Section I. Entraves à l'appropriation de la
décentralisation par les
élus locaux
Les entraves qui minent la compréhension de la
décentralisation par les élus locaux et leur implication dans ce
processus peuvent être scindées en deux. Il s'agit des
problèmes rencontrés aux cours de la tenue des sessions et ceux
rencontrés par les élus dans l'exécution de leur mission
quotidienne.
Paragraphe I. Les difficultés liées
à la tenue des sessions du Conseil municipal
Ces difficultés sont nombreuses et diversifiées.
Elles se ramènent globalement à la question de
l'analphabétisme des élus ; l'inadéquation des textes avec
les réalités socioculturelles de la commune ; la participation
des conseillers aux débats au cours des sessions ; la
brièveté de la durée des sessions et la pléthore de
conseillers qui constitue le conseil municipal (l'un des plus gros effectifs de
conseillers du pays).
Le problème de l'analphabétisme des élus
locaux se pose avec acuité. En effet, le profil actuel du conseil
municipal de Kampti est composé de 89 % d'analphabètes. Cette
réalité constitue une entrave à l'accessibilité des
élus locaux à tout document écrits afférent
à la tenue des sessions du Conseil municipal (projets de
délibérations, de budget, etc.) En effet, si les conseillers ne
peuvent pas lire les projets de délibération pour en prendre
connaissance avant leur adoption, il va de soi que leurs homologues
lettrés auront une longueur d'avance sur eux. Ils se contentent de la
--' 43 --'
traduction approximative qui est faite par un des leurs qui
n'a reçu aucune formation dans ce sens. La tâche de traduction est
pourtant ardue quand on sait que les expressions utilisées sont pour la
plupart méconnues de la culture et des habitudes de ces élus.
Ainsi, les conseillers analphabètes ont du mal à accorder un
regard critique solide afin de mener une analyse profonde des questions
abordées. Dès lors, ces « élites » (conseillers
lettrés) pourraient manipuler à vau l'eau ces élus
illettrés quand vient le moment de délibérer. En outre,
les conseillers illettrés ne peuvent pas prendre de notes au cours de la
session du conseil municipal. Cet état de fait entame la constitution de
mémoire et la fidélité des comptes rendus aux populations.
Tous ces problèmes sus-énumérés se posent
également lors des différentes formations dispensées
à leur intention.
Pour ce qui concerne la question de l'adéquation des
textes, elle est en fait le corollaire du problème de
l'analphabétisme des conseillers. Le CGCT semble avoir été
destiné uniquement à des élus lettrés. Comme
illustration, les termes de son article 157 sont interpellateurs : « Les
convocations du conseil municipal doivent être adressées par
écrit, par affichage et par communiqué aux membres du conseil. A
toute convocation, doivent être joints tous les documents
afférents à la tenue de la session ». Ces dispositions, bien
qu'intellectuellement séduisante, ne sauraient être mises en
oeuvre de façon pratique, quand on a affaire à des conseillers
qui, dans leur majorité, ne savent ni lire ni écrire. Si les
conseillers peuvent se faire aider par des proches pour prendre connaissance de
la date des sessions mentionnée sur les convocations, cela n'est pas
évident pour la trentaine de pages d'écrits plus ou moins
technique (le budget notamment) que devraient constituer les documents joints
aux différentes convocations. Voilà pourquoi les conseillers
viennent participer, sans préparation préalable, aux sessions du
conseil. Il est évident que dans ces conditions, on ne peut s'attendre
à ce qu'ils puissent s'imprégner sur-le-champ de la substance des
différents documents à la suite d'une seule lecture faite par
l'exécutif municipal, le bureau du conseil et le personnel technique qui
l'accompagne dans cette oeuvre. Par ailleurs, l'application de la sanction des
« absences non motivées » conformément aux termes de
l'article 239 du CGCT se trouve également paralysée dans la
mesure où on ne saurait exiger des écrits (pour excuser des
absences) à un illettré.
--' 44 --'
Quant à la problématique de la participation des
conseillers aux débats qui ont lieu avant toute
délibération, il est à noter qu'ils sont très
souvent l'apanage des « intellectuels » et des francophones. C'est ce
qui expliquerait en partie le manque de motivation du reste des conseillers non
alphabétisés, se traduisant par une forte mobilité (des
va-et-vient dans la salle), voire des désertions de la salle par une
grande partie des conseillers lors des sessions.
Relativement à la question de la durée des
sessions, le code général des collectivités territoriales
prévoit qu'elle peut aller jusqu'à cinq (05) jours pour les
sessions ordinaires et trois (03) jours pour les sessions extraordinaires. Dans
la commune de Kampti, quand bien même les conseillers ne reçoivent
pas de document au moment des convocations pour les sessions comme le
prévoit l'article 157 du CGCT, ces sessions se tiennent en une seule
journée. En effet, si les conseillers n'ont pas reçu les
documents avant les sessions comme cela est mentionné dans le CGCT,
logiquement un temps d'explication plus important devrait leur être
accordé afin qu'ils puissent prendre véritablement connaissance
du contenu avant toute délibération. Malheureusement les sessions
du conseil se tiennent presque à la sauvette en seulement vingt-quatre
(24) heures et parfois moins à cause des problèmes des ressources
financières pour la prise en charge des indemnités.
S'agissant du nombre de conseillers municipaux, le Code
électoral prévoit que le nombre de conseillers est fonction du
nombre de village, et/ou de secteur, soit deux (02) conseillers par village et
par secteur. Ce qui fait que la commune de Kampti se retrouve avec deux cent
trente-quatre (234) conseillers soit la deuxième commune qui compte le
plus grand nombre de conseillers après celle de Ouagadougou qui en
compte deux cent cinquante-cinq (255). Pour une commune qui compte moins de
cinquante mille (50 000) habitants, cela pose nécessairement un
problème financier en l'occurrence la prise en charge de ces élus
quand on sait que les recettes propres de la commune sont dérisoires et
n'ont jamais atteint trente (30) millions. Le budget de 2013 qui est l'un des
plus satisfaisants avait une réalisation de recettes propres de
vingt-six millions neuf cent cinquante mille huit cent dix-huit (26 950 818)
francs
CFA sur une prévision de trente-deux millions deux cent
trente-neuf mille (32 239 000) francs CFA soit un taux d'exécution de
83,60 %22. A raison de cinq mille (5 000) francs CFA par jour, un
seul jour de session par trimestre coûte près de cinq millions (5
000 000) francs CFA à la commune. Au-delà de ce
«gaspillage« financier, la pléthore de conseiller pose le
problème de la qualité des hommes qui y sont. Si l'idée
qui a sous-tendu cette répartition de conseillers a été
guidée par le souci de la représentativité de tous les
groupes sociaux donc de démocratie, il n'en demeure pas moins qu'elle
entraîne des effets pervers assez importants. Enfin, ce nombre
élevé de conseillers ne facilite pas une tenue sereine des
sessions et ne permet pas des débats d'un niveau acceptable.
|