b.3.3 La mission juridique André Tremblay et les
émeutes du 21 juin 1981.
À partir de 1977, le régime marocain a
changé ses priorités économiques internationales en
s'ouvrant au libre-échange. Ce libre-échange s'est
essentiellement construit sur une importante exportation des produits nationaux
vers l'Europe et les Etats-Unis.
Toutefois, aucune disposition politique ne fut prise pour
permettre aux classes sociales désoeuvrées de pouvoir suivre ce
nouveau programme économique. Le 28 mai 1981, le Gouvernement marocain a
ordonné l'augmentation subite des prix des denrées de base (dont
certains allaient jusqu'à augmenter de 75%). Les premiers
résultats provoquèrent la colère de la population. Entre
le 8 et le 17 juin 1981, l'UMT et la CDT ont lancé un ultimatum au
Gouvernement en vue de réduire les prix des denrées de base. Le
résultat fut partiellement obtenu, le Gouvernement a diminué de
50 % les augmentations des produits. Conjointement, des émeutes ont
déjà éclaté et le CCRM de Bruxelles a pris
connaissance de l'arrestation de 668 militants de la CDT, surtout dans les
campagnes et chez les mineurs dont ceux des mines de charbon de
Jerrada212. Le brasier a sérieusement été
déclenché lorsque l'UNEM, le Syndicat National des Moyens et
Petits Commerçants et les Syndicats Nationaux des Enseignements
Secondaire et Supérieur avaient rejoint l'appel à la grève
générale de l'UMT et la CDT. Le régime faisait face
à une forte opposition syndicale. Les garnisons locales de la
Gendarmerie Royale et des Forces Auxiliaires débordées, Hassan
II* a dû démobiliser une partie des FAR du Sahara pour
écraser la fronde sociale.
Cette répression militaire était
accompagnée de plusieurs arrestations et condamnations. Cette sanction
royale a culminé lors des émeutes du 21 juin à Casablanca.
Informés de ces événements, les CLCRM de France et de
Belgique ont voulu marquer leur solidarité envers les
grévistes.
Au mois de juillet 1981, les CCRM de Belgique, par
l'intermédiaire de l'Association des Juristes Belges Démocrates
(AJBD), ont participé à la mission juridique Tremblay. Cette
mission fit suite à la mission juridique des Frontistes vue plus haut.
Maître André Tremblay est professeur à la Faculté de
Droit de l'Université de Montréal et avocat au Barreau de la
même ville. À son initiative, soutenue par les CLCRM et par
Amnesty International, notamment, maître André Tremblay s'est
rendu au Maroc durant l'été 1981. La mission juridique a
duré du 1er juillet au 16 juillet 1981. Celle-ci permit le
constat de plusieurs arrestations des membres de l'USFP et d'un regain
répressif à l'encontre des partis de l'extrême
211 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°346, Contrôle des opposants marocains en Belgique, Un
assistant social à Bruxelles : Communiqué de presse du Conseil
Consultatif des Bruxellois n'ayant pas la Nationalité Belge, daté
du 8 février 1980.
212 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°351, Association Belge des Juristes Démocrate :
Communiqué du CCRM de Bruxelles à l'AJBD sur les arrestations des
membres de la CDT, non daté.
70
gauche (Ilal Amam et 23 mars)213. Le bulletin
mensuel de CLCRM de Paris de décembre 1978 publiait déjà
une lettre aux congressistes de l'USFP dénonçant les arrestations
à l'égard de ce dernier : « Au moment où votre
troisième congrès s'ouvre à Rabat, nous tenons à
vous faire parvenir le texte de l'appel lancé par tous les
Comités de Lutte contre la Répression au Maroc pour la
libération de tous les prisonniers politiques marocains. (...) Ces
droits sont bafoués, dans les locaux de la police, dans les prisons,
où les condamnés des procès de 1973, ceux de Casablanca de
1977 ont été particulièrement maltraités, où
Abraham Serfaty est maintenu dans l'isolement depuis plus de 4 ans. La
nécessité et l'urgence d'une campagne en leur faveur ne font
point de doute. Une telle campagne atteindra d'autant mieux son objectif
qu'elle sera répercutée de l'intérieur même du
Maroc. Dans sa situation politique actuelle, vous pouvez, à la fois,
être entendus, voire écoutés des autorités
gouvernementales, et en appeler à l'opinion du peuple
marocain214 (...) ». Maître André
Tremblay s'est rendu comme observateur au procès de Rabat intenté
contre 81 membres actifs de l'USFP et de la CDT. Sur les 81 inculpés par
la Chambre Criminelle de la Cour d'appel de Rabat, 21 personnes du parti et du
syndicat ont été condamnées à 18 mois
d'emprisonnement ferme et 26 autres personnes à 4 mois de
détention. 13 personnes ont été condamnées à
6 mois avec sursis et 21 personnes ont été acquittées.
