cultures vivrières dont le haricot
connaissent une Ascension fulgurante.
Avec cette montée de l'urbanisation, il est
inévitable qu'un commerce s'organise pour ces produits qu'il faut
transporter des lieux de production jusqu'aux marchés de consommation.
Ce commerce gagne au fur et à mesure en importance, ce d'autant plus
qu'il entre en concurrence avec le grand négoce international,
fournisseur sur les marchés locaux des produits plus
élaborés des firmes agroalimentaires multinationales.
Désormais la constitution d'un marché intérieur sûr
se met progressivement en place avec un réseau urbain plus dense et
mieux étoffé. Le prix des denrées alimentaires
s'améliorant sans cesse et stimulant la production, les femmes voient
leur pouvoir d'achat s'accroître, leur garantissant en même temps
une certaine autonomie financière vis-à-vis des hommes. La place
des cultures vivrières dans la sphère monétaire a
fortement progressé. Ces dernières représentent 26% des
recettes agricoles contre 20% entre 1991 - 1993 (OCISCA, 1994). En plus de
procurer de l'argent aux paysans, les vivriers offrent également la
possibilité d'être consommé par les producteurs
eux-mêmes, ce qui leur confèrent une plus grande souplesse
d'utilisation.
Les hommes ne pouvant plus se contenter de leurs revenus en
café (< 10%) devenus insignifiants, vont-ils remettre en question la
répartition par sexe des activités agricoles ? Tel ne sera pas
notre propos ici, mais force est de constater que les paysans n'ont pas encore
trouvé le point d'ancrage, mieux encore, la plante (ou la culture) qui
leur servira dorénavant de locomotive de l'économie rurale comme
l'était jadis le café.
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Sur le plan physique, les sécheresses successives
récentes des années 70 et 80 ont entraîné des
conséquences décisives sur la réorganisation spatiales des
structures agraires, avec le développement des superficies
cultivées en tubercules et autres cultures dans la région
(TSALEFAC, 1999).
L'interprétation des photographies aériennes
montre que de 1983 à 1990, 18% des caféières ont disparu
et parmi celles qui existent, 5% sont déjà
dégradées.
Dés lors avec ces nouveaux enjeux, des
difficultés majeures inhérentes
à cette percée commerciale des vivriers
marchands ressurgissent. Dans les atouts présentés plus haut, le
haricot, mieux que les autres cultures prises individuellement, se trouve en
pôle position en ce qu'il bénéficie des facteurs suivants
:
? Un calendrier agricole favorable.
La culture du haricot se fait depuis peu en deux campagnes
l'an. La grande campagne agricole en général de la mi-mars
à la mi-septembre et à partir du mois d'août,
période d'intense récolte, les fortes pluviométries
entraînent des pertes post-récoltes énormes comme le
maïs, parfois de l'ordre de 30% (NGWA CYPRIAN 1991). Au cours de cette
première campagne, le haricot est pratiqué en complantation avec
le maïs surtout. La deuxième campagne (mi-septembre -
mi-décembre) se fait en monoculture pure et se termine sur la saison
sèche. Ainsi récolté sec, les rendements sont importants,
de l'ordre de 1.625 Kg/ha contre 750 Kg/ha en première campagne et en
complantation. (Salez, 1985), les pertes post-récoltes sont
réduites (< 10%) et les graines sont d'une bonne qualité
marchande. Avec l'abandon progressif du café dont la récolte se
situait entre octobre et janvier, les femmes ne sont plus partagées dans
leur emploi de temps et peuvent désormais se consacrer à la
production maximale du haricot.
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? Le conditionnement et le transport.
Les cultures vivrières et maraîchères sont
des denrées alimentaires fraîches essentiellement
périssables. La conservation est très délicate et les
moyens de conditionnement ne sont pas toujours adéquats. Vient s'y
ajouter l'évacuation (transport) très difficile des lieux de
production vers les centres de consommation (juillet - août - septembre)
sur des pistes saisonnières jonchées de bourbiers rendant aussi
les coûts de transport très élevés avec les pick-up
4 x 4.
Le haricot étant un produit agricole sec, pouvant
être conservé dans les sacs de jute pendant des semaines, voire
des mois, il ne se pose presque pas encore de problème de
conditionnement et surtout pas de transport en saison sèche par rapport
aux autres produits agricoles. C'est pourquoi le haricot produit dans la
région peut être vendu à plus de 1.000 Km comme au Tchad et
en Angola par exemple.
? Un marché de consommation local, national et
sous-régional en croissance.
Avec la multiplicité des interventions dans la
chaîne commerciale et faute de moyens sus cités (conditionnement
et transport), les producteurs en général vendent à vil
prix dès le champ, les denrées alimentaires qui vont transiter
par de nombreux intermédiaire (qui prélèvent d'importants
bénéfices) avant de faire parvenir aux consommateurs urbains qui
achètent au double voire au triple du prix d'achat ; c'est un cercle
vicieux.
Les consommateurs de haricot sont de plus en plus nombreux et
en tant qu'aliment de soudure, sa longue conservation lui assure une permanence
régulière sur le marché urbain et limite l'inflation
d'où des prix toujours en hausse et une hauteur valeur marchande non
contestée dans le pays et dans la sous-région.
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Au regard de tous ces atouts et l'intérêt qu'on
lui porte, l'ascendance fulgurante du haricot dans la hiérarchie des
cultures vivrières et maraîchères ne pourrait plus
être une surprise. A ce titre, nous nous posons la question suivante :
`' Le haricot, culture essentiellement vivrière,
peut-il également être une source importante de revenu
pour les paysans, comme l'était jadis le café
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