Première partie : Pourquoi réformer le
Code civil ?
24. Selon la célèbre formule du doyen
Carbonnier, le Code civil semble demeurer la « Constitution civile de la
France »33. L'intensité de ce message est réelle,
toutefois de nombreuses illustrations prouvent que cette formule, si bien
rédigée soit-elle, en raison notamment de la qualité de
son auteur, n'est plus vraie aujourd'hui. Si le Code civil a été,
il n'est plus. Nier le succès du Code civil n'est pas le but de notre
étude. En effet, il ne fait pas de doute que cette oeuvre a rempli de
manière honorable sa fonction de constitution civile : il a
structuré, révélé et organisé notre
société. Une constitution civile est faite pour
durer34, plus encore qu'une constitution politique, en raison de la
lente évolution de l'homme et de ses habitudes (à l'inverse des
changements réguliers de gouvernement de la société
politique). Le Code civil, constitution civile, a duré, mais
deux-cent-onze ans après sa promulgation, le temps est venu pour lui de
subir de profonds changements.
25. Pourquoi revenir sur une oeuvre vieille de plus de deux
siècles qui, en apparence, témoigne d'une autorité
suprême ? Il ne faut pas se résigner devant une telle tâche,
refuser d'agir c'est conduire à la ruine du Code, bien entamée
déjà. Après le succès, le Code civil affronte le
temps des épreuves. A la question « Pourquoi réformer le
Code civil ? » il convient d'apporter deux réponses. D'une part, la
réforme du Code civil est nécessaire afin de remédier
à ses innombrables défauts (Chapitre 1). Ces
derniers sont la source de la perte d'autorité du Code, il n'est plus
qu'un symbole, il devrait pourtant demeurer une oeuvre unificatrice et
effective. Notre Code n'est plus compris, n'est plus vécu. Il a certes
construit la France, mais il ne survit pas à l'Europe. Ainsi, la
réforme du Code civil est nécessaire afin de l'adapter à
l'avenir de notre société moderne : l'Europe (Chapitre
2).
33 J. Carbonnier, « Le Code civil », in
P. Nora, Les lieux de mémoire, t. II, La nation,
p. 293 et s.
34 Y. Gaudemet, « Le Code civil, Constitution
civile de la France », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un
présent, un avenir, ouvr. préc., spéc. p. 299.
Réformer le Code civil 16
CHAPITRE 1 - REMEDIER AUX DEFAUTS
26. Envisager la réforme du Code civil ne peut se
faire sans constatation de ce qui ne fonctionne plus, autrement dit, il
convient d'envisager les défauts du Code civil. Un défaut
signifie communément un manque, une insuffisance. Inévitablement,
le Code civil souffre d'insuffisance, il n'est pas complet puisqu'il ne peut
pas tout prévoir : tels étaient déjà les mots de
Portalis dans son discours préliminaire. Cependant, un Code imparfait ne
va pas de pair avec un Code faible, défectueux, vicié. Dès
lors, une réforme du Code civil doit s'envisager aux travers des deux
défauts majeurs qui touchent aujourd'hui notre Code civil : sa
complexité (Section 1) et son vieillissement
(Section 2).
Section 1 - La complexité
27. La complexité dont souffre le Code tient à
la combinaison de deux facteurs : le Code civil n'est plus symbole
d'unité (1) alors même que celle-ci devrait
constituer sa raison d'être. Le Code civil, au-delà de
n'être qu'une compilation de textes, n'est plus source de
sécurité juridique (2) : il est illisible,
incohérent. Autrement dit, il ne constitue plus le Code civil de tous
les français.
§1 - L'absence d'unité du Code civil
28. En 1804, le Code civil avait pour principale ambition de
symboliser l'unité du droit civil français. Deux cents onze plus
tard, il apparaît que le Code ne satisfait plus à cette ambition.
En effet, sa complexité constitue la cause de cette absence
d'unité. Dans quelle mesure ? L'unité d'un code postule de sa
cohérence, une oeuvre unitaire est ainsi, par nature, cohérente.
