INTRODUCTION GENERALE
Au Burkina Faso comme ailleurs en Afrique, la
décentralisation constitue un enjeu démocratique constant de
l'organisation de l'Etat et de la participation citoyenne. Elle intervient dans
un contexte de remise en cause de la forme centralisée des Etats,
confrontée à la récurrence des revendications identitaires
et régionales, mais aussi à l'échec des ambitions de
développement et des politiques d'ajustement structurel1. La
décentralisation est également envisagée comme une
solution pour rééquilibrer des prétentions territoriales
survalorisant les grandes villes au détriment d'immenses zones rurales
sous-exploitées et parfois sous-administrées. C'est pourquoi,
l'organisation de grandes conférences nationales au début des
années 1990 au Bénin, au Mali ou encore au Cameroun a
réussi à convaincre ces Etats de la nécessité
d'instituer dans leurs constitutions le principe de la libre administration
locale.
Pour ce qui concerne le cas spécifique du Burkina Faso,
le processus de décentralisation remonte à l'époque
coloniale avec la création des premières collectivités
territoriales. Il s'agit de la commune de Bobo-Dioulasso en 1926, celle de
Ouagadougou en 1952 et de six (06) autres communes à savoir Banfora,
Dori, Fada N'Gourma, Kaya, Koudougou et Ouahigouya en 19592. Ces
communes avaient pour particularité d'avoir à leur tête des
maires nommés. Des indépendances en 1960 jusqu'à
l'avènement de la quatrième république, la démarche
de la décentralisation s'est poursuivi sous diverses formes. Mais c'est
surtout en juin 1991 que le processus de décentralisation a
véritablement pris son envol avec la consécration du principe de
la libre administration des collectivités locales dans la Constitution
de la quatrième République qui venait d'être
adoptée. Cette consécration a été suivie par
l'adoption des cinq (05) premières lois de la décentralisation en
1993, lesquelles ont été suivies par les lois de 1998
communément appelées Textes d'orientation de la
décentralisation (TOD).
'Confer «le niveau d'appropriation et
d'effectivité de la décentralisation au Cameroun«
2 Loi n°41/59/AL du 9 décembre1959.
~ 3 ~
Sur le plan politique, il eut l'organisation des
premières élections municipales dans les trente-trois (33)
communes existantes, le12 février 1995.Cette expérience s'est
poursuivie en juillet et septembre 2000 avec quarante-neuf (49) communes
urbaines.
En décembre 2004, l'élaboration de la loi
n° 055-2004/AN du 21 décembre 2004 portant Code
général des collectivités territoriales (CGCT) viendra
donner au processus un nouveau souffle. Ce nouveau code marque l'orientation de
ce processus en fixant ses objectifs, ses enjeux, des stratégies, ses
outils et ses acteurs. L'application sur le terrain de ce code a abouti en 2006
à l'organisation d'élections dans l'ensemble commune, des maires
et des conseillers municipaux sur toute l'étendue du territoire marquant
ainsi les débuts de la communalisation intégrale.
En tant que modalité d'organisation de l'Etat, la
décentralisation « consacre le droit des collectivités
territoriales à s'administrer librement et à gérer des
affaires propres en vue de promouvoir le développement à la base
et de renforcer la gouvernance locale »3. Cette organisation
est caractérisée par un processus participatif utilisant les
compétences locales comme moteur du développement social et
économique. Elle prend aussi en compte les besoins primaires des
populations, assure le développement socio-économique, la lutte
contre la pauvreté à l'échelle territoriale et promeut les
valeurs démocratiques dans les actions de proximité. Il s'agit
donc d'un processus difficile qui nécessite un certain nombre de
prérequis. Selon OUATTARA. S (2005)4,"une des conditions
de réussite de la décentralisation est la maîtrise par les
différents acteurs de leurs rôles et leurs
responsabilités".
Cependant la réalité se présente de la
manière suivante : d'un coté, nous avons un nombre important de
textes juridiques5 relatifs à la décentralisation, et
de l'autre, des élus locaux en majorité analphabètes
à qui l'on demande d'appliquer ces textes. Comment concilier ces deux
réalités apparemment antagonistes ?
3 Article 2 du Code général des
collectivités territoriales.
4 OUATTARA, Soungalo Appolinaire. (2005) Code
général des collectivités territoriales : Comprendre et
pratiquer la décentralisation au Burkina Faso/Guide
illustré.
5 Voir bibliographie à la page 57
~ 4 ~
En d'autres termes, comment des élus en majorité
analphabètes et dépourvus de connaissances préalables sur
la gestion du pouvoir politique moderne peuvent-ils appréhender les
normes qui régissent ce nouveau mode de gestion de leur localité
et assurer convenablement les missions à eux conférées ?
Ce sont ces préoccupations qui ont suscité l'intérêt
de réfléchir sur le « le défi de
l'appropriation des textes de la décentralisation par les élus
locaux : cas de la commune rurale de Kampti ».
De ce qui précède, il se pose les
préoccupations suivantes : les élus locaux connaissent-ils les
textes de la décentralisation ? De façon plus précise, il
s'agira pour nous de savoir si les maires et les conseillers municipaux jouent
leur rôle conformément aux prescriptions juridiques ? Au regard de
la difficulté de la tâche, ont-ils les aptitudes
nécessaires pour conduire le processus à bon escient ?
Des motivations d'ordre personnel, professionnel et
scientifique justifient le choix du présent thème.
