2. L'inférence empirique des raisons de l'aide
La question de l'allocation de l'aide internationale entre les
pays bénéficiaires fait l'objet d'une littérature
abondante. Depuis les années 1970, de nombreuses études pour la
plupart empiriques ont cherché à inférer les raisons
d'allocation de l'aide internationale. Selon que l'étude porte sur
l'aide bilatérale, l'aide multilatérale ou l'ensemble de l'aide,
les résultats sont naturellement très différents.
2.1. L'aide bilatérale s'expliquerait surtout
par l'intérêt du donateur
Les « raisons » d'allocation internationale de
l'aide bilatérale ne cessent de faire débat depuis les travaux
pionniers de Mac Kinlay et Little à la fin des années 1970.
Plusieurs auteurs20ont analysé les principaux critères
d'allocation des différents pays donateurs: Etats-Unis, Japon, France,
Royaume-Uni, Danemark, Suède, Australie.
Mac Kinlay et Little (1977, 1978 et 1979) ont essayé
d'expliquer la répartition internationale de l'aide des principaux
donateurs bilatéraux (France, Etats-Unis, Royaume Uni) à partir
de deux modèles. Un modèle « receveur » (altruiste)
faisant dépendre l'aide reçue du niveau des besoins du
bénéficiaire, et un modèle « donateur »
(égoïste) axé sur les objectifs de politique
étrangère du pays donateur. Leurs résultats plaident
nettement en faveur d'une allocation de
l'aide basée sur l'intérêt du donateur.
Cette conclusion a été confortée par l'analyse
économétrique de Maizels et Nissanke (1984). Dans le climat
passionné des années 1970-80, ce résultat semblait
illustrer le cynisme des relations internationales, jusque dans ses
manifestations les plus altruistes. Les importantes aides des Etats-Unis
à l'ex Zaïre (actuelle RDC) en pleine guerre froide malgré
des conditions de gestion calamiteuses sous le régime Mobutu en sont une
illustration. Il a été dit que ces aides poursuivaient l'objectif
non déclaré de créer un pouvoir de monopsone artificiel
sur les exportations d'uranium de la RDC, l'ex Zaïre, une matière
première nécessaire pour la fabrication des missiles ; en
empêchant en même temps, l'adversaire (l'URSS) de s'en procurer.
Mais il y a aussi des enjeux idéologiques.
En Afrique, les régimes autoproclamés marxistes
dans les années 1970-1980 (Ethiopie, Mozambique, Angola, Bénin,
Burkina Faso, ...) étaient sanctionnés par le gouvernement
américain dans l'octroi de son aide. Ils n'ont
bénéficié que de seulement 6% de l'aide américaine
durant la décennie 1980, contre 88% pour les régimes capitalistes
proches du bloc occidental comme le Sénégal, l'ex Zaïre,
l'Egypte, ... Des études plus récentes avec des
méthodologies différentes (Hook S. et al. 1998, Gounder 1999,
Burnside et Dollar 1997, 2000 ; CERDI 2001, Morrissey 2004) sont venues
confirmer le modèle « égoïste » notamment pour les
grands donateurs (Etats-Unis, France, Grande Bretagne, Japon, Australie,
Suède, Canada). Alesina et Dollar (2000) ont trouvé que les liens
coloniaux étaient beaucoup plus importants : « une ancienne colonie
non démocratique reçoit environ deux fois plus d'aide qu'un pays
sans liens coloniaux mais démocratique ». Avec la fin de
l'antagonisme Est-Ouest en 1990, les intérêts stratégiques
se sont modifiés vers d'autres grands enjeux comme par exemple le
commerce. A titre d'exemples, selon l'ACDI, « Le Canada
bénéficie d'environ 70 centimes de chaque dollar
dépensé au titre de l'aide au développement, grâce
notamment à l'achat de produits et services canadiens ». Entre 2001
et 2003, les apports nets d'aide reçus par l'Afghanistan ont plus que
triplé et l'aide à l'Irak a été multipliée
par 23 (de 0,1 à 2,3 milliards USD). Ces augmentations provenaient
surtout des Etats-Unis, dans sa politique de lutte contre le terrorisme (OCDE,
2004). D'autres pays comme la France, le Royaume Uni et le Portugal assistent
plus leurs Ex-colonies, reflétant des préférences
linguistiques et des alliances politiques. L'aide du Japon va beaucoup plus
à ses partenaires commerciaux, et aux pays qui votent avec lui à
l'ONU. Il apparaît presque banal de remarquer que l'intérêt
du pays donateur concerné est au premier plan des objectifs de l'aide au
développement.
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