Alors que Maître Tremblay se rendait à
Casablanca, il fut rejoint par deux avocats français, Maître
Jean-Pierre Mignard et Maître Yves Kleniec. Maître Mignard, avocat
à la Cour d'Appel de Paris, fut mandaté par l'Association
Internationale des Juristes Démocrates (cette dernière en
relation avec le CCRM de Bruxelles). Maître Kleniec, avocat à la
Cour d'Aix-en-Provence, fut aussi mandaté par l'Association
Internationale des Juristes Démocrates mais également par la
CGT.
Ensemble, les trois avocats prirent connaissance du nombre des
victimes et des vastes coups de filet. Les avocats ont mené leur
enquête auprès de l'USFP, de la CDT et des autorités
officielles. Parmi les personnes arrêtées, plusieurs personnes
faisaient parties de l'USFP, de la CDT mais aussi de plusieurs syndicats locaux
tel le Syndicat National des Petits Commerçants dont le
secrétaire général Moustaghafi Abdallah a
été considéré, avec Noubir Amaoui*, par les
autorités marocaines comme l'un des responsables de l'appel à la
grève générale dans tout le Maroc. Les rafles
étaient impressionnantes, les avocats ont signalé entre 6000 et
8000 arrestations dans tout le pays215. Certains journaux
étaient proscrits dont : Al Moharrir (« Libération
» journal de l'USFP) et Al Bayane (« Communiqué
» journal du PPS) et Al Dimouqratiya Al Oummaliya (« La
Démocratie ouvrière » journal de la CDT).13 personnes sur 66
membres de la Commission administrative nationale de l'USFP ont
été arrêtées216.
Les avocats ont cependant noté que le chiffre des
victimes de la rafle était considérablement revu à la
baisse par le premier ministre et ministre de la Justice, Maâti Bouabid*
(UC du 29 mars 1979 au 30 novembre 1983). Celui-ci annonçait, en effet,
qu'il n'y avait pas plus de 2000 détenus politiques dans tout
213 A. TREMBLAY, Rapport sur les arrestations et
condamnations depuis le 21 juin 1981, Casablanca, juillet 1981, pp.
15-23.
214 Maroc Répression, Bulletin mensuel du CLCRM
de Paris, N°8 bis, décembre 1978, p. 14.
215 J-P. MIGNARD, Rapport sur les arrestations et
condamnations depuis le 21 juin 1981, Casablanca, 9 juillet 1981, p. 3.
216 Y. KLENIEC, Rapport sur les arrestations et condamnations
depuis le 21 juin 1981, Casablanca, 15 juillet 1981, pp. 5-7
71
le pays, dont 930 auraient été
relâchés faute de preuve. Entre le 10 et le 15 juillet 1981, les
avocats recoupèrent leurs informations et constatèrent que si le
Gouvernement ne dénombrait que 67 morts, les syndicats et partis de
l'opposition comptaient 641 morts217. Les cadavres n'étaient
pas rendus aux familles, et furent transportés par la police et les
militaires dans un lieu inconnu. Tous obsèques publics étaient
interdits, les autorités évitèrent le plus possible
l'organisation des funérailles susceptibles de
dégénérer en manifestation218.
Alors que le Gouvernement marocain affirmait ne pas avoir
utilisé l'armée, l'opposition confirmait que l'armée avait
ouvert le feu sur les manifestants. En outre, l e s a v o c a t s m a n d a t
é s o n t d r e s s é une impressionnante liste, dressée
par les avocats, faisait état du nombre des arrestations et des
condamnations. Ces peines étaient principalement infligées aux
membres de la CDT et de l'USFP. A la suite des événements
découlant des mouvements de grèves, le CCRM de Bruxelles avec
l'aide de la Ligue Belge des Droits de l'Homme, a organisé une
manifestation le 27 novembre 1981 pour dénoncer les procès
expéditifs au Maroc, dont celui des ouvriers et mineurs grévistes
arrêtés depuis le 21 juin 1981.
