b.3.2 Les premières activités du
Comité de Lutte contre la Répression de Bruxelles : 1977-1983
Les années comprises entre 1977 et 1983 ont
représenté, pour le CCRM, une première période
d'intense activité. Né d'un terreau syndical extrêmement
fertile, le CCRM de Bruxelles a bénéficié d'une
conjoncture relativement favorable au sein de la classe politique belge.
Mobilisation, interpellation parlementaire et association de
référence sur la répression au Maroc, le CCRM commence
à multiplier ses participations aux missions juridiques et
médicales au moment où la répression politique connait une
croissance spectaculaire au Maroc. Cependant, cette séquence
chronologique a été aussi agitée que difficile pour le
CCRM, en effet, les Comités devaient, véritablement, jouer le
rôle d'une presse sur les événements politiques au
Maroc.
Depuis décembre 1977203, le CCRM de
Bruxelles a dressé son premier bilan sur les événements
politiques au Maroc. Le CCRM disposait déjà de 450 sympathisants.
Face à un nombre croissant d'adhérents, le CCRM de Bruxelles et
le CCRM de Charleroi cherchèrent, dès lors, à provoquer
des sursauts de conscience parmi leurs membres adhérents en
lançant un premier bulletin d'information. Jusqu'au début de
l'année 1978, les CCRM belges avertissaient de leurs actions par des
communiqués. Les CCRM de Belgique relayaient les bulletins d'information
du CLCRM de Paris intitulés « Maroc Répression ». Le
contenu de « Maroc Répression » était réparti en
trois chapitres : une chronologie reprenant les dates les plus marquantes de la
vie politique au Maroc (accords diplomatiques entre le Maroc et les pays
étrangers, les procès politiques et rafles), les actions
auxquelles le CLCRM a participé (renseignements obtenus sur la
répression politique, correspondances avec les familles des
détenus, et parfois la correspondance entretenue avec des
représentants politiques belges et marocains), ainsi qu'une annexe qui
reprend des témoignages des détenus politiques et des
observateurs internationaux.
Dans un souci d'une meilleure efficacité, la
première édition du bulletin d'information des CCRM de Bruxelles
et de Charleroi va regrouper sous forme de compte rendu les actions
passées des deux comités. Les bulletins d'information des CCRM de
Belgique reprenaient dans l'intégralité le contenu du CLCRM de
Paris en l'augmentant de ses propres activités. Avec le bilan des
premières missions juridiques
202 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°392, Activités depuis le meeting de la Madeleine, Mission
CCRM : Rapport médical sur la description de la vie carcérale au
Maroc daté de 1980, pp. 2-8.
203 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°402, ASCLCRM - Communiqués : Assemblée
générale du CCRM de Bruxelles datée du 24 janvier
1978.
67
émis par Paris, le premier bulletin publié par
le CCRM de Bruxelles a relevé trois actions: la campagne de «
séduction » entamée par les autorités marocaines en
direction des responsables belges en vue d'accréditer un prétendu
cours nouveau vers la démocratisation ; la menace d'extradition qui
pesait sur le ressortissant marocain Ben Ayich ; la nécessité
d'ouvrir sur certaines réalités du régime marocain, les
yeux des touristes qui se ruent vers le soleil d'Afrique du Nord.
Premier bulletin des CCRM de Belgique : «
Réalités Marocaines » paru en mars-avril
1978204
Le CCRM de Bruxelles fut informé sur la question de la
campagne de « séduction » des autorités marocaines par
une lettre revêtue de la mention « personnelle » et
adressée par Ernest Davister, alors Président de la FGTB de
Charleroi, au ministre de l'Emploi et du Travail, Guy Spitaels (PSB). Cette
lettre faisait allusion à une tentative d'approche des autorités
marocaines auprès de certains opposants marocains via Guy Spitaels. Le
régime marocain cherchait, en plus, à faire les yeux doux
à ses ressortissants en Belgique. Un extrait de cette lettre est fort
révélateur à cet égard: « Le responsable
de ce groupe (de militants marocains) me dit avoir rencontré
l'Ambassadeur du Maroc qui lui a confirmé cette tendance, en attirant
son attention sur la nécessité pour les immigrés acquis
aux conceptions démocratiques, de rentrer chez eux, afin
d'accélérer le processus de démocratisation en cours. Il
se fait que cet Ambassadeur a cité votre nom (celui de Guy
Spitaels) en évoquant les bonnes relations qu'il entretient avec
vous et la haute estime en laquelle il vous tient. Dès lors, et voici ma
demande, ne vous serait-il pas possible de provoquer
204 Couverture du premier bulletin du CCRM de Bruxelles, in
Maroc Répression : Bulletin d'information de Bruxelles, organe
bimestriel, mars-avril 1978.
