Section 2 : Analyse descriptive du panel de pays
étudiés
L'Afrique sub-saharienne, communément appelée
« Afrique Noire » s'étend sur une superficie de 24,3 millions
de kilomètres carrés. Sa population était
évaluée à environ 700 millions en 2004, avec un taux de
croissance moyen d'environ 2,39%. Son PIB total est évalué en
2004 à environ 236,2 milliards50 de dollars US, Afrique51 Prix de 2000
108 du Sud non comprise1. Il était ainsi à peine supérieur
au tiers de celui du Brésil (655,4 milliards de $ US la même
année), moins que celui de la Suisse (253,8 milliards de $), et moins du
septième de celui de la Chine (1715 milliards de $). Son taux de
croissance (PIB total) est d'environ 3,23%. Le revenu par habitant moyen (ou
PIB par habitant) de la région, l'un des plus faibles de la
planète, était d'environ 350$ US en 2004 ; et son taux de
croissance moyen, faible, est d'environ 0,8%. La région compte 47 pays :
Afrique du Sud, Angola, Bénin, Botswana, Burkina Faso, Burundi,
Cameroun, Cap Vert, République Centrafricaine, Iles Comores,
République Démocratique du Congo (RDC ou ex Zaïre),
République du Congo, Côte d'Ivoire, Erythrée, Ethiopie,
Guinée, Guinée Bissau, Guinée Equatoriale, Gabon, Gambie,
Ghana, Kenya, Lesotho, Liberia, Madagascar, Malawi, Mali, Mauritanie, Ile
Maurice, Mozambique, Namibie, Niger, Nigeria, Ouganda, Rwanda, Sao Tome et
Principe, Sénégal, Seychelles, Sierra Leone, Somalie, Soudan,
Swaziland, Tanzanie, Tchad, Togo, Zambie, Zimbabwe.
Fugure : n° J--27 : Carte d'Afrique
subsaharienne
Tous les pays de la région bénéficient de
l'aide internationale au développement. Cependant, la situation
économique de l'Afrique sub-saharienne ne cesse de se
détériorer depuis la fin des années soixante-dix. La
figure suivante permet de faire une petite comparaison entre l'Asie du Sud-est
et l'Afrique subsaharienne.
Dans les années 60 et 70, l'Asie du Sud-est et
l'Afrique sub-saharienne avaient des niveaux de revenu similaires. En
témoigne la figure ci-dessous qui fait ressortir les variations du PIB
par habitant entre 1970 et 1995 dans ces deux régions du monde. Les pays
de l'Asie du Sud-est comme
50 Prix de 2000
51 L'Afrique du Sud dont la situation est un peu
particulière, présente de fortes dissemblances avec les autres
pays de la région. Elle ne sera pas intégrée dans notre
étude.
l'Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande sont
caractérisés par une croissance économique soutenue. Si
l'Afrique sub-saharienne a elle aussi présenté une
première phase de croissance allant jusqu'à la fin des
années 1970, les deux grands chocs pétroliers de la
décennie soixante-dix vont révéler la
vulnérabilité des économies africaines. Depuis le
début des années 1980, un profond déclin économique
s'est installé en Afrique sub-saharienne comme on peut le remarquer sur
la figure suivante.
Figure : n°I-28 : Evolution du PIB
par habitant en Afrique et en Asie du Sud-est
Dans les années 1960-1970, les deux régions
avaient des conditions économiques et sociales plus ou moins similaires.
Le niveau de vie en Afrique était même légèrement
supérieur à celui de l'Asie du Sud-Est. Les pays des deux
régions sont des bénéficiaires de l'aide internationale,
destinée à promouvoir la croissance pour le développement.
L'Afrique sub-saharienne en a même reçu plus que l'Asie du
Sud-Est. Mais aujourd'hui (après environ 25 ans), le niveau de vie de
l'Asie du Sud-est a largement dépassé celui de l'Afrique
sub-saharienne.
