L'innovation, la création végétale et la propriété industrielle: quelles évolutions possibles ?( Télécharger le fichier original )par Adam Borie Belcour Université d'auvergne - Master 2 Carrières internationales 2016 |
Section 2 : La stratégie juridique ou une étendue des revendications toujours plus importante.Ici, il faut observer la stratégie juridique non pas simplement en tant que stratégie de lobbying ni même comme stratégie politique coordonnées par les inventeurs ou les obtenteurs. Mais il faut observer concrètement comment cette stratégie juridique, de par les demandes de brevet déposées et accordées ou refusées, revendique toujours plus de largeur de hauteur et de longueur en matière de propriété industrielle. Cette largeur hauteur et longueur a été définie par des auteurs154(*) qui centraient leur recherche sur l'optimum social du brevet comme étant la relation entre la maximisation du bien être social et la protection de l'innovation La longueur (length) est le temps du droit exclusif accordé à l'inventeur. Celle-ci n'a que peu ou prou varié ces dernières années elle est demeurée à 20 ans L'utilisation effective d'un brevet peut être inférieure à ces 20 années, soit que l'inventeur ne renouvelle pas ses anuitées de paiement soit que l'invention ait été remplacé par une invention ultérieure. Très vite il est apparu important de rechercher la durée de protection optimale. Certains auteurs155(*) ont même réussi à modéliser d'une manière mathématique, pour une innovation isolée qui met en équation la valeur de l'innovation, la durée de vie du brevet et l'étendue de la protection accordée. « La durée de protection optimale est celle qui maximise le bien être social actualisé en tenant compte de la relation qui existe entre la durée de la protection et l'importance de l'innovation. »156(*) Concernant la hauteur et la largeur (height and breadth), cela représente respectivement ce qui est brevetable d'une part et l'amplitude des revendications d'autre part. Par exemple en interdisant les brevets sur les variétés végétales ont diminue la hauteur du brevet mais en couvrant les brevets de procédés de revendications de produit on augmente l'amplitude des revendications. Il en résulte une relation de mouvement entre les offices de brevets et les inventeurs ou les offices de protection des variétés tels l'OCCV en Europe et les obtenteurs. En effet les obtenteurs et inventeurs vont tendre à porter plus de revendications tout en sachant que leur demande de protection peut être refusée en fonction de la nature de la protection et de l'étendue de leurs revendications sur le produit ou procédé. Pour Michel Trommeter la tendance des offices de brevets est de revenir sur la hauteur sans revenir sur la largeur des brevets accordés : « ils sont revenus sur la hauteur - il est plus difficile d'avoir un brevet aujourd'hui qu'hier -, mais sans revenir sur la largeur, les séquences de gènes étant toujours assimilées aux molécules chimiques »157(*) Ainsi la stratégie juridique des entreprises biotechnologique, se manifeste par une étendue des revendications toujours plus importante dans leur demande de brevet. Pour autant dans le secteur biotechnologique il semble que la hauteur et la largeur se confondent. Par exemple les brevets sur des caractères phénotypiques (comme le démontre l'affaire de la tomate ridée et du brocoli G2/12 et G2/13), sont à la fois une ouverture de la largeur du brevet dans la mesure ou ils permettent une étendus des revendications sur un panel large de variétés auparavant couverte par un COV, et à la fois une augmentation de la hauteur dans la mesure ou ils sont issus de procédés essentiellement biologiques non brevetables. Aussi il apparaît très vite que la stratégie juridique s'est manifestée par une étendue des revendications toujours plus importante qui offre d'un point de vue économique, une force financière qui ne serait pas aussi importante avec l'utilisation d'un COV dont la largeur est moins importante que le brevet. Ainsi, les brevets sur les séquences génétiques notamment ont été autorisés sous condition par la directive 98/44 (pour d'avantage de hauteur) et ont donné une largeur potentielle au brevet dont il est encore aujourd'hui difficile d'imaginer les conséquences dans la mesure où l'essor biotechnologique en est certainement qu'à ses premiers balbutiements. C'est donc dans ces conditions que même les points de vue les plus réservés et en faveur du brevet viennent nuancer l'amplitude des revendications offertes au brevet. Amplitude qui, comme il a été vu, vient rendre inaccessible la matière première de l'innovation végétale : les ressources génétiques. L'amplitude relative à une conception plus large de l'octroi d'un brevet est donc paralysante pour l'innovation végétale car elle bloque la conception même potentielle d'une nouvelle variété végétale dont les traits natifs auraient été brevetés. Cette conception est potentiellement bloquée dans la mesure où les brevets sur les séquences génétiques ont un pouvoir dérivé venant de la nature partiellement explorée des implications de la séquence génétique au sein d'un végétal. Ainsi bien que la hauteur et la longueur des brevets n'aient que peu changé depuis la directive 98/44, le champ du brevet a pris de l'ampleur de par une amplitude des revendications toujours plus importante. Cette ampleur des revendications donne au brevet un pouvoir de marché important dont pourraient certainement témoigner les brevets sur les gènes natifs ou sur des caractères phénotypiques particuliers. En d'autres termes le droit de la propriété intellectuelle influe sur le comportement des acteurs et la stratégie juridique des acteurs qui va être à son tour influencée par la propriété intellectuelle. C'est de cette manière qu'en demandant des brevets sur des séquences génétiques particulières plutôt qu'en revendiquant des procédés micro biologiques les acteurs ont opté pour une stratégie juridique extensive. Par ailleurs, l'octroi effectif de brevets sur des gènes dits natifs a, à son tour, influé sur la stratégie des obtenteurs et des firmes biotechnologiques. Ainsi La stratégie juridique d'extension du droit de la PI sur la matière biologique est donc pour certains « une stratégie de perdant »158(*) dans la mesure où une entreprise qui innove constamment n'as pas besoin de protéger ses inventions puisqu'elle acquiert de fait un monopole d'exploitation du au temps de « copiage » de l'invention. Pour d'autres la stratégie juridique est une stratégie complémentaire ou additionnelle de la stratégie génétique, toutes deux visant à réaliser indirectement le vieux cauchemar de la propriété industrielle : les phénomènes d'enclosures, les buissons de brevet et la rente monopolistique. * 154 Denicolò, Vincenzo. "Patent Races and Optimal Patent Breadth and Length." The Journal of Industrial Economics 44.3 (1996): 249-65. Web.Gilbert, Richard, and Shapiro Carl. "Optimal Patent Length and Breadth." The RAND Journal of Economics 21.1 (1990): 106-12. Web. * 155 Encaoua David Cours Economie de l'Innovation Chapitre 5 Durée et étendue de la protection: le cas d'une innovation isolée. Janvier 2005 p12 et suivante * 156 Ibid p 15 * 157 Trommetter Michel, « La propriété intellectuelle dans les biotechnologies agricoles : quels enjeux pour quelles perspectives ? », Reflets et perspectives de la vie économique4/2006 (Tome XLV) , p. 37-48 URL : www.cairn.info/revue-reflets-et-perspectives-de-la-vie-economique-2006-4-page-37.htm. Voir infra 17. * 158 Blanche Magarinos-Rey, Semences hors-la-loi, la biodiversité confisquée, édition gallimard collection alternatives Paris VIIeme, 2015, p114. |
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