Le droit à la présomption d'innocence face au droit à l'information( Télécharger le fichier original )par Ouaogarin Roger SANKARA Université Ouaga 2 - Master de recherche en Droit Privé Fondamental 2015 |
§2. L'incidence de l'interdiction d'annoncer la culpabilité des personnes poursuivies sur le droit à l'informationLe droit à la présomption d'innocence n'interdit pas au journaliste d'exercer son droit à l'information concernant les affaires pénales. Charles DEBBASCH et ses co-auteurs estiment qu'« il n'est pas interdit de diffuser par voie de presse l'arrestation d'un individu présenté comme suspect, voire la commission d'un crime, la limite doit tenir de la part du journaliste, à l'absence de toutes conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité de l'intéressé51(*)». Le droit à l'information est ainsi maintenu concernant le traitement des affaires pénales. « De manière plus générale, concernant le compte rendu d'affaires judiciaires en cours, dès l'instant où le journaliste n'abuse pas du droit qui est le sien d'informer les lecteurs en n'assortissant pas ses propos d'un commentaire anticipant ses certitudes quant à l'issue de la procédure ou en ne cherchant pas à persuader le lecteur de la culpabilité de la personne mise en cause, il n'y a pas atteinte portée à la présomption d'innocence52(*) », soutiennent DEBBASCH et autres. Toutefois, avouons que « letracé de la frontière est délicat53(*) », comme le soulignent François TERRE et Dominique FENOUILLET, entre le droit d'informer et la présomption d'innocence. L'obligation légitime d'observer le droit à la présomption d'innocence va conduire le journaliste tantôt à hésiter sur le moment d'informer sur les affaires pénales sans être en porte-à-faux avec la loi, tantôt à être exagérément prudent au risque de rompre la fiabilité de l'information. Il semble judicieux d'aborder l'incidence de la présomption d'innocence sur le temps de l'information (A) et sur sa qualité (B). A. L'incidence sur le temps de l'informationPar crainte d'être poursuivi pour méconnaissance du droit à la présomption d'innocence, le journaliste pourrait être tenté d'ajourner l'information sur une affaire pénale, jusqu'à ce qu'une décision définitive soit prononcée. C'est du moins un idéal dont l'effectivité aurait évité aux journalistes le maximum d'assignation en justice pour atteinte à la présomption d'innocence. Sauf qu'il y a une incertitude sur le temps d'attente idéale (1) et l'information sur l'arrestation ou la mise en examen pourrait perdre de son caractère actuel(2). 1. L'incertitude sur le temps d'attente idéaleL'idéal promu par le droit à la présomption d'innocence pourrait amener le journaliste à garder le silence sur les affaires pénales jusqu'à l'intervention d'une décision définitive statuant sur la culpabilité. Le jugement définitif, comme l'a écrit Mme GABET, « tranche tout le principal ou certains éléments du procès, ou certains incidents de telle sorte que le juge n'a plus à examiner les points jugés54(*) ». Mais le jugement devient vraiment irrévocable lorsque toutes les voies de recours (opposition, appel, cassation) ont été utilisées ou lorsque les délais pour emprunter ces voies de recours sont expirés. Or, on sait à quel moment commence une affaire pénale, mais il est impossible de prédire la date de son dénouement. Sur ce point, Jean-Claude MARIN, Procureur de la république près le Tribunal de Grande Instance de Paris, relevait le 12 janvier 2005 à l'occasion d'une rentrée solennelle, « que la justice était aussi malade de son anachronisme et du caractère souvent historique de sa réponse aux agissements les plus graves, les plus complexes ou les plus systémiques 55(*)». En France, le rapport sur « le(s) temps judiciaire(s) » publié en 2014 estime que devant les cours d'assises de premier ressort, le délai moyen entre l'infraction et le jugement était de 56, 2 mois. L'attente d'une décision de condamnation définitive pourrait hypothéquer le caractère actuel ou nouveau de l'information. * 51 C. DEBBASCH et autres, Droit des médias, Dalloz, Paris, 2000, p. 1031 * 52 C. DEBBASCH et autres, Op. cit., p. 1032 * 53 F. TERRE et D. FENOUILLET,Droit civil : Les personnes, Paris, 8e édit, Dalloz, 2012, p. 113 * 54 Cf. Rapport de Mme GABET, Ass. Plen., 13 mars 2009, disponible sur www.courdecasssation.fr, consulté le 15 juin 2000 à 16 heures 30 mn 20 s * 55 Mission de recherche Droit et justice, Les temps judiciaires, www.gip-recherche-justice.fr , consulté le 11 novembre 2016 à 15 heures 19 mn 30s |
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