Tract distribué : Appel à manifester
pour le 27 novembre 1981219
Après avoir pris connaissance du deuxième
rapport de Paris et au lendemain de la mystérieusedisparition
d'Abderrahim Charahbili Harouchi, étudiant marocain domicilié
à Mons220, le
217 Y. KLENIEC, cit., p. 8.
218 AFP du 24 juin 1981 à 15h38.
219 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°361, Mission Tremblay - juillet 1981 : Appel à la
manifestation du 27 novembre 1981.
72
Comité de Bruxelles informa par lettre les
députés liégeois Claude Dejardin*(PSB) et Joseph
Fiévez* (RW) quant à la situation politique au Maroc. Vers 1980,
ces députés avaient mis sur pied à Liège, un
Comité contre la Répression. Le CCRM de Liège
complète le noyau d'un CCRM établit à Anvers quelques mois
plus tôt221.
A cet effet et prévenu de la féroce
répression, Claude Dejardin* a interpellé le ministre du Commerce
Extérieur d'alors, Robert Urbain (PSB), sur le transport de «
mystérieuses pièces de rechange pour divers appareils » dans
divers pays du Tiers-Monde dont le Maroc222. En décembre de
la même année, Henri Simonet (PRL), alors bourgmestre d'Anderlecht
et ministre d'Etat, a promis d'écrire à son homologue marocain
M'hammed Boucetta (secrétaire général du PI).
Déjà averti par le CCRM sur la situation des frontistes
condamnés, Henri Simonet multiplia les promesses d'intervention en
faveur de ces derniers, mais ce fut sans succès. Henri Simonet feignit
alors d'oublier que le pouvoir de grâce ne relève pas du premier
ministre au Maroc223. Un an plus tard, les CCRM de Bruxelles et de
Liège s'étaient directement adressés au premier ministre
Maâti Bouabid*en c qui concerne sur la situation du détenu Ahmed
Herzenni, mais sans succès224.
Alors que les informations sur les détenus politiques
affluaient à Paris pour être ensuite retransmises vers les bureaux
des Comités de Bruxelles et de Charleroi, le cas d'un détenu
retint, sur le moment, une attention toute particulière des deux
Comités belges. Il s'agissait d'Abdellatif Derkaoui. Abdellatif Derkaoui
était un enseignant à Rabat et fut condamné dans la prison
de Kénitra à une peine de 30 années en 1972. Ce
détenu a raconté son séjour carcéral par des
dessins. Profitant d'une rare occasion de démontrer les conditions de
détention iconographiquement, une exposition des oeuvres d'Abdellatif
Derkaoui a été décidée par les CLCRM initialement
au cours de l'année 1982 à Marseille. Après un premier
succès dans le Midi de la France, les CCRM de Belgique ont
organisé l'exposition des oeuvres de Derkaoui entre janvier et mars
1983. Cette exposition s'est tenue dans le cadre d'un colloque intitulé
« Poésie et Libertés »225.
L'événement a eu lieu le 27 janvier 1983 dans les locaux du
Centre Socio-culturel des Immigrés à Bruxelles226.
L'exposition de Charleroi a réuni 400 personnes le dernier
jour227. Enfin, du 16 au 25 mars à Liège dans les
locaux de la FGTB où la régionale UBDP, la commission «
Immigrés de la FGTB et l'association « Solidarité arabe
» participèrent à l'organisation235. Des dessins,
ainsi que des poésies d'autres détenus, relatent la vie
quotidienne dans les prisons marocaines et plus particulièrement
220 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°398, Correspondances diverses 1977-1994 : Lettre de Serge D'agostino
à Pierre Le Grève relative sur la détention d'Abderrahim
Charahbili Harouchi datée du 14 juillet 1980.
221 Interview de Mimoune Sastane le 3 avril 2014.
222 Annales Parlementaires de Belgique, Session ordinaire
1980-1981, Séance du mercredi 19 novembre 1980 : Interpellation de
Claude Dejardin relative à l'exportation des armes belges, pp.