Depuis le début des années 1980, les
économies africaines sont tombées dans une phase de
décadence qui semble se prolonger. La baisse des cours des
matières premières et des produits de base vers la fin des
années 1970 a aggravé la situation économique des pays de
la région. Les niveaux de vie ont subi une baisse considérable
qui s'est traduite par une augmentation de la pauvreté.
Si les économies de l'Asie du Sud-est ont elles aussi
ressenti les effets de la crise au début de la décennie 1980,
elles ont pu dissiper rapidement les effets de la récession
économique et réamorcer leur processus de croissance depuis le
milieu des années 1980 comme on peut le remarquer sur la figure
présentée ci-dessus. De leur côté par contre, les
pays de l'Afrique sub-saharienne ont été plongés dans une
phase de décadence économique, de laquelle ils ne semblent pas se
remettre jusqu'à nos jours. Et ceci malgré l'afflux continuel de
capitaux étrangers en aide internationale. Ceci nous amène
à nous interroger sur le rôle que l'aide internationale au
développement a pu jouer en Afrique sub-saharienne.
Pour avoir une idée sur cette question, on peut se
référer à la figure ci-dessous. Elle présente
l'évolution de l'aide accordée à l'Afrique sub-saharienne
en pourcentage du revenu (axe de gauche) et celle du taux de croissance
économique (axe de droite) sur environ 40 ans (1965-2004).
Figure n° : J-29 :
Aide et croissance économique en Afrique
sub-saharienne
Sur la période allant de 1965 jusqu'au début de
la décennie 1990, l'Afrique sub-saharienne a
bénéficié d'une aide extérieure croissante. Elle
est passée d'environ 7% du revenu en 1965 à environ 24% en 1994.
Et pourtant, le taux de croissance économique a présenté
une tendance à la baisse sur la même période. D'environ
4,5% en 1970, ce taux a progressivement baissé. Il était
même devenu négatif au début des années 1990. C'est
paradoxalement au moment où l'aide à l'Afrique sub-saharienne a
présenté une tendance à la baisse que le taux de
croissance économique semble redécoller.
L'analyse de la tendance de l'aide internationale par rapport
à la performance économique pour chaque pays de la région
débouche sur une conclusion très semblable. L'augmentation de
l'aide au développement semble être associée à une
tendance à la baisse de la performance économique. Elles
présentent pour chaque pays de la région, l'évolution du
PIB par habitant et de l'aide en pourcentage du revenu.
L'analyse du graphique débouche sur un véritable
paradoxe. On constate généralement que les pays qui ont
réussi à augmenter significativement leur niveau de revenu par
habitant sont ceux pour qui l'aide reçue a progressivement
baissé. C'est le cas de l'Angola, du Botswana, du Cap Vert, de la
Guinée, de la Guinée Equatoriale, du Lesotho, de l'Ile Maurice,
du Sao Tome et Principe, des Seychelles, du Soudan, du Swaziland, et de la
Tanzanie. L'Angola par exemple a bénéficié d'une aide
croissante jusqu'en 1994. Son revenu par habitant a pourtant
régulièrement baissé sur la même période. A
partir de cette date, le pays a vu son aide baisser. Paradoxalement, le revenu
par tête angolais est en augmentation régulière depuis ce
moment. Il en est de même pour la Guinée Equatoriale et le
Mozambique. L'aide qui leur est accordée est en baisse depuis 1992,
alors que leur revenu par habitant est en augmentation. Certains pays comme la
RDC, la Guinée Bissau, Madagascar, le Niger, la Sierra Leone et la
Zambie bénéficient d'une aide
croissante depuis les années 1970 ; alors que leur
revenu par habitant est en baisse régulière.
Il y a pourtant des exceptions. Quelques rares pays notamment
le Burkina Faso, le Ghana (depuis 1982), l'Ethiopie (depuis 1992) et l'Ouganda
ont réussi à associer un niveau de revenu par habitant croissant
à une aide croissante.
A partir de cette analyse, il y a de quoi douter de
l'efficacité de l'aide internationale en Afrique sub-saharienne.
