Section 2 : Critères d'allocation et
efficacité de l'aide
Une façon d'aborder le problème de
l'inefficacité de l'aide au développement en Afrique
sub-saharienne est de chercher à comprendre les principaux facteurs qui
expliquent son attribution. Quels sont les principaux critères
permettant d'expliquer l'octroi de l'aide internationale en Afrique
sub-saharienne?
Comment les différentes logiques d'attribution de
l'aide affectent-elles l'efficacité de l'aide au développement?
En quoi les critères d'octroi de l'aide en Afrique favorisent-ils ou
annihilent-ils la performance de la région en terme de réduction
de la pauvreté?
Dans un premier temps, on entreprend une analyse empirique sur
l'allocation internationale de l'aide en Afrique sub-saharienne. On montre
alors que seuls les critères de « besoin » et de «
proximité » avec le donateur expliquent l'octroi de l'aide dans la
région. Malheureusement, ces deux critères sont inefficients. Ils
débouchent sur les problèmes d'anti-sélection et
d'aléa de moralité. Le meilleur critère est le
critère d'efficacité qui consiste à conditionner l'aide
à l'adoption de bonnes politiques. C'est ce qu'on montre ensuite.
1. Sur quels critères l'aide est--elle
octroyée en Afrique subsaharienne ?
Nos spécifications économétriques
entreprises jusqu'ici nous amènent à admettre contre toute
attente que, l'aide ne favorise pas la croissance économique en Afrique
sub-saharienne. Elle serait même perverse. Ceci nous conduit à une
interrogation sur les raisons de son attribution. En effet, si l'aide n'aide
pas le développement, nous devons en définitive nous demander sur
quels autre fondements elle est accordée aux pays pauvres? Pour
répondre à cette question, un test économétrique
s'avère nécessaire.
Pour cela, on retient des variables explicatives susceptibles
de mesurer les différentes logiques d'attribution de l'aide
internationale. On distinguera principalement (en s'inspirant de la
littérature empirique) trois raisons d'attribution de l'aide,
exposées dans le chapitre 1 :
-- La logique de besoin : le revenu
par tête (PIB par habitant) est souvent utilisé pour
appréhender le niveau de besoin des pays bénéficiaires de
l'aide internationale. C'est ce que nous retenons ici.
-- La logique
d'intérêt--proximité: Une variable dummy, qui
prend la valeur 1 lorsque le pays considéré a des liens
privilégiés avec l'un des principaux pays donateurs, zéro
dans le cas contraire.
· En l'occurrence, les pays membres de la « zone
Franc » bénéficient d'un traitement particulier de la part
de la France, garanti par des accords internationaux (CERDI, 2001).
· De même plusieurs pays comme Kenya, Somalie,
Soudan, la RDC, le Sénégal, ... autoproclamés
alliés des Etats-Unis et qui ont signé avec ce dernier des
accords de défense ont pendant longtemps reçu un traitement
particulier des Etats-Unis, garantis par des accords ( Schraeder, Taylor et
al. 1998).
- La logique d'efficacité:
Nous retenons ici, à l'instar de Burnside et Dollar (2000),
l'indicateur de politique économique comme un facteur
d'efficacité de l'aide.
«... Au début des années 1980,
l'administration de Mitterrand a entrepris une politique consciente et plus
efficace de l'intégration des anciennes colonies belges (Burundi,
Rwanda, RDC) dans la sphère française d'influence. En
conséquence, tout au long des années 1980, des montants
croissants de l'aide française ont été octroyés
à la RDC (461 millions de $), le Burundi (243 millions de $) et le
Rwanda (199 millions de $). Le Zaïre est particulièrement devenu un
champ de bataille diplomatique où les Etats-Unis et la France
concurrençaient pour leur influence.
Comme expliqué dans les mémoires de Jacques
Foccart (l'architecte de la diplomatie française en Afrique sous Charles
de Gaulle et Georges Pompidou), la France a perçu l'arrivée au
pouvoir de Mobutu Sésé Seko en tant que chef
inégalé du Zaïre pendant les années 1960 comme
facilitant la pénétration de l'influence anglosaxonne dans le
plus grand pays francophone d'Afrique; et donc comme une victoire claire des
intérêts américains sur ceux de la France. Des politiques
françaises d'aide ont été conçues dans les
années 1980 pour renverser cet échec perçu», (Hook S.
W., Schraeder P. J and Taylor B., 1998).
«L'aide japonaise a du mal à
«pénétrer» les pays francophones parce que le
gouvernement français a toujours protégé sa zone
d'influence», (Hook S. W., Schraeder P. J and Taylor B., 1998).
« Durant la décennie 1980, les régimes
autoproclamés marxistes d'Ethiopie, de Mozambique et d'Angola
étaient privés de l'aide américaine; alors que les
régimes capitalistes comme le Kenya, le Sénégal, la RDC
étaient traités comme des alliés idéologiques et
donc privilégiés ... Alors que les régimes capitalistes
recevaient 88% de l'aide américaine, les régimes marxistes et
socialistes n'en ont reçu que 6% ...
Les Etats-Unis ont soutenu avec force leurs alliés
africains, même ceux qui avaient les taux de croissance les plus mauvais.
Par exemple, l'un des plus grands bénéficiaires de l'aide
américaine en 1989 était le régime zaïrois de Mobutu
Sésé Séko, un leader autoritaire qui en 1965 a pris le
pouvoir par un coup d'état militaire, et qui utilisait l'aide
extérieure pour s'armer et se maintenir au pouvoir alors que sa
popularité baissait ... Des relations et politiques extérieures
similaires liaient les Etats- Unis à d'autres alliés autoritaires
en Afrique comme l'Egypte, le Liberia, la Somalie et le Soudan qui
étaient parmi les dix premiers bénéficiaires de l'aide
américaine dans les années 1980 », (Hook S. W., Schraeder P.
J and Taylor B., 1998).
En fin, on retiendra que dans l'attribution de l'aide aux pays
d'Afrique subsaharienne,
le niveau des besoins et l'intérêt du pays
donateurs sont les seuls critères déterminants. En fait, la
politique d'aide ne se préoccupe que très peu de
l'efficacité ou de l'utilisation qui en sera faite. L'aide va ainsi
beaucoup plus vers les pays dotés de mauvaises institutions mais qui ont
des liens privilégiés avec les pays donateurs ou qui ont un
niveau de pauvreté important. Il en a été ainsi par
exemple dans l'ex Zaïre de Mobutu Sésé Séko,
où bien que le pays vivait une situation
économico-institutionnelle calamiteuse, l'aide n'a pas cessé
d'affluer.
Dans ces conditions, l'attribution de l'aide pose un certain
nombre de problèmes dont les problèmes d'incitation dans les pays
aidés à assainir le climat des affaires, comme nous l'avons
étudié précédemment (chapitre 5). Plus un
régime maintient sa population pauvre, plus il reçoit d'aide. Un
régime qui se sent solidement lié aux principaux donateurs n'aura
aucune incitation à faire de réforme; puisque dans tous les cas,
il est sûr de l'afflux de l'aide. On montre par la suite que de telles
allocations de l'aide conduisent à l'anti-sélection et sont donc
inefficientes.
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