289-290.
223 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°398, Correspondances diverses 1977-1994 : Lettre d'Henri Simonet
à M'hammed Boucetta datée du 8 janvier 1980.
224 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°398, Correspondances diverses 1977-1994 : Lettre de Claude Dejardin
à Maâti Bouabid sur le cas d'Ahmed Herzenni datée du 28
avril 1982.
225 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°398, Correspondances diverses 1977-1994 : Communiqué relatif
au colloque « Poésie et Libertés » daté du 13
décembre 1980.
226 La Cité du 20 janvier 1983. Le Drapeau
Rouge du 20 janvier 1983.
227 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°407, les CLCRM - Comptes rendus et documents internes : Bilans des
activités du CCRM de Charleroi datés du 19 et 20 mars
1983.
73
l'expérience carcérale d'Abdellatif Derkaoui. Le
coût total de cette exposition en Belgique s'est élevé au
montant de 48.318 FB228.
Quelques dessins d'Abdellatif
Derkaoui229
La fin du quatrième Gouvernement de Léo
Tindemans* a marqué l'enchaînement de plusieurs Gouvernements en
Belgique. Du deuxième Gouvernement Van Den Boeynants (PSC du 20 octobre
au 18 décembre 1978) aux neufs Gouvernements Martens* (CVP du 3 avril
1979 au 25 novembre 1991), un nouveau clivage va être pris par le CCRM.
Cette politique portée à l'encontre des immigrées en
général et
228 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°316, les oeuvres d'Abdellatif Derkaoui : Lettre du CCRM de Bruxelles
adressée à la Régionale UBDP de Liège, la
Commission « Immigrés » FGTB et Solidarité Arabe,
datée du 4 mars 1983.
229 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°406, les CLCRM - Liste et organigrammes : Bilan financier de
l'organisation de l'exposition Abdellatif Derkaoui de mars 1983.
74
des Marocains plus particulièrement, s'est traduite par
un nouveau durcissement quant à la politique de la naturalisation.
Parallèlement aux mesures Stoléru-Bonnet en
France230, le gouvernement néerlandais231
définit, au début des années 1980, une politique
migratoire en deux volets : une politique restrictive d'immigration,
accompagnée d'une politique d'intégration qui présentait
les immigrés comme des « populations à problèmes
». Ces orientations politiques dans le contexte économique
difficile, ont poussé le KMAN a adopter une position défensive en
traitant au mieux les thèmes tels que la montée du racisme, la
défense des Droits de l'Homme au Maroc, la politique d'éducation
et la défense des droits socio-économiques, politiques et
légaux des immigrés.
En Belgique, certaines communes bruxelloises agissaient
même de façon totalement autonome dans l'acceptation ou non des
élèves marocains dans leurs écoles. A cet égard, la
politique de l'ancien Bourgmestre FDF de Schaerbeek, Roger Nols* et de son
homologue libéral d'Anderlecht Henri Simonet vis-à-vis des
résidents marocains de leur commune reste significative. Ces deux
bourgmestres ont délibérément arrêté les
inscriptions dans leur commune de certains ressortissants étrangers dont
les ressortissants turcs et marocains. Ainsi, le RDM condamnait dans un
communiqué232 la décision brutale de Roger Nols* de
supprimer 10 écoles primaires dès le 1er septembre
1983. Ces écoles étaient majoritairement
fréquentées par des enfants marocains et turcs. Le comportement
politique de Roger Nols* fut même à l'origine d'une scission
interne où l'aile gauche du parti - principalement
représenté par Serge Moureaux* et François Martou
(vice-président national du MOC) - prit ses distances vis-à-vis
du Bourgmestre233.
Très peu porté sur les travaux du CCRM, Jean
Gol* (PRL devenu MR et participation aux Gouvernements Martens* du 17
décembre 1981 au 14 octobre 1985) refusa plusieurs fois
d'intercéder en faveur des détenus politiques au Maroc. Il alla
même jusqu'à supprimer, non sans la passiveté de
l'Ambassadeur marocain de Bruxelles, le droit aux étudiants marocains
d'obtenir leur bourse. En effet, le Gouvernement marocain a adopté la
décision de faire interdire une bourse d'étude aux
étudiants marocains à l'étranger participant à des
grèves, depuis le 18 février 1980234. Qui plus est,
Jean Gol* a favorisé l'expulsion de certains ressortissants marocains
résidant sur le territoire belge235.