Néanmoins, il est difficile de conjecturer le lien entre l'aide
internationale et la croissance du revenu à partir de la simple
observation de ces graphiques. Des tests économétriques
s'avèrent donc nécessaires.
Pour mener cette étude, on a considéré
les 46 pays de la région. La période d'étude va de 1970
à 2005 ; soit 36 années d'observations au total, par pays. Les
données ont été collectées à partir du
Center for Global Development (Roodman, 2005) et Banque mondiale (2006,
2007).
Concernant l'estimation de l'impact de l'aide sur la
croissance économique, le choix de l'intervalle de temps fait
débat. Lorsque l'aide finance par exemple les intrants pour la
production agricole (café, cacao, coton, etc.) ou encore des
médicaments (antipaludéens, les antirétroviraux, ...), son
impact sur le revenu peut être espéré dans une
période allant de quelques mois à quatre ou cinq ans. Il en est
de même lorsqu'elle finance la construction d'un barrage ou d'une route.
Lorsqu'elle finance des réformes de l'appareil judiciaire par exemple,
son impact sur la croissance économique peut traîner un peu ...
jusqu'à cinq et même dix ans. Et l'impact sur le revenu du
financement de la scolarisation de la population (construction d'une
école, formations des enseignants, etc.) peut traîner
jusqu'à une génération ou plus. Compte tenu de tout cela,
quelle période retenir pour l'estimation de l'efficacité de
l'aide au développement?
Pour notre part, nous estimons comme Burnside et Dollar (1997,
2000) ; Easterly et al. (2003) ; Clemens et al. (2004) qu'une période
moyenne de quatre ans paraît raisonnable pour espérer les effets
de l'aide sur le revenu. Les données ont donc été
agrégées en des valeurs moyennes couvrant des périodes de
quatre ans chacune, allant de 1970 à 200552. Ce qui fait
finalement neuf observations par pays. Certains pays comme par exemple
l'Angola, la Somalie, le Liberia (pour des raisons de guerre) ont quelques
observations manquantes. Dans le souci de couvrir le plus grand nombre de pays,
nous les conservons néanmoins dans la mesure où en les
intégrant, les résultats finaux ne changent pas
significativement. A cause de ces données manquantes, on s'est
retrouvé avec 368 observations au lieu de 9*46=414.
Ceci représente néanmoins un nombre
d'observations suffisamment élevé pour mener l'étude
empirique.
Nous estimons en panel, une équation de croissance qui
fait dépendre le taux de croissance du revenu par habitant d'un ensemble
de variables explicatives dont l'aide internationale. Les variables retenues
pour la régression sont:
?it : c'est le taux de croissance
moyen du revenu par tête (PIB/habitant) du pays la
i au cours de
période al. t qui est ici de 4 ans (Burnside
et Dollar 1997, 2000 ; Easterly et al. 2003 ; Clemens et 2004). Il
représente la variable expliquée. Les variables explicatives
retenues sont:
Ait : l'aide au développement
dont a bénéficié le pays période
i au cours de la t.
C'est un ratio exprimé en pourcentage du PIB du pays
récipiendaire.
[A
possibilité it A 2] : l'aide
élevée au carré. On a introduit cette variable pour
prendre en compte la
de non-linéarité du lien entre aide et
croissance économique, fondée théoriquement par la loi de
la productivité décroissante du capital (Hansen et Tarp 2000;
Clemens et al. 2004).
PIBtit : c'est le revenu par
tête initial (en logarithme). Cette variable permet de prendre en compte
les dotations initiales, dans le but de capter l'effet de convergence entre les
économies. On prend son logarithme pour minimiser l'effet de grands
écarts entre les revenus sur le taux de croissance (Burnside et Dollar
2000, Easterly 2003).
[ M 2 / PIB ]it :
c'est la masse monétaire M2 en pourcentage du PIB. Une variable
institutionnelle permettant de prendre en compte les distorsions dans le
système financier, ainsi que le mode de
52 Les périodes sont: 1970-1973, 1974-1977, 1978-1981,
1982-1985, 1986-1989, 1990-1993, 1994-1997, 1998-2001, 2002-2005.
financement de l'économie (notamment le financement par
seigneuriage) dans l'explication du taux de croissance de l'économie
(King et Levine, 1993) ; son effet est analysé avec un retard d'une
période (Burnside et Dollar, 2000).
