L'innovation, la création végétale et la propriété industrielle: quelles évolutions possibles ?( Télécharger le fichier original )par Adam Borie Belcour Université d'auvergne - Master 2 Carrières internationales 2016 |
Chapitre 2 Assurer le partage des connaissancesL'OEB estime que : « 70% des informations contenues dans cette documentation ne peuvent être obtenues d'autres sources, et avec plus de 800 000 brevets accordés chaque année à travers le monde, il est facile de s'imaginer la quantité d'informations que recèle cette documentation »22(*) Ainsi c'est exactement cette information qui permet l'innovation. Comme l'écrivent Girard Fabien, Noiville Christine23(*) : « C'est qu'en privilégiant la divulgation sur le secret - dont on connaît l'impact négatif sur le processus d'innovation -, la propriété industrielle augmente le volume de connaissances » Ainsi le cycle de l'innovation (voir annexe 2) est caractérisé par une étape essentielle de divulgation du secret. Pour M.A Gollin24(*) La première étape correspond peu ou prou à ce que Blanche Magarinos Rey a appelé l'impulsion créatrice : « The first stage, creative work, occurs when an individual (or small group working together) comes up with a creative new idea, observation, technique, or work product. One force for individual creativity is human nature - our innate curiosity and our will to work to survive and use resources to improve our surroundings.» La deuxième étape qui importe ici, est notamment caractérisée par l'innovation qui devient nécessairement publique. Dans le domaine des arts comme dans le domaine de la science, n'importe quelle invention devient publique ou perd toute son utilité et ne rentre pas dans le cycle de l'innovation et ne peut pas permettre des innovations futures. Ainsi l'exemple de la Chapelle Sixtine et Michel ange est utilisé. Quel intérêt aurait la fresque si elle n'avait pas été accessible au public ? Pour autant l'auteure nous confie : pour que le cycle de l'innovation fonctionne, il faut au choix des droits de propriétés intellectuelles adaptés ou des comportements altruistes. : «The innovation cycle moves forward when individuals promote their creative ideas and society adopts them. It stops when creative people lack access to information, when they do not share with their community, when innovations are lost, and when law and circumstances make innovations inaccessible» En ce qui nous concerne les comportements altruistes peuvent provenir d'hommes tels que Tom wagner25(*) ou encore Tom Michael26(*)et les droits de propriétés intellectuelles adaptés peuvent être vus comme une adaptation de ceux-ci ou bien par un modèle tel que le COV qui laisse la ressource génétique libre d'expérimentation et dont l'expiration permet une utilisation par tous. L'auteure oppose le concept de Schumpeter l'innovation créatrice à celui qu'elle nomme la « construction créatrice », bien qu'une innovation rende de fait obsolète certaines technologies, cette obsolescence n'est pas uniquement destructrice, d'un point de vue scientifique puisque si les conditions sont réunies elle crée de l'accumulation du savoir accessible à tous. : «Innovation is not necessarily destructive. It can build on old knowledge, adding to it without taking away. A virtuous cycle results, one that is different from Schumpeter's paradox of creative destruction (or destructive creativity). We can refer to this non-destructive approach as «creative construction.» Innovations that move into the third stage expand access to the great ocean of knowledge in the accessible domain. Creative people may then build on the innovation to begin the next revolution of the innovation cycle. Without available knowledge, each subsequent wheel designer would be condemned to reinvent the wheel. With easily accessible knowledge about existing wheels, however, the designer can instead make an improved wheel. IP rights may preclude sufficiently broad accessibility. Any of these problems stop or slow the innovation cycle.» En effet si les droits de propriétés intellectuelles ne sont pas suffisamment accessibles cela peut ralentir l'innovation. Or comme le note Blanche Magarinos-Rey27(*) : « la diffusion de la connaissance n'est pas réductible à l'information publiée. Un transfert des savoirs efficace requiert un véritable apprentissage à travers une large gamme de compétences alors que les droits de propriété intellectuelle assurent une diffusion codifiée, souvent hermétique, de l'information, la connaissance, difficilement codifiable reste souvent inaccessible » C'est donc ce qui manque à l'analyse de MA gollin, la diffusion de l'information n'est pas suffisante pour passer du travail créatif à l'adoption par la société puis à une information accessible (annexe 2). Le contexte socio économique a aussi son importance. Pourtant il convient de remarquer que la critique de Blanche Magarinos-Rey a aussi ses limites dans la mesure où aujourd'hui la véritable innovation dans la bio informatique consiste justement à rendre, à travers les outils informatiques, l'information génétique (séquences d'une plante par exemple) plus facilement accessible. Ainsi le Comité économique, éthique et social (CEES) du Haut Conseil des Biotechnologies28(*) a rendu des propositions qui permettraient d'éviter les écueils d'un mauvais partage de l'information. Face au manque d'information, le CEES a mesuré les