SECTION 4 : CONDITIONNALITE OU SELECTIVITE DE L'AIDE
INTERNATIONALE
Souvent considérée comme fondamentale pour une
meilleure efficacité de l'aide internationale au développement,
la conditionnalité ou encore la sélectivité fait objet
d'une littérature abondante. Le débat sur sa
nécessité pour rendre l'aide efficace est controversé.
Même s'il semble évident que
21 On reviendra plus loin sur les critiques de la
politique d'aide au développement.
l'aide sera moins efficace dans un pays fortement corrompu,
rien ne garantit qu'en privant les pays «mal gouvernés» de
l'aide internationale, on parviendra à de meilleurs résultats
globaux en terme de réduction de la pauvreté mondiale. Aussi les
pratiques de la conditionnalité essuient--elles de vives critiques. En
vertu de quoi doit--on priver certaines populations pourtant pauvres de l'aide
au développement? En effet, l'instauration d'un certain nombre de
conditions liées à l'octroi de l'aide s'oppose à l'un des
principaux fondements de la politique d'aide internationale : l'aide comme
instrument de justice entre les Nations.
1. Les fondements ou justifications de la
conditionnalité de l'aide
La notion de conditionnalité de l'aide renvoie
traditionnellement au fait qu'un financement extérieur (l'aide
principalement) octroyé à un pays donné soit soumis
à un engagement de la part de ce dernier (receveur) à mener des
« politiques » qui ont reçu l'approbation du donateur.
Généralement, les « politiques »
considérées dans l'engagement (les conditions) sont celles
considérées comme nécessaires pour corriger ou
réduire les déficiences structurelles, les
déséquilibres macroéconomiques et l'amélioration de
la gouvernance en général dans le pays receveur: bonnes
politiques
macroéconomiques, lutte contre la corruption, Etat de
droit, liberté d'expression et de la presse, ... La
conditionnalité accompagne le plus souvent des financements hors
projets, l'aide budgétaire globale ou sectorielle, l'aide à la
balance des paiements, annulations de dettes, ... L'octroi de telles aides est
alors soumis à des mesures précises de politique
économique. Pratique propre aux institutions de Bretton Woods au
départ, la conditionnalité s'est peu à peu étendue
à la plupart des institutions multilatérales de l'aide publique
au développement. De nos jours, certaines institutions
bilatérales tentent également de l'appliquer bien qu'à des
degrés divers. L'idée de base de la conditionnalité de
l'aide internationale est que les efforts de gouvernance améliorent
significativement la productivité de l'aide au développement ;
cette même productivité étant insignifiante ou même
négative lorsque l'aide est accompagnée de politiques
inappropriées, comme c'est souvent le cas dans les pays mal
gouvernés.
Cette conception sur l'efficacité de l'aide
internationale s'est d'abord manifestée intuitivement dans les
politiques d'ajustement structurelles (PAS) de la fin la décennie 1970 -
début des années 1980. Elle a connu un regain d'importance pour
ensuite s'imposer presque dans les pratiques vers la fin des années
1990. Ce regain d'importance est lié à l'évolution de la
recherche empirique sur l'efficacité de l'aide au développement
et principalement aux analyses de Burnside et Dollar (1997) ainsi que celles de
Banque mondiale (1998).
Burnside et Dollar (1997) et Banque mondiale (1998)
soutiennent que l'aide internationale ne promeut le développement que
lorsqu'elle s'inscrit dans un environnement sain, caractérisé par
de « bonnes politiques économiques22». Plus
tard, Kaufmann, Kraay et Zoido*Lobaton (1999) ont
étendu la définition d'un environnement « sain »
à la qualité des institutions (Etat de droit, niveau de
corruption, liberté politique et de la presse, indépendance du
système judiciaire, élections libres, ...). Les résultats
de ces analyses sont à la base des pratiques ouvertement
affirmées de la conditionnalité de l'aide internationale.