Popit : désigne le
pourcentage des moins de 15 ans dans la population totale du pays
considéré; une variable qui permet de prendre en compte la
pression démographique sur l'investissement requis dans l'explication du
taux de croissance de l'économie.
Scolit: c'est le taux de
scolarisation de la population; une variable d'éducation couramment
utilisée dans la littérature (Barro et Lee, 1993).
Invit : le taux d'investissement de
l'économie i à la date t ; exprimé en pourcentage du PIB.
Son effet est analysé avec un retard d'une période.
Ethit : c'est le degré de
fragmentation ethnolinguistique, repéré par la probabilité
que deux individus pris au hasard, appartiennent à des groupes ethniques
différents. Cette variable est suggérée par Easterly et
Levine (1996) pour capter les caractéristiques de long terme d'un pays
qui peuvent affecter son économie.
En plus de ces variables, nous incluons des variables
reflétant l'environnement économique du pays récipiendaire
dans l'équation à estimer; à savoir:
Ouv Une
it : variable muette pour l'ouverture
au commerce, développée par Sachs et Warner (1995).
économie est considérée comme fermée au commerce
lorsque ses tarifs douaniers sur les équipements et matériaux
dépassent 40%, ou que les primes sur le marché noir
dépassent 20%, ou encore lorsque le gouvernement exerce un
contrôle intense sur le secteur commercial du pays (Burnside et Dollar,
2000).
Ifl 1993). it
: le taux d'inflation, un indicateur de la politique
monétaire du pays considéré (Fischer,
[ S. budgt ] PIB.
it : c'est le solde budgétaire,
en pourcentage du
[ G.cons ] it : désigne
les dépenses de consommation du gouvernement, exprimées en
pourcentage
du PIB.
[ S budgt ] it et [ G.cons ]
it : sont des indicateurs suggérés par Easterly
et Rebelo (1993), pour
prendre en compte la politique budgétaire de
l'économie considérée. Les tableaux
ci-dessous présentent quelques éléments de statistique
descriptive pour l'ensemble des pays retenus, sur la période
d'étude (1970-2005).
Tableau n°I--9: Aide et taux de croissance moyen
du PIB par tête par pays Valeurs Moyennes (1970 -
2011
Pays
|
Aide (%PIB)
|
Taux de
Croissance
|
pays
|
Aide (%PIB)
|
Taux de
Croissance
|
Angola
|
6,06
|
0,01
|
Liberia
|
12,98
|
-2,93
|
Bénin
|
9,66
|
0,35
|
Madagascar
|
9,16
|
-1,45
|
Botswana
|
7,03
|
7,28
|
Malawi
|
19,05
|
0,74
|
Burkina Faso
|
12,47
|
1,06
|
Mali
|
16,18
|
0,85
|
Burundi
|
17,36
|
0,32
|
Mauritanie
|
22,90
|
0,65
|
Cameroun
|
1,32
|
1,32
|
Ile Maurice
|
2,04
|
4,31
|
Cape Vert
|
26,30
|
3,24
|
Mozambique
|
30,69
|
2,08
|
RD. Congo
|
7,81
|
-3,66
|
Rwanda
|
18,33
|
1,08
|
Rép. Du
Congo
|
7,30
|
1,12
|
Sao Tome & P.
|
71,99
|
0,34
|
Source: calcul de l'auteur a partir de DWI,
2011
NB : La liste de pays Africain ne pas exhaustive
Sur notre période d'étude, l'Afrique
sub-saharienne a bénéficié en moyenne d'environ 15% de son
PIB (14,6% précisément) en aide internationale. Son taux de
croissance économique est pourtant faible; 0,82% en moyenne.
Les premiers pays bénéficiaires d'aide ne sont
pas ceux dont les taux de croissance économiques sont les plus
élevés.
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