230 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°316, les oeuvres d'Abdellatif Derkaoui : Dessins d'Abdellatif Derkaoui,
non datés.
231 La loi dite Stoléru, du nom du Secrétaire
d'État chargé de l'immigration Lionel Stoléru (1978-1981),
était un projet de loi qui encourageait le retour des immigrés
dans leurs pays d'origine et diminuer de moitié leur nombre en France.
La loi Bonnet du10 janvier 1980, du nom du ministre de l'Intérieur
Christian Bonnet (30 mars 1977 au 22 mai1981), réprimera l'immigration
clandestine et rendra plus difficiles l'entrée et le séjour des
étrangers en France. I. VAN DER VALK, in N. OUALI (dir.), op.
cit., p. 347.
232 Archives Personnelles de Mohamed El Baroudi, Documents
relatifs à la gestion interne du RDM : Communiqué du RDM
daté du 13 février 1983.
233 P. WYNANTS, Bruxellois d'origine
extra-européenne. Représentation politique au FDF
(1964-2014), in La Revue Nouvelle, novembre 2013, p. 70.
234 Archives Personnelles de Mohamed El Baroudi, Documents
relatifs à la gestion interne de l'UNEM section Bruxelles :
Communiqué de presse de l'UNEM sections Bruxelles-Liège-Mons
daté du 4 mars 1980.
235 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°398, Correspondances diverses 1977-1994 : Lettres du CCRM de
Bruxelles à Jean Gol relatives à l'expulsion du ressortissant
marocain Koub Saïd datées des 25 mai et 4 juin 1982.
75
Ce nouveau tournant politique déçut fortement
les membres du CCRM, si bien que Jacques Moins* adressa une longue
réponse relative à cette politique sécuritaire aux
différents présidents des partis politiques. Dans cette
réponse, Jacques Moins* voulait attirer l'attention sur le fait que:
« (...) le quart de la population est composé d'immigrés
et un enfant sur deux qui naît dans la région bruxelloise est non
belge. Les différences culturelles, les traditions et le mode de vie
divers engendrent souvent l'incompréhension, parfois l'hostilité
et même la haine (...). Bruxelles est appelé à devenir une
ville pluriculturelle. Si le Mammouth de Jean Gol a accouché d'une
souris, les opérations « coup de poing » accompagnées
de contrôle d'identité et d'interrogatoires contribuent le plus
souvent à augmenter le sentiment d'insécurité et
d'inquiétude. (...) Rétablir la sécurité, c'est
avant tout assurer un bon environnement, un aménagement urbain qui
tienne compte des exigences de la vie en ville (...)236.
»
L'avènement du Gouvernement Martens-Gol* a aussi
coïncidé avec l'enseignement du culte islamique -
déjà reconnu depuis 1974 - mais rendu effectif à partir de
1983. Ce nouveau phénomène sera observé non sans
intérêt par le Comité bruxellois à travers la CGSP
secteur Enseignement. L'enseignement du culte islamique relevait d'une grande
part de la responsabilité des pays d'origine, ainsi, le Maroc
fournissait ses propres professeurs de religion islamique dans les
établissements scolaires bruxellois.
Une première alerte a été donnée
le 25 février 1983. Une circulaire publiée par la CGSP secteur
Enseignement, annonçait la visite de l'ancien premier ministre marocain
Dr. Azzedine Laraki (premier ministre du 8 octobre 1969 au 12 octobre 1970),
devenu par après ministre de l'Education Nationale du 12 octobre 1977 au
30 septembre 1986. Cette circulaire stipulait : « Qu'un accord serait
intervenu afin de permettre aux élèves marocains de nos
écoles d'apprendre l'arabe dans les établissements d'enseignement
primaire, les cours étant prodigués par des professeurs de
Rabat237. »
Le 7 juin, inquiet d'une absence d'encadrement de ces
professeurs, Claude Dejardin* posa la question suivante au ministre de
l'Education André Bertouille (MR): « La presse a fait
récemment état d'un accord intervenu entre le gouverneur marocain
et votre ministère concernant un échange d'enseignants. De quoi
s'agit-il exactement et quels sont les termes exacts, notamment en ce qui
concerne la scolarisation des enfants immigrés d'origine marocaine
résidant en Belgique. Serait-il exact que ces enfants auraient à
choisir, à Bruxelles, entre les cours d'arabe et de néerlandais ?