Ainsi, à travers la conditionnalité, une forme
de contrat se met en place entre donateurs et receveurs, dans la logique d'une
conditionnalité ex--ante fondée sur la qualité de la
gouvernance. L'acceptation d'une telle aide (l'aide conditionnelle) par un pays
donné est alors synonyme d'un engagement de la part de ce dernier
(receveur) à mettre en place les politiques nécessaires pour
améliorer la qualité de sa gouvernance. Au cas où le pays
aidé n'honorait pas ses engagements
22 Nous reviendrons plus loin sur ce sujet.
politiques en matière de réformes, le
financement devrait être arrêté et le pays
considéré devrait être privé des aides futures
jusqu'à ce que de nouvelles conditions de coopération ne soient
établies. Il s'agit alors de centrer l'octroi de l'aide sur le
critère d'efficacité.
Mohsin Khan et Sunil Sharma (2002) permettent
d'appréhender la conditionnalité de l'aide sous un
autre angle. De manière générale, une
certaine forme de « conditionnalité» existe toujours dans
les relations entre emprunteurs et prêteurs, destinée à
garantir le remboursement des prêts. Contrairement aux contrats
privés, les pays pauvres ne disposent généralement pas de
garantie valable au niveau international. Sinon ils pourraient s'en servir pour
emprunter à des créanciers privés et n'auraient pas besoin
d'aide. Faute de garantie suffisante, les institutions d'aide internationale
doivent prendre des dispositions destinées à protéger le
prêteur et à empêcher l'emprunteur de s'engager dans les
politiques qui pourraient réduire la probabilité de
remboursement. La conditionnalité de l'aide internationale peut ainsi
être considérée comme un ensemble de dispositions incluses
dans l'accord de prêts et qui fait office de garantie pour le
remboursement des prêts consentis.
Certains auteurs (Lerrick Adam et Allan Meltzer, 2002)
préconisent la « sélectivité » plutôt que
la « conditionnalité ». Comme l'indique le terme en
lui-même, la «sélectivité» consiste à
faire une certaine sélection des pays bénéficiaires. La
stratégie de présélection a été
proposée pour faire face à la réalité selon
laquelle les pays aidés n'honorent pas souvent les engagements consentis
lors Certains auteurs (Lerrick Adam et Allan Meltzer, 2002) préconisent
la « sélectivité » plutôt que la «
conditionnalité ». Comme l'indique le terme en lui-même, la
« sélectivité » consiste à faire une certaine
sélection des pays bénéficiaires. La stratégie de
présélection a été proposée pour faire face
à la réalité selon laquelle les pays aidés
n'honorent pas souvent les engagements consentis lors On reviendra plus loin
sur ces analyses. de l'acceptation de l'aide. Le principe de
sélectivité consiste principalement à accorder plus d'aide
aux pays réellement engagés dans des réformes politiques
pour améliorer leur « gouvernance ». Selon cette formule qui
était la principale recommandation du rapport de la Commission Meltzer
sur les institutions financières internationales en 2000, l'aide devrait
être centrée sur les pays pauvres vulnérables, qui
mènent de bonnes politiques.
Il s'agit alors d'une conditionnalité ex-post;
c'est-à-dire que l'aide vient soutenir les pays pauvres qui appliquent
déjà les conditions considérées comme favorables
à l'essor économique et donc, à la productivité de
l'aide internationale.
Parmi les donateurs, la Banque mondiale et le FMI appliquent
déjà la sélectivité dans une certaine mesure. L'AID
(Banque mondiale) par exemple détermine l'aide par tête à
octroyer à un pays donné à partir d'une formule combinant
un indicateur de la qualité de la gouvernance qui est le CPIA (Country
Policy and Institutional Assessment) et le PIB par habitant23.
Plusieurs autres institutions réfléchissent à la
manière de donner plus de poids à la « bonne gouvernance
» dans l'allocation internationale de l'aide.
En somme, le principe de sélectivité
établit une sorte d'éligibilité à l'aide,
fondée non seulement sur le critère du besoin,
mais aussi et surtout sur le critère d'efficacité,
évalué à partir de la qualité de la gouvernance
dans le pays considéré. Il pose pourtant un problème
fondamental. En partant des principes de la conditionnalité ou de la
sélectivité, certains pays pourtant pauvres ne doivent pas
bénéficier de l'aide internationale. Ce qui va à
l'encontre du principe même de l'aide internationale,
considérée comme un élément de justice
internationale. C'est ainsi que les points de vue divergents sur l'application
de la conditionnalité ou de la sélectivité.
23 Cette règle n'est cependant pas strictement
respectée.
|