inconvénients du statu quo, qui consisterait à laisser les sélectionneurs rechercher les informations pertinentes, ce pour quoi ils n'ont aujourd'hui ni suffisamment de temps ni suffisamment de moyens. Tout comme les auteurs du rapport « Semences et agriculture durable » le CEES estime préférable que les sélectionneurs aient accès de façon précoce à l'information pertinente sur les brevets déposés et délivrés, afin de pouvoir vérifier si les éléments brevetés sont présents dans le matériel végétal qu'ils manipulent ou produisent et, ce faisant, de déterminer leur « liberté d'exploitation ». Le CEES propose ainsi : 1. que l'information soit accessible sur une base de données rendues publiques et comportant, pour chaque variété mise sur le marché, le lien avec les brevets s'y rapportant ; 2. qu'il revienne aux professionnels titulaires des brevets d'informer ainsi les sélectionneurs (et les agriculteurs, v. infra) ; le CEES constate les avancées entreprises en ce sens par 679 l'European Seed Association (ESA) et l'Union française des semenciers (UFS) ; 3. Afin de garantir l'efficacité de ce dispositif, le CEES estime que l'absence d'une telle information devrait être sanctionnée par l'irrecevabilité de l'action en contrefaçon que le titulaire du brevet entendra éventuellement mettre en oeuvre (l'idée étant que tant qu'il n'a pas informé, il ne peut agir en contrefaçon). C'est donc ces deux solutions qui semblent pertinentes pour le CEES. Pour autant la solution n1 et n2 qui veulent renverser la charge de la recherche de l'information apparaîssent légèrement idéalistes. La solution n1 est déjà mise en place puisque la base de données de l'OEB est publique et le fait de réaliser un lien avec les brevets et la mise sur le marché d'une variété complexifie le travail des obtenteurs quoiqu'il arrive dans la mesure où ceux-ci devront quand même connaître les brevets qu'ils ont utilisés pour créer une nouvelle variété. Autrement dit le travail de recherche d'information lié aux brevets afférents sera tout de même colossal. De plus renverser la charge de l'information (proposition n2) en la sanctionnant par l'irrecevabilité de l'action en contrefaçon est une bonne solution pour garantir l'innovation dans le secteur de l'innovation variétale puisque le titulaire du brevet devra nécessairement informer les sélectionneurs sous peine de voir son brevet contrefait légalement par les sélectionneurs. Pour autant, rien n'est dit concernant le cadre et l'accessibilité de l'information. Tout comme les lois de la République sont publiées au journal officiel (JO)29(*), la lecture des brevets se rapportant à tel ou tel caractère phénotypique y est potentiellement accessible mais la prise de connaissance réelle dépend de conditions pratiques diverses (accès à internet, intelligibilité des propos juridiques, somme des connaissances nécessaire à la compréhension des lois). Si la mise en ligne effective des brevets liés à tel ou tel ressource génétique est fondamentale son accessibilité et intelligibilité l'est aussi. La somme des connaissances génétiques étant colossale il ne suffit pas que les titulaires des brevets publient l'information brevetée pour que les sélectionneurs la lisent effectivement. En définitive, même si l'information est accessible et intelligible pour les sélectionneurs il n'en demeure pas moins que la recherche d'information relative aux brevets existants sur des traits dits natif par exemple est un temps long que les sélectionneurs doivent ajouter à leur temps de travail de création innovatrice. Ce temps long sera bien sur complété par des couts de transaction important qui peuvent être dissuasifs pour les petits opérateurs. * 22 OMPI M. Kalanje1, Consultant, Division des PME, OMPI : Le rôle de la propriété intellectuelle dans l'innovation et la conception de nouveaux produits. http://www.wipo.int/sme/fr/documents/ip_innovation_development.htm#P81_24241 * 23 Girard Fabien, Noiville Christine, « Propriété industrielle et biotechnologies végétales : la Nova Atlantis. À propos de la recommandation du Haut Conseil des Biotechnologies», Revue internationale de droit économique. Infra 6 * 24 M.A. Gollin, Driving Innovation : Intellectual Property Strategies for a Dynamic World, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 17. * 25 Obtenteurs d'une vingtaine variétés de tomates et de pommes de terres Tom Wagner est un « free breeder » il crée des variétés et les dépose dans le domaine public, libre de brevet. * 26 Professeur Canadien en génétique et amélioration des plantes auteur d'une proposition visant à établir des créatives commons pour les végétaux. Nous y reviendrons dans la seconde partie du mémoire. * 27 Blanche Magarinos-Rey, Semences hors-la-loi, la biodiversité confisquée, édition gallimard collection alternatives Paris VIIeme, 2015, p114 * 28 Le haut conseil des biotechnologies s'est saisi de la question des droits de propriété industrielle dans le domaine de l'innovation végétale. Un groupe de travail a été mis en place en juillet 2011 qui, au terme de deux années de travail, a rendu un rapport, lequel a servi de base à la recommandation du 12 juin 2013 du CEES (HCB, CEES, Biotechnologies végétales et propriété industrielle, Paris, 12 juin 2013). * 29 Celui-ci n'étant plus imprimé, l'effectivité des lois est assurée après publication sur internet. |
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