2.2. L'aide multilatérale s'expliquerait en
partie par l'intérêt des donateurs
Dans une étude sur l'allocation internationale de
l'aide de la CE (Communauté Européenne), Bowles (1989) conclut
à la simultanéité des logiques de besoins et
d'intérêt/proximité. Le revenu par habitant et le fait
d'être une ancienne colonie d'un pays de la communauté paraissent
les facteurs déterminants dans l'allocation de l'aide de la CE. Les deux
tableaux ci-dessous semblent confirmer ce résultat. Ceci n'est
guère étonnant, dans la mesure où la CE présente
des caractéristiques intermédiaires entre les institutions
multilatérales et bilatérales.
Tableau J--5 : Répartition de l'aide de
la Communauté Européenne par groupe de revenu (en 2003)
Etudiant l'allocation internationale de l'aide de la Banque
Mondiale, Frey et Schneider (1986) ont testé quatre modèles : un
modèle de besoin, un modèle d'efficacité ou de vertu
(stabilité macro-économique et politique), un modèle
«salutaire » caractérisant les pays engagés dans le
processus d'insertion internationale mais possédant de grands
déficits (dette, commerce extérieur, ...) et enfin un
modèle politico-économique qui identifie les pays pauvres proches
du camp occidental. C'est ce dernier modèle (politico-économique)
qui apparaît dans leurs conclusions comme le plus vraisemblable.
L'utilisation de l'aide comme instrument de politique étrangère
serait alors manifeste jusque dans les organisations internationales.
Cependant, des études plus récentes concernant l'aide de la
Banque mondiale (Burnside et Dollar 1997, 2000) concluent à la prise en
compte de facteurs d'efficacité. Sans doute, la fin de la guerre froide
mais aussi de nombreuses critiques formulées à l'encontre des
institutions de Bretton Woods, comme on le verra plus loin, ont
entraîné une disparition progressive du caractère politique
de l'aide multilatérale, la redirigeant ainsi vers plus
d'efficacité.
2.3. L'ensemble de l'aide s'expliquerait par le
besoin
Les études portant sur l'allocation de l'ensemble de
l'aide (Boone 1996, Naudet 1994, Burnside et Dollar 1997, 2000, Llavador et
Roemer 2001) s'accordent sur une répartition qui répond largement
à des caractéristiques propres aux pays receveurs. Le niveau des
besoins des pays récipiendaires souvent évalué à
l'aune du PIB par habitant, et la population (dans le sens où une
population élevée entraîne une aide par tête faible)
ressortent comme les deux variables prépondérantes pour expliquer
l'allocation internationale de l'ensemble de l'aide. Aussi
remarque-t-on une inflexion progressive de l'aide
multilatérale vers le renforcement de la logique de besoin (Naudet,
1994). En effet, l'aide s'oriente davantage vers les pays à fort taux de
pauvreté au détriment des pays à revenu
intermédiaire.
Vers la fin des années 1990, l'importance
conférée à la problématique de l'efficacité
de l'aide a conduit les économistes à explorer beaucoup plus,
l'idée d'une allocation basée sur l'efficacité. Des
études ont indirectement testé la logique d'efficacité en
recherchant la corrélation entre le niveau d'aide reçu et
l'environnement institutionnel et politique dans lequel l'aide est
délivrée. Mais les conclusions renforcent comme nous allons le
voir, la logique du besoin. L'idée d'une efficacité
différenciée de l'aide en fonction de la qualité des
politiques économiques poursuivies par les pays receveurs
(développée par Burnside et Dollar à partir de 1997 puis
repris par d'autres études : Banque mondiale, 1998 ; Burnside et Dollar,
2000) a fortement influencé la littérature sur l'allocation de
l'aide ces dernières années. A cet effet, Collier et Dollar
(1999) ont envisagé un modèle théorique d'allocation de
l'aide internationale qui privilégie les pays très pauvres ayant
des politiques économiques et des institutions de qualité.
Llavador et Roemer (2001) utilisent alors ce modèle pour tester une
allocation de l'aide basée sur l'efficacité. Ils estiment une
équation de croissance où l'efficacité marginale de l'aide
sur la croissance économique d'un pays donné dépend d'une
variable de « qualité des résultats macroéconomiques
» qu'ils assimilent à un effort. Pour une enveloppe d'aide
donnée, ils simulent une allocation internationale basée sur le
niveau d'effort. Par rapport à l'aide actuellement versée,
Llavador et Roemer obtiennent une allocation optimale très surprenante.
Pour leur échantillon de 55 pays, et selon ce modèle, l'Asie de
l'Est et du Sud*est se tailleraient la part du lion ; puisqu'elles recevraient
63% de l'aide totale disponible, contre 11% pour ce qui se fait dans la
réalité (aide effectivement versée). L'Afrique
sub-saharienne recevrait d'après l'estimation, seulement 3% contre 41%
dans la réalité. Certains pays pourtant grands
bénéficiaires d'aide comme la Zambie et les Philippines n'en
recevraient aucune.
La conclusion est donc que le critère
d'efficacité ne serait pas déterminant dans l'allocation
internationale de l'ensemble de l'aide au développement. Le niveau des
besoins serait au premier plan. Cette conclusion a été
appuyée par l'analyse d'Alesina et Weder (2002). Ils montrent que la
variable « corruption » apparaît sans effet pour la
majorité des donateurs, insinuant ainsi la non prise en compte du
facteur "efficacité". De même, pour Burnside et Dollar (2000), la
variable de qualité de la politique économique menée dans
le pays récipiendaire (reflétant la logique d'efficacité)
est sans effet sur le niveau d'aide reçu, alors que le niveau des
besoins ainsi que l'intérêt des donateurs paraissent
déterminants. En définitive, la logique du besoin serait au
premier plan de l'allocation internationale de l'ensemble de l'aide.
En définitive, on note à partir des
études empiriques sur les logiques d'octroi de l'aide internationale,
une domination du critère du besoin du bénéficiaire et de
celui de l'intérêt ou de la proximité avec le donateur.
C'est ainsi que la politique d'aide au développement fait objet
de critiques21. La faiblesse de l'importance
conférée à « l'efficacité de l'aide » a
souvent entraîné une déresponsabilisation des
gouvernements aidés et une mauvaise gestion de l'aide reçue. Pour
pallier à cette défaillance de la politique d'aide au
développement, la pratique de la conditionnalité ou encore la
sélectivité dans l'octroi de l'aide internationale a souvent
été proposée. Cependant, les pratiques de la
conditionnalité essuient certaines critiques qui affaiblissent la mise
en oeuvre de telles politiques.
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