Quelles seraient alors les conséquences légales d'un tel choix en
matière d'homologation du diplôme, par exemple ? A cette occasion,
ne pensez-vous pas qu'il soit délicat de favoriser l'intrusion dans nos
écoles d'enseignants désignés par un régime peu
respectueux des droits de l'homme et que les nationaux concernés
considèrent le plus souvent comme des policiers déguisés
en professeurs ? ». A cette large question conjuguant scolarisation
des enfants marocains et cours dispensés par des professeurs venus du
Maroc, le ministre ne s'en tiendra qu'à l'aspect formel de l'accord
entre les deux pays en insistant sur le fait que : « le
236 CARCOB, Archives Communistes de Bruxelles, Fonds Jacques
Moins, Boîte N°2, Liasse n°6, Dossier
sécurité Belgique : Communiqué relatif à la
montée de l'insécurité sociale à Bruxelles
daté de 1982.
237 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°46, Enseignement de la religion islamique - circulaires : Circulaire
de la CGSP Enseignement datée du 25 février 1983.
76
Gouvernement du Maroc a souhaité que les jeunes
Marocains vivant en Belgique ne soient pas coupés définitivement
de leur pays d'origine et que l'on puisse organiser à leur
bénéfice, dans nos écoles et pour ceux qui le
désirent, certaines activités culturelles spécifiques :
cours de langue arabe et de culture islamique238».
Cependant, si le ministre souligna les dispositions expérimentales sur
les cours de langue arabe et de culture islamique, il évita
soigneusement de se prononcer sur l'homologation des élèves qui
auraient éventuellement à choisir entre le néerlandais et
l'arabe, ni sur le possible « déguisement des policiers en
professeurs venus du Maroc ».
A la question désormais ouverte sur l'enseignement du
culte islamique, la RTBF annonçait quelques mois plus tard une
information qui allait mobiliser des nouveaux efforts du CCRM. Le mardi 18
octobre 1983 à 7h20, la RTBF annonçait dans son point de
l'actualité u n e visite prochaine d'Hassan II* en Europe. «
(...) Avec une certaine discrétion (c'est une visite de travail),
les Européens reçoivent, mine de rien, un hôte de marque :
le roi Hassan II du Maroc. Il arrive cet après-midi. Il rencontrera ses
hôtes belges : le roi, le premier ministre, le ministre des relations
extérieures. Mais l'essentiel de son séjour sera consacré
à des discussions économiques avec des représentants de la
Communauté européenne239. »
N'ayant pu venir visiter les Institutions Européennes
en Belgique déjà depuis la Marche Verte de 1975, et, compte t e n
u d' une vive opposition exprimée par les mouvements associatifs
marocains en Europe, la visite éclair du ministre Bouamoud de 1978 avait
bien pour objectif de renseigner le monarque chérifien sur l'état
des lieux politique et de mesurer les forces syndicales belges et marocaines.
Qui plus est, le monarque chérifien voulait être
l'intermédiaire exclusif entre les ressortissants marocains à
l'étranger et les autorités des pays d'accueil. Les motifs de la
visite d'Hassan II* étaient justifiés par trois points : des
préférences commerciales pour les produits industriels
méditerranéens sur les marchés européens et
diverses concessions dans le domaine agricole, un volet financier sous forme de
dons et de prêts de la banque européenne d'investissement, ainsi
qu'un volet social accordant certaines garanties aux travailleurs
méditerranéens établis en Europe. Toutefois, le journal
Le Soir rappelait que le pouvoir législatif continuait à
être exercé par Hassan II*240.
Pour le reste, le déficit de la balance commerciale du
Maroc dans ses échanges avec l'Europe se montait, au début des
années 1980, à 518 millions de dollars. La situation
financière du pays n'a cessé de s'aggraver depuis plusieurs
années. Depuis le réajustement structurel ordonné par le
Fonds Monétaire International (FMI), le Maroc a dû augmenter de
près de 70 % ses importations de céréales.
