L'évocation des maladies
Les maladies des plants constituent des déceptions
permanentes pour les maraichers. « Les maladies des plants sont
nos principaux ennemis ici. Ce n'est pas facile notre métier. Il faut
sarcler, biner, semer, arroser ; et ce n'est pas tout ! Non
seulement, il te faut de l'argent pour acheter du carburant afin de pouvoir
drainer l'eau dans le bassin, il te faut également l'argent pour les
produits de traitements. Parce que, même quand la plante est en bonne
santé il faut traiter pour prévenir les maladies. Mais
malgré les traitements de préventions, il arrive très
souvent que nos plants soient malades ; tout ça c'est sans compter
ce que tu payes aux ouvriers » [Salomé, 36 ans, maraicher
à VIMAS]. Tous les maraichers interrogés tiennent le propos
de Salomé. Il faut un minimum d'investissement pour faire le maraichage.
Le montant varie de 50.000 CFA à 400.000 CFA et est fonction
de la superficie emblavée et des cultures faites. Alors, une fois les
dépenses déjà engagées ils n'arrivent plus à
renoncer en cas de maladies des plantes, et dépensent davantage dans
l'achat des produits de traitement. Ainsi ils associent à la maladie la
notion de sanction financière, coûts supplémentaires,
perte.
Néanmoins, le terme de maladie ne contient pas que des
évocations négatives. « Tu ne peux pas être
maraicher et dire que tes plants ne seront pas malades, c'est impossible. Moi
aussi je tombe malade, donc c'est naturel. La maladie est déjà
là ! Donc il faut agir. C'est là aussi on voit qui est qui
sur ce site... » [Grégoire, 30 ans, maraicher à
VIMAS]. Ces propos transparaissent à travers les entretiens de 15
maraichers. Nos séances d'observations nous ont permis de constater
qu'il arrive que les maraichers échouent dans le traitement des plants.
En situation d'échec ils peuvent soit changer de produits soit modifier
le dosage ou la combinaison. Ainsi, les maladies sont l'occasion pour les
maraichers de se remettre en cause, et de mettre au point de nouvelles
combinaisons de traitements. Selon Dejours (2003), le travail n'est pas une
activité qui sert uniquement à produire et à gagner de
l'argent, il est également indispensable dans la construction de la
personne. Le travail sert à s'épanouir, à
développer et exprimer sa créativité, son intelligence. Si
le rapport au travail peut s'envisager dans ses dimensions techniques ou
économiques, il renvoie également à des dimensions
personnelles, affectives et identitaires.
Les pesticides, usages et
approvisionnements
Le principal moyen de lutte contre les bibi et
les wanvou est l'utilisation de pesticides chimiques. Au total, 25
pesticides ont été dénombrés durant la
période de collecte des données (confère Tableau n° 2
en annexe). Les dix premiers sont les pesticides recommandés pour la
culture du coton par contre les dix autres suivants sont recommandés
pour le maraichage. Les 5 derniers n'ont pu encore être classés
comme étant des produits recommandés pour le coton ou les
cultures maraichères.
La majorité des maraichers ne semblent pas avoir une
grande connaissance du spectre d'activité des matières actives et
des doses à utiliser en fonction des superficies à traiter. Ils
répondent que la plupart des pesticides agissent vers les mêmes
cibles, qu'il s'agisse de ravageurs ou de maladies. Cette méconnaissance
est souvent imputable à l'utilisation abusive des produits. Si cet
état de chose peut s'expliquer par le fait du niveau d'instruction
très faible des maraichers, il y a aussi que les maraichers ne sont pas
bien encadrés par l'Etat à l'instar des producteurs de cotons. En
effet, pour la culture du coton, en plus de l'encadrement, les pesticides
« adaptés » sont distribués par l'Etat aux
producteurs sous forme de crédit remboursable après la
récolte. Par contre, les produits homologués pour les cultures
maraichères ne sont pas toujours disponibles dans les centres de
promotion agricole et s'ils le sont parfois, leur coût est dissuasif. Les
maraichers ne bénéficiant pas alors du même encadrement que
les producteurs du coton, se retrouvent seuls faisant leur possible pour avoir
de belles récoltes afin de les commercialiser.
La plupart des maraichers, c'est-à-dire 25 sur les 28
interrogés, affirment ne plus avoir une connaissance sur le mode
d'action précis des produits qu'ils utilisent. « On ne
maîtrise plus rien, les produits ne sont plus efficaces comme avant,
finalement on ne sait plus ce qu'ils font exactement » [Phillipe, 28
ans, maraicher à VIMAS]. Et donc, ce qui est
recherché, c'est le résultat ; peu importe le type
d'emballage, la couleur et l'aspect du produit. Selon eux, pour renforcer
l'efficacité du produit, il doit être utilisé en
mélange. Cette pratique évite de faire plusieurs passages
d'épandage et de ce fait permet de gagner en temps. L'épandage
est fait souvent très tôt le matin ou le soir. La raison
évoquée est que l'action du soleil ambiant associé au
produit pourrait griller la plante.
