« L'émergence des tiers-lieux traduit une rupture
radicale dans le paradigme organisationnel. [Ils prennent] l'exact contre-pied
des règles qui ont présidé la structuration de la
société, de l'économie, de l'espace, c'est-à-dire
les règles de la spécialisation exclusive. » (Chapignac,
2012,p.3) En tant que tiers-lieu donc, les espaces de coworking tranchent avec
le lieu travail traditionnel et son organisation. Ils sont plus ou moins dans
une dynamique de rejet des formes dominantes du travail qui structurait la
société auparavant. La Mutinerie, EC parisien partage ainsi sa
vision : « Imaginez un espace où [les individus] travaillent
ensemble mais pour des clients distincts, un environnement stimulant, sans
hiérarchie, sans compétition, sans politique, un cadre convivial
et cosy. » En bref, les EC se « vendent » comme des espaces
d'autonomie, de liberté, d'expression et de rencontres, opposés
aux espaces uniformes, impersonnels et rationnels que nous renvoie l'imaginaire
de l'entreprise du XXème siècle.
Mais, rappelons que le tiers-lieu est aussi une alternative
au « premier lieu », c'est-à-dire le domicile. Les outils
numériques ont permis à une partie de la population de se
libérer des contraintes spatio-temporelles via le développement
du télétravail. Le télétravail ou travail à
distance s'est propagé dans les années quatre-vingt-dix avec
comme trame de fond les discours utopiques de la société
digitale3. Il serait « un moyen idéal
d'économiser l'énergie, de diminuer la pollution et le stress
causés par les déplacements quotidiens, une manière de
concilier le travail et la vie familiale [...] la solution miracle pour le
développement des espaces ruraux, un outil pour l'insertion
socioprofessionnelle des personnes à mobilité réduite
» (Moriset, 2004:6). Bien que le télétravail soit en
réalité étendu à tout lieu « hors les murs
», il s'est manifesté en grande partie à travers le travail
à domicile. Mais face à une vision hédoniste de l'individu
maître de son temps, de son activité, pouvant organiser à
sa guise son emploi du temps entre travail famille et loisirs, apparaissent
assez vite les limites du domicile comme « nouveau bureau ».
Après retour sur expérience, « le télétravail
est perçu comme un facteur d'isolement de l'individu, limitant les
contacts professionnels avec les pairs aux stricts besoins de la
coopération et de la coordination [sans pouvoir] compter sur la
3 Voir les rapports Théry (1994), Breton (1995),
DATAR/Guigou (1998)
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cohésion et la solidarité des groupes de
travail. [...] le télétravail est pris comme une situation qui
paraît ne pas avoir de réels contacts avec son environnement.
» (Largier, 2001:43). A une période de déploiement du
télétravail résolument optimiste va succéder
progressivement une période aux discours plus nuancés, mettant en
garde contre les éventuelles nuisances et les effets
désocialisant.
Les EC s'imposent naturellement comme alternative au travail
à domicile et à l'isolement. On constate que cet argument est
largement repris dans les définitions du coworking proposées par
les différents lieux. Ainsi, La Mutinerie à Paris propose «
un écosystème efficace pour leur permettre de rester autonomes
sans être isolés »4 ; La Boussol' à Brest
aborde sans détours : « Marre d'être isolé dans votre
travail ? Rejoignez-nous ! »5 ; L'espace Coworking Montreuil
s'adresse lui aussi aux travailleurs « qui souhaitent ne plus être
isolés chez eux ou dans des bureaux sans âme. »6
... En bref, les EC seraient le point de convergence des formes de rejet
associées au lieu et à l'organisation du travail, espaces
d'émergence d'un nouveau modèle plus en phase avec les attentes
des travailleurs qui ne se reconnaissent plus dans le bureau fixe traditionnel
et/ou ne parviennent pas à vivre l'utopie libératrice du
télétravail à domicile.