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Aide au développement peut-elle aider l'Afrique noire à  se lancer au développement durable?

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par Jean-Paul Jean-Paul NABONA BISIMWA
Université Libre dà¢â‚¬â„¢Uvira et des Grands Lacs, ULUGL en sigle - Master complementaire  2012
  

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2. Le débat controversé sur la pratique de la conditionnalité

La conditionnalité/sélectivité de l'aide internationale fait objet de critiques de diverses natures qui affaiblissent sa mise en oeuvre stricte. D'abord parce qu'il est loin d'être certain que la sélectivité va entraîner une meilleure efficacité de l'aide internationale vis-à-vis de son objectif principal qui est la réduction de la pauvreté dans le monde. Ensuite parce qu'elle est contraire à un fondement essentiel de la politique d'aide; celui selon lequel l'aide est un instrument de justice entre les Nations.

L'une des critiques fondamentales et carence principale de la conditionnalité est qu'elle n'a aucun fondement théorique. Comme nous l'avons vu plus haut, la principale justification de la conditionnalité ou de la sélectivité est l'analyse empirique de Burnside et Dollar (1997) qui établit que l'aide internationale n'est productive que lorsqu'elle est accompagnée de bonnes politiques économiques. Des analyses empiriques plus récentes (Easterly et al. 2003, Clemens et al. 2004) réfutent cette thèse. Selon les résultats de Easterly et al. (2003), l'aide est stérile même si elle est accompagnée de bonnes politiques. On ne peut donc pas être certain qu'en

pratiquant la sélectivité dans l'octroi de l'aide au développement, on aboutira à de meilleurs
résultats en terme de réduction de la pauvreté. La pratique de la sélectivité se trouve ainsi mise en mal par le fait qu'elle repose sur une base empirique qui n'est pas suffisamment robuste. Une seconde critique à l'encontre de la pratique de la sélectivité trouve sa source dans le fait que cette pratique semble injuste du point de vue de la redistribution24, lorsqu'on considère en particulier, l'égalité des chances. Doit-on refuser l'aide à un pays qui est très pauvre avec des handicaps énormes et qui est mal gouverné ? A l'inverse, doit-on consacrer l'essentiel de l'aide aux pays qui ont déjà amorcé leur décollage ? Les détracteurs d'une politique d'aide sélective ne soutiennent que la pratique de la sélectivité va priver un grand nombre de pays pauvres de l'aide étrangère alors que ces derniers n'ont pas accès aux marchés de capitaux internationaux. Cette pratique augmenterait alors les risques de pauvreté et créerait de fortes inégalités entre les Nations. Elle peut même renforcer les inégalités entre les habitants des pays en développement, en pénalisant les pays qui ont de grands handicaps structurels tout en fournissant dans le même temps, plus de moyens à des pays où les perspectives de réduction de la pauvreté sont plus élevées. Pourquoi faut-il refuser l'aide à un pauvre paysan malien impuissant devant les conditions désertiques de son pays pour l'octroyer à un Indonésien ou à un Indien par exemple ? En adoptant de telles pratiques (conditionnalité ou sélectivité), l'aide perd une de ses fonctions principales: celle d'être un instrument de justice entre les Nations.

Néanmoins, une allocation internationale de l'aide qui ne tient pas compte de la qualité de la gouvernance dans les pays receveurs peut être « perverse » pour les pays pauvres qui ont à leur tête des régimes « prédateurs » ou « inefficient ». Lorsque l'octroi de l'aide ne tient pas compte du critère d'efficacité, l'aide internationale peut notamment créer une désincitation à assainir le climat des affaires dans la mesure où les gouvernements aidés savent que, si leurs résultats sont médiocres et que leur économie est en mauvais état, on ne leur imposera pas des conditions strictes de remboursement des prêts consentis. Au contraire, ils pourront bénéficier d'une aide accrue. On se trouve là, en face du dilemme du bon Samaritain (on y reviendra plus loin).

D'autre part, lorsque l'allocation de l'aide internationale ne tient pas compte de la qualité de la gouvernance, l'aide qui est normalement destinée à l'amélioration des conditions de vie des populations pauvres peut être détournée, pour servir finalement des ambitions personnelles de quelques rares de « privilégiés ». A quoi bon aider un pays hautement corrompu si on sait d'avance que l'aide octroyée ne parviendra pas aux populations démunies ? Le détournement de l'aide par la classe dirigeante accroît les inégalités au sein d'une même Nation, accentuant ainsi les tensions de révolte qui peuvent déboucher sur une guerre civile. L'exemple du Zaïre de

24 Nous reviendrons plus loin sur ce sujet.

Mobutu Sésé Séko est très parlant dans ce domaine. Le régime hautement corrompu du président Mobutu a contre toute attente, bénéficié pendant plusieurs décennies de soutiens financiers énormes des grandes puissances. Ces fonds d'aides n'ont servi qu'à la construction de palais présidentiels et à l'achat de limousines lorsqu'elles ne se retrouvent pas sur des comptes privés en Europe et en Amérique. Le creusement des inégalités et la frustration qui s'en sont suivis sont à la base de la rébellion qui a plongé le pays dans plusieurs années de guerre civile. De ce point de vue, la pratique de la conditionnalité peut se révéler être un moyen efficace pour baisser les tensions de révolte et prévenir un conflit armé à l'intérieur d'un pays où la gouvernance est de piètre qualité. Il arrive même que la population civile autochtone se soulève pour demander à la communauté internationale de suspendre son aide au pays (cas du Togo d'Eyadema dans les années 1990, le Zimbabwe de Robert Mugabe aujourd'hui).

En somme, même si la pratique de la conditionnalité ou de la sélectivité dans l'octroi de l'aide internationale est considérée comme nécessaire pour une meilleure efficacité de l'aide au développement, elle est très peu appliquée. Ceci est lié à deux principales causes:

i) le fait que la conditionnalité repose sur une base peu solide;

ii) le rôle d'instrument de justice internationale conféré à l'aide étrangère.

Même si l'on admet que « la bonne gouvernance » accroît la productivité de l'aide internationale, les répercussions que peut avoir la pratique de la sélectivité (ou de la conditionnalité) sur l'objectif primordial de réduction de la pauvreté sur le plan mondial restent à élucider. De même, les incitations procurées par un système d'aide sélectif ou non nécessitent une analyse approfondie. En particulier, il n'y a pas de base théorique immédiate qui prouve que la pratique de la conditionnalité va améliorer l'effort en faveur des réformes dans les pays receveurs. Les résultats empiriques de Burnside et Dollar qui sous-tendent la nécessité de telles pratiques sont récemment mis en mal par de nouvelles analyses empiriques. Des études supplémentaires sur le sujet sont donc nécessaires.

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