Le plus difficile pour nous concernant l'usage des pesticides
a été de trancher sur comment les mélanges de pesticides
se font. « ...c'est une question compliquée hein ! je
ne peux pas vous dire exactement comment je mélange mes produits, je ne
peux pas... ça dépend du niveau d'attaque des plants, de la
quantité de produit dont je dispose, des produits qui existent en ce
moment sur le marché, de ma capacité financière... en tout
cas sincèrement, ça dépend... » [Donald, 29 ans,
maraicher sur le site de VIMAS]. Aucun des maraichers interrogés
sur cet aspect n'a pu fournir d'informations précises. L'observation
nous a permis de constater que, le même maraicher pour la même
culture, en face du même ravageur, peut soit utiliser les mêmes
produits à des doses différentes, soit utiliser carrément
d'autres produits, soit faire d'ajout aux précédents.
Néanmoins, même si on ne peut pas statuer sur les mélanges
de produits, il y a les produits tels que « LAMDA FINER® 25
EC », « PACHA® 25 EC »,
« LASER® 480 SC » qu'on retrouve
systématiquement dans tous les mélanges faits par 23 des
maraichers enquêtés.
Les traitements des cultures sont réalisés
à titre préventif et à titre curatif.
Généralement pour la prévention, les traitements sont
réalisés tous les 5 à 8 jours ; et à titre
curatif tous les 2 à 3 jours selon le niveau d'attaque de la culture.
Un autre facteur déclenche également les
traitements chez une dizaine des maraichers enquêtés. Quand mon
voisin traite ses cultures, il faut que je le fasse aussi sinon mes cultures
seront contaminées disent-ils. Cette perception résulte du fait
que ces maraichers pensent que certains ravageurs ne meurent pas après
traitement mais se déplaceraient. « Les acariens et les
criquets ne meurent pas facilement, quand tu mets le produit, ils sont
dérangés et ils se déplacent pour aller cher celui qui est
à côté... » [Sèna, 32 ans, maraicher
à VIMAS].
Les circuits d'approvisionnement au niveau local sont
multiples. « Accueil Paysan » est la seule boutique de
fourniture d'intrants (semences et produits phytosanitaires) à
Sèmè-Kpodji. Ce lieu commercial ne fournissant pas des produits
coton, les maraichers de VIMAS se rabattent sur les fournisseurs de Cotonou et
les vendeurs ambulants pour s'approvisionner. En effet, la responsable de cette
boutique est ingénieur agronome et donc consciente du danger de
l'utilisation de ces produits en maraichage. En revanche les vendeurs de
produits de traitement chez lesquels les maraichers vont s'approvisionner
à Cotonou n'ont aucune connaissance scientifique sur les compositions
des produits. Ils sont également des maraichers qui ont comme pratique
de recruter les ouvriers sur leur site de maraichage. « Il est
vrai que j'ai ouvert une boutique pour vendre les pesticides de maraichage,
mais je n'ai jamais cessé de faire le maraichage. J'ai engagé des
ouvriers expérimentés pour le faire mais je vais voir de temps en
temps comment les choses évoluent ». [Agossou, 49 ans, vendeur
de pesticides à Cotonou]. Les nouveaux produits avant d'être
recommandés aux clients sont expérimentés sur nos cultures
affirment les vendeurs.
Les vendeurs de ces produits affirment s'approvisionner
surtout en Côte-d'Ivoire, au Ghana et au Togo. Lorsqu'ils doivent
s'approvisionner au Togo, ils utilisent leurs motos pour faire le
déplacement. Ils déclarent maîtriser des trajets afin de ne
pas se faire déranger par les douaniers. En outre lorsque ces produits
doivent quitter la Côte-d'Ivoire ou le Ghana, ils sont
dédouanés et sont transportés par les grands bus qui font
le trajet Côte-d'Ivoire- Ghana- Togo-Bénin. Il arrive parfois que
ces produits soient saisis par l'une des douanes de ces frontières en
cas de non dédouanement. Certes les vendeurs vont s'approvisionner
à l'extérieur du pays mais il arrive aussi que des fournisseurs
se déplacent vers eux. Ces fournisseurs viennent à la fois de
l'intérieur (le nord) et de l'extérieur du pays (Côte
d'Ivoire et Ghana). Ce sont surtout les produits cotons qui leurs sont
livrés. « ... il y a même des pesticides qui sont
stockés maintenant parce que ce n'est pas bon pour le coton et vous
allez voir ça sur le maraichage très prochainement et des
milliers de tonnes. Ce qui est dommage quand ils font venir ces produits, ils
ne voient pas les conséquences parce que ça va ressortir. On nous
a montré à la télévision plusieurs magasins remplis
de produits, remplis d'endosulfan vous avez suivi ça
non ! » [Agent de l'INRAB]. Il y a donc un
détournement de produits destinés au coton pour le maraichage. Et
puisque ces produits sont subventionnés par l'Etat, ils ne coûtent
plus cher sur le marché informel. Ce qui explique en partie la
présence de ces produits avec les maraichers.
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