I.1.2/ La notion de changement
Dans le chapitre introductif de son ouvrage, Bernoux
(2010)7 annonce que « Le changement en général et
le changement dans les organisations en particulier sont des objets difficiles
à cerner ».
Demers (1999) nous indique que le concept de changement a fait
l'objet d'une quantité phénoménale d'articles et de
livres. Pour Perret (1996), il constitue un thème aussi majeur que
difficile d'autant plus qu'une réflexion en terme de changement et de
transformation se substitue peu à peu à des raisonnements en
terme de stabilité et de permanence.
Le changement peut se définir comme « la
démarche qui accompagne la vie de toute entreprise face à
l'instabilité et au développement de son environnement »
(Fabre et al., 2007). Pour ces auteurs, une organisation se modifie du
fait d'un changement dû à la nécessité de s'adapter
à un environnement instable. Le changement entraîne une
transformation voulue ou subie.
Pour Robbins et DeCenzo (2008), le changement est une
modification durable apportée à l'environnement, la structure, la
technologie ou au personnel d'une organisation en vue d'une amélioration
significative de son fonctionnement et de sa performance.
Pour Collerette, Delisle et Perron (2008)8, il
s'agit de tout passage d'un état à un autre, qui est
observé dans l'environnement et qui a un caractère relativement
durable.
Crozier et Friedberg (1977)9 proposent d'abord de
considérer le changement comme un problème sociologique et le
définissent ensuite comme un phénomène systémique
car portant sur la transformation d'un système d'action, mettant en
pratique de nouveaux rapports humains, de nouvelles formes de contrôle
social, et enfin considèrent le changement comme un apprentissage de
nouvelles formes d'action collective, entraînant la
7 Philippe Bernoux, Sociologie du changement dans les
entreprises et les organisations, 2010, Editions du Seuil, p.7.
8 Collerette, Delisle et Perron, Le changement
organisationnel, théorie et pratique, 2008, p20.
9 Crozier et Friedberg, L'acteur et le système,
1977, p391.
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TRAORE Zakaria, Master Recherche en Sciences de gestion
(2ème promotion), ISIG International
Mise en oeuvre du changement organisationnel : enjeux et
défis de la transformation d'une organisation à but non
lucratif
découverte, l'acquisition de nouvelles capacités
et la prise en compte de construits d'action collective comme obstacles
à l'apprentissage et le changement comme une rupture.
Pour Bernoux (2010), le changement est le résultat
d'une combinaison entre un ensemble de forces, les contraintes, les
institutions, et les acteurs, où se mêlent domination et
liberté.
A partir de ce concept de portée plus ou moins large,
des précisions peuvent être apportées à la notion de
changement et donner ce que Pesqueux (2010) appelle changement « à
épithète ». Pour lui, parler de changement, c'est poser la
question de la dialectique (ou de la dualité) «
stabilité-changement », dans un flou terminologique où
« stabilité », « permanence », « immobilisme
», « inertie », « rigidité », « permanence
», « continuité »,
de même « changement », « mouvement
», « modification », « mutation », «
métamorphose », « transformation », « adaptation
», « évolution », « réforme » se
trouvent « confondus » dans l'un ou l'autre des champs lexicaux, sans
compter la relativité radicale des deux concepts l'un vis-à-vis
de l'autre ».
Cette dialectique changement/continuité qui a fait
l'objet d'écrits importants est résumée par Mignon (2009),
en rapport avec différentes théories des sciences de gestion
comme suit:
Tableau n°1 : Auteurs et courants clés
sur la dialectique changement/continuité
7
Auteurs et courants clés
|
Terminologies
|
Ecologie des populations
M.T. Hannan et J. Freeman (1989) R.P. Rumelt (1995)
M.T. Hannan et al. (2004)
|
Favoriser l'inertie (la stabilité est
sélectionnée positivement par l'environnement) sans que cette
dernière inhibe les transformations et les ajustements
nécessaires à l'adaptation.
|
Pérennité organisationnelle
J.C. Collins et J.I. Porras (1994)
De Geus (1997) ; J.C. Collins (1997) Aronoff (2004)
|
Préserver l'essence et stimuler le progrès
|
Théories évolutionnistes
R.R. Nelson et S.G. Winter (1982) J.A.C Baum et J.V. Singh
(1994)
S.G. Winter (2000) ; R. Durand (2006)
|
Développer des routines source
d'apprentissage
|
Ecologie intra-organisationnelle R.A. Burgelman
(1991,1994) R.A. Burgelman, A. Grove (2007)
|
Faire régner/maîtriser le chaos
Développer de façon équilibrée les
stratégies autonomies/induites
|
Equilibre ponctué
L.E. Greiner (1972)
D. Miller, P.H. Friesen (1984)
M.L. Tushman et al. (1986)
M.L. Tushman, C.A. O'Reilly III (1996)
C.A. O'Reilly, M.L. Tushman (2004)
|
Alterner les réorientations majeures et les
changements mineurs.
Promouvoir conjointement des innovations incrémentales,
architecturales et radicales
|
Dynamic capabilities
D.J. Teece, G. Pisano, A. Shuen (1997) K.M. Eisenhard et J.
