2.2. Les critiques d'inspiration marxiste : l'aide, une
nouvelle source d'exploitation (néocolonialisme)
Les critiques d'inspiration marxiste de l'aide internationale
ont connu un regain d'importance ces dernières années avec le
développement d'un courant de pensée essentiellement francophone,
qui est souvent désigné sous l'intitulé de courant du
« refus du développement », ou de «
l'anti-développement », au nom de leurs considérations,
opposées à celles du FMI et de la Banque mondiale. Citons les
travaux de René Dumont, Ivan Illich, François Partant, Serge
Latouche, Gilbert Rist, Eric Toussaint, Alain Caillé, Guerrien, Insel,
B. S. Yamey, Sapir, Cornélius
Castoriadis, Vandana Shiva, François-Xavier Vershave,
Nicholas-Georgescu Roegen, René Passet, Vincent Cheynet ou encore
François De Ravignan (pour ne citer qu'eux).
Les auteurs d'inspiration marxiste considèrent l'aide
internationale ainsi que l'ensemble des politiques de développement
comme servant avant tout, la cause des pays riches. Ils considèrent
l'aide comme un puissant canal par lequel les pays industrialisés
continuent par exercer leur domination sur les pays en développement,
malgré leur indépendance politique. Stéphanie Treillet
(2003), résume leur proposition commune comme suit: "le
développement, à la fois sur la plan théorique
(système de pensée, objectifs) et sur le plan des
stratégies mises en application (aide, mondialisation, ...) n'a
constitué pour les sociétés d'Afrique, d'Asie et
d'Amérique Latine, depuis leur indépendance, qu'un nouvel avatar
de la domination des pays industrialisés et de l'occidentalisation du
monde, sur tous les plans (économique, social, culturel...)".
De nombreux historiens pensent que le concept de «
développement » avec surtout la mise en place de l'aide
internationale, en augmentant les interventions des pays occidentaux dans les
pays du Sud, avait pour but initial de stopper l'avancée des communistes
et de garder le contrôle des anciennes colonies. Le discours instigateur
de l'aide internationale n'est*il pas le même que celui qui appelait
à la création de l'OTAN (Organisation du Traite de l'Atlantique
Nord) ? La création de l'OTAN, est considérée au
départ comme une coalition pour contrer le bloc communiste. Le
troisième point du discours du 20 janvier 1949 du président H. S.
Truman appelait à la création de l'OTAN, à une fourniture
d'équipement et à une assistance militaire aux pays qui
acceptaient de coopérer avec eux. Et au quatrième point, il
appelait à l'aide internationale au développement. Dès le
départ, la politique d'aide internationale, n'est pas purement
philanthropique. L'aide, surtout bilatérale était principalement
utilisée pour supporter les alliés politiques au cours de la
guerre froide. L'exemple de l'ex Zaïre, actuel République
Démocratique du Congo est très parlant dans ce domaine. Le
régime de Mobutu Sese Seko a contre toute
attente, bénéficié de soutiens politico-militaire et
d'appuis financiers énormes pendant plusieurs décennies,
provenant essentiellement des Etats-Unis. Juste après l'effondrement du
bloc soviétique qui a entraîné la fin de la guerre froide,
le président Mobutu a perdu tous ses soutiens occidentaux.
« Desarollo »
(développementiste) en Amérique Latine était une insulte
dans les années 1950, et désignait l'impérialisme
américain (Lut Tins, 2004). Pour se légitimer, la colonisation
s'est appuyée sur les valeurs de civilisation et d'éducation.
Désormais les valeurs compensatoires sont celles de construction,
développement, intégration, mondialisation ...
Les « anti-développementistes »
dénoncent le « développement » et ses pratiques qu'ils
qualifient de « désastres ». Les Occidentaux, nostalgiques de
la période coloniale et soucieux de toujours contrôler les autres
parties du monde ont mis en place l'aide publique au développement. Elle
est aujourd'hui la manifestation déguisée de
l'égoïsme des plus nantis, et un nouveau moyen de leur
ingérence dans les affaires et la vie des pays du Tiers*Monde. Selon les
auteurs anti-développementistes, l'aide au développement
n'existerait que dans le souci de pérenniser la domination occidentale.
Elle sert d'outils de justification d'intervention dans les pays en
développement, visant avant tout l'intérêt du donateur.
« Le principal objectif des donateurs est bel et bien le renforcement de
leur zone d'influence à travers le soutien politique aux dirigeants
alliés du Sud, afin d'être en mesure de leur imposer des
décisions économiques et de contrôler les positions qu'ils
adoptent lors des sommets internationaux ». D. Millet et E. Toussaint
(2005).
Un mobile important de l'aide internationale est la promotion
du commerce inégal, qui enrichit les pays industrialisés au
détriment du Sud. Alors que les exportations des produits manufacturiers
des pays riches (qui occupent 70% du commerce mondial) augmentent, les
exportations mondiales de matières premières et leurs prix ont
fortement diminué depuis les années 1980 ; en grande partie sous
l'effet des politiques des institutions internationales (Banque mondiale, FMI,
OMC, etc.). Les ventes de matières premières des pays pauvres ne
compensent
généralement pas leurs importations de
marchandises. Il en résulte pour les pays du Sud un déficit de
leurs balances commerciales. En conséquence, le commerce, inégal,
ne profite qu'aux pays industrialisés qui s'enrichissent par
l'appauvrissement des pays du Sud. Pour protéger leurs
intérêts, les pays riches ont alors mis sur pied des politiques
dites de « développement », qui en fait accroissent leurs
interventions et garantissent leurs intérêts commerciaux. En
passant par l'aide internationale et la mondialisation, les pays
industrialisés « pompent » les richesses du Sud, puisqu'ils en
tirent énormément de profits, comme le montre la figure
ci-dessous.
Figure I--26 : Transferts financiers 2001 pour
l'ensemble des pays en développement (en milliards de
dollars)
NB : Le service de la dette représente
les remboursements annuels augmentés des intérêts.
Ainsi, à travers les rapports commerciaux et l'aide
internationale qui est génératrice de dette, les pays occidentaux
soutirent aux pays en développement plus de ressources
financières qu'ils ne leur en procurent. La dette gigantesque, est un
moyen sûr pour les pays riches de garder les pays pauvres dans leur
sphère d'influence, et d'aliénation. L'aide
étrangère ne peut contribuer de façon substantielle au
développement du Tiers Monde ; au contraire, elle est à
même de le retarder.
En somme, ces deux thèses (libérale et marxiste)
se rejoignent quant à l'incapacité de l'aide internationale
à promouvoir le développement ou à soulager la souffrance
des pays pauvres. Alors que la Banque mondiale considère l'aide comme
nécessaire pour la croissance des pays en développement et
l'éradication de la pauvreté dans le monde, le courant
contestataire libéral et les « anti-développementistes
» la considèrent comme défavorable au développement.
Face à ce manichéisme, il nous faut considérer les
analyses empiriques de l'efficacité de l'aide internationale pour voir
ce que nous disent les faits. C'est ce qu'on abordera dans le chapitre
suivant.
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