En effet, la commune de Kampti est la plus grande des communes
rurales du Burkina Faso en termes de nombre de conseillers. Natif de cette
localité, la connaissance empirique que nous avions de ses contraintes
et de ses atouts, nous a inspiré l'envie d'aller au-delà
notamment en y jetant un regard scientifique afin de mieux cerner ces
réalités.
S'agissant des raisons professionnelles, le choix de ce
thème se justifie par le fait que l'élaboration et la mise en
oeuvre de la politique de décentralisation sont une des
préoccupations chères à notre futur ministère de
tutelle, le ministère en charge de l'administration du territoire et de
la décentralisation.
Au plan scientifique, la question de l'appropriation de la
décentralisation par les acteurs locaux, nous paraît être la
condition sine qua non pour l'atteinte des objectifs de cette importante
politique d'organisation du territoire. Il nous paraît donc important de
lever le voile sur ce pan de la décentralisation, si l'on veut
contribuer à l'amélioration du processus.
Notre désir majeur est d'apporter notre contribution
à la réflexion pour une meilleure appropriation du processus de
décentralisation par les élus locaux de la commune de Kampti.
C'est à ce titre qu'ils pourront participer pleinement au
développement de leur localité et à l'enracinement de la
démocratie à la base.
~ 5 ~
Plus spécifiquement il s'agira pour nous de :
- faire un diagnostic du niveau de connaissance des textes de
la décentralisation en vue de déceler les faiblesses
rencontrées dans la mise en oeuvre des différentes politiques par
les maires et les conseillers.
- faire des suggestions en vue de permettre à ces
derniers de participer pleinement aux délibérations lors des
sessions et à l'animation de la vie publique.
- leur faciliter la préparation et la diffusion des
comptes rendu des délibérations du conseil municipal à la
population.
Pour pouvoir répondre convenablement aux
préoccupations ci-dessus soulevées il convient de formuler des
hypothèses.
De manière générale les élus
locaux ne se sont pas approprié les textes qui régissent la
décentralisation.
Plus spécifiquement, l'analphabétisme de la
majorité de ces élus locaux constitue une entrave à une
participation productive aux sessions du conseil municipal.
En outre, les élus de Kampti rencontrent des
difficultés dans la mise en oeuvre quotidienne de la politique de
décentralisation de façon générale.
L'évaluation de l'« appropriation des
textes » prend en compte deux dimensions qui sont : d'une part,
la compréhension du concept de décentralisation,
des notions qui y sont attachées et du rôle des élus
locaux. D'autre part la participation citoyenne au
processus.
Aussi, par textes de la décentralisation, nous
entendons nous intéresser essentiellement au CGCT.
Les indicateurs relatifs à la dimension
compréhension sont :
- le niveau de connaissances des élus locaux du concept
et des textes de la décentralisation et ses implications ;
- le degré d'animation de la vie publique ;
Les indicateurs relatifs à la dimension participation
citoyenne :
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- Le taux de participation des populations aux sessions du
Conseil municipal ;
- Le taux de connaissance des organes communaux
Dans le but d'atteindre les objectifs ci-dessus
définis, la méthodologie utilisée part des pratiques de la
décentralisation telle que vécue par les principaux acteurs pour
en apprécier son appropriation.
La collecte des données s'est effectuée en
septembre 2014 à partir de plusieurs techniques complémentaires
dont la recherche documentaire, l'administration de questionnaires et la
réalisation d'entretiens. Notre échantillon d'étude
s'élève à cent cinquante (150) individus repartis sur
quinze villages (15)6. Il a été tiré aussi bien
au sein des conseillers municipaux (30), des membres du conseil villageois de
développement, (10) du personnel de la mairie (09), du préfet,
mais aussi de la population de la commune de Kampti avec une stratification
selon le genre (51 femmes et 49 hommes). La dissolution des conseils municipaux
intervenue en novembre 2014 à la suite de l'insurrection populaire ne
nous a pas permis de participer à une session du conseil municipal en
temps réel comme nous l'avions prévu, dans le but non seulement
d'observer son déroulement mais aussi de soumettre nos questionnaires
à l'ensemble des conseillers présents. Qu'à cela ne
tienne, les communications avec les ex-conseillers, les membres de la
délégation spéciale et les personnes de ressources se sont
poursuivies tout au long de la rédaction du document.
Notre travail s'articulera autour de deux grandes parties : la
première sera consacrée à l'étude du cadre normatif
de la décentralisation et à la présentation de la zone
d'étude. Dans la deuxième partie nous examinerons le niveau
d'appropriation des textes par les élus de la commune de Kampti pour en
repérer les difficultés et suggérer des solutions pour
l'amélioration du processus.
6Bantara, Bandadjara, Boussoura, Dinkabra,
Houlmana, Galgouli, Gbangbankora, Gongone, kampti-bouti, kapouré,
Konkouna, Kompi, Koursièra, Poltionao, Gnoyora,
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PREMIERE PARTIE :
CADRE NORMATIF DE LA DECENTRALISATION
ET PRESENTATION DE LA ZONE D'ETUDE.
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Il s'agira en ces lieux, de donner des informations sur
Kampti, notre zone d'étude, pour montrer ses atouts et ses
difficultés. Mais auparavant il convient de faire l'état des
lieux des études déjà menées sur la
décentralisation. Aussi, Kampti étant une commune rurale, une
étude sur les règles juridiques relatives à l'organisation
et au fonctionnement de la commune de manière générale
permettra d'avoir une vue d'ensemble de notre sujet d'étude.
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