Le Code civil a certes constitué une oeuvre cohérente, mais en
2015 il ne s'agit plus que d'un recueil de droit civil (A). Au
sein même de son corpus, l'oeuvre n'a plus de raison d'être. Ce
propos est aggravé lorsque l'on envisage la deuxième facette de
cette absence d'unité : le droit civil se développe
désormais hors du Code (B). Dès lors, quelle est
l'utilité d'un Code civil si ce dernier ne contient plus l'ensemble du
droit civil français ?
29. Il y a une dizaine d'années, lors
de la célébration du Bicentenaire du Code civil, se posait la
question de savoir si l'on fêtait « le bicentenaire d'un Code
vivant, solide d'avoir
A - Un recueil de droit civil plus qu'une oeuvre
cohérente
Réformer le Code civil 17
trop longtemps vécu, ou d'un Code mort d'avoir trop
vécu, d'un fantôme de Code »35. L'interrogation se
pose encore aujourd'hui.
30. L'on se doit en effet, lorsqu'il s'agit d'envisager
l'avenir du Code civil, de se poser la question suivante : ce texte est-il
réduit à l'état de compilation dépassée ?
Compiler signifie « écrire un ouvrage, fait d'un assemblage de
textes empruntés, de morceaux puisés dans d'autres ouvrages
»36. Cette définition du terme « compiler »
est aux antipodes de celle de « codifier », laquelle signifie «
rassembler en un seul corps des textes législatifs ou
réglementaires, des coutumes, etc »37. Se cache
derrière cette définition l'idée d'une certaine
cohérence. Il s'agit aujourd'hui, pour notre Code civil, de survivre aux
épreuves.
31. Depuis 1804, le Code civil n'est pas, fort heureusement,
resté inchangé. Un code ne peut rester immuable. Selon Portalis
lui-même, le Code civil ne pouvait « enchaîner le temps
»38. Depuis les années 1980 un mouvement de
réforme a été engendré, mettant à jour une
moitié du Code. Cette mise à jour a réduit le Code civil
à l'état de compilation de textes
hétérogènes39. Ces nouveaux textes ne sont que
juxtaposés et non intégrés, ordonnés, et cela en
raison de leur date, leur portée ou bien leur esprit qui
diffèrent. « Le Code civil a parfois les allures d'un monstre
»40, voilà qui résume bien l'état de notre
Code civil actuel. En effet, au-delà d'un certain seuil, les lois
particulières, les réformes successives, les créations
prétoriennes (voir infra §77 et s.) ont eu pour seule et
malheureuse conséquence une défiguration du Code civil
français.
32. La problématique n'est pas celle du contenant mais
du contenu. N'est pas remise en cause l'idée selon laquelle le Code
civil constitue un monument historique dont le prestige du contenant est
intact41, l'on peut même, sans s'y risquer, assimiler le Code
civil français à une relique, un code devenu « lieu de
mémoire »42. Mais est-ce la destinée, la fonction
d'un Code, que de n'être qu'un lieu de mémoire, un symbole ?
Surtout, le Code civil français
35 Ph. Rémy, « Regards sur le Code
», in Le Code civil 1804-2004, Livre du Bicentenaire, Dalloz,
Litec, 2004, p. 99 et s., spéc. p. 102.
36 Dictionnaire Larousse, voir « compiler
».
37 Dictionnaire Larousse, voir « codifier
».
38 Discours préliminaire sur le projet de
Code civil, présenté le 1er pluviose an IX, in
J.-E.-M. Portalis, Ecrits et discours juridiques et politiques.
39 En ce sens voir J.-L. Halpérin, Le Code
civil, 2ème édition, Dalloz, 2003, p. 126.
40 J.-L. Halpérin, ibidem.
41 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, Le
Code civil face à son destin, La documentation française,
Ministère de la justice, 2006.
42 L'expression « lieu de mémoire
» est employée par J. Carbonnier, voir notamment « Le Code
civil », in Livre du bicentenaire, ouvr. préc., p. 19. Sur
ce point , voir les parallèles effectués par R. Cabrillac, «
Le symbolisme des codes », in Mélanges Fr. Terré,
Dalloz, 1999, p. 211 et s., spéc. p. 216.