Martin (2000) S.G. Winter (2003)
G. Schreyogg, M. Kliesch-Eberl (2007) J.B. Harreld et
al. (2007)
|
Créer des capacités dynamiques et flexibles pour
continuer d'exister dans la durée
|
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Mise en oeuvre du changement organisationnel : enjeux et
défis de la transformation d'une organisation à but non
lucratif
Apprentissage et changement
organisationnel
C. Argyris, D. Schon (1978)
J.G. March (1991), Huber (1991)
D.A. Levinthal (1991), C. Argyris (1995)
C.A. O'Reilly, M.L. Tushman (2004)
W. Liu (2006), K.D. Miller et al. (2006)
Equilibrer l'exploration et l'exploitation. Distinguer les
changements en simple et double boucle.
Source : Sophie Mignon
(2009)10
La toute première théorie évoquée
(écologie des populations, avec comme chefs de file Hannan Freeman)
prônait l'inertie des organisations et le maintien par l'environnement de
celles qui sont stables. De même, la théorie de la
pérennité organisationnelle développée par J.C.
Collins et J.I. Porras voit dans les organisations cette capacité
à maintenir ses atouts propres tout en stimulant le progrès.
La théorie évolutionniste voit dans les routines
(opérationnelles, génériques et de recherche) une source
d'apprentissage. La théorie intra-organisationnelle prône de
s'appuyer sur le processus de sélection interne de la part des
dirigeants pour trouver un équilibre entre initiatives
stratégiques autonomes et initiatives stratégiques induites afin
d'aboutir à des innovations.
La théorie de l'équilibre ponctué conduit
à dépasser l'opposition entre les changements incrémentaux
et de réorientations majeures et s'intéresser à la
capacité des entreprises à développer simultanément
tout un ensemble d'innovations incrémentales (améliorations
mineures des procédés, produits), architecturales (changements
fondamentaux des procédés et technologies) et radicales
(innovations discontinues rendant obsolètes les produits et processus de
production).
La théorie de la capacité dynamique ou dynamic
capacity permet à l'organisation d'introduire des changements en
créant des capacités dynamiques et flexibles, résultats
d'un processus d'apprentissage. Enfin, l'apprentissage permet l'exploration et
l'exploitation de nouvelles connaissances et par conséquent d'introduire
des changements organisationnels.
Au regard de ce qui précède, la notion de
changement semble indéterminée (Pesqueux, 2010) et difficile
à cerner, sauf à adopter un référent ou un contexte
bien défini.
Ainsi, nous traitons du changement dans les organisations,
d'où le concept de changement organisationnel.
« Le changement organisationnel doit être
perçu comme une solution permettant à l'organisation de
répondre au problème de l'adaptation à son environnement
et de sa capacité à évoluer » (FABRE et al.,
2007).
10 Sophie Mignon (2009), La pérennité
organisation, Revue française de gestion, n°192, p77.
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Mise en oeuvre du changement organisationnel : enjeux et
défis de la transformation d'une organisation à but non
lucratif
La définition suivante est donnée par Collerette
et al. (2008) : « Toute modification relativement durable dans un
sous-système de l'organisation, pourvu que cette modification soit
observable par ses membres ou les gens qui sont en relation avec ce
système ».
En liaison avec la découverte et l'acquisition de
capacités, Crozier et Friedberg (1977) définissent le changement
et son processus : « Il ne s'agit pas de décider une nouvelle
structure, une nouvelle technique, une nouvelle méthode, mais de lancer
un processus de changement qui implique action et réactions,
négociation et coopération. Il s'agit d'une opération qui
met en jeu non pas la volonté d'un seul, mais la capacité de
groupes différents engagés dans un système complexe
à coopérer autrement dans la même action. »
Collerette et al. (2008) relèvent la
distinction entre processus et démarche. Ainsi, pour eux, l'expression
processus fait référence aux différentes phases
vécues par le système social qui doit intégrer le
changement. Le processus se déroule au niveau de l'expérience
personnelle de ceux qui vivent le changement.
La démarche de changement quant à elle fait
référence aux différentes étapes qui seront
franchies pour entreprendre, promouvoir et implanter un changement dans un
système. Elle contient les différentes activités qui
seront exécutées par les agents du changement pour s'assurer
qu'il se matérialise dans l'organisation. La démarche du
changement organisationnel peut suivre quatre grandes phases :
- le diagnostic de la situation insatisfaisante ;
- la planification des actions ;
- l'exécution du plan d'actions ;
- l'évaluation des résultats obtenus.
Cependant, la littérature révèle que la
mise en oeuvre du changement est un processus généralement long
et présente un caractère conflictuel et chaotique (Collerette
et al.,2008).
Au-delà de ces définitions préliminaires,
nous allons approfondir le concept de changement organisationnel à
travers la vaste théorisation dont elle a fait l'objet.
Au regard de ce qui précède, nous pouvons
définir le changement organisationnel comme un processus introduit dans
une organisation, au regard des contraintes de son environnement ou de besoins
stratégiques, entraînant une transformation de son système
d'actions et visant une amélioration significative de son fonctionnement
et de sa performance.
Les concepts d'organisation et de changement étant
définis, il s'avère nécessaire à présent
d'analyser les modes d'introduction du changement dans l'organisation, les
modes de conduite du changement et les atouts indispensables à son
succès, tout ceci au regard des nombreux enjeux et contraintes que sa
mise en oeuvre entraîne nécessairement.
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TRAORE Zakaria, Master Recherche en Sciences de gestion
(2ème promotion), ISIG International
Mise en oeuvre du changement organisationnel : enjeux et
défis de la transformation d'une organisation à but non
lucratif
Les différents modèles présentés
ci-dessous nous permettent de comprendre tout ce processus et leur contenu.
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