Dans un contexte de démographie galopante, l'Etat doit
entretenir en permanence une armée de
238 Annales Parlementaires de Belgique, Session ordinaire
1982-1983, Bulletin des questions et réponses n°36 du 12 juillet
1983, Question orale posée par Claude Dejardin à André
Bertouille.
239 RTBF Edition du mardi 18 octobre 1983 à
7h20.
240 Le Soir du 18 octobre 1983.
77
200.000 hommes dévorant 40 % du budget
national241. On conçoit dès lors que les dossiers
économiques sont assez importants pour qu'Hassan II* se fasse le commis
voyageur de marque. D'autant que sa visite suit l'axe de ses principaux
partenaires : Washington, Paris et Bruxelles. Entre-temps, le roi du Maroc a
pris en charge tous les pouvoirs législatifs du Parlement. Des
élections étaient prévues mais Hassan II* annonçait
un report pour cause d'un référendum établissant si le
Sahara occidental devait être marocain ou indépendant. Le dossier
du Sahara était bloqué depuis le sommet de Nairobi réuni
en 1981 et les élections marocaines n'eurent pas lieu non plus.
Les observateurs les plus positivement neutres parlent de
démocratie contrôlée, alors que les CCRM et certaines ONG
comme Amnesty International et la Ligue des Droits de l'Homme rappellent les
morts survenus depuis les manifestations du 23 mars 1965 et les récentes
condamnations expéditives depuis les procès à l'encontre
de l'ALM, des partis de gauche de l'UNFP, du PCM (PLS) et de la future USFP
entre 1968 et 1974, en passant par le procès des Frontistes de 1977 et
les rafles à l'encontre des grévistes depuis le 21 juin 1981.
L'épineux dossier des Droits de l'Homme au Maroc a
surtout, donc, été épinglé par les CCRM, et
lorsqu'Hassan II* est venu en Belgique pour rencontrer les
ministres Wilfried Martens* et Jean Gol* au sein de la Commission
européenne, il ira jusqu'à affirmer, dans le cadre de la
politique en matière de lutte contre la clandestinité en
général et contre l'arrivée des travailleurs marocains en
Belgique plus particulièrement, que: « Ceux-là (les
travailleurs marocains), s'ils se sont bien conduits ou s'ils ont bien
travaillé, s'ils ont fait ce qu'ils ont fait, devraient à mon
avis être confirmés dans leur travail et dans leur situation. Il
ne faudrait plus les appeler des clandestins. Disons que ce sont des gens qui
ne sont pas à jour par rapport à la législation communale
et non par rapport à la législation entre
Etats242».
Mais entretemps, un texte communiqué à la presse le
jour même de la visite du roi à la Commission
mentionnait: « qu'un petit groupe de fonctionnaires
de la Communauté européenne, mis au courant par les rapports des
ONG et des CCRM et conscient de la grave situation des Droits de l'Homme au
Maroc, a tenu à faire connaître au monarque, en brandissant sur
son passage une pancarte exigeant la liberté pour tous les prisonniers
politiques, sa profonde réprobation. Les prisonniers politiques, qui
ont, pour beaucoup, connu la torture, sont détenus, parfois depuis plus
de 10 ans, pour avoir seulement exercé leur droit à la
liberté d'expression et d'association qui est garanti par la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, à laquelle le
Maroc, Etat membre de l'ONU, souscrit en principe243».
Un geste symbolique venait directement d'être
posé à l'encontre du roi Hassan II* dans une Institution
Européenne. Néanmoins, cette action visant à une
sensibilisation quant à la situation politique au
241 Syndicats, organe de presse de la FGTB,
N°43, le 22 octobre 1983. Interview d'Abderrahmane Cherradi par Anne
Quinet, RTBF Edition du mercredi 19 octobre 1983 à 19h00.
La Dernière Heure du 20 octobre 1983. La Libre
Belgique du 20 octobre 1983. Le Monde du 26 octobre 1983.
242 Interview d'Hassan II par Jean-Charles Dekeyser,
RTL-TV Edition du 19 octobre 1983 à 19h15.
243 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°422, Roi Hassan II - Visite en Belgique : Texte communiqué
à la presse le 19 octobre 1983.
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Maroc n'aurait pu aboutir s'il n'y avait pas eu
préalablement plusieurs réunions de coordination entre les
Comités de toute l'Europe.
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