Réformer le Code civil 18
constitue-t-il encore aujourd'hui le reflet de notre droit
commun ? Rien n'en est moins certain.
33. Demeurer le droit commun c'est l'objet même du Code
civil43, celui-ci ne doit pas se distiller en une
réglementation pointue, spéciale. Un éclatement entre
normes communes et normes spéciales est nécessaire et ces deux
types de normes doivent pouvoir réussir à cohabiter
harmonieusement. Malheureusement, toute nouvelle loi, nouvelle forme, affecte
de facto l'autorité du Code. Lors de l'élaboration de nouveaux
codes par exemple, les grands principes du Code civil peuvent être
atteints, et la multiplication des Codes entraine de surcroît une
dilution du droit commun44. Ces nouveaux codes énoncent des
règles générales45, à l'instar du Code
civil. Des règles générales ne doivent-elles pas trouver
leur place dans un Code civil, porteur du droit commun ? La réponse
devrait être positive, mais ces nouveaux codes spéciaux et les
principes généraux qu'ils énoncent n'offrent plus, au Code
civil, qu'une place de figurant46.
34. Le constat est alors le suivant : le Code civil
français n'offre aujourd'hui qu'une vision trompeuse mais surtout
incomplète du droit civil français, surtout il ne reflète
pas le droit commun. S'agit-il alors encore de « la constitution civile de
la France47 » ? La réponse est sans conteste
négative, le Code civil français perd haleine, suffoque, il a
été, mais n'est plus. Le Code civil a pu revêtir, à
l'origine, la forme d'une Constitution civile des français, la
volonté de ses auteurs ayant été d'organiser l'ensemble
des aspects de la société civile. Cependant, il faut se rendre
à l'évidence : aujourd'hui, le Code civil n'est qu'un recueil de
lois civiles, à l'instar des nouveaux codes qui ne constituent pas des
oeuvres législatives raisonnées48. Pourquoi une telle
chute vertigineuse depuis une cinquantaine d'années ? D'abord parce que
l'esprit même du Code civil, à savoir son unité, s'est
transformé en raison de modifications profondes, de réformes
particulières49. Le Code civil est alors « rabattu au
43 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr.
préc., p. 95.
44 N. Molfessis, « Le Code civil et le
pullulement des codes », in 1804-2004, Le Code civil un passé,
un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 334.
45 Exemple du Code de la consommation, voir sur ce
point F. Beauchard, « Remarques sur le Code de la consommation »,
in Mélanges Cornu, p. 14 ; D. Bureau, « Remarques sur la
codification du droit de la consommation », D. 1994. p. 297.
46 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr.
préc., p. 96.
47 J. Carbonnier, « Le Code civil », in
P. Nora, Les lieux de mémoire, t. II, La nation,
p. 293 et s.
48 Par exemple le Code de procédure civile
(1806), le Code de commerce (2007), voir sur ce point Y. Gaudemet, « Le
Code civil, Constitution civile de la France », in 1804-2004, Le Code
civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc.,
spéc. p. 305
49 Voir sur ces réformes et modifications D.
Tallon, « Grandeur et décadence du Code civil français
», in Mélanges M.Fontaine, Editions Larcier, 2003, p.
279.
Réformer le Code civil 19
rang de recueil de législation civile
»50, Code civil qui est voué à n'être plus
qu'« une collection de lois chaque jour moins complète
»51. Cette nature de recueil de lois civiles lui fait
évidemment perdre sa légitimité, qu'il s'agisse d'une
légitimé politique ou sociale, ce qu'il conviendra d'envisager
ultérieurement.
35. Au-delà de l'incohérence au sein même
du Code civil, ce dernier souffre d'un autre mal, plus grave encore. Le droit
civil bien qu'il se situe dans le Code civil, de manière éparse
certes, se situe aujourd'hui également hors du Code. La base commune du
droit français que constitue le Code civil tend à
disparaître en raison d'un phénomène inquiétant :
l'éclatement du droit civil hors du Code civil.
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