68
une entrevue avec l'Ambassadeur, si courte soit-elle,
à laquelle vous participeriez, ainsi que moi-même,
accompagné de deux représentants du groupe d'immigrés
précité ? 205».
Après l'échec du régime marocain qui n'a
pas réussi à obliger ses ressortissants à renouveler leur
passeport au Maroc entre 1978 et 1980 - grâce à une mobilisation
commune des CCRM bruxellois et carolorégien, du RDM, de la FGTB et de la
CSC - et dans le but de redorer son image auprès du monde politique
européen dans le contexte du conflit saharien, le régime marocain
cherchait par tous les moyens à gagner l'opinion internationale en sa
faveur206.
Le rapprochement inopiné, par exemple, de l'ancien
premier ministre Edmond Leburton (PSB, Gouvernement du 26 janvier 1973 au 19
janvier 1974), avec le régime marocain n'avait pas échappé
à l'attention du CCRM. Edmond Leburton affirmait à l'issue d'un
voyage au Maroc : « Que ce pays était entré dans la voie
de la démocratie et que sa monarchie « constitutionnelle »
présentait beaucoup d'analogies avec la monarchie
belge207». Ces propos, appuyés par le
Président du Sénat Robert Vanderkerckhove, visaient en outre, au
resserrement des liens de coopération entre les deux pays. Conjointement
à ce voyage diplomatique, le ministre marocain du Travail, Mohamed
Bouamoud, effectua une visite en catimini en Belgique208. Ce voyage
est significatif car, rappelons-le, la présidence officielle des
Amicales est assurée par le ministre du Travail et de l'Emploi
Professionnel. Alerté par le CCRM de Charleroi, Ernest Glinne* a
posé une question écrite aux ministres du Travail et des Affaires
Etrangères sur l'objet de l'entretien que le ministre marocain a eu avec
son homologue belge, à savoir, sur la raison du caractère
mystérieux de cette visite et sur un éventuel voyage du monarque
chérifien en Belgique...
A Bruxelles, le CCRM respectait sa devise dans sa lutte contre
les Amicales et prêtait main forte aux mouvements d'opposition marocains.
En 1980, éclatait l'affaire Abdallah Dougna. Cet assistant social
était engagé par la commune de Bruxelles-Ville, via l'ASBL «
Aide aux familles bruxelloises »209. Abdallah Dougna avait
été choisi comme assistant social traducteur entre les familles
d'immigrés marocains et les autorités communales. Selon la CGSP
secteur Enseignement210, Abdallah Dougna aurait été le
traducteur principal auprès de plusieurs familles d'immigrés
marocains en même temps qu'il fournissait des informations sur ces
familles aux polices belge et...marocaine. Méfiant sur la
présence policière marocaine en Belgique, Hervé Brouhon,
sympathisant du CCRM - qui deviendra bourgmestre de la ville de Bruxelles entre
1983 et 1993 - avertit le CCRM de Bruxelles qui fit ébruiter cette
affaire en
205 Maroc Répression, Bulletin bimestriel du CCRM
section Bruxelles, cit., p. 4.
206 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°340, RDM-Regroupement Démocratique Marocain,
RDM-Communiqués et notes internes : Communiqué du Regroupement
Démocratique Marocain daté du 16 mars 1980.
207 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°388, CCRM-Communiqués de presse : Communiqué du CCRM
dénonçant les propos d'Edmond Leburton et de Robert
Vanderkerckhove daté du 2 mai 1978.
208 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°72, Correspondance générale pour l'année 1978 :
Lettre d'Ernest Glinne au CCRM de Bruxelles relative à la visite
mystérieuse du ministre du Travail marocain, datée du 1er juin
1978.
209 Le Soir du 1er février 1980.
210 La Dernière Heure du 20 janvier 1980.
69
démontrant que l'assistant social n'était en
réalité qu'un agent travaillant pour le compte des polices belge
et marocaine. Face au tapage médiatique provoqué par le CCRM, et
malgré la réponse du « Conseil Consultatif des Bruxellois
n'ayant pas la Nationalité Belge », lequel affirmait que le
rôle de Monsieur Dougna se situait au seul niveau de collaborateur de la
police belge, l'assistant social a dû démissionner de son
poste211.
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