§2 - Les difficultés formelles d'une
réforme du Code civil
199. L'art de légiférer est complexe lorsque
l'on s'attelle à « bien légiférer ». La
naissance d'un souci d'esthétique apparaît « dans les codes
qui portent à leur paroxysme le gout du beau droit »253.
Si le Code civil doit faire l'objet d'une réforme, celle-ci doit
revêtir des qualités exceptionnelles. En réalité, la
difficulté sur la forme n'en est pas une puisque, bien qu'il soit
tentant d'envisager une réforme partielle, autrement dit de simples
retouches, celle-ci serait gage de décodification (A).
Naturellement, la forme appropriée de la réforme est celle d'une
recodification globale (B).
A - Une réforme partielle et progressive gage
de décodification
200. Par réforme partielle nous entendrons
également réforme progressive, autrement dit une réforme
élaborée « petit à petit ». Certes, celle-ci
serait incontestablement plus rapide qu'une réforme d'ensemble, elle
favoriserait une actualisation instantanée du droit, qui permettrait de
suivre l'évolution sociale. C'est l'idée que le Code civil
pourrait se réformer par couches successives, par ajouts progressifs, au
gré des besoins. L'argument n'est pas inexact, cependant il porte en lui
l'absence de cohérence et de pertinence nécessaire à toute
réforme.
201. Il convient de déplorer la volonté
puissante de nombreux auteurs partisans d'une révision partielle et
progressive du code254. Pour certains, si la réforme
partielle du Code civil doit être privilégiée, c'est en
partie en raison de l'absence d'une volonté politique très forte
de réforme255. Cet argument ne convainc pas, aujourd'hui
notre gouvernement politique souhaite faire évoluer notre droit. Cet
argument doit toutefois être entendu, la volonté politique
actuelle envisage une réforme partielle, celle du droit des contrats. Si
réformer « petit à petit » est ainsi la
priorité, il convient d'espérer que cette entreprise se mue,
à terme, en réforme globale. D'autre part, la réforme
partielle et progressive devrait, pour ces mêmes partisans,
253 R. Cabrillac, Recodifier, art. préc.
254 Voir sur ce point Th. Revet, « La recodification
entre tradition et illusions », in Livre du Bicentenaire, ouvr.
préc.
255 Voir sur ce point B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot,
ouvr. préc., p. 114.
Réformer le Code civil 80
être privilégiée, en raison du symbole que
représente le Code civil256. S'en remettre à la
dimension symbolique afin de réfuter l'idée d'une réforme
globale est signe d'un défaitisme : le contenu doit être
modifié, cela n'engendre pas pour autant une modification du
contenant.
202. Cette révision partielle et progressive serait
plus sage, plus modeste, elle aurait ainsi plus de chance de succès. Si
l'on suit ce raisonnement, les vices du Code ne seront pas gommés. Or,
c'est de ça dont il s'agit : il faut remédier aux défauts
du Code civil et l'adapter à l'Europe. Une réforme partielle ne
peut être le théâtre d'une telle entreprise. En effet,
réformer et réitérer les erreurs du passé sont deux
phénomènes antinomiques. Rodent alors autour d'une recodification
partielle l'incohérence et l'impertinence, alors même que la
cohérence est inhérente au concept même de code. Une
recodification progressive menace incontestablement cette cohérence
d'ensemble d'un code, cohérence qui devra irriguer un nouveau Code
civil. Réformer partiellement c'est aussi réformer en raison de
considérations politiques : les modifications faisant l'objet d'un
consensus rapide feront l'objet d'une réforme, celles imposées
par la logique, l'urgence ou l'importance des matières
n'évolueront pas. Le propos est grave. De plus, une réforme
partielle, par petites touches, fait perdre son unité au code, le
transforme en recueil de droit civil. La recodification partielle est donc gage
de décodification.
203. Cette décodification par voie de réformes
partielles est pourtant en marche, en France, depuis de nombreuses
années déjà. En réalité, la réforme
du Code civil se fait chaque jour, sans que l'on y porte intérêt.
Le mouvement de révision du Code ne cesse de progresser257.
Réformer est ainsi un terme d'une banalité consternante,
lorsqu'il est appliqué au Code civil. Sa piètre posture actuelle
donne alors raison à notre propos : réformer progressivement et
partiellement, par petites touches, contribue à la ruine de notre «
Constitution civile ». Ici encore, certains se réjouissent de cette
méthode de réforme. En effet, à partir des années
soixante, des réformes ont vu le jour, notamment celles que l'on doit au
doyen Carbonnier. Elles ont certes ménagé l'unité du Code
civil, mais n'ont pas évité un décalage
considérable entre les différentes parties du code (cf. supra
§44 et suivants). Le doyen Carbonnier observe lui-même que « si
les réformes devaient ainsi se poursuivre sur des nouvelles
décennies, elles courraient le risque de se diluer en une espèce
de banalité législative : ce ne serait plus que des
numéros dispersés dans des bilans de sessions
256 J. Carbonnier, « Le Code civil », art.
préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 30.
257 Voir sur ce point C. Witz, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 700.
Réformer le Code civil 81
parlementaires »258. Ce qu'il redoutait
constitue aujourd'hui la réalité : la banalité d'une
réforme qui se fait chaque jour, et qui ruine la cohérence et
l'unité de notre Code civil.
204. Au plan national, réformer de cette façon
est la conséquence d'un manque d'ambition, d'un attachement au symbole,
d'un conservatisme détestable. Ce n'est pas rendre service à
notre actuel Code civil que de le réformer par petites touches. Ce n'est
pas d'une cure de jouvence dont le code a besoin259, il lui faut
repartir de zéro. Actuellement, son unité, sa cohérence,
son autorité sont affectés. En réalité, les
défauts du code et son inadaptation à l'Europe sont le fruit
vicié de cette méthode de réforme. Certes, conserver le
cadre du Code de 1804 (la forme) est une solution minimale, encore faut-il en
changer intégralement le contenu. De simples retouches apportées,
à la va-vite, par un législateur peu soucieux de sa plume, sont
alors à fuir formellement. En effet, « concevrait-on qu'on
confiât une réparation d'automobile Mors ou Mercédès
à un forgeron de village ? Voilà cependant ce que demandent les
jurisconsultes qui veulent qu'on révise le code civil à coup de
lois spéciales »260, cette allégation ne peut
mieux résumer la situation. Notre Code civil a fait son temps, il faut
désormais trouver le courage pour le réformer dans son
ensemble.
205. La recodification partielle n'est cependant pas à
évincer définitivement. En effet, bien que la réforme
globale constitue la méthode adéquate, une recodification globale
qui s'inscrit dans la durée ne peut éviter l'adoption de
réformes spécifiques temporaires, dans l'attente de
l'entrée en vigueur du nouveau Code civil261. C'est le prix
à payer pour éviter l'insécurité juridique
d'accroître. Malgré tout, le retour du prestige du Code civil est
incontestablement à rechercher à